Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Assimilation et Empire, par Xin

Un article qui décrit les étapes de “l’assimilation” impérialiste comme une arme de guerre contre le socialisme chinois. Demain, nous publierons un texte sur la manière dont les “séparatistes ouïghours” sont utilisés, militarisés par l’extrême-droite US mais aussi par le FBI et la CIA. L’intérêt de cette prise de conscience chinoise c’est qu’en renouant avec Franz Fanon, elle dépasse le multiculturalisme dans lequel on voudrait enfermer les gens issus de l’immigration. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

LE 1ER AVRIL ÉCRIT PAR XIN

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Réfléchissant à l’impulsion du racisme anti-asiatique au cours de la dernière année, l’écrivain sino-cnanadien Xin interroge le regain d’enthousiasme pour la politique de représentation dans le discours nord-américain. Ce schéma libéral trompeur, dit-il, mise avec la reconnaissance politique des Américains d’origine asiatique sur la création d’une classe d’informateurs autochtones diasporiques conçue pour propulser la dénonciation du socialisme asiatique par l’empire américain.


Au cours de la pandémie COVID-19, il y a eu une augmentation exponentielle de la violence contre les Américains d’origine asiatique : rien qu’à New York, on a signalé que la violence avait  augmenté de 1900 %, alimentée par le sentiment anti-asiatique. La base de données « Stop AAPI Hate » a fait état de 2 808 incidents de discrimination anti-asiatique entre le 19 mars et le 31 décembre de l’année dernière. Toutefois, le stéréotype selon lequel les Américains d’origine asiatique sont la « minorité modèle » — en tant que groupe qui a le privilège de classe, la mobilité ascendante et les valeurs du « travail acharné » — a limité la façon dont nous parlons de cette discrimination et de cette injustice.

En tant que membre d’une famille d’immigrants libéraux, j’ai grandi avec mes parents en me rappelant qu’être en Amérique du Nord serait mieux pour ma vie, que je serais capable de réaliser tous mes rêves et de réussir en tant qu’individu. Bien sûr, la version du succès qu’ils avaient à l’esprit consistait en un salaire à six chiffres et une classe socioéconomique plus élevée qu’à leur arrivée au Canada. À ce jour, ils croient encore fermement au mythe de l’exceptionnalisme nord-américain, qu’ils considèrent comme un contraste frappant avec les tropes enracinés de l’autoritarisme asiatique : parce que « le gouvernement chinois est trop contrôlant — ici, nous avons la liberté de réussir à n’importe quoi tant que nous travaillons assez dur ! » Pourtant, cet état d’esprit minoritaire modèle, trop courant chez les familles d’immigrants, sape le fondement de la lutte contre la suprématie blanche et l’impérialisme. L’idéologie liée à l’assimilation de la bourgeoisie asiatique américaine doit être désapprise si nous voulons réussir à démanteler le bastion de l’impérialisme américain en Asie-Pacifique.

Imaginez mon chagrin quand j’ai appris la violence commise contre les Américains d’origine asiatique, tout cela en raison du lien supposé entre notre race et COVID-19. Comment ce qu’on appelle « l’Amérique du Nord » peut-il être la « terre d’opportunités » des rêves de mes parents pour moi alors que le racisme anti-asiatique et la suprématie blanche continuent de sévir? J’ai passé la plupart de mon temps à l’école primaire et secondaire essayant désespérément de m’adapter à mes pairs blancs, niant mon héritage chinois et me distanciant de ceux qui vivent dans l’« état autoritaire » de la Chine, le tout dans l’espoir que mes amis me verraient comme « Canadien », comme l’un d’eux. Mes parents voulaient désespérément que je m’assimile aussi, me rappelant constamment que je serais en mesure de réussir en Occident et seulement en Occident parce que le PCC est « contrôlant » et « autoritaire », en utilisant des tactiques immorales et antidémocratiques pour garder leurs citoyens obéissants et soumis.

Pour beaucoup de familles d’immigrants chinois, la méfiance à l’égard du socialisme est née en grande partie sur la base de l’ancien caractère de classe. Par exemple, avant la Révolution culturelle, la famille de ma mère possédait une grande superficie de terres, enrôlant des paysans pour travailler et cultiver la propriété. Pendant la Révolution culturelle, la tante de ma mère a dû épouser quelqu’un d’une classe socio-économique inférieure afin de sauver sa famille et d’éviter que leurs biens ne sont saisis par l’État. Il n’est donc pas surprenant qu’ils soient reconnaissants de la « liberté » que le Canada accorde et se sentent obligés d’exprimer leur gratitude de diverses façons, ce que l’universitaire Mimi Nguyen appelle le « don de la liberté ». Mes parents expriment leur gratitude en m’endoctrinant, en pensant que le système démocratique du monde occidental sera toujours meilleur que de vivre sous la domination du PCC. Ces paroles et ces sentiments m’ont conduit à mon propre engagement à soutenir l’Occident, qui s’est fait au détriment de la désapprobation de la Chine et du PCC. J’ai grandi apolitique, ne m’exprimant que pour dire mon aversion pour le « régime communiste » que mes parents avaient fui et mon souci pour le peuple de ma patrie que je présumais être « en train de souffrir  » sous un gouvernement autoritaire. À mon insu, j’avais intériorisé l’anticommunisme latent de nombreux parents immigrants.


Pour de nombreuses familles d’immigrants chinois, la méfiance à l’égard du socialisme est largement basé sur le caractère ancien de la classe.


Ce que j’ai également échoué à réaliser, c’est qu’avec mes remarques anti-Chine, j’étais finalement en train de nourrir la machine impérialiste occidentale, lui donnant le carburant rhétorique dont elle a besoin pour augmenter les craintes belliqueuse contre la Chine et établir l’Ouest comme un bastion mondial. Avec son bastion de  bases militaires à travers  l’Asie et le Pacifique, les États-Unis se sont imposés comme l’hégémonie militaire et économique dans la région. Pourtant, ils maintiennent leur présence coercitive et violente en Asie comme le « don de la liberté et de la démocratie ». En développant le discours confessionnel des populations de la diaspora asiatique sur nos patries « autoritaires », le gouvernement américain a activement transformé son occupation illégale en un fantasme blanc de sauveur de la dignité et du mérite.

En réalité, la présence militaire accrue est une méthode explicite par laquelle les États-Unis sont en mesure de s’établir comme une menace constante pour la Chine. L’empire des bases des États-Unis nous rappelle que l’avenir politique et les possibilités de la Chine sont toujours limités par le « confinement » des États-Unis, dans lequel les représailles s’opèrent étape par étape. Les États-Unis sont également en mesure d’en profiter pour décrire leur État comme une « nation d’immigrants » et « le leader du monde libre », ce qui fonde leur mission de « libérer » toutes les personnes souffrant dans le bloc socialiste.

Au fur et à mesure que je progressais à l’école secondaire, j’ai lentement commencé à apprendre que mes efforts ne servaient à rien : les Blancs ne m’accepteraient jamais comme l’un des leurs. J’ai donc commencé à renouer avec mon héritage, quoique de façon superficielle et esthétique : thé à bulles et compréhension superficielle de la culture chinoise. Ce paradoxe particulier de tenter de renouer avec sa patrie tout en s’assimilant simultanément à l’Occident est abondamment discuté par Frantz Fanon dans Les damnés de la Terre, une œuvre que j’ai eu l’occasion de lire l’été dernier, et que je recommanderais fortement à toute personne colonisée pour en apprendre davantage sur sa relation avec ses colonisateurs. Dans un chapitre particulier, « Sur la culture nationale », Fanon écrit sur les trois étapes qu’un intellectuel colonisé traverse jusqu’au point de la révolution. La lecture de ce chapitre m’a fait réaliser que la plupart, sinon toute, diaspora ont connu la première étape : « prouver qu’il a été assimilé [dans] la culture du colonisateur ». C’est là que nous essayons tous de nous intégrer dans l’Occident, au détriment de perdre notre culture, parce que nos motivations à avancer dans un État occidental conduisent à une vision tunnel, où notre seul objectif est d’assimiler. La deuxième étape est l’endroit où la plupart des diasporas chinoises stagnent :

… l’écrivain colonisé a ses convictions ébranlées et décide de se ressourcer. Mais puisque l’écrivain colonisé n’est pas intégré à son peuple, puisqu’il entretient une relation d’extérieur avec eux, il se contente de se souvenir. De vieux souvenirs d’enfance feront surface, de vieilles légendes seront réinterprétées sur la base d’une esthétique empruntée, et d’un concept du monde découvert sous d’autres cieux.

En présentant leur image profonde de leur culture à l’Occident, les diasporas sont capables de renouer avec leur culture tout en essayant d’être acceptées dans le noyau impérial. Le multiculturalisme en Occident permet à la diaspora de célébrer et de marchandiser superficiellement nos cultures, tout en nous récompensant d’avoir dénoncé les projets politiques de nos pays d’origine. Parce que la diaspora ne peut maintenir la relation d’un étranger à son passé, ils ne peuvent découvrir et comprendre leur passé que sur un plan peu profond « sous d’autres cieux », que Fanon utilise pour référencer les nations dans lesquelles la diaspora réside. Si nous voulons réussir à nous organiser et à travailler au démantèlement de l’hégémonie occidentale, nous devons aller au-delà d’une identification culturelle de surface avec nos patries et forger de véritables solidarités politiques avec elles.


En présentant leur image profonde de leur culture à l’Occident, les diasporas sont capables de renouer avec leur culture tout en essayant d’être acceptées dans le noyau impérial. Le multiculturalisme en Occident permet à la diaspora de célébrer et de marchandiser superficiellement nos cultures, tout en nous récompensant d’avoir dénoncé les projets politiques de nos pays d’origine.


L’accent est mis sur la représentation des Américains d’origine asiatique et ceux choisis comme figures de proue qui sont soigneusement sélectionnés pour réaffirmer les idéologies du libéralisme et de l’impérialisme américains, ce qui les rend préjudiciables à la lutte contre l’impérialisme occidental à l’échelle internationale et nationale. Il est révélateur qu’au lieu de faire le lien avec leurs camarades dans leur pays d’origine ou de se concentrer sur les questions intérieures (p. ex. libération des Noirs, souveraineté autochtone et destruction de l’hégémonie occidentale sur l’hémisphère), la culture américaine d’origine asiatique célèbre les fruits vides de la soi-disant représentation, un geste libéral misé sur l’assimilation, témoignant d’une reconnaissance partielle du pouvoir politique.


L’assimilation asiatique dans la classe impérialiste américaine dépend de devenir un informateur autochtone et de confirmer les points de discussion impérialistes des États-Unis sur la Chine.


Le plus souvent, l’assimilation asiatique dans la classe impérialiste américaine dépend de la capacité de l’individu à devenir un informateur autochtone et de confirmer le discours des impérialistes des États-Unis sur la Chine. Par exemple, dans une interview à CNN, Andrew Yang, qui est actuellement candidat à la mairie de New York, exprime l’importance de faire la distinction entre le peuple chinois et son gouvernement, et s’empresse de blâmer ce dernier pour son manque de transparence sur le virus. Sa méfiance et son aversion à l’égard du PCC n’agissent que comme confirmation de la représentation négative du gouvernement chinois en Occident. Un autre exemple est la députée californienne Judy Chu : lorsque la sénatrice Marsha Blackburn a  tweeté  : « La Chine a 5 000 ans d’histoire de tricherie et de vol. Certaines choses ne changeront jamais », Chu s’est abstenue de commenter la question; son silence marquait un accord complice avec Blackburn. On se demande: si Chu s’était prononcée contre le sénateur, quel genre de réaction aurait-elle du subir? Lorsque le film Mulan a été diffusé par Disney en 2020, les critiques de cinéma occidentaux et les militants politiques ont été prompts à prendre sur les médias sociaux, se ralliant pour le boycott du film parce que le leader féminin Liu Yifei y a défendu la position de la RPC sur Hong Kong. À l’autre extrémité du spectre, Yang Shuping, un diplômé international chinois de l’Université du Maryland, a été célébré pour son discours de fin d’études, dans lequel elle a  partagé des remarques anti-Chine et pro-Amérique. Le contraste entre Liu Yifei et les autres réactions individuelles indique clairement que la politique de la représentation des Américains d’origine asiatique est souvent utilisée pour justifier les idéologies de l’impérialisme américain, il y a ceux qui appuient la ligne américaine en étant récompensés et ceux qui le contestent qui sont rejetés et réduits au silence.


Notre objectif ne devrait pas être de s’assimiler à l’Occident, mais plutôt d’organiser nos communautés, de nous éduquer et de nous tenir aux adages des peuples exploités d’Asie et du Pacifique, dont les voies de vie et la survie ont et continuent  d’être menacées par la militarisation des États-Unis.

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