Un article intéressant dans la mesure où il montre que la Covid-19 qui est d’une autre nature que la grippe saisonnière, s’est déjà produite et a donc de fortes chances de se reproduire en étant contemporaine des guerres mondiales, de l’industrialisation capitaliste et des mouvements ouvriers débouchant sur les révolutions socialistes du XXesiècle. Ce qui entraîne deux conclusions immédiates, premièrement il est absolument urgent de renforcer la coopération scientifique déjà existant sur ce phénomène et comme nous l’affirmions dès le 25 février 2020 (Ce que devrait nous apprendre l’épidémie … | Histoire et société (histoireetsociete.com) , la xénophobie est une stupidité, sans parler du bellicisme et de sa propagande, une des formes étatique et médiatique de l’obscurantisme. Deuxièmement, l’épidémie agit comme un révélateur de ce que sont les sociétés avec leurs charlatans et leurs fragilités en matière de cohésion sociale. Vous remarquerez qu’en matière de charlatanisme rien de nouveau sous le soleil, il manque de la “quinine”,RAOULT n’a rien inventé… Ce que nous ne cessons d’affirmer ici depuis le début de l’épidémie. Est-ce que ce lien entre épidémies animales et virus de contagion humaine du corona peut devenir dans l’avenir l’équivalent de ce que les épidémies de peste ont présenté dans les grandes périodes de transition historiques de la fin du mode de production esclavagiste à la Renaissance ? Tout dépend de la réponse apportée. Le fait est que l’attitude scientifique et le choix du collectif, de la sauvegarde de la vie met le socialisme en meilleure position, même si la situation de transition reste périlleuse. (note de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Par Stéphane KORSIA-MEFFRE – date de publication : 26 novembre 2020123454.1(144 notes)vu par 59187 lecteursBufferEmailImprimer
Et si la COVID-19 n’était pas la première COVID ? L’existence, par le passé, d’autres pandémies dues à un coronavirus (hors SRAS et MERS) se pose, ne serait-ce que parce qu’un tiers des rhumes sont dus à quatre coronavirus. D’où viennent-ils ? Avant de devenir courants et bénins, ont-ils été à l’origine de pandémies similaires à celle qui nous préoccupe aujourd’hui ?
Récemment, des études de phylogénétique pointent une hypothèse intrigante : OC43, l’un de ces quatre coronavirus humains bénins, pourrait-il être à l’origine de la pandémie de grippe russe qui ravagea le monde entre 1889 et 1894 ? Outre ces données de phylogénétique, des éléments épidémiologiques et cliniques semblent également orienter vers ce suspect.
Moins connue et moins étudiée que la bien plus brutale pandémie de grippe espagnole de 1918, celle de grippe russe n’en est pas moins intéressante. Par de nombreux aspects, y compris médiatiques, l’étude de cette pandémie historique, la première de l’ère des chemins de fer, peut nous apprendre des choses sur celle de la COVID-19 et, en particulier, sur le fait que, 130 ans plus tard, peu de choses ont changé dans la manière dont les sociétés et les médias se comportent face à l’irruption d’une nouvelle maladie infectieuse.
Nous vous proposons un voyage dans le temps qui, nous l’espérons, vous permettra de relativiser un peu ce dont nous faisons la douloureuse expérience aujourd’hui.
La pandémie de grippe russe de 1890-1894 était-elle due au coronavirus OC43 ? (illustration).En termes de pandémie virale respiratoire, il est fréquent d’évoquer la grippe espagnole de 1918 comme point de référence. Pourtant, dans le contexte de la COVID-19, il semble plus pertinent d’évoquer une autre pandémie, plus ancienne : la grippe russe qui sévit à travers le monde entre l’automne 1889 et le printemps 1894 (voire 1895).
Également appelée grippe de Saint-Pétersbourg, grippe asiatique ou influenza, cette pandémie, la première de l’ère industrielle à être richement documentée, est particulièrement intéressante car elle évoque par de très nombreux aspects celle que nous traversons aujourd’hui.
De plus, un faisceau d’éléments génétiques et épidémiologiques permettent d’évoquer la possibilité qu’elle ait été due, non pas à un virus grippal, mais à un coronavirus transmis par un animal, coronavirus qui est toujours présent parmi nous. Avant la COVID-19, la planète a-t-elle connu une COVID-(18)89 ?
La grippe russe, une pandémie d’extension ultrarapide
La grippe russe pourrait avoir émergé dès 1888 dans la ville de Boukhara (aujourd’hui en Ouzbékistan). Curieusement, les premiers cas sont signalés simultanément dans cette ville, mais également à l’ouest du Canada (ville d’Athabasca) et au Groenland. Mais la première flambée importante a lieu dans la ville de Saint-Pétersbourg en novembre 1889. À partir de cette date, la maladie va déferler sur le monde à un rythme extrêmement rapide : en six semaines, elle a envahi l’Europe occidentale, début janvier 1890 une flambée est observée à New York (provoquant 1 200 décès en une semaine !) avant d’envahir les États-Unis. L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont également touchées en janvier 1890.
Un feu de brousse à travers la planète
Une des particularités de la pandémie de grippe russe est son aspect en feu de brousse. Elle explose là où elle arrive, mais disparaît en quelques semaines (en général moins de 3 mois). À Londres, un pneumologue, Samuel West, décrit comment il est arrivé un matin à sa consultation où l’attendaient plus de 1 000 patients, en large majorité des hommes, demandant un traitement. Pourtant, tout semble fini au printemps 1890.
Cependant, des vagues épidémiques vont continuer à être observées pendant 4 ans : au printemps 1891, l’hiver 1891-1892, l’hiver 1893-1894, voire au printemps 1895. Ces vagues ne sont pas uniformément ressenties. Par exemple, en Europe, le Danemark et le Royaume-Uni sont particulièrement affectés par ces vagues successives (avec des deuxième et troisième vagues plus létales que la première), sans dissémination massive aux autres pays européens dans lesquels la morbidité et la mortalité restent faibles.
Selon H. Franklin Parsons, du Département médical de la ville de Londres : « Alors que le démarrage de la première vague a été soudain, avec des pics de mortalité dès la troisième semaine (18 janvier 1890) d’une épidémie qui en dura six, la mortalité a ensuite rapidement diminué. En contraste, le démarrage de la deuxième vague, en mai et juin 1891, a été plus progressif, s’étalant sur une durée de 8 semaines à Londres, mais cette vague s’avéra finalement plus létale. » Des mots qui résonnent aujourd’hui.
Des cas sporadiques semblent avoir été constatés à Paris jusqu’en 1906 (sans confirmation virologique, bien sûr, le premier virus humain sera décrit au début du XXe siècle, mais en lien avec sa clinique particulière).
Un R estimé autour de 2,15
En 2008, une équipe de l’hôpital Saint-Antoine (Paris) a essayé de calculer le taux de reproduction initial (R0) de l’épidémie à partir d’un rapport du ministère de la Santé de 1891 listant le taux de mortalité hebdomadaire dans 33 villes européennes entre le 2 novembre 1889 et le 8 février 1890. Selon cette étude, le R moyen était de 2,15 (2,04-2,32) avec un R beaucoup plus élevé dans les villes de Stuttgart, Amsterdam et Saint-Pétersbourg. Ces chiffres semblent faibles au regard de la propagation ultra-rapide de la pandémie.
Toujours selon l’équipe de Saint-Antoine, la mortalité supplémentaire par rapport à l’hiver précédent est estimée à +105 % en moyenne, mais variant de +10 % à Christiana (Danemark) à +221 % à Brno (Tchéquie). Au total, on estime que la pandémie de grippe russe a provoqué au moins un million de morts à travers le monde (ce qui représenterait 5 millions de décès aujourd’hui).
Une pandémie qui prend le train et signe la fin de l’hypothèse miasmatique
Sur le plan de l’épidémiologie, la grippe russe va conclure une bataille scientifique quasi centenaire entre les tenants de la transmission miasmatique des infections respiratoires (portées par les vents et les rivières) et ceux de la transmission interindividuelle. En Europe, la dissémination de la maladie suit rigoureusement le trajet des 200 000 km de voies de chemin de fer qui ont été récemment développées et elle avance à la vitesse des trains. Il en résulte une pandémie quasi uniquement urbaine, les capitales et les ports étant les premiers touchés dans chaque pays, rapidement suivis par les grandes villes de province. Les campagnes restent globalement indemnes.
De plus, une étude épidémiologique menée en France montre que, chez le personnel des chemins de fer, le taux d’infection est de 45 % chez les personnes en charge de l’exploitation (contacts avec les voyageurs), de 35 % chez celles chargées de la « traction » (conducteurs, mécanos, etc.) et de 9 % chez les agents entretenant les voies. La transmission entre personnes est rapidement admise par la communauté scientifique pour cette pandémie, qui, selon le Dr Gustave André (1856-1927), « marche contre le vent et l’eau », mais également pour les autres infections respiratoires saisonnières.
Hiver 1889-1890 : la France s’arrête
En France, la grippe russe est d’abord observée chez le personnel des Grands Magasins du Louvre, à Paris, avec 670 des 3 900 employés touchés dans la seule semaine du 26 novembre 1889 ! Rapidement, l’infection progresse dans la capitale et, début décembre, un tiers des lits hospitaliers sont occupés par des victimes de la maladie. Noël 1889 est marqué par la saturation des hôpitaux et l’érection en urgence de baraquements dans les cours des hôpitaux et des casernes, où les malades sont placés alors que la température extérieure affiche – 8°C ! Le pic de cas survient autour du 28 décembre avec 180 000 personnes touchées simultanément à Paris (pour 2,5 millions d’habitants). La mortalité dans cette ville sera estimée à 62 ‰.
La première semaine de janvier 1890, la grippe russe est dans toutes les principales villes françaises. Les écoles, collèges, lycées et universités sont fermés. La quasi-totalité des médecins hospitaliers parisiens sont infectés. La fréquentation des commerces de bouche s’effondre, les bouchers de la Villette mettent leur personnel au chômage. Les services postaux sont dans l’incapacité de distribuer les cartes de bonne année, l’armée est réquisitionnée pour cette mission, malgré le très grand nombre de soldats malades. Émile Loubet, le président de la République, et une majorité de ministres sont, eux aussi, malades.
Les personnels des pompes funèbres sont débordés avec 400 à 500 décès chaque jour dans la capitale et demandent la simplification des rites funéraires religieux pour tenir le rythme. Entre décembre 1889 et fin février 1890, la mortalité parisienne augmente de 30 % par rapport à l’hiver précédent. Et pourtant, fin février 1890, le calme revient soudainement dans la capitale.
Des symptômes particuliers qui interrogent les médecins
Sur le plan clinique, la grippe russe est une infection respiratoire assez classique avec fièvre parfois élevée, maux de tête, douleurs musculaires, toux, fatigue et, dans les cas sévères, dyspnée et insuffisance cardio-respiratoire. Les personnes souffrant de maladies chroniques sont rapidement identifiées comme plus enclines à développer des formes graves.
Pourtant, certains médecins de l’époque notent des particularités « insolites, non vues, déconcertantes pour le praticien » :
- une maladie plus contagieuse que la grippe, en particulier au sein des familles ;
- des doigts gonflés au début de la maladie (probablement des vascularites) ;
- des atteintes sévères plus fréquentes chez les hommes ;
- des atteintes rénales et digestives plus fréquentes ;
- une mortalité particulièrement élevée chez les personnes âgées (mais les plus jeunes ne sont pas complètement épargnés) ;
- des récidives rapides chez environ 15 % des patients (dont le Tsar de Russie…), parfois 3 fois, le premier événement étant le plus sévère.
Mais ce qui frappe surtout les médecins, dans tous les pays occidentaux, est la fréquence anormalement élevée (pour une grippe) de manifestations neurologiques : névralgie faciale, algies diverses, « névrose du nerf pneumogastrique » (dysfonctionnement du nerf vague avec des alternances de tachy/bradycardie), « troubles bulbaires », « troubles des nerfs périphériques et de la moelle », asthénie profonde et durable.
La présence de ces symptômes particuliers (ainsi que l’existence fréquente d’une splénomégalie, inhabituelle en cas de grippe) amène le Pr Pierre Potain (1825-1901, connu pour ses travaux sur la pression artérielle) à déclarer, fin janvier 1890, qu’il ne s’agit pas d’une grippe.
Un traitement médiatique qui nous semble désormais familier
En parallèle du développement des chemins de fer, la fin du XIXe siècle est marquée par l’explosion du nombre de journaux et du lectorat. La pandémie russe devient ainsi la première pandémie à faire les Une de cette nouvelle presse. Ce relais médiatique influence fortement l’image de la pandémie dans la société et crée ce qu’on pourrait appeler la « première pandémie médiatique ».
Dans la presse de tous les pays touchés, on assiste à des débordements qui n’ont rien à envier à ceux dont nous avons été les témoins depuis bientôt un an. Dramatisation (« des personnes s’effondrent mortes soudainement dans la rue »), tentatives de rationaliser (« les personnes les plus éduquées sont davantage touchées » alors que la pandémie concerne tout autant les classes populaires), accusations contre la haute technologie de l’époque (« si les villes sont les plus touchées, c’est à cause de l’éclairage électrique, absent de nos campagnes, d’ailleurs les employés des compagnies d’électricité sont davantage atteints »), etc.
À Chicago, un certain Dr Gentry annonce dans la presse que la pandémie est due à des poussières d’étoiles qui traversent notre atmosphère tous les 16 ou 17 ans. On évoque également le rôle des poussières volcaniques et des migrations d’oiseaux (probablement en lien avec des épidémies historiques précédées par des hécatombes aviaires, documentées dès le XIe siècle).
Une pandémie de traitements fantaisistes… et mortels
Bien sûr, la pandémie de grippe russe est l’occasion de faire sortir les charlatans du bois. Sont promus sans preuve l’huile de ricin, le courant électrique, le brandy, les huîtres, la quinine et la… strychnine, ce qui occasionne quelques catastrophes familiales avec décès à la clef en 1891. En décembre 1889, les médecins de Kansas City, qui soignent les personnes atteintes de paludisme, se plaignent des ruptures de stock et de la spéculation financière sur la quinine…
Un traitement particulier développé contre la grippe russe reste célèbre dans la jurisprudence britannique : la Carbolic Smoke Ball (boule de fumée carbolique), un inhalateur de poudre de phénol à l’effet préventif garanti par le fabricant à hauteur de £100 (voir illustration de cet article). Une cliente, Mme Carlill, est néanmoins infectée et poursuit le fabricant qui refuse de payer la garantie. Elle obtient gain de cause dans une décision toujours citée aujourd’hui, Carlill vs. Carbolic Smoke Ball Co.
À la recherche du virus de la grippe russe
Le premier virus ayant été découvert en 1892 (celui de la mosaïque du tabac), on ne dispose que de peu d’informations sur celui à l’origine de la grippe russe. La seule étude indirecte date de 1957-1958 quand des chercheurs néerlandais ont exploré l’immunité de personnes âgées de 50 à 100 ans, à la recherche d’anticorps contre le virus de l’épidémie de grippe asiatique qui sévissait alors, un virus influenza A(H2N2).
Les sérums ont été prélevés au cours des deux semaines précédant l’arrivée de cette épidémie aux Pays-Bas. Les anticorps contre A(H2N2) « pré-épidémiques » ont été plus fréquemment observés et leur taux plus élevé chez des personnes âgées de 71 à 94 ans (nées entre 1863 et 1886), mais ils étaient parfois constatés chez des personnes plus jeunes (nées avant 1922). Les auteurs concluent qu’il est probable qu’une épidémie de grippe A(H2N2) ait sévi en Europe « dans le dernier quart du XIXe siècle ». Néanmoins, même si ces chercheurs évoquent la pandémie de grippe russe, cette étude ne permet aucune conclusion et reste fragilisée par la collecte des sérums dans les jours précédant l’arrivée « officielle » de la pandémie de grippe asiatique aux Pays-Bas, et par la présence d’anticorps contre A(H2N2) chez des personnes nées après 1910.
Par ailleurs, depuis quelques années, des chercheurs suspectent que la grippe russe n’avait de grippe que le nom et qu’elle pourrait avoir été due à un virus d’une autre famille que les virus influenza. Ils s’appuient à la fois sur des éléments génétiques, épidémiologiques et cliniques qui semblent désigner un coronavirus humain, HCoVOC43 (OC43), aujourd’hui responsable de rhumes, et aussi, exceptionnellement, de foyers de pneumonie parfois mortelle dans les maisons de retraite.
1889, année de naissance du coronavirus OC43 ? : les éléments phylogénétiques
En 2005, une équipe belge a séquencé pour la première fois l’intégralité du génome d’OC43 et l’a comparé à un autre bêtacoronavirus, BCoV, responsable de la diarrhée à coronavirus des veaux, dont on suspectait la proximité phylogénétique avec OC43.
Par une technique d’horloge moléculaire appliquée à la protéine Spike des deux coronavirus, ils ont calculé la date approximative de la séparation entre les deux virus. Pour simplifier, la technique d’horloge moléculaire consiste à compter les différences entre deux génomes en estimant une vitesse moyenne d’apparition de chaque différence (un « taux d’évolution »). On peut ainsi estimer la date la plus récente d’un ancêtre commun.
Les auteurs belges ont ainsi calculé que le plus récent ancêtre commun aux deux coronavirus se situait autour de 1890. OC43 serait « né » de BCoV (et non l’inverse) car le premier présente des délétions importantes par rapport au second (et il est plus probable pour un virus de perdre des séquences de matériel génétique que d’en gagner).
Néanmoins, cette équipe regrettait d’avoir utilisé une souche d’OC43 passée (en laboratoire) sur des cellules humaines, puis murines, puis humaines de nouveau, ce qui en réduisait la pertinence. En 2006, les mêmes chercheurs ont présenté des données similaires obtenues à partir d’une souche d’OC43 « sauvage », fraîchement collectée sur des patients ayant un rhume de ce type. Ils ont également montré que OC43 et BCoV avait des liens avec les coronavirus PHEV (encéphalomyélite hémo-agglutinante du porc, dont ils divergent également vers 1878) et CRCoV (coronavirus respiratoire canin).
En août 2020, une équipe danoise, sous la direction de Lone Simonsen et Anders Gorm Pedersen, a rapporté des résultats similaires à ceux de l’équipe belge, datant également l’apparition d’OC43 à partir du BCoV vers 1890 (travaux en cours de publication). La force de leur étude réside dans le fait qu’ils disposaient de différentes versions du génome d’OC43, collectées depuis 15 ans, et donc d’une estimation fiable du taux d’évolution naturel de ce coronavirus (ce dont l’équipe belge ne disposait pas).
Ainsi, sur le plan phylogénétique, OC43 devient un candidat raisonnable pour être à l’origine de la pandémie de grippe russe.
1889, année de naissance du coronavirus OC43 ? : les éléments épidémiologiques
Il existe également des éléments épidémiologiques qui suggèrent un passage d’OC43 des bovins vers l’homme à l’époque de la pandémie de grippe russe.
Entre 1870 et 1890, le cheptel bovin mondial est décimé par une panzootie de péripneumonie contagieuse bovine, une infection due à Mycoplasma mycoides mycoides. L’apparition de cette panzootie est probablement en lien avec l’expansion soudaine, dans la seconde moitié du XIXe siècle, du commerce de bovins sur pied, rendu possible grâce aux chemins de fer. Entre 1870 et 1890, des centaines de milliers de bovins sont abattus à travers le monde pour contrôler la maladie.
Certains épizoologistes estiment qu’il est possible que les personnels en charge de l’abattage sanitaire massif aient été régulièrement exposés aux virus respiratoires des bovins abattus, dont BCoV. Une souche mutée, OC43, aurait pu alors être transmise à ces personnes ou se serait développée chez l’homme à partir de BCoV. En effet, la transmission de BCoV aux humains (et en particulier aux enfants) a été plusieurs fois observée. Cette hypothèse rappelle fortement l’épidémie de SRAS en 2003, en lien avec l’abattage de civettes pour la consommation, voire celle de l’infection par le VIH/sida dans les années 1950 à partir de la consommation de chimpanzés sauvages.
1889, année de naissance du coronavirus OC43 ? : les éléments cliniques
Les caractéristiques cliniques de la grippe russe, telles qu’elles nous sont parvenues, suggèrent également une origine coronavirale, compatible avec ce que l’on sait de la pathogénie d’OC43.
En particulier, les symptômes neurologiques, qui ont si fortement marqués les praticiens de l’époque, évoquent les capacités neuro-invasives pour lesquelles OC43 est connu (comme l’est 229E, un autre coronavirus du rhume).
Par exemple, dans une étude publiée en 2000, une équipe canadienne a recherché l’ARN d’OC43 et de 229E dans des échantillons de cerveau recueillis post-mortem chez des personnes souffrant de sclérose en plaques (SEP, N=39), d’autres troubles neurologiques (N=26) et sans symptômes neurologiques (N=25). Des traces d’ARN d’OC43 ont été identifiées dans 23 % des échantillons (44 % pour 229E), dans le parenchyme (ce qui signe une neuro-invasion). La fréquence de traces d’OC43 était significativement plus élevée dans les échantillons issus de personnes atteintes de SEP que dans ceux issus des autres patients (39 % versus 14 %).
Dans l’introduction de leur article, les auteurs rapportent également que « les coronavirus humains peuvent infecter les astrocytes et la microglie. Ainsi, des preuves s’accumulent, suggérant (…) que ces virus peuvent être neurotropiques, neuro-invasifs et neurovirulents chez l’homme (…). De manière intéressante, les infections respiratoires virales sont connues pour leur capacité à déclencher des poussées de SEP. De plus, le calendrier saisonnier des infections à coronavirus épouse celui des exacerbations de la SEP ».
D’autres éléments cliniques de la grippe russe rappellent ceux que nous avons pu constater en mars, lors du pic épidémique de la COVID-19 : vascularite de l’extrémité des doigts, formes graves chez les personnes âgées, plus grande vulnérabilité des hommes, etc.
En conclusion, il ne sera probablement jamais possible de prouver avec certitude qu’OC43 fut le responsable de la pandémie de grippe russe, l’ARN étant peu stable, même dans des cadavres congelés depuis 130 ans dans le permafrost russe ou groenlandais.
Néanmoins, nous avons encore beaucoup à apprendre de cette pandémie, tant du point de vue biologique (SARS-CoV-2 deviendra-t-il un virus respiratoire commun et bénin dans quelques années ?), que du point de vue de la réaction des médias et de la société face aux pandémies, et du point de vue épidémiologique, en particulier dans le domaine constamment en expansion de l’apparition de nouvelles épidémies à point de départ zoonotique.
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Pour aller plus loin
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Sources : VIDAL
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