Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Tina Modotti et Antonio Mella, …

L’affaire Mella. Après avoir adhéré au PC mexicain fin 1927, Tina se lie avec un jeune révolutionnaire cubain, tué sous ses yeux en 1929. Voici l’histoire non seulement d’amour, d’une femme libre et artiste, mais aussi celle d’un engagement dont les deux amants payèrent le prix pour avoir choisi le combat de la classe ouvrière et du peuple. Mella symbolise à la fois la naissance du communisme à Cuba mais aussi le lien avec l’œuvre de José Marti et le rôle révolutionnaire des ouvriers du tabac. Le premier monument à Lénine hors URSS fut érigé à Cuba à Regla, quartier du port de la Havane.

Dans les années 1923-26,Tina Modotti a quitté les Etats-Unis pour le Mexique, avec son compagnon Edward Weston. Fin 1926, les amants reprennent leur liberté. Weston revient en Californie et Tina, proche des communistes, reste au Mexique. A partir de 1925, Tina Modotti travaille pour le journal El Machete, milite pour le Secours rouge, pour la Ligue anti-impéraliste, pour le comité «Bas les pattes devant le Nicaragua» et pour celui qui défend Sacco et Vanzetti, deux anarchistes d’origine italienne condamnés à mort aux États-Unis. Toute une pléiade de clubs, de mouvements, d’associations proches des communistes mexicains. Elle adhère au Parti (PCM) fin 1927. C’est à l’époque une organisation jeune et active, forte seulement de quelques centaines d’adhérents. Le PCM s’oppose de plus en plus au gouvernement issu de la révolution mexicaine, auquel il reproche de faire trop de concessions aux Etats-Unis et à l’Eglise.

«L’œil de la classe ouvrière». L’engagement de Modotti se lit dans ses photos, avec une série d’icônes «communistes»: le marteau et la faucille; la cartouchière, l’épi de maïs et la guitare; la faucille, le marteau et le sombrero, etc. Elle se voit comme «l’œil de la classe ouvrière» et manifeste sa sensibilité aux problèmes sociaux. C’est à cette époque qu’elle fait un reportage dans les quartiers les plus difficiles de Mexico.

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Elle s’intéresse aussi à l’univers des murales, ces grandes peintures monumentales que le ministre de l’Education, José Vasconcelos, a commandées à des artistes dont la plupart (Rivera, Siqueiros, Guerrero) sont membres du PC. Elle les reproduit en photo et a une histoire d’amour avec Xavier Guerrero, un bel homme énigmatique au visage d’Indien tarahumara. C’est lui qui, éduqué par un père peintre en bâtiment, a initié Diego Rivera à la technique de la fresque que les muralistes utiliseront. En 1925, il a peint ses propres murales à Guadalajara. Convaincu que le communisme, celui en Union soviétique, est l’avenir des opprimés, il adhère au PCM et devient un partisan farouche de la culture au service du peuple. «Les arts doivent être mis au service de la révolution.» Tina, qui est devenue sa maîtresse, traduit ses articles en anglais.

Un jour, Guerrero, devenu dirigeant du PC mexicain, lui annonce qu’il part trois ans à Moscou suivre des cours de marxisme-léninisme à l’université Lomonossov. A Mexico, Tina continue de faire ses images de pub politiques, cadre des paysans qui lisent El Machete ou une femme qui porte un drapeau rouge. Elle s’essaie aussi au photomontage. En septembre 1928, elle écrit en URSS à Guerrero qu’elle aime un autre homme: Julio Antonio Mella.

Un soir, dans les bureaux d’El Machete, Tina a entendu une voix grave, lève les yeux et croise le regard noir d’un homme grand et athlétique. Un athlète magnifique, dont jadis on me raconta comment il avait accueilli le premier bateau venu d’URSS. Il avait franchi la baie à la nage et rejoint le navire en haute mer et se hissant sur le pont, il avait déplié deux drapeaux ceints sur ses hanches, un drapeau cubain et un drapeau soviétique… L’«Adonis de la gauche» est déjà une légende dans le mouvement communiste international. De son vrai nom Nicanor McPartland, Julio Antonio Mella est né vingt-quatre ans plus tôt des amours d’une Irlandaise, Cecilia McPartland, et d’un natif de Saint-Domingue, Nicanor Mella. Vivant à Cuba et très engagé dans le mouvement étudiant qui combat le dictateur Gerardo Machado (1), Nicanor junior prend le nom de son père illégitime, et surtout de son grand-père paternel, qui a été un révolutionnaire dominicain. Et il devient la bête noire de celui qu’il baptise le «Mussolini des Tropiques».

Il met sur pied l’université populaire José Martí pour les ouvriers du tabac, en fait un foyer d’agitation. En 1925, il est parmi les fondateurs du parti communiste de Cuba. Machado le fait arrêter. Cette incarcération soulève les foules à Cuba et dans le monde. Après dix-neuf jours de grève de la faim et une campagne de presse internationale, le gouvernement relâche Mella. Harcelé par la police, le jeune homme quitte l’île. Il fait quinze jours de prison. Il passe par le Guatemala et débarque au Mexique. Là, il adhère au PC mexicain, devient secrétaire intérimaire de la jeune organisation, se lie avec Augusto «Cesar» Sandino, le leader de la gauche nicaraguayenne, signe des articles dans la presse sous le nom de Cuauhtémoc Zapata, un autre pseudo, travaille pour El Machete” et rencontre Tina Modotti. D’abord secrète, leur liaison devient notoire en septembre 1928. Le couple sera immortalisé dans une peinture murale de Diego Rivera.

Mella reste très attaché à la situation à Cuba. Il prépare un débarquement de guérilleros, à la manière de ce que feront Castro et Guevara trente ans plus tard. Le projet échoue mais, dans l’île, Machado décide d’en finir avec Mella. Le 10 janvier 1929, Tina et son amant reviennent chez eux à pied. Ils sont rue Abraham Gonzalès à Mexico quand crépitent deux coups de feu. Mella s’effondre, mortellement blessé.

Tina, qui l’a vu mourir sous ses yeux, est interrogée par la police. Son appartement est fouillé de fond en comble, les photos d’elle prises par Edward Weston, notamment les nus, et des lettres d’amour sont saisies. Elles seront diffusées dans la presse. Étrangère, femme libre dans un pays de machos, mais en existe-t-il d’autres? , Tina Modotti est victime d’un lynchage médiatique. Les quotidiens de la capitale l’accusent d’être complice des assassins. Comme son témoignage est confus, elle est arrêtée par la police qui tente de faire passer le meurtre pour un crime passionnel. La photographe est alors soutenue par son parti et surtout par le peintre Diego Rivera, qui reste auprès d’elle, polémique avec la police, pousse le PC à organiser sa propre reconstitution du crime. La gauche accuse le régime cubain, fait de Mella un martyr de la cause anti-impérialiste. L’assassin, José Magrinat, était un agent de La Havane et donc du dictateur Machado, mais encore aujourd’hui on laisse planer le doute alors que, comme nous le signalons ci-dessous à travers un document écrit par Tina Modotti et conservé dans les archives de Moscou, les preuves sont là et surtout on ne peut pas ignorer les méthodes de la dictature de Machado et de tous les gouvernements d’Amérique latine qui s’allient avec les États-Unis pour permettre le pillage de leur propre classe dominante. Un certain nombre de trotskistes ont également brouillé les cartes y compris à propos de Diego Rivera et Frida Kahlo et encore plus en ce qui concerne les autres artistes révolutionnaires de cette époque à cause de leur adhésion réelle à l’Union soviétique de Staline. Mais les conditions du combat sont telles qu’il est difficile de ne pas voir la nature des crimes dont sont victimes les révolutionnaires et qui les fomente.

L’assassinat de son compagnon a bouleversé Tina Modotti. Sa vie ne sera plus la même. Désormais elle sacrifiera tout à l’URSS de Staline, surtout la photographie. Le poète américain Kenneth Rexroth, qui visite Mexico à cette époque, a raconté comment il l’a rencontrée dans un café où traînaient toutes sortes «de politiciens armés, de toreros, de prostituées et de filles de revues déshabillées». «Dans cet aréopage, la personne la plus remarquable était une photographe, une artiste, un modèle, une courtisane de haut vol et la Mata Hari du Komintern, Tina Modotti. Elle venait d’être l’héroïne d’un horrible assassinat politique et c’était ce qu’on appelle, je crois, une beauté internationale.». En faire une mata hari c’est méconnaître la manière dont cette femme a tout donné pour les exploités même si elle est passionnée et d’une beauté inoubliable.

Tina Modotti lors de la reconstitution de l’assassinat de Julio Antonio Mella. Photo: Collection d’archives Casasola / Archives Cubadebate.

Il s’agissait d’un texte inédit jusqu’à sa publication le 10 janvier 2020  sur le site Web de l’ambassade de Cuba en Italie . Rédigé à l’origine en anglais par Tina Modotti, au début de l’année 1932, le document est dans le fonds du Secours Rouge International (SRI) à Moscou. Il a été remis à l’ambassadeur cubain en Italie, José Carlos Rodríguez Ruiz, le 6 janvier 2020, par la chercheuse allemande Christiane Barckhausen-Canale, spécialiste internationale de renom sur la vie de Tina et auteur du livre “Vérité et Légende de  Tina Modotti “, 1988, primé par la Casa de las Américas, La Havane, Cuba.

Le meurtre de Julio Antonio Mella dans les rues de la capitale du Mexique le 10 janvier 1929 a été l’un des crimes politiques les plus sensationnels commis ces dernières années dans le monde. Nul doute que tout le monde se souvient encore des détails de ce crime.

Mella a été l’un des leaders les plus éminents du mouvement révolutionnaire en Amérique latine. Cubain de naissance, il a commencé son activité dans le mouvement révolutionnaire organisant des étudiants dans des associations de gauche. Grâce à lui, une université populaire pour les travailleurs a été créée à Cuba. Peu de temps après, il se rendit compte que son meilleur service pour la cause révolutionnaire serait de consacrer toutes ses connaissances, toutes ses capacités, aux luttes politiques et économiques du prolétariat. Il a été l’un des fondateurs du Parti communiste de Cuba et l’un des dirigeants les plus prestigieux du mouvement anti-impérialiste latino-américain.

En décembre 1925, alors que Machado, le dictateur sanglant et agent de Wall Street, était déjà au pouvoir, Mella a été emprisonné et a entamé une grève de la faim qui a duré 21 jours. Du point de vue de l’agitation et comme forme de protestation, cette grève de la faim a été l’une des plus efficaces jamais menées dans un pays. Au fur et à mesure que les jours passaient et que la condition physique de Mella empirait, mettant sa vie en danger, une énorme tension régnait non seulement dans la population cubaine, mais dans tout le continent américain et aussi dans d’autres pays. La pression des masses était si grande que le président Machado a été contraint de céder et de libérer Mella.

Mais très vite, quand Mella s’est rétabli, la persécution contre lui a commencé. Machado cherchait à se venger de sa défaite. Il y a eu plusieurs tentatives sur la vie de Mella et il a été forcé de quitter Cuba. Il est allé au Mexique où il a immédiatement commencé à participer au mouvement révolutionnaire dans ce pays. Il a consacré tout son temps à la cause des ouvriers révolutionnaires, a organisé des émigrants politiques cubains vivant au Mexique, a fondé un journal pour les travailleurs cubains venus illégalement à Cuba, a mené la lutte contre l’impérialisme américain en Amérique latine, il a dirigé le travail des autres groupes d’émigrants politiques cubains vivant dans d’autres pays, était actif dans l’Union rouge du Mexique et était un collaborateur actif de la section mexicaine du SRI.

Le 10 janvier 1929, alors qu’il quittait le siège social de Socorro Rojo (Secours rouge) à Mexico, à 21 heures et à deux pâtés de maisons de sa maison, il fut abattu et mourut deux heures plus tard. Avant de mourir, il a nommé le président Machado responsable de ce meurtre et a donné le nom de la personne qu’il soupçonnait d’être l’auteur du crime.

La section mexicaine de Socorro Rojo a immédiatement ouvert des enquêtes et a pu trouver des preuves concrètes: en fait, le président Machado avait envoyé deux hommes armés professionnels de La Havane à Mexico pour commettre le crime, et l’un des principaux auteurs de la police mexicaine qui avait voyagé à La Havane deux semaines plus tôt serait un complice important dans ce meurtre. Il y avait même eu un accord entre l’ambassadeur cubain et le gouvernement mexicain.

Le Socorro rojo mexicain, le Parti communiste mexicain, les syndicats, les organisations étudiantes de gauche, les organisations de travailleurs et même des avocats et des politiciens célèbres ont exigé que justice soit faite. Pendant plusieurs semaines, le Gouvernement mexicain a reçu des protestations du monde entier et a déclaré hypocritement, par la bouche de la police, que le Mexique ne se reposerait pas tant que la question n’aurait pas été élucidée. Les demandes les plus importantes étaient les suivantes: arrestation et punition de plusieurs Cubains résidant au Mexique accusés par Mella avant sa mort, démission de Valente Quintana de son poste et rupture des relations diplomatiques avec le gouvernement Machado.

Mais que s’est-il passé? Le seul Cubain arrêté par la police, l’organisateur technique du crime, a été libéré, au bout de quelques semaines, faute de preuves. Valente Quintana n’a pas été limogé, mais a été nommé chef de la police centrale du Mexique (sans doute pour le récompenser de sa participation au crime), et toutes les manifestations de protestation des masses mexicaines ont été sabotées et attaquées par la police.

Quant à la presse bourgeoise et au gouvernement mexicain, peu à peu l’affaire a disparu du premier plan et seuls le Socorro Rojo et les autres organisations révolutionnaires ont insisté sur leurs dénonciations inlassables, dirigées contre Machado et les complices du gouvernement mexicain. Chaque année, le 10 janvier est, à travers le continent américain, le  «jour de Mella», et cette année aussi, des préparatifs ont déjà été faits pour le troisième anniversaire de son assassinat, et des déclarations publiques sensationnelles sont récemment apparues autour de lui.

Une femme, l’épouse d’un Cubain appartenant à des cercles criminels, voulait se venger de son mari qui avait menacé de l’assassiner. Le 3 novembre, elle a appelé la police et raconté en détail comment Mella avait été tué. Elle a accusé son mari d’avoir été le meurtrier. Tout ce qu’elle a dit a confirmé les accusations présentées au moment du crime par le Socorro Rojo. Ses accusations ont été examinées les unes après les autres et confirmées: un an plus tard, son mari avait reçu de La Havane une somme d’argent qu’il avait prise à une certaine banque au Mexique (le prix payé pour le crime). Il a également été démontré qu’après le crime, le meurtrier avait trouvé refuge dans la maison d’un autre Cubain, du nom de José Magriñát qui avait été accusé par Mella peu de temps avant sa mort.. Le meurtrier est maintenant en prison et plusieurs témoins ont comparu pour confirmer les accusations portées par l’épouse du meurtrier.

La section mexicaine de RSI a demandé aux autorités mexicaines d’inclure trois de leurs représentants dans les enquêtes, mais le gouvernement fasciste du Mexique a catégoriquement rejeté cette demande.

C’est une autre preuve de la complicité du gouvernement mexicain dans le meurtre planifié par le dictateur cubain Machado. Au lieu de punir José Magriñát, l’organisateur technique du crime, le gouvernement mexicain l’a libéré et l’a protégé, le faisant accompagner jusqu’au port le plus proche où il a pris un bateau qui se rendait à Cuba. Il ne fait aucun doute que l’exécuteur matériel du crime bénéficiera de la même protection. Dans quelques semaines, la presse bourgeoise corrompue reparlera de l’affaire, mais toute sorte d’aide sera apportée au meurtrier pour qu’il puisse échapper à la vengeance du prolétariat mexicain. Ce prolétariat n’oubliera jamais que Mella est mort pour la cause révolutionnaire internationale.

Cette année, le troisième anniversaire de sa mort aura un nouveau sens; il offrira à toutes les sections du RSI la possibilité de démontrer une fois de plus et avec de nouvelles preuves l’hypocrisie de la «justice» bourgeoise.

(Tiré de  @EmbaCubaItalia )

Tiré du débat de Cuba

1) Gerardo Machado né le 28 septembre 1871 à Camajuaní et mort le 29 mars 1939 à Miami Beach, est le président de Cuba de 1925 à 1933. Il fut également le gérant de la succursale à La Havane de la General Electric Company et il est installé à la présidence par les USA en 1925. Sa servilité est telle qu’il fait construire à la Havane un Capitole à l’image de celui de Washington. Il supprime la liberté de la presse et développe une police secrète avec les hommes de main du pouvoir, les porristas, qui font le coup de feu en pleine ville, assurés de l’impunité. La police importe à Cuba la ley fuga du dictateur mexicain Porfirio Díaz qui permet d’abattre un prisonnier qui prend la fuite, procédé permettant l’élimination de nombre d’opposants gênants. Certains prisonniers sont même jetés aux requins. Le tourisme en provenance des États-Unis se développe considérablement, celui du jeu et de la prostitution. En revanche, la production agricole s’écroule au début des années 1930. Il mène un ambitieux programme d’équipement public (notamment la carretera central, qui traverse l’ile sur toute sa longueur, et le capitole de marbre pour un prix démesuré) ce qui entraine une forte augmentation de la dette publique. Les mouvements étudiants, les syndicats et les communistes résistent à la dictature, ce qui aboutit à sa chute en 1933. Il fuit aux Bahamas le 12 août 1933 et meurt déjà à Miami.

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