Puisque nous sommes interdits des réseaux sociaux, profitons-en pour nous débarrasser du simplisme auquel condamne l’usage habituel de ce qui n’est que l’égout d’un système de propagande occidental avec le complotisme érigé en socialisme des imbéciles. Nous sommes dans un monde complexe dans lequel se mêlent les effets d’un impérialisme en crise mais qui en est d’autant plus belliciste tout en continuant à se parer ou prétendre se parer des vertus de la démocratie, et une pression accrue sur la classe ouvrière, les couches populaires à qui on ne peut plus offrir les miettes du pillage, simplement les peurs et les violences xénophobes, ce à quoi s’ajoute pour le capital en crise le reflux vers ses alliances les plus réactionnaires ennemies de tout ce qui est émancipation individuelle. Le cas de l’Afghanistan avec le pseudo retrait de Biden est ici analysé par un commentateur de la Pravda. Demain nous reviendrons sur la Chine. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
N ° 47 (31107) 7 mai 2021
Auteur: Sergei KOZHEMYAKIN, commentateur politique de la Pravda.
https://gazeta-pravda.ru/issue/47-31107-7-maya-2021-goda/dvoynaya-bukhgalteriya-interventov/
Le retrait annoncé par Biden des troupes d’Afghanistan est parsemé d’embûches. Washington ne perdra pas le contrôle du pays et de la région, ce pour quoi il laisse un certain nombre de «supports» politiques.
1er mai afghan
«La fin de la plus longue guerre d’Amérique». C’est ce que Washington appelle pompeusement le retrait en cours du contingent d’Afghanistan. Derrière le pathos se cache un jeu complexe plein d’intrigues et d’aventures dont l’achèvement n’est même pas envisagé. Rappelons que l’année dernière, les États-Unis ont signé un accord avec les talibans *. Le point principal prévoyait la fin de la présence militaire d’ici le 1er mai 2021. Cette décision était purement opportuniste: Donald Trump l’a utilisée à fond dans sa campagne électorale, démontrant une volonté de mettre fin aux «guerres inutiles». En même temps, Washington pouvait faire marche arrière. Des conditions aussi vagues que le refus des Talibans de coopérer avec les terroristes permettent à tout moment de les accuser de trahison.
Ces stratagèmes n’ont pas aidé Trump, mais ils ont été transmis par héritage à Biden. Il a d’abord critiqué son adversaire pour sa”démarche irresponsable” et, en des termes soutenant le retrait des troupes, a appelé à un processus étape par étape en coopération avec les alliés. Son choix d’une renégociation de l’accord est apparu immédiatement après l’inauguration. Le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a déclaré que les États-Unis “ne se retireront pas de l’Afghanistan de manière précipitée et désorganisée”, et Biden lui-même a déclaré qu’il était impossible de respecter le délai. Cependant, la nouvelle administration ne pouvait ignorer la popularité de l’idée de mettre fin à la guerre parmi l’électorat et a commencé à chercher des échappatoires.
D’une part, les talibans * ont été accusés d’avoir violé les termes du traité, y compris en maintenant des liens avec al-Qaïda *. Les frappes aériennes de l’US Air Force contre des positions rebelles se sont intensifiées, en particulier près de Kandahar. D’autre part, la Maison Blanche a tenté d’apparaître dans le rôle de Casques bleus et a proposé une série d’initiatives aussi ambitieuses que difficiles à mettre en œuvre. Parmi eux, la «réconciliation nationale» sous les auspices de l’ONU et le plan de règlement présenté aux autorités afghanes par le secrétaire d’État américain Anthony Blinken. Le diplomate dans un ultimatum a exigé la formation d’un gouvernement de transition, qui donnerait la moitié des postes aux talibans.
Les deux propositions n’étaient manifestement pas viables. À Kaboul, ils ont refusé de considérer le plan de Blinken, exprimant leur réprobation indignée. Selon le premier vice-président Amrullah Saleh, l’Afghanistan n’acceptera pas une «paix imposée par la force» qui menace la Constitution et les libertés démocratiques du peuple. La conférence de paix, qui devait se tenir à Istanbul sous les auspices de l’ONU, de la Turquie et du Qatar, a été reportée sine die. Les représentants de Kaboul se sont embourbés dans des différends concernant l’ordre du jour et la composition de la délégation, et les talibans ont complètement refusé de participer.
En conséquence, les États-Unis ont choisi une option différente. Le 14 avril, Biden a annoncé la fin de la mission Resolute Support et le retrait complet des troupes américaines. Débutant le 1er mai, il devrait être achevé le 11 septembre, jour du 20e anniversaire des attentats terroristes aux États-Unis. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a fait une déclaration similaire. En conséquence, d’ici septembre, seule la protection des missions diplomatiques sera assurée parles militaires étrangers.
La présence est maintenue ?
Un si large éventail d’idées et de propositions en seulement trois mois nous fait suspecter un spectacle à grande échelle. Ne voulant pas «perdre la face» et agir en défenseur d’un conflit impopulaire, l’équipe de Biden a en même temps peur de lâcher l’Afghanistan. Par conséquent, une période assez longue est allouée pour le retrait du contingent, pendant laquelle tout peut arriver. Par exemple, une attaque terroriste majeure, prétexte à reconsidérer la décision. Comme on sait, Washington n’a pas son pareil pour organiser des provocations qui lui sont profitables !
Les signes que les Américains ne sont pas du tout déterminés à mettre fin à la guerre se multiplient. Biden lui-même a mentionné que les États-Unis continueraient de surveiller les menaces émanant de l’Afghanistan et, “en préservant des atouts importants dans la région”, “renforceront leurs capacités de lutte contre le terrorisme”. Le directeur de la CIA, William Burns, a annoncé l’augmentation des capacités dans la direction afghane lors d’une audience au Sénat. Mais Blinkena été le plus franc de tous. Selon lui, Washington redéploiera ses troupes s’il y a des signaux d’une reprise de la menace.
En parallèle, l’opinion publique est mise en condition. Le rapport du renseignement national américain évalue les chances de parvenir à un accord de paix entre les talibans et Kaboul comme extrêmement faibles, et note également que les radicaux, sûrs de leur victoire, utilisent la force «pour façonner une nouvelle réalité politique». Un accent particulier est mis sur les liens des Taliban * avec Al-Qaïda *. Citant des sources de renseignement, le New York Times écrit que le groupe gagne en puissance et compte plus de 500 combattants dans la moitié des régions afghanes.
La sournoiserie des «soldats de la paix» ne s’arrête pas là. Comme on l’a appris récemment, l’effectif déclaré de forces américaines en Afghanistan – 2 500 soldats –ne comprend pas les unités des forces spéciales, qui représentent au moins 1 000 personnes supplémentaires. Les soldats des sociétés militaires privées sont également exclus de l’équation, et, selon certaines sources, ils sont au nombre de 18 000. Avec une telle double comptabilité, toutes les grandes promesses deviennent une farce. En outre, comme l’a déclaré le Pentagone après le discours de Biden, le nombre de troupes américaines en Afghanistan pourrait même augmenter dans un avenir proche. Cette mesure est jugée nécessaire pour garantir la sécurité du «retrait ordonné des troupes». Des bombardiers stratégiques B-52 ont déjà été redéployés en Afghanistan.
Les plans de Washington sont révélés par l’édition américaine The Hill, périodiquement utilisée pour des fuites d’initiés. Il note que l’objectif principal de Biden est “de convaincre le peuple américain fatigué de la guerre que les États-Unis ne quitteront probablement jamais l’Afghanistan”. La seule question est de savoir quelle forme prendra la présence. Le journal prévoit un rôle plus important pour les alliés de l’OTAN, principalement la Turquie. Le choix d’Istanbul comme site de la conférence de paix et la campagne de propagande à l’intérieur de l’Afghanistan vont dans ce sens.L’ancien président Hamid Karzai, par exemple, a qualifié le système sociopolitique de la Turquie de meilleur exemple à suivre.
Un autre point exprimé dans la publication est tout aussi important. Selon le journal, l’Afghanistan est avant tout important pour faire face à Pékin. “La situation géographique du pays joue un rôle central dans la rivalité géopolitique de l’Amérique avec la Chine”, soulignent les auteurs, rappelant les gisements de métaux des terres rares. Ces réserves sont estimées à 3 billions de dollars et, en les exploitant, les États-Unis pourraient réduire leur dépendance à l’égard des approvisionnements en provenance de la Chine.
D’autres faits confirment le lien entre les intrigues de Washington en Afghanistan et la Chine. Le ministère chinois des Affaires étrangères avait publié une déclaration spéciale sur le retrait des troupes annoncé par M. Biden. Elle note que le contingent quitte l’Afghanistan sans avoir obtenu une amélioration de la situation sécuritaire et sans avoir résolu le problème du terrorisme. À cet égard, les forces extrémistes peuvent profiter de la situation, prendre le pouvoir et plonger la région dans le chaos.
Pékin n’aurait guère exprimé sa préoccupation, surtout à un tel niveau, s’il n’y avait pas de raisons impérieuses de le faire. Dans sa politique anti-chinoise, Washington mise sérieusement sur les accusations de répression par la RPC de la population musulmane de la région autonome ouïgoure du Xinjiang. Une série de sanctions ont été imposées et Washington menace Pékin de boycotter les Jeux olympiques d’hiver de 2022. Et en retirant le Mouvement islamique du Turkestan oriental (ETTIM) * de la liste des organisations terroristes, les États-Unis ont clairement indiqué que la pression ne se limiterait pas à des mesures diplomatiques. Disposant de bases en Afghanistan, le groupe, selon la publication française Atlantico, est soutenu par les services de renseignement américains et turcs, et l’ambassade américaine à Ankara reçoit des personnes qui lui sont proches.
L’histoire récente regorge d’exemples de la façon montrant comment des organisations islamistes favorisées accomplissent les tâches assignées par le capital occidental. On peut citer le soutien aux moudjahidines afghans dans les années 1980, et le renversement de Mouammar Kadhafi, et la guerre civile syrienne avec le monstre de «l’État islamique» (EI) *. Le retrait des troupes d’Afghanistan pourrait déclencher un autre processus de ce type,d’autant plus que la concentration de groupes terroristes tels que l’EI * et l’ETIM * a lieu précisément dans les provinces du nord-est les plus proches de la Chine – Badakhshan, Kunar, etc.
Ce scénario est d’ailleurs admis par des analystes chinois, dont Yang Wei, professeur à l’Institut d’études du Proche-Orient de l’Université du Nord-Ouest. Selon eux, la présence croissante d’islamistes radicaux en Afghanistan constitue une réelle menace pour la sécurité nationale de la Chine et pourrait entraîner une situation tendue au Xinjiang.
De nouvelles lignes de fracture
On peut supposer que les stratèges américains veulent faire d’une pierre deux coups en orientant la poussée de l’activité extrémiste. Premièrement, ils veulent créer un foyer de tension près des frontières de la Chine. Deuxièmement, ils veulent s’en servir comme prétexte pour maintenir une présence en Afghanistan. Mais comme vous le savez, le génie peut s’échapper de la bouteille et causer beaucoup de problèmes. Avec leurs aventures, les États-Unis menacent de lancer une réaction incontrôlée et de faire exploser toute la région.
L’engrenage de violence qui se déploie en est un signe. Du 17 au 30 avril seulement, environ deux cents membres des forces de sécurité et près d’une centaine de civils ont été tués en Afghanistan. De violents combats ont lieu dans tout le pays. Les talibans* se sont de facto retirés du processus de négociation. Cela s’applique tant au format interafghan qu’au dialogue impliquant des médiateurs étrangers. Les insurgés affirment que le retrait total des forces d’occupation, la libération de tous leurs combattants des prisons et le retrait de la direction du mouvement de la liste noire des terroristes du Conseil de sécurité des Nations unies sont les conditions à la poursuite des contacts.
Dans ce contexte, l’élite dirigeante est divisée. Les préparatifs de la conférence d’Istanbul l’ont bien mis en évidence. Le Conseil suprême de réconciliation nationale, un organe dirigé par Abdullah Abdullah, opposant de longue date au président, a préparé un plan de paix à son intention. Le document a toutefois suscité de vives critiques de la part de l’équipe du chef de l’État. Il s’agissait d’une continuation de la querelle sur le remaniement du gouvernement. Abdullah s’est notamment opposé à la démission du ministre de l’Intérieur Masoud Andarabi.
En réponse, le président Ashraf Ghani a signé un décret établissant un conseil d’État suprême. Le nouvel organe, sous sa propre direction, a des fonctions très vagues, mais Ghani y a inclus des partisans d’Abdullah avec l’intention explicite d’affaiblir son rival. Parmi eux figurent Abdul-Rashid Dustum, Mohammad Mohaqiq, Yunus Qanuni et plusieurs autres.
Pendant ce temps, la Société islamique d’Afghanistan, l’un des partis les plus anciens et les plus influents du pays, s’est divisée. Son congrès s’est accompagné de fusillades entre les gardes de sécurité de certains de ses dirigeants, et ses chefs Salahuddin Rabbani, Ismail Khan et Ahmad Zia Masoud ont accusé leur ancien allié Atta Mohammad Nur d’usurper le pouvoir.
L’émergence de nouvelles lignes de division, notamment religieuses, est tout aussi inquiétante. La province de Wardak, peuplée majoritairement de chiites Hazaras, fait partie des régions en difficulté. Il y a quelques années, ils ont formé une milice sous la direction d’Abdul Ghani Alipour pour se défendre contre les islamistes face à une autorité centrale faible.
La popularité du commandant a fortement contrarié Kaboul. Il avait déjà été arrêté en 2018, libéré seulement après des manifestations de masse et l’intervention de politiciens hazaras. Cependant, une nouvelle tentative de neutralisation d’Alipour a suivi à la fin du mois de janvier de cette année. Les autorités ont remplacé un certain nombre de chefs de police qui lui étaient fidèles et ont introduit des forces gouvernementales dans la province. Cela a conduit à des affrontements qui ont fait des morts parmi la population locale. Des dizaines de partisans d’Alipour ont été arrêtés.
Refusant d’obéir au gouvernement, la milice occupe les administrations de plusieurs comtés. Des affrontements de grande ampleur ont éclaté au cours desquels un hélicoptère de transport militaire Mi-17 a été abattu. Les médias pro-gouvernementaux ont commencé à accuser l’Iran de soutenir Alipour. Ils ont été rejoints par des publications occidentales et des groupes de réflexion influents, dont la Jamestown Foundation, basée aux États-Unis. Selon leurs allégations, Téhéran transfère en Afghanistan des combattants de la brigade des Fatimides qui lutte contre l’EI en Syrie.
Ashraf Ghani a fait un certain nombre de déclarations anti-iraniennes. Lors de l’inauguration d’un barrage dans la province de Nimroz, il a déclaré qu’à partir de maintenant, l’Iran ne pourra pas utiliser librement l’eau des rivières transfrontalières, bien que l’accord afférent entre les pays soit en vigueur depuis de nombreuses années. Une cible indirecte de ces attaques est la Chine, avec laquelle l’Iran renforce sa coopération stratégique. La région est donc très, très loin de la paix.
* Organisation interdite dans la Fédération de Russie.
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