Je vous signale l’article de Mediapart sur le massacre du 17 octobre 1961 : Einaudi face à Papon. Il contient la vidéo assez impressionnante des 25 premières minutes de la déposition de mon regretté camarade Jean-Luc Einaudi (1951-2014) au procès de Maurice Papon à la cour d’assises de Bordeaux, le 16 octobre 1997.Je n’ai pas assisté à ce procès mais je connaissais Jean-Luc, proche camarade de Jacques Jurquet, pour son courage et sa détermination. C’est notre ami Xuan qui nous adresse cet article pour l’anniversaire des événements du 17octobre 1961,ce qui réveille mes propres souvenirs, d’abord concernant l’ami jurquet, ensuite il s’est avéré qu’à cette date j’étais à Paris pour un Congrès de l’UNEF, nous étions montés en délégation d’Aix, il n’y avait pas les autoroutes, en tant que médiévistes nous passions par Autun, et effectivement nous savions que des cadavres apparaissaient flottant sur la scène, mais l’Humanité (la grande Humanité, celle dont nous n’aurions manqué la lecture pour rien au monde) paraissait avec des espaces blancs de la censure.C ‘était un autre monde, nous étions des combattants qui arrachions les faits à cette censure. (note de Xuan et danielle bleitrach)
Extrait de l’article :
….. « sorti inchangé de sa naphtaline et réaffirmé avec un culot hors du commun par Maurice Papon, confirmé avec autorité par des témoins au-dessus de tout soupçon, le mensonge d’État de 1961 peut toujours, trente-six ans plus tard, se faire passer pour la vérité.
Jeudi 16 octobre
Le lendemain, selon le même chroniqueur, est « l’envers de la journée précédente, du fait d’un seul témoin» : Jean-Luc Einaudi, appelé à témoigner par certaines parties civiles. Comme il le confirme au président, ce témoin, né en 1951, n’a pas vécu la guerre d’Algérie à l’âge adulte. Il est, de son métier, éducateur et non historien, mais il a écrit un livre intitulé La bataille de Paris. 17 octobre 1961, publié six ans auparavant.
C’est à ce titre qu’il témoigne. Les parties civiles lui ont confié une lourde responsabilité, celle d’être leur seul « témoin d’immoralité » sur la période algérienne de Maurice Papon. Elles comptent sur lui pour démontrer une continuité criminelle et dissimulatrice entre son action sous Vichy et celle qu’il mena durant la guerre d’Algérie. Elles auraient pu choisir de concentrer l’attaque sur la torture et les exactions commises dans le Constantinois, alors que Papon y dirigeait les opérations d’écrasement du nationalisme, ou encore sur la tuerie du métro Charonne, le 8 février 1962, elle aussi commise sous ses ordres. Mais c’est principalement l’évocation de la répression du 17 octobre 1961 qu’elles ont retenue pour le confondre.
Exactement dix ans auparavant, Jean-Luc Einaudi commençait son enquête. Il collectait, en sillonnant l’Algérie, des témoignages sur le passage de Papon à Constantine et sur la répression du 17 octobre 1961. L’occasion qui se présente ici à lui de faire avancer la reconnaissance du drame dont il s’est fait l’historien, pour laquelle il milite, avec d’autres, depuis 1991, est proprement inespérée. Elle ne doit pas être manquée. Jusque-là, l’éducateur n’a jamais témoigné que devant des juges pour enfants. Et, même s’il s’est longuement préparé à cette épreuve avec l’avocat Pierre Mairat, un certain « vertige », dira-t-il, le saisit alors qu’il lui faut s’avancer à la barre de cette cour d’assises intimidante et s’exprimer, à deux pas de Maurice Papon lui-même, devant la presse nationale et internationale.
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> Autorisé à parler par le président, il se lance, carrure de rugbyman et regard doux, voix grave et débit lent, solidement agrippé à la barre. Et cet homme « habité » par les faits qu’il raconte, notent les journalistes, capte rapidement l’attention de la cour et du public pour ne plus la lâcher. « Le cauchemar des victimes, écrit Sud-Ouest, est encore le sien». Il se livre à une véritable « leçon d’histoire », d’une longueur et d’une densité très rarement autorisées dans un tribunal. Pourtant, nul ne l’interrompt. Les CRS eux-mêmes, signale-t-on, ont abandonné leur poste de surveillance des abords de la salle pour venir « l’écouter avec attention ».
Ce que relate Einaudi, bien peu en ont alors connaissance. Et c’est effroyable. Il accumule sans aucune note les dates et les heures, les lieux du drame, le nom des victimes et des témoins, les descriptions circonstanciées des violences policières, les déclarations des protagonistes. Selon lui, la vérité est bien éloignée de la version donnée la veille par Papon. Ce qu’il démontre, c’est que, le 17 octobre 1961 et les jours suivants, en plein Paris, la police française commit, avec une violence inouïe, un véritable « massacre » de manifestants algériens entièrement pacifiques. Einaudi se livre, écrit Le Monde, à une « déposition-réquisitoire ». La démonstration est d’autant plus accablante qu’elle s’en tient soigneusement aux faits et évite tout excès de langage. C’est sous les ordres de Papon que ce massacre «au faciès » eut lieu, rappelle-t-il. Et ce dernier ne fit rien pour l’empêcher, ni pour l’interrompre. Davantage, Einaudi cite des mots adressés alors par le préfet de police à ses agents qui sonnent comme des encouragements à utiliser les moyens les plus violents, et même à tuer. Et des agents tuèrent en effet, détaille-t-il, au pont de Neuilly, au pont Saint-Michel, sur les Grands Boulevards, au Palais des sports de Versailles, au centre d’identification de Vincennes et dans bien d’autres lieux de la banlieue parisienne. Des jours durant, la Seine et les canaux charrièrent des cadavres d’Algériens morts par balle, par strangulation, par pendaison, par noyade ou des suites de matraquage à coups de crosse ou de bidule.
C’est le même Papon, ajoute-t-il enfin, qui inventa la version outrageusement mensongère, défendue bec et ongles par le gouvernement Debré, restée officielle jusqu’à ce jour de 1997, soutenue la veille encore devant cette cour, selon laquelle il n’y aurait eu que deux morts algériens. Einaudi, reprenant les conclusions de son livre, évalue quant à lui le nombre des victimes de la police à « un minimum de deux cents morts, vraisemblablement autour de trois cents ». Et il conclut ainsi :
Monsieur Papon voulait que la vérité ne puisse pas se faire. Finalement cette vérité a fait son chemin. Je suis venu ici en mémoire de ces victimes algériennes, enterrées comme des chiens dans la fosse commune réservée aux musulmans inconnus du cimetière de Thiais.
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> À quelques mètres de la barre où s’est tenu Einaudi durant deux heures trente, Maurice Papon, jusqu’alors plutôt serein, accuse le coup. « Rompant [avec] sa naturelle impassibilité, l’ancien préfet tapote nerveusement la tablette de sa main droite », écrit Le Monde
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