Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Il y a 30 ans, la turbulente naissance de la Mano Negra à Sèvres, ville alors communiste…

Dans une ville qui n’a plus grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui, le groupe fondé par Manu Chao sortait son tout premier 45 tours à la fin de l’année 1987. Rapidement, sa renommée allait devenir nationale, puis internationale. Cette histoire est celle de notre jeunesse : être communiste c’était une incroyable aventure. Il y avait la ligne du parti, nous y croyions dur comme fer mais dans les faits et dans les fêtes, nous faisions ce que notre vitalité nous inspirait. Quand la droite reprenait le pouvoir en jouant sur la stigmatisation, les différences, le bien pensant autant que sur la politique de désindustrialisation que les socialistes et elle mettaient en œuvre, elle traquait les communistes. Et puis il y eut nos propres culs bénis ceux qui nous interdirent de prononcer le mot “socialisme”et qui suivaient les socialistes comme des moutons. (note de Danielle Bleitrach, histoireetsociete)
 Sèvres, mai 1983. Manu Chao n’a que 22 ans, lorsqu’il se produit en concert sur une petite scène (ici en contrebas de la rue des Caves), avec son groupe les Hot Pants, aux côtés de Pascal Borne et de son cousin « Santi ». Avec d’autres musiciens de la ville, Manu Chao créera la Mano Negra, quatre ans plus tard.
Sèvres, mai 1983. Manu Chao n’a que 22 ans, lorsqu’il se produit en concert sur une petite scène (ici en contrebas de la rue des Caves), avec son groupe les Hot Pants, aux côtés de Pascal Borne et de son cousin « Santi ». Avec d’autres musiciens de la ville, Manu Chao créera la Mano Negra, quatre ans plus tard. (DR.)

Par Anthony Lieures Le 28 décembre 2017 à 12h34

C’est une facette méconnue de l’histoire de Sèvres, plus réputée pour sa manufacture de porcelaine que pour son passé… de berceau du rock alternatif en France, dans les années 1980. Il y a tout juste 30 ans, naissait pourtant dans la commune ce qui allait devenir l’un des plus grands groupes de l’époque : la Mano Negra.

Son fondateur, Manu Chao, son frère Tonio, son cousin Santi et plusieurs musiciens vivent alors tous dans la petite commune des bords de Seine. En fin d’année 1987, le groupe sort son premier 45 tours : « Takin’It Up », comprenant trois morceaux. Le premier album, « Patchanka », est enregistré dans la foulée. En quelques mois, la Mano devient célèbre dans le monde entier.

Quelques années plus tôt, la ville frémissait déjà. « On a du mal à l’imaginer maintenant, mais après le choc pétrolier de 1973, beaucoup de travaux s’étaient arrêtés et des pans entiers de Sèvres étaient complètement en friche », se souvient Thomas Darnal, le claviériste du groupe, enfant de la commune, et qui est revenu y vivre il y a quelques mois.

Dans l’ancienne usine, « du gros rock qui tâche »

« C’était un terrain de jeu incroyable, poursuit-il. Si l’on était un peu bricoleur, tout le monde pouvait se retaper un lieu de répét’ abandonné. Manu avait son squat. J’avais le mien… » Le lieu le plus ardent s’appelle la « MPMC », une ancienne usine de caoutchouc que la municipalité communiste venait de racheter.

S’y monte un café associatif où les concerts s’enchaînent. « C’était un lieu unique dans la région. Tout le milieu underground venait, c’était sublime », raconte le claviériste. Ici, les groupes se mélangent. On croise Manu Chao avec ses premières formations : Joint de Culasse et les Hot

« Il faisait de la musique avec une énergie pas possible… C’était du bon gros rock qui tache », se souvient Luc Blanchard, alors directeur de Qui Vive, mensuel alternatif qui sévissait à Sèvres entre 1981 et 1988. Il décrit, dans ce lieu, les « énormes pogos, les scènes de folie collective »… Mais aussi ces « castagnes avec les flics », qui n’étaient pas rares à l’époque.

Car la ville, proche des ateliers Renault de l’île Seguin, n’était pas aussi tranquille qu’aujourd’hui. « La population était très mélangée, mais ça vivait bien ensemble », assure Thomas Darnal. En 1983, la municipalité bascule pourtant à droite et fait de la fermeture de la MPMC un combat symbolique.

Le groupe se retrouve au moins une fois par an

Mais la jeunesse résiste et squatte le lieu qui finira par être violemment évacué par des hommes de main du maire (UDF) de l’époque, Jean Caillonneau. L’édile sera même condamné, quatorze ans plus tard, pour cette expulsion réglée par un commando armé de grenades lacrymogènes et de matraques.

Dans ce contexte, la Mano Negra voit le jour avec ses textes révoltés aux influences multiples, chantés tantôt en français, anglais ou espagnol. Le groupe se monte sous la forme d’une coopérative. « Tout le monde touchait la même chose sur les concerts, rappelle Franck Mahaut, l’éclairagiste du groupe. Sur les ventes, Manu touchait la part des textes, car il écrivait tout, et on se répartissait la partie musique. Ça n’avait jamais existé ailleurs et je crois que cela restera unique (rires). »

A ses débuts, le groupe continue de répéter à Sèvres, dans le garage de la famille Chao. « Il y avait une petite montée pour y accéder, se souvient le technicien. On l’appelait le Mont Chao ! » Mais les tensions avec la mairie restent fortes. Un jour, la Mano tente d’organiser une fête de la Musique. La ville refuse, le groupe passe en force. « On pensait organiser un truc tranquille entre nous, pour faire la nique au maire, mais des gens sont venus de partout, c’était de la folie », s’en amuse encore l’éclairagiste.

Il y a 30 ans, la turbulente naissance de la Mano Negra  à Sèvres

La Mano Negra, lors d’un concert à La Défense, en 1991.

Mais peu à peu, le groupe s’éloigne de la ville de ses débuts. Multiplie les scènes, fait chavirer La Défense lors d’un concert inédit en 1991, menacé d’annulation jusqu’au dernier instant. Se lance ensuite dans une tournée mythique en Amérique du Sud en cargo puis en train. Avant de se séparer dans la douleur en 1994. Manu Chao poursuivant sa route, solo.

Aujourd’hui, le groupe se retrouve au moins une fois par an. « On se fait généralement une bouffe en février dans une pizzeria à Paris », raconte Franck Mahaut. Jusqu’à imaginer les revoir tous un jour sur scène ? « On en parle parfois, mais il y en a toujours un qui n’est pas d’accord, souffle-t-il. On est plusieurs à l’espérer, d’autres moins. Mais ça ne se fera que si tout le monde est partant… » « La Mano nous a donné envie de faire de la musique »

David Jarry-Lacombe, codirecteur de l’association SUM, qui fait à la fois école de musique, lieu de répétition et de concerts, à Sèvres. (LP/A.L.)

Trente après sa naissance, que reste-t-il de la Mano Negra à Sèvres ? En contrebas de la rue de Versailles, à l’entrée de l’association SUM (Sèvres Unité Musique), le clin d’œil est évident. Le logo, une étoile noire barrée d’un texte rouge, rappelle celui du groupe fondé par Manu Chao. Ici, dans sa jeunesse, le chanteur a même chaussé les gants lorsque le lieu n’était encore qu’une salle de boxe.

David-Jarry Lacombe, codirecteur de SUM, assume la filiation : « On a toujours la Mano Negra dans un coin de la tête, sourit-il. Pour beaucoup, ici, c’est elle qui nous a donné envie de faire de la musique. Et l’énergie pour développer des projets à Sèvres, pour se structurer. » Certain que la commune, avec ce passé artistique, profitait d’un « microclimat propice » à la création musicale. L’association organise ainsi, chaque année, le festival Les Aiguilleurs.

Les groupes « made in Sèvres » ne sont d’ailleurs pas rares, avec notamment Gunwood, qui a rempli la Maroquinerie, à Paris, en octobre dernier. C’est également chez SUM que répète le groupe Jahneration, qui se produira en mars prochain au Trianon… et que Manu Chao a souvent croisé en festival ! En novembre dernier, l’ancien leader de la Mano est même passé dans l’association, saluer le duo de reggaemen.

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