Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Retour sur l’Afghanistan par William CALDER

dans le cadre des dialogues que permet ce blog, voici un ami de jadis qui m’écrit propos de l’AFGHANISTAN ;il me propose son texte pour publication… Intervenir une nouvelle fois pour rétablir des faits historiques et le rôle des Etats-Unis, celui des communistes afghans, nous parait important alors que l’on subit un pilonnage qui tend à laisser croire que tout allait bien sous occupation US et que le drame de la faim, de la crise humanitaire est lié à leur départ, quitte à utiliser la condition féminine comme mauvais prétexte. (note de danielle bleitrach pour histoireetsociete)

Bonsoir Danielle,

Cela fait longtemps….; j’espère que tu tiens bien le coup dans ces moments un peu compliqués (il me semble que c’est bien le cas si l’on juge pour “l’activisme” de ton blog 😉

C’est justement ton blog à l’origine de ce courrier. Il se fait qu’un bon ami qui avait lu mon article sur l’Afghanistan, la retraite USA et le gouvernement populaire, m’avait conseillé de le visiter pour lire ton article sur Najibullah. (1) Non seulement excellent, mais si nécessaire article à un moment où j’ai l’impression qu’on oublie, on néglige, y compris me semble-t-il à gauche, la qualité politique et humaine de ce grand communiste. Je regrette ne pas avoir lu ton article avant de rédiger le mien..:-(( Cela dit, je pense apporter quand même quelques éléments qui peuvent nous aider à mieux comprendre et le personnage et les raisons de l’échec de l’expérience révolutionnaire de son pays.

Je te le joins dans l’idée que si tu puisses aussi le publier si tu le trouves d’intérêt (j’ajoute un court fichier chronologique pour rafraichir les mémoires…)

Te saluant fraternellement,
Vladimir Caller
Bruxelles

(1)
https://histoireetsociete.com/2021/08/20/connaissez-vous-najibullah-ahmadzai-le-dernier-chef-detat-de-la-republique-dafghanistan-un-patriote-un-communiste/

Les récents événements en Afghanistan, avec le retrait de l’armée américaine, ont suscité beaucoup de commentaires et d’analyses. Dans pas mal d’entre eux, l’expérience socialiste afghane est présentée de manière incomplète ou déformée, y compris par des intervenants de gauche. Ainsi, cette expérience aurait dépendu totalement du soutien militaire soviétique pour se maintenir au pouvoir et n’aurait eu que le soutien des élites urbaines de la petite bourgeoisie. On a tendance également à oublier le rôle, déterminant dans la défaite de cette expérience, de deux personnages; l’un, Hafizullah Amin, de l’intérieur et l’autre, Boris Eltsine, de l’extérieur. En face d’eux, dans un contraste absolu sur le plan de l’éthique politique, intégrant lucidité et courage, un certain Mouammar Najibullah.

Une exigence de réalisme politique peut nous conduire à approuver, et même soutenir, le nouveau pouvoir moudjahidine s’il se distanciait, se démarquait et finissait par s’opposer à ses anciens géniteurs. Mais ce réalisme ne doit pas nous faire oublier leur rôle – en totale obéissance aux services de renseignement pakistanais et américains – dans la défaite de l’Afghanistan populaire des années 80. On peut faire abstraction de l’histoire pour des impératifs politiques du moment, mais on ne peut pas, on ne doit pas, l’effacer.

En 1989, un petit Stalingrad afghan
Vladimir Caller

Le 15 février 1989, le dernier soldat de l’Armée rouge quittait l’Afghanistan, honorant très ponctuellement l’annonce du retrait faite le 8 février 1988 par Mikhaïl Gorbatchev devant l’Assemblée générale des Nations Unies[1]. Une évacuation parfaitement ordonnée (en contraste absolu avec celui des États-Unis, en août de cette année) qui résultait des échecs des tractations où les Soviétiques négociaient leur départ contre l’arrêt des interventions américaines et pakistanaises; retrait qui ne pouvait qu’augurer la chute imminente, presqu’automatique, du gouvernement progressiste afghan[2]

C’est exactement ainsi que l’avaient compris les services de renseignement et les administrations politiques des États-Unis et du Pakistan qui prirent la décision d’agir sans tarder pour « finir le boulot ». Dans son édition du 11 février 1989, le New York Times révélait l’existence d’une réunion secrète du Conseil de sécurité des États-Unis qui avait eu lieu le 9 et qui avait conclu, sur base d’informations des services de renseignements, que  le gouvernement de Mohammad Najibullah n’allait plus tenir que de trois à six mois et recommandait au président G.W. Bush de continuer à armer les moudjahidines pour cette nouvelle et « dernière saison de combats ». Et le quotidien new-yorkais de commenter : « La décision de l’administration Bush confirme que l’objectif politique des États-Unis est d’accélérer l’effondrement du gouvernement de Kaboul, maintenant que le retrait des troupes soviétiques est pratiquement achevé.» [3] Les participants à la réunion suivaient ainsi les prédictions du chef moudjahidine Gulbuddin Hekmatyar, qui venait de déclarer que « la chute de Kaboul ne se comptera pas en mois mais en une paire de semaines et aura lieu sans trop de heurts dans la ville[4]. » Ils décideront donc de la précipiter. Détail significatif : à la réunion où furent invités des responsables pakistanais, n’était présent aucun représentant des insurgés afghans. Absence justifiée par un haut fonctionnaire pakistanais :  « aucun représentant de la guérilla afghane n’était présent à la réunion de mars parce que l’ISI en a la charge[5]. » (ISI, pour Inter-Services Intelligence Agency, les services secrets pakistanais).

Faisant état de sa certitude que la fin du gouvernement communiste de Mohammad Najibullah ne tenait qu’à quelques jours, la Maison Blanche décida alors de fermer son ambassade à Kaboul;  geste immédiatement suivi par la France et le Royaume-Uni. A son tour le gouvernement pakistanais décidait, au cours d’une réunion présidée par la Premier ministre Benazir Bhutto avec les responsables militaires de son pays et l’ambassadeur des États-Unis, de renforcer et précipiter les opérations militaires visant à terminer l’expérience socialiste afghane. Réunion où, encore une fois, les dirigeants moudjahidines afghans brillaient par leur absence[6].

Les promoteurs de cette « lutte finale » djihadiste étaient si sûrs de leur réussite, qu’ils décidèrent d’organiser la gouvernance « postcommuniste » en formant un gouvernement provisoire qui serait présenté à la «communauté internationale » dès qu’ils auraient trouvé la ville pour l’installer. Pour le gouvernement, les choix furent vite faits ; les Pakistanais et les Américains placèrent chacun leur poulain parmi les chefs djihadistes : Abdul Rasul Sayyaf pour l’ISI pakistanais, pressenti comme premier ministre et Gulbuddin Hekmatyar, le plus sanguinaire des dirigeants djihadistes, pour la CIA comme ministre des affaires étrangères. Il ne restait alors qu’à chercher la ville qui devrait faire figure de « capitale provisoire » en attendant la prise de Kaboul; le choix ne tarda pas et c’est fut Jalalabad, la ville la plus importante de l’Afghanistan oriental à seulement 120 Km de Peshawar, la ville frontière pakistanaise qui concentrait le soutien en armes et en troupes pour les moudjahidines, située exactement à mi-chemin entre Peshawar et Kaboul.

Faire vite, car « l’ami américain » Hafizullah Amin, n’est plus là…

A noter que l’opportunité, et urgence, de cette offensive ne résultait pas seulement du départ des Soviétiques mais également de l’arrivée de Najibullah, le nouveau président du pays. Ce dernier était en train de récupérer largement le soutien populaire à la révolution après les années de terreur et de provocations, organisées sous une étiquette « ultrarévolutionnaire » par Hafizullah Amin pendant qu’il dirigeait le parti et le pays[7].

Personnage singulièrement ambigu, Amin avait entrepris, sous des proclamations maximalistes de transformations révolutionnaires, une campagne de répression massive et d’élimination de milliers de personnes, dont une partie importante des partisans de la révolution, qui ne se soumettaient pas à son fanatisme exacerbé. Une universitaire américaine a bien résumé ses pratiques : « Son gouvernement émit plusieurs décrets mettant en cause les usages de la société tribale traditionnelle afghane et offensant les croyances du peuple (…) L’opposition populaire s’est alors accrue par la lutte armée. En retour, le pouvoir a instauré un régime de terreur arrêtant, tuant et torturant des milliers d’Afghans[8]. » Plus politique, la dirigeante communiste Anahita Ratebzad, médecin, fondatrice des centres d’éducation pour femmes et plus tard ministre de l’éducation, dressa un bilan plus cru d’Hafizullah Amin : « (…) meurtrier cruel et criminel qui avait fait de la terreur, de la suppression et de l’écrasement de toute force d’opposition une partie intégrante de son mode de gouvernement, et qui commençait ses journées en mettant les opposants à son régime sanglant dans des lieux de torture, des prisons et des abattoirs[9]. »

Formé aux États-Unis pendant sa jeunesse, Amin fut peu à peu soupçonné d’être un agent au service des Américains. Selon le journaliste (chef du service international du Guardian) et écrivain britannique Jonathan Steele, Amin avait admis « (…). avoir reçu de l’argent des services secrets américains avant la révolution[10]. » Le dirigeant communiste Babrak Karmal, son remplaçant au pouvoir, déclarait à la presse allemande en 1980 : « Aujourd’hui, nous avons des informations précises qu’un agent formé par la CIA a pu s’infiltrer dans notre parti et conduire la révolution dans la mauvaise direction (…) Il existe des preuves qu’Hafizullah Amin a eu des entretiens secrets avec de hauts responsables américains lors d’une conférence extraordinaire de l’ONU. Après son retour en Afghanistan, il a lentement usurpé le pouvoir. Ces preuves ont été publiées à Kaboul[11]. » Le comportement d’Amin pendant son règne fut si étrange que l’ambassadeur britannique à Moscou de 1988 à 1992, Rodric Braithwaite, rapportait que son collègue américain Adolph Dubs, ambassadeur à Kaboul, qui avait rencontré Amin à plusieurs reprises, s’était adressé au Département d’État en se demandant si Amin n’était pas un agent au service des USA[12].

Plus concrètement, et ceci est confirmé de manière documentée, des câbles diplomatiques confidentiels, dévoilés via la procédure étatsunienne du Freedom of Information Act, précisent qu’Amin se réunissait discrètement avec les deux derniers chargés d’affaires étatsuniens pour leur dire son souhait de se rapprocher des États-Unis. Le premier, Bruce Amstutz, fut reçu par Amin début octobre 1979 à la demande de ce dernier. Dans un de ses câbles secrets ayant comme titre « Le désir du Président Amin d’avoir de meilleures relations », le diplomate affirmait : « Le président Amin m’a clairement fait savoir qu’il était disposé à rencontrer le Chef de mission que le gouvernement des États-Unis pourrait designer ». Démarche qu’Amstutz déconseillait car, selon lui, « les conditions sur place devenaient terribles avec des mutineries dans les garnisons et des séries d’exécutions perpétrées par le régime d’Amin[13]. » Amstutz parti, Amin demande de rencontrer le nouveau et dernier chargé d’affaires Archer Blood ; ce dernier est un peu plus explicite dans le câble confidentiel qu’il envoie au Département d’État. « (...) Amin m’a fait part, pour commencer, de son affection pour les États-Unis depuis ses années d’étudiant. Je crois qu’il souhaite une amélioration des relations États-Unis/Afghanistan ». Et ce, selon Blood, (sic), « dans le but d’avoir une protection à long terme contre une trop grande dépendance à l’égard de l’Union soviétique[14]. »

Tout semble indiquer que le chef des services de renseignement soviétique de l’époque, Iouri Andropov, ne se trompait pas lorsque, en décembre 1979, il précisait dans un mémorandum manuscrit adressé à Léonide Brejnev : « Nous avons reçu des informations sur les activités en coulisses d’Amin qui pourraient signifier sa réorientation politique vers l’Ouest. Il nous cache ses contacts avec les chargés d’affaires américains[15]. » Ecrits et paroles que l’universitaire américaine déjà citée précisait : « Afin d’atteindre ses objectifs et d’assurer sa survie, Amin a tenté d’établir des relations plus étroites avec d’autres pays, notamment avec le Pakistan et les États-Unis[16]. »

Déterminé à disposer d’un pouvoir sans limites, Amin ordonna l’assassinat du président Taraki, pourtant issu de sa même branche politique[17], pour prendre sa place, avant d’être assassiné lui-même avec la participation d’un commando soviétique, lors de l’intervention militaire de l’URSS dans ce pays[18].

La grande course contre la montre

La tâche qui attendait Najibullah ne pouvait donc pas être plus difficile et risquée. Avec un engagement total pour sauver une révolution en péril, il s’attaque sans tarder à rectifier en profondeur les mesures insensées d’Hafizullah Amin. C’est ainsi qu’il propose aux moudjahidines un cessez-le-feu immédiat et convoque une conférence nationale de réconciliation en opposition radicale avec les mesures irresponsables prises par Amin qui étaient en total déphasage par rapport à la réalité sociale et culturelle du pays. Il veille également à ce que la nouvelle constitution de 1990 ne se réfère plus au communisme mais reconnaisse l’islam comme religion nationale; le parti ne s’appellera plus “Parti démocratique populaire d’Afghanistan”, mais tout simplement “Patrie”, visant à souligner l’esprit d’unité nationale.   A la folie furieuse d’Amin, les mots ne sont pas excessifs, qui était allé jusqu’à changer le traditionnel drapeau tricolore afghan par un drapeau rouge pour effacer le vert islamique, Najibullah « répond » avec une « nouvelle version du tricolore afghan orné en médaillon d’une étoile rouge (…) surmontant un Coran ouvert[19]. » Ce dernier détail témoigne de la profondeur et de l’intelligence du changement, dans un nouveau cadre où des petits commerçants et petits agriculteurs pouvaient récupérer leurs commerces et leurs lopins de terre. Et où, dans les villes, il n’y aurait plus de vindictes ni moqueries à l’égard des femmes voilées.

En parallèle, il commence à négocier le départ des troupes soviétiques ; il estime en effet, qu’après avoir mis fin à l’expérience néfaste d’Amin, le peuple afghan pourrait, en surmontant l’essentiel de ses divisions, faire face à l’insurrection obscurantiste des djihadistes. Le ministre soviétique des affaires étrangères, Edouard Chevardnadze, très proche de Najibullah, le croyait également. Toujours selon l’ambassadeur Braithwaite, « Edouard Chevardnadze, était persuadé que les Afghans pourraient combattre indéfiniment grâce à un flux de pétrole et d’armes en provenance de l’URSS[20]. »

Les progrès de ces démarches démocratiques et unitaires de Najibullah, y compris au plan militaire, avec les secteurs les moins fanatisés des insurgés, furent tels que le New York Times révélait, presqu’au même moment où la CIA et l’ISI préparaient leur «’assaut final », que « (…).des responsables de haut niveau commencent à trouver plus acceptable l’idée, rejetée par la guérilla, que le gouvernement de Najibullah pourrait se voir accorder un rôle dans une solution politique[21]. » Il fallait donc se dépêcher de lancer l’agression militaire « finale » avant que la nouvelle politique de Najibullah ne continue à porter des fruits.

La bataille de Jalalabad

Lourdement équipée par ses sponsors pakistanais, américains, israéliens, chinois et saoudiens, l’offensive djihadiste comprenant plus de dix mille hommes (dont une très grande partie de Pakistanais et une minorité d’Arabes islamistes) démarre très bien; les djihadistes réussissent à vaincre une résistance pourtant aguerrie et prennent la ville de Samarkhel et l’aéroport de Jalalabad. Tout indique que l’avancée ne s’arrêtera plus et les islamistes exultent. Wikipédia note : « La prise de Samarkhel et de l’aéroport est saluée par tous les diplomates occidentaux comme un grand succès de la Résistance[22]. » La victoire djihadiste s’accompagne d’une campagne de terreur mise en œuvre par Hekmatyar contre des civils coupables d’avoir participé aux combats à côté de l’armée nationale. Terreur qui, selon la version anglaise de Wikipédia, « (…) incita les communistes à se battre plus durement (…)[23] », avec comme premier résultat l’arrêt de la progression des moudjahidines, obtenue grâce à une importante participation civile composée de travailleurs, étudiants, professeurs, paysans et, en particulier, de femmes; « Affichant une grande confiance dans leur soutien, le gouvernement a distribué des armes aux enseignants, aux étudiants et aux travailleurs (…) Ils considéraient que leur destin était lié à celui du gouvernement. Face à une contre-révolution qui avait montré ce dont elle était capable, les populations des villes – en particulier les femmes – se sont battues avec détermination pour empêcher une victoire des moudjahidines[24]. »

Cet arrêt de la progression fut suivi de quatre mois de résistance tenace et d’affrontements, avec des milliers de morts de chaque côté, et se termina par la totale déroute des envahisseurs. Jalalabad 1989, c’était un peu Dien Bien Phu 1954. « Les soldats du gouvernement, ici (à Kaboul, NdlR) et à Jalalabad, étaient très enthousiastes aujourd’hui, riant et levant les bras en signe de victoire », racontait un correspondant du Washington Post[25]. Selon le chercheur australien Norm Dixon, « Kandahar et même Kaboul furent aussi défendues avec succès, pendant plusieurs mois, par les seules troupes afghanes sans l’aide soviétique[26]. »

Se fondant sur diverses sources anglo-saxonnes, Wikipédia semble confirmer l’affirmation de Dixon : « (…) contrairement aux attentes américaines et pakistanaises, cette bataille a prouvé que l’armée afghane pouvait se battre sans l’aide des Soviétiques (…) de nombreux commandants locaux d’Hekmatyar et de Sayyaf ont conclu des trêves avec le gouvernement. Selon le brigadier-général Mohammed Yousaf, un officier de l’ISI, ‘le djihad ne s’est jamais remis de Jalalabad’[27]. » Ce n’est pas seulement Yousaf, le grand chef des opérations CIA-ISI concernant l’Afghanistan, qui le dit. L’intellectuel trotskiste pakistano-britannique Tariq Ali, peu suspect de sympathies prosoviétiques, considère que cette bataille joua un rôle décisif dans la consolidation du gouvernement de Najibullah.

Le deuxième coup de poignard

Les succès de la nouvelle politique d’ouverture et de réconciliation de Najibullah commencent à devenir impressionnants, en particulier dans le domaine le plus sensible et décisif de tous, la guerre civile : « En 1988, deux ans seulement après l’arrivé au pouvoir de Najibullah, 160 commandants de guérilla (sur un total estimé à 2000 à ce moment) avaient conclu des accords avec le gouvernement et plus de 750 étaient en train de négocier[28]. »

Mais 1988 était aussi l’année où la perestroïka battait son plein en Union soviétique, avec son lot de concessions et reculades dans ses rapports avec l’Occident. C’est à ce moment que le soutien de l’URSS à l’Afghanistan multi-agressé commence à se déliter, déjà sous Gorbatchev, pour prendre ensuite, avec Boris Eltsine, le visage hideux de la trahison ouverte. Ainsi, en novembre 1991, ce dernier décide de couper toute assistance à l’Afghanistan, y compris les matières premières dont l’URSS regorge, telles que le gaz et le pétrole. C’est alors que, tout simplement, tout s’effondra. Les chars et avions afghans ne peuvent plus avancer ni voler faute de combustible. Selon l’ambassadeur britannique Rodric Braithwaite déjà cité, Eltsine aurait noué des contacts secrets avec les moudjahidines et ce, avant même son accession au pouvoir[29].

Qui mieux qu’un soldat d’alors pour nous éclairer dans un article du Figaro: « Le général Boris Gromov fut le dernier militaire soviétique à quitter l’Afghanistan le 15 février 1989. Il déclara qu’après la décision de Mikhaïl Gorbatchev de retirer les forces armées, l’Union soviétique continuait à fournir du matériel, des munitions, de la formation et des denrées alimentaires au pays. Cela a suffi pendant trois ans. Mais dès que Boris Eltsine a cessé de soutenir économiquement l’Afghanistan, tout s’est effondré[30]. »

Il dit vrai, l’officier soviétique, à propos du sale rôle joué par Eltsine. C’est donc ainsi que la révolution afghane sombre en avril 1992, laissant le pouvoir aux djihadistes dans une grande confusion, se livrant de féroces batailles entre eux. Najibullah, lui, est resté aux postes de commandement jusqu’à la dernière minute et n’eut pas le temps de s’exiler lorsque sont sort était tout à fait scellé. Il se réfugie au siège des Nations Unies, faisant confiance à la « communauté internationale. » Il reste enfermé quatre ans au siège de l’organisation, les services de sécurité pakistanais et américains se concertant pour qu’il ne puisse pas être extradé jusqu’à ce que les talibans, qu’ils avaient biberonné et formaté, prennent le pouvoir. Quatre années, c’était un laps de temps trop court pour que ces derniers l’oublient. Ils avaient bien compris, de même que leurs mentors, que c’était lui, Najibullah, l’obstacle majeur à leurs plans réactionnaires et obscurantistes. Suivant les diktats de leurs mentors pakistanais, un commando taliban dirigé par le Mollah Abdul Razaq est chargé de lui faire payer sa résistance et, surtout, ses enseignements[31]. Après une longue séance de tortures, le docteur Mohammar Najibullah – il était médecin de formation – sera castré et tiré, encore vivant, par une voiture dans les rues du centre de Kaboul avant d’être longtemps exhibé, pendu, à un lampadaire[32].

Vladimir Caller, Bruxelles, novembre 2021


[1]    Les images des retraits étaient aussi contrastées. Les Américains au pas de course vers l’aéroport ; le jeune général soviétique Gromov quittant le pays, ému, avec un bouquet de fleurs à la main (voir les récentes déclarations de Gromov reprises par Le Figaro, note de pied de page 31)

[2]    Selon l’éditorialiste du NYT Peter Baker, la véritable raison de l’intervention soviétique était que l’Afghanistan ne vire à l’Ouest, refaisant ainsi le coup de l’Egypte de Sadate en 1972. https://www.nytimes.com/2019/01/29/us/politics/afghanistan-trump-soviet-union.html. Une hypothèse, largement partagée d’ailleurs, qui nous semble plausible et ce d’autant plus que le Kremlin craignait que les USA, qui venaient de « perdre » l’Iran, ne « délocalisent » leurs bases sur les terres voisines d’Afghanistan. Dans le camp soviétique, Andropov était partisan de l’intervention, Kossyguine opposé et Brejnev réticent.

[3]    By Elaine Sciolino, Special To the NYT [https://www.nytimes.com/1989/02/11/world/bush-is-said-to-favor-continuing supplies-to-afghan-rebels -arms-.html]

[4]    Norm Dixon, special feature : Revolution and counter-revolution in Afghanistan (12-12-2001) https://archive.is/20121202045144/http://www.greenleft.org.au/node/23708#selection-99.0-507.19. Hekmatyar, le plus sanguinaire des chefs djihadistes, connu, entre autres, pour la méthode de lancer de l’acide sur les femmes qui ne portaient pas le voile. Il été le favori de la diplomatie américaine.

[5]    https://www.nytimes.com/1989/04/23/world/pakistan-officials-tell-of-ordering-afghan-rebel-push.html

[6]    Benazir Bhutto, fille de Zulfikar Ali Bhutto, avait comme son père (pendu en 1979 après un coup d’État militaire) tendance à résister au Deep State militaire de son pays, notamment dans le dossier Afghan ; en 1989, elle avait limogé le général Hamid Gul, le plus faucon de ses généraux .Dans une conversation avec le ministre soviétique d’alors, Chevardnadze, elle se disait disposée à revenir sur le rôle du Pakistan dans le dossier Afghan. Elle fut assassinée par un militant islamiste en 2007.

[7]    On ne comprendra pas le drame afghan, ni sa profondeur, sans réaliser la nature, la dimension et les conséquences des dégâts causés à son expérience socialiste pendant le règne de ce personnage. Dans leurs mémoires, Andreï Gromyko et Guéorgui Kornienko, figures éminentes du Politburo d’alors, s’accordent pour souligner que la décision d’intervenir militairement fut décidée par l’URSS le lendemain de l’assassinat du Président Taraki ordonné par Amin ; un meurtre qui finit par décider un Brejnev jusqu’alors très réticent (auparavant, Moscou avait refusé une dizaine de demandes d’intervention).

[8]    https://digitalcommons.unomaha.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1427&context=studentwork

[9]    Kaboul Times, 02-01-1990;

[10]   Steele, un des promoteurs des premières publications des cables de Wikileaks,  auteur du livre « Ghosts of Afghanistan : The Haunted Battleground », Portobello Books, Londres, 2012.Source : Christiah Parenti : https://www.thenation.com/article/archive/ideology-and-electricity-soviet-experience-afghanistan/  Parenti commente que, lorsque étudiant, “..on le soupçonnait déjà d’être en contact avec la CIA.

[11]   Der Spiegel (30-03-1980), « Hafisullah Amin war ein Agent der CIA » https://www.spiegel.de/politik/hafisullah-amin-war-ein-agent-der-cia-a-a27ad024-0002-0001-0000-000014323190

[12]   Christian Parenti : op.cit. Rodric Braithwaite est l’auteur du livre “Afgantsy, The Russians in Afghanistan 1979–89” Oxford University Press, USA, considéré un ouvrage de référence .

[13]   https://nsarchive.gwu.edu/document/18113-document-1-amembassy-kabul-cable-7502  (AMIN-BRUCE AMSTUTZ

[14]   https://nsarchive.gwu.edu/document/18114-document-2-amembassy-kabul-cable-7726  (AMIN-ARCHER BLOOD)

[15]   Les câbles diplomatiques ainsi que le mémorandum d’Andropov sont extraits du site https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/afghanistan-russia-programs/2019-01-29/soviet-invasion-afghanistan-1979-not-trumps-terrorists-nor-zbigs-warm-water-ports Le mémorandum d’Andropov fut fourni, à la NSArchive, par l’ancien ambassadeur soviétique aux USA, Anatoly Dobrynine.

[16]   Shaista Wahab, December, 1993, University of Nebraska

https://digitalcommons.unomaha.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1427&context=studentwork

[17]   Le Parti démocratique populaire d’Afghanistan, avait deux branches, une très radicale, le Khalq (celle d’Amin et Taraki) et une autre, plus attentive à la réalité de la société tribale afghane, le Parcham (celle de Karmal et Najibullah).

[18]   Curieusement, c’est Amin lui-même qui invite les Soviétiques à intervenir sans savoir que ces derniers étaient parfaitement au courant de ses accointances avec les Américains et les Pakistanais.

[19]   https://lvsl.fr/afghanistan-comment-le-cauchemar-islamiste-a-germe-sur-les-ruines-de-la-revolution/

[20]   Rodric Braithwaite, était l’ambassadeur du Royaume Uni en URSS pendant la perestroïka et avait accès aux informateurs et archives soviétiques; Christian Parenti, op.cit.

[21]   Special to the NYT by Henry Kamm, https://www.nytimes.com/1989/04/23/world/pakistan-officials-tell-of-ordering-afghan-rebel-push.html  23.04.1979

[22]   https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Afghanistan_(1989-1992)

[23]   https://en.wikipedia.org/wiki/Afghan_Civil_War_(1989%E2%80%931992)#cite_note-21

[24]   Norm Dixon : Revolution and counter-revolution in Afghanistan (12-12-2001) https://archive.is/20121202045144/http://www.greenleft.org.au/node/23708#selection-99.0-507.19

[25]   https://www.washingtonpost.com/archive/politics/1989/07/08/afghanistan-rebels-lose-key-battle/074ff765-327d-4a60-b8ab-ed118a87ba50/*

[26]   Norm Dixon : Revolution and counter-revolution in Afghanistan (12-12-2001) https://archive.is/20121202045144/http://www.greenleft.org.au/node/23708#selection-99.0-507.19.

[27]   https://en.wikipedia.org/wiki/Afghan_Civil_War_(1989%E2%80%931992)#cite

[28]   Dave Holmes, Norm Dixon, « Behind the US War on Afghanistan » ; Resistance Books, Chippendale, Australia, p. 41

[29]   Christian Parenti : op.cit.

[30]   Le Figaro (02-09-2021). https://www.lefigaro.fr/international/la-memoire-a-vif-du-dernier-militaire-sovietique-a-avoir-plie-bagage-20210902

[31]   L’assassinat du président ne fut donc pas le fait de quelques exaltés, car le mollah Abdul Hazaq était le gouverneur de la province d’Hérat. Sur la fin du gouvernement communiste et de son président, lire (lecteurs sensibles s’abstenir) : http://www.beaboutpeace.com/archives/2004/08/taliban_violenc.html , un extrait du livre (p. 49) de l’écrivain pakistanais, pourfendeur des guerres « humanitaires », Ahmed Rashid, « Taliban : Militant Islam, Oil and Fundamentalism in Central Asia », vendu à 1,5 million d’exemplaires ; « un chiffre rare pour l’édition académique » selon le NYT du 05-07-2008.

[32]   « Najibullah incarne aux yeux de certaines parties de la population, notamment les femmes, un symbole de modernité, d’égalité des sexes, de souveraineté à l’égard du Pakistan et de puissance régionale. (…) En 2008, Radio Kaboul effectue un sondage avec comme question : ‘Sous quel régime l’Afghanistan était-il le mieux gouverné ?’ 93,2 % des sondés ont répondu : ‘Sous le régime de Najibullah’ ». 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohammad_Najibullah

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