Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La géographie eurasiatique se transforme, par Alexandre Sitnikov

Poutine pourrait mener à bien un projet que même Staline n’avait pas réussi à faire, par Alexandre Sitnikov. Cet article esquisse les nouvelles lignes de forces qui sont en train de se dessiner dans le sillage de la route de la soie et qui sont en train de bouleverser toutes les alliances géopolitiques. Quand la Chine propose sa médiation dans la situation israélo-palestinienne, elle le fait forte de sa force d’impulsion économique mais n’ignore pas non plus les stratégies et en particulier l’appartenance ou non à l’OTAN et la soumission aux USA. Mais c’est la Russie de Poutine qui est directement en train de gérer la situation. Notons que l’article qui n’est pas issue des communistes continue à affirmer la filiation soviétique et le fait à partir d’une idée très répandue en Russie, à savoir que Poutine serait le descendant de Staline et restaurerait l’URSS, la politique de Lavrov le ministre des affaires étrangères donne force au mythe. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://svpressa.ru/economy/article/298813/

Photo: Yuri Smityuk / TASS

Asia Global a publié un rapport intitulé «Un acte de rééquilibrage: la Chine et la Turquie dans un ordre mondial en mutation». Il déclare qu’Ankara fera tout son possible pour mettre en œuvre le corridor transcaspien est-ouest, également appelé corridor médian. Son intérêt, selon le plan de la Turquie, est que le trafic de la Chine vers l’UE empruntera une route alternative sans traverser le territoire russe.

L’intérêt d’Ankara pour le “Corridor médian” est si grand qu’Erdogan , se positionnant comme “le protecteur de tous les musulmans”, n’a pas soutenu l’UE et les États-Unis “dans la lutte pour la liberté dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang à majorité musulmane. “

Alors que les Européens et les Américains fustigent les Chinois à chaque occasion pour avoir prétendument opprimé les Ouïghours, le ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a annoncé que “la Turquie ne participera jamais à aucune action hostile à la Chine”.

Apparemment, il ne s’agit pas seulement de l’argent que la Turquie souhaite recevoir en tant que pays de transit. Le «corridor médian» traverse des pays et territoires habités par les Turcs. Et si le corridor Est-Ouest commence à fonctionner, alors les chances d’Erdogan augmenteront fortement dans le cadre du nouveau projet de Grand Touran d’unir les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale autour d’Ankara.

Cependant, les Turcs ont des problèmes avec la mise en œuvre du “Corridor médian”. La route continentale partira du Xinjiang en passant par l’Asie centrale, l’Iran, puis la Turquie. Mais ici, le maillon faible, du point de vue des partisans de Touran, c’est la Perse. Téhéran est sous sanctions occidentales et entretient des relations hostiles avec Israël, le favori des États-Unis au Moyen-Orient.

C’est pourquoi Ankara se concentre sur une route multimodale qui traversera l’Asie centrale, puis la mer Caspienne jusqu’à Bakou, puis le long des voies ferrées géorgiennes et turques jusqu’aux ports de la Méditerranée, de la mer Noire et de la mer Égée. Ici, tout sera sous le contrôle total d’Ankara.

Mais ce beau schéma est perturbé par un facteur monétaire désagréable associé à de multiples transbordements de marchandises dans les ports. Quoi qu’on en dise, l’itinéraire alternatif d’Erdogan coûtera une jolie somme aux transporteurs. Les calculs montrent qu’il est beaucoup moins coûteux de transporter des marchandises chinoises de la Caspienne à la mer Noire par voie navigable. De plus, personne n’a annulé le facteur de la grande politique.

De plus, les Chinois sont loin d’être des naïfs et sont bien conscients que malgré tous les désaccords avec l’Occident, la Turquie ne quittera jamais l’OTAN, c’est-à-dire qu’elle jouera les enfants terribles mais restera un enfant de l’Amérique. Et si Ankara doit faire un choix entre Pékin et Washington, dans ce cas les Turcs resteront indubitablement avec les États-Unis. A cet égard, Asia Global rappelle que “pendant la guerre de Corée … elle (la Turquie) a rejoint le combat contre la coalition sino-soviétique.” 

Washington peut publiquement se chamailler avec Ankara autant qu’il le souhaite, mais selon les experts d’Asia Global, les États-Unis saluent les efforts de la Turquie dans le «Corridor médian», dans la mesure où Erdogan évince Moscou du Caucase du Sud.

Par conséquent, d’un point de vue politique, il est avantageux pour la Russie de développer des voies navigables entre la Caspienne et le bassin Azov-Mer Noire. Oui, il y a déjà le canal Volga-Don, mais vous n’irez pas loin et vous ne transporterez pas grand-chose dessus. Svobodnaya Pressa a déjà traité ce sujet en détail.

Par un été chaud, dans la section de Volgodonsk et du complexe hydroélectrique Konstantinovsky au village de Starocherkasskaya, la profondeur est inférieure à 3 mètres, tandis qu’un navire chargé a un tirant d’eau de 3,6 mètres.

C’est pourquoi la question de la construction d’une liaison directe entre la Caspienne et la mer Noire, qui a déjà reçu le nom de projet du canal Eurasie, a été soulevée à plusieurs reprises. À propos, Staline avait également prévu de construire le canal de Manytch, allant d’Azov à la mer Caspienne en passant par le territoire de Krasnodar et le territoire de Stavropol, mais la guerre l’a empêché.

Selon les estimations disponibles, il faudra jusqu’à 18 milliards de dollars non seulement pour creuser le canal lui-même, mais aussi pour construire trois écluses maritimes du côté ouest et six du côté est. La longueur du canal Eurasie sera de 680 à 850 kilomètres, ce qui réduira de plus de 1000 kilomètres la voie navigable existante de la Caspienne au bassin Azov-Mer Noire.

Il y a un autre point curieux. Téhéran a déjà annoncé le projet de son propre canal reliant la mer Caspienne au golfe Persique. Il a reçu le nom provisoire de «Suez» iranien car il est capable de changer tout le paysage politique au niveau mondial.

Mais sa valeur sera incomparablement moindre sans le canal russe “Eurasia”. En fait, et vice versa. Pour Poutine, ce sera toujours l’occasion pour faire la nique à Erdogan, qui se frotte déjà les mains à l’idée des profits qu’il tirera des vaisseaux russes. Ce n’est pas pour rien – par bonté d’âme –qu’Ankara commence la construction de son canal d’Istanbul, prévoyant d’y faire passer, sinon tous, au moins la plupart des navires qui traversent maintenant le Bosphore.

Bien sûr, il est trop tôt pour juger du Suez iranien. Il y a trop d’obstacles, dont deux chaînes de montagnes sur son chemin. Téhéran a cependant annoncé que la première étape dans la mise en place de la voie navigable de la Caspienne au golfe Persique serait le lancement d’un chemin de fer entre les ports d’Anzali et de Bandar Abbas. Soit dit en passant, ce «machin de fer» est déjà en pleine construction et devrait être mis en service en 2022, ce qui permettra aux Perses de commencer à creuser et à ériger des nombreuses écluses. De plus, cette affaire sera dirigée par le Corps des gardiens de la révolution islamique, la force militaro-politique la plus influente d’Iran.

Toutefois, même sans une voie navigable entre la mer Caspienne et le golfe Persique, l'”Eurasia” drainera une part importante du trafic de marchandises entre la Chine et les pays de l’Union européenne. Mais ce n’est pas tout ! Le portail Brussels Times explique notamment que non seulement Moscou mais aussi le Kazakhstan deviendront bénéficiaires du canal Caspienne-Mer Noire.

“Le Kazakhstan, riche en ressources, un pays enclavé qui cherche à attirer des investissements étrangers directs, à s’intégrer davantage dans des réseaux économiques mondiaux plus larges et à diversifier ses liens économiques et politiques avec l’étranger, se positionne désormais comme une plaque tournante du transit eurasien, la voie navigable Eurasia étant l’une des initiatives les plus importantes du Kazakhstan”, note le Brussels Times.

À propos, en 2007, le président Poutine a parlé de l’importance, voire de la nécessité, du canal “Eurasia”. Qui sait, peut-être que l’impertinence d’Erdogan, qui ne cache même pas son désir de voler le flux de marchandises chinoises à la Russie et le rêve iranien d’avoir leur propre “canal de Suez” inspireront finalement le Kremlin à construire une voie navigable de la Caspienne à la mer Noire.

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