Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Russie : Cuba à nos côtés dans les méandres du destin, par Andrei Manchuk, politologue

Ce ne sont pas les communistes du KPRF qui mettent en garde les Cubains contre ce que signifierait pour la majorité d’entre eux le passage au capitalisme mais cet écrivain connu et ce site proche du pouvoir auquel nous empruntons souvent des textes. Il dit l’expérience de l’URSS, qui a profité de quoi. Que représente Cuba pour l’internationale des milliardaires, l’enfer un véritable enfer pour des gens qui indépendamment de leurs opinions politiques ne pourraient en tant que citoyen cubain satisfaire tous leurs caprices, que représente la vie à Cuba pour des couches moyennes occidentales comme vous et moi, le purgatoire des longues files d’attente, les pénuries de l’essentiel à cause du blocus, mais pour l’immense majorité de la population mondiale Cuba c’est le paradis. A Cuba, la même classification est aussi pertinente… (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

              16 juillet 2021

https://vz.ru/opinions/2021/7/16/1108863.html

Les émeutes antigouvernementales à Cuba ont une fois de plus démontré à quel point nous comprenons mal la situation de cette île lointaine, pourtant si étroitement liée à nous par les événements du vingtième siècle.

La plupart des médias post-soviétiques diffusent sans broncher l’agenda de la propagande d’État américaine. Il n’y a pas que les ressources ukrainiennes ou la chaîne Nexta qui le font, appelant à la lutte contre la “tyrannie communiste sanglante”. La chaîne Telegram Russia in Global Politics couvre également les événements par la publication du rapport de la BBC – bien que ce matériel soit très loin d’être objectif. Tout simplement parce que les analystes politiques de Moscou n’ont pas encore leur propre opinion sur Cuba, qui est considéré comme une dictature tropicale exotique et une relique miraculeusement préservée de l’ère soviétique.

Mais l’état des lieux sur l’île ne correspond en rien à ces clichés. Pour comprendre cela, le mieux est d’étudier la société cubaine de l’intérieur – pas en tant que touristes étrangers prenant le soleil sur les plages de Varadero, avec des incursions occasionnelles dans les quartiers de la vieille Havane.

Cependant, il y a aussi beaucoup à voir dans ces quartiers. Par exemple, il n’est pas rare d’y voir des personnes portant des T-shirts et des casquettes de baseball avec l’insigne des États-Unis. Cette situation est considérée comme acceptable dans la société cubaine “totalitaire”, malgré des décennies d’attaques terroristes et le blocus économique imposé par Washington. Alors que l’on peut difficilement imaginer une personne portant un drapeau russe sur son T-shirt se promener en toute impunité dans les rues de l’Ukraine libre et démocratique.

Il y a suffisamment de groupes d’opposition à Cuba, avec leurs propres sites d’information et des blogs Internet assez populaires. Ces Cubains “pro-américains” n’ont généralement pas envie de cacher leurs opinions, car il n’y a pas de mal à les afficher – et ils ne sont pas envoyés au goulag des Caraïbes pour ça. Et les opposants sont particulièrement nombreux à La Havane, où il existe une couche moyenne de petites entreprises pas toujours légales, qui existent sous la pression du contrôle de l’État et qui sont surtout spécialisées dans le service des mêmes touristes étrangers.

Photo : Ismael Francisco/AP/TASS.

Ils sont vendeurs ambulants, prestataires de services, spéculateurs, courtiers, guides, propriétaires de casas particulares – des appartements privés qui sont loués à des étrangers. Ce sont aussi des intellectuels libéraux qui reçoivent souvent des fonds de la Floride, de l’autre côté du détroit. Ils rêvent à voix haute de la restauration du marché, croyant que cela leur apportera la richesse, le pouvoir et les possibilités illimitées de l’ère de l’accumulation primitive. Et ils ne s’inquiètent pas trop des conséquences pour le reste de la société cubaine.

Les membres de cette couche sociale caractéristique ont été la principale force derrière les protestations que les médias du monde entier nous ont montrées. Mais une base sociale aussi étroite n’est pas encore suffisante pour réussir un coup politique – même avec la coopération active du “monde libre”.

Contrairement aux mythes existants, le gouvernement cubain ne dispose pas d’unités spéciales ni d’équipements spéciaux pour réprimer les manifestations de rue. Il s’appuie plutôt sur le soutien de la majorité de la société cubaine, qui est en mesure de lutter contre les “gusanos” pro-américains pour la suprématie dans les rues. Ces forces sont souvent organisées en structures locales de base, comme les “comités de défense de la révolution”. Ils sont dominés par des Cubains d’âge moyen, et beaucoup d’entre eux comprennent ce que peut signifier un coup d’État “démocratique” soutenu par une intervention américaine. Parce que Cuba est littéralement entourée d’exemples de “démocraties réussies” comme Haïti, la Colombie, le Salvador et le Guatemala – avec la pauvreté, l’analphabétisme, la criminalité de masse et le manque d’accès à des services de santé normaux.

Mais la menace pour la stabilité du pouvoir cubain est effectivement grande. Le renforcement du blocus américain, multiplié par les effets de la pandémie de coronavirus, a touché les intérêts d’une masse énorme de personnes, y compris les partisans des communistes. La pandémie a bloqué l’industrie du tourisme, laissé le pays sans recettes stables en devises et conduit à l’imposition de restrictions de quarantaine qui ne sont populaires dans aucun pays du monde et n’améliorent la cote du gouvernement nulle part.

Il y a eu de véritables pénuries alimentaires, les hôpitaux manquent souvent de médicaments – bien que les traitements soient totalement gratuits – et les virologues cubains ont mis au point une série de vaccins qu’aucun autre pays d’Amérique latine n’a réussi à faire. Et maintenant, il y a une campagne de vaccination active à Cuba, qui est encouragée par des campagnes de sensibilisation du public.

Les organisateurs des émeutes espèrent exploiter ces problèmes. Leurs objectifs sont transparents car l’ère de la pandémie a fait tomber de nombreux masques. Les représentants des forces antigouvernementales espèrent déstabiliser au maximum la situation, provoquer des affrontements sanglants et aggraver la crise interne. Afin qu’ils puissent un jour créer un prétexte approprié pour une intervention “humanitaire” des États-Unis – et renverser le parti communiste au pouvoir, en le remplaçant par ses serviteurs obéissants.

Ce scénario ne semble pas encore inévitable, mais s’il devait se réaliser, ce serait une catastrophe pour la très grande majorité des Cubains qui devront faire face à un rouleau impitoyable de réformes et aux ‘années 90’ avec 30 ans de retard. Dans le dernier livre de Pélévine [Непобедимое Солнце, en français Sol Invictus, Moscou 2020, inédit en français, NdT], une conversation dans le soleil de Varadero entre une jeune moscovite blonde et un jeune cubain, en est une mise en garde prophétique.

– Autrefois, notre peuple pensait aussi avoir le système le plus stable”, ai-je dit en choisissant soigneusement mes mots. – Et ils croyaient aussi qu’ils seraient plus heureux sans lui. C’est ce qu’ils pensent tous… Les gens ne comprennent pas la chose la plus importante… Ils pensent que le monde va changer, et qu’ils vont regarder ça en buvant des mojitos. Mais ce sont eux qui iront à l’abattoir, car le système qu’ils détestent tant, c’est eux tous ensemble. Mais il n’y a rien à ce sujet dans la chanson “Wind of Changes”. Alors qu’elle devrait commencer comme ça : “Tous ceux qui entendent cette musique – préparez-vous à mourir bientôt !”.

Mais les gens qui se sont battus pour le changement, répliqua José, ne le permettront pas.

– Leurs corps serviront à fertiliser le sol “, ai-je coupé.

Bien sûr, ces mots sont écrits par l’écrivain non pas tant à propos d’une île de la mer des Caraïbes qu’à travers le prisme de l’expérience post-soviétique réelle, dont on se souvient beaucoup en ce trentième anniversaire de l’effondrement de l’URSS. Et dans ce contexte, les paroles d’une vieille chanson me viennent à l’esprit – ce Cuba lointain mais, en fait, si proche de nous. Dans les virages serrés de notre histoire et de notre destin communs.

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