Nomadland, le film aux nombreux oscars vient de sortir… Ne le ratez pas …
La période est étrange, il m’arrive de me dire que je suis dans un monde étrange où ma vieillesse est extraordinairement consciente de ce que personne ne voit, la volonté ou plutôt la nécessité de la guerre : les Etats-Unis pour des raisons externes, celle d’entretenir des alliances dans le pillage mais aussi pour des raisons internes veulent la guerre et tentent de nous convaincre que la Chine et la Russie nous veulent du mal, qu’elles nous sont hostiles. Dans un tel contexte, c’est comme si j’errais dans l’attente d’une fin sans pouvoir m’installer nulle part alors que pourtant le nomadisme accélère les signes de ma décrépitude.
C’est dire si le film vu hier “Nomadland” a trouvé un écho en moi… Disons tout de suite que je suis incapable d’apprécier un film sur petit écran et encore moins un John Carpenter qui pourtant n’est pas lui non plus si loin de mes préoccupations, il me faut le grand écran, la salle obscure. Et là, le miracle a lieu le film m’embarque, nous embarque comme des passagers d’entrepont en route vers le nouveau monde dans l’errance de Fern, admirablement jouée par Frances McDormand. A l’inverses des amateurs du film, Frances Louise McDormand, actrice de théâtre et de cinéma joue régulièrement dans les films des frères Coen à partir de Sang pour sang (1984). Elle est l’épouse de Joel Coen depuis 1984.Elle a remporté à trois reprises l’Oscar de la meilleure actrice : en 1997 pour Fargo, en 2018 pour Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance, et en 2021 pour Nomadland. Dans ce dernier film qu’elle porte de bout en bout, elle est cette femme, cette ouvrière a l’âge de la retraite mais même si comme son van elle est très fatiguée et cabossée elle ne peut pas se permettre d’arrêter de travailler et elle enchaine les petits boulots depuis l’empaquettage chez Amazon jusqu’à la cueillette de la betterave dans le Nebraska. C’est toujours physique et son corps noueux se durcit, se matérialise. L’histoire de Fern c’est celle d’un amour total sans le moindre égoïsme pour son mari, ouvrier, cet amour les a tenus enchaînés jusqu’à la mort de l’époux, dans une cité ouvrière banale mais à l’horizon immense. La mine a fermé et le code postal de la petite ville appelée “Empire” a été supprimé. Fern n’est rien d’autre que cette histoire et elle-même, un être intègre qui goûte avec intensité et un espèce d’animisme les paysages, les animaux, les cailloux, les reliefs et les torrents. Peu à peu, Fern, qui refuse de plus en plus de se sédentariser de se greffer en parasite, va intégrer une communauté nomade de personnes âgées qui vivent en marge de la société et se retrouvent périodiquement dans le désert pour refonder un monde parallèle issu de ce que la vieillesse leur a appris d’eux-mêmes. Ils ne sont plus “utiles” pour le profit, ils peuvent l’être à eux-mêmes… Chloé Zhang a l’habitude de s’intéresser aux marginalisés pour retrouver l’identité américaine puisqu’elle a choisi cette terre. En 2015, elle mettait déjà en scène la vie d’Amérindiens dans une réserve dans son premier long-métrage, Les Chansons que mes frères m’ont apprises. Elle poursuit deux ans plus tard avec The Rider, dans lequel on suit une la reconversion d’une star du rodéo après un accident. Là ce sont les personnes âgées nomades.
Est-ce un hasard si ce regard calme et sans la moindre violence de l’errance américaine, regard donc qui rompt avec tous les standards d’Hollywood est celui d’une réalisatrice chinoise ? Chloé Zhang a adapté un roman d’une autre femme, Jessica Bruder, ce sont des femmes fortes, belles à leur manière comme leur véhicule parce que confortable, transportant tout avec elle et donnant quand le temps est venu. Elle nous le dit dans de pudiques plans rapprochés ou tout redevient simple et naturel, une manière de filmer dont là encore l’esthétisme est chinois, celui de la connaissance sans effraction en suivant l’évidence. Les Chinois ont un autre regard que les occidentaux et surtout Hollywood sur l’âge, c’est le temps où l’individu bénéficie de tout son travail harassant et où il faut le soulager de ses maux. Résultat un femme chinoise qui est devenue américaine totalement et s’identifie à ce pays nous décrit le choix de la liberté de ceux qu’une société capitaliste considère comme des rebuts et qui sont de belles personnes. La sexualité comme la violence sont absentes mais la tendresse, l’émoi adolescent, l’essentiel qui se dit dans des poèmes est la trame des rencontres. C’est un faux documentaire même s’il n’y a pas de professionnels et les “amateurs” ont réellement entre 60 et 80 ans, parce que la caméra ne veut rien nous faire comprendre d’autre que ce choix d’harmonie d’une fin de vie.
Chloé Zhang nous dit, en chinoise, que cette partie de la vie est passionnante et ces gens-là sont peut-être la partie la plus saine de la vie américaine, celle qui enfin réunit tout ce que le capitalisme ne cesse d’opposer et ce en poursuivant le rêve américain de la liberté et des grands espaces.
Je suis sortie de là en me disant que telle était la vie, celle que je m’étais choisie : je ne peux pas grand chose mais je peux regarder avec bienveillance ce monde que l’on s’apprête à détruire.
Danielle Bleitrach
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