Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Georg Lukács ou les effets de Thermidor sur les illusions petites bourgeoises

La réaction thermidorienne et ses effets sur les petits bourgeois. il y a eu la fin de l’URSS, précédée par mai 68 avec toutes les illusions romantiques d’une petite bourgeoisie déjà violemment anticommuniste qui trouva en Mitterrand le maître es revirements. Il y a même une partie de ceux qui avaient adhéré jadis au PCF abandonnant en rase campagne toute conscience théorique de la période ne rêvant que de se soumission à ce mitterrandisme d’hier et d’aujourd’hui. Il y a apparemment les “intransigeants” mais qui ne savent que nous faire le coup de l'”urgence” face au fascisme pour en fait être d’accord avec eux pour promouvoir Mélenchon digne successeur de Mitterrand. Le détour théorique par le texte de Lukacs est utile. Parce qu’il décrit la gamme des réactions face la contre révolution. Le plus fascinant c’est quand cette petite bourgeoisie, des anciens gauchistes, critique Cuba ou la Chine en constatant ou en inventant que leurs dirigeants ont trahi l’idéal communiste… Il faut voir les interventions navrées dans les réseaux sociaux quand un plumitif à la solde de l’empire reprenant les “démonstrations” abjectes d’un Robert Ménard stigmatise non pas les conséquences du blocus sur une population civile, le crime réel commis contre des vieillards et des enfants, mais acceptent de le justifier en feignant de s’indigner devant une “élite” qui serait aussi corrompue que la nôtre. Lire ce que la réaction thermidorienne a produit en matière de compréhension ou d’incompréhension historique nous permet d’apprécier le fait que c’est parfois chez les capitalistes que la conscience de la période parait en France la plus aiguë, la plus acérée. Je me demande souvent pourquoi des jeunes gens qui rappellent Hölderlin se sentent proches de ce blog, parce que nous posons justement l’état réel de la dévastation à laquelle ils sont confrontés même s’ils n’ont pas connu la chute de l’URSS. Peut-être feront-ils partie de ceux qui ont conscience de la transition que nous vivons et qui trouveront en eux la force de résister. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

25/03/2021

Avec une clarté inimitable Marx a découvert la base sociale de la vénération de l’antiquité pendant la grande Révolution Française.(1)

« Aussi peu héroïque que soit la société bourgeoise, elle avait néanmoins besoin d’héroïsme, de l’esprit d’abnégation, de terreur, de guerre civile et de guerres entre nations pour s’engendrer. Et c’est dans les traditions classiques rigoureuses de la République romaine que ses gladiateurs ont trouvé les idéaux et les formes d’art, les illusions dont ils avaient besoin pour dissimuler d’eux-mêmes le contenu civique limité de leur lutte et maintenir leur passion sur le terrain de la grande tragédie historique.

La situation particulière de l’Allemagne pendant la transition de la bourgeoisie de son moment héroïque à sa période non héroïque réside dans le fait que le pays lui-même était encore loin d’être assez mûr pour une véritable révolution bourgeoise, mais que dans l’esprit de ses meilleurs idéologues, la flamme héroïque de ces « illusions » était appelée à s’enflammer; dans le fait que la transition tragique de l’âge héroïque de la république des projets rêvée par Robespierre et Saint-Just au capitalisme prosaïque devait se faire d’une manière purement utopique et idéologique sans révolution préliminaire.

Au séminaire de Tübingen, trois jeunes étudiants ont vécu dans une joie débordante les grandes journées de la libération révolutionnaire de la France. Ils plantèrent avec un enthousiasme juvénile un arbre de la liberté, ils dansèrent autour de lui et jurèrent une fidélité éternelle à l’idéal du grand combat pour la liberté. Chacun de ces trois jeunes gens – Hegel, Hölderlin, Schelling – a représenté dans son développement ultérieur une possibilité type de la réaction allemande devant l’évolution de la France. A la fin de sa vie, Schelling se perdit dans l’obscurantisme borné d’une réaction abjecte du néo-romantisme, et cela à l’époque où se préparait la Révolution de 1848. Hegel et Hölderlin n’ont pas trahi leur serment révolutionnaire. Mais la manière différente dont ils l’ont interprétée lorsqu’il s’est agi de le réaliser révèle clairement les voies idéologiques que pouvait et devait suivre en Allemagne la préparation de la Révolution bourgeoise.

L’assimilation intellectuelle des idées de la Révolution française était encore loin d’être achevée chez Hegel et Hölderlin lorsqu’à Paris la tête de Robespierre était déjà tombée, lorsque Thermidor et après lui la période napoléonienne occupaient la scène de la réalité. Le développement de leur vision du monde devait donc s’effectuer sur le fondement de ce tournant révolutionnaire de la France. Avec Thermidor, le contenu prosaïque des formes antiques et héroïques, la société bourgeoise avec sa progressivité et aussi son ignominie, apparaissaient de plus en plus au premier plan. Et l’héroïsme différent de la période napoléonienne plaçait les penseurs allemands devant un dilemme insoluble : la France napoléonienne d’une part était un idéal lumineux pour cette grandeur nationale qui ne pouvait éclore que sur les fondements d’une révolution victorieuse, mais d’autre part, ce même Empire Français plongeait l’Allemagne dans le plus profond déchirement et la plus profonde humiliation nationale. Et puisque en Allemagne les conditions objectives d’une révolution bourgeoise, qui aurait été capable d’opposer à la conquête napoléonienne une défense révolutionnaire de la patrie analogue à celle de 1793, faisaient défaut, l’aspiration en son essence bourgeoise et révolutionnaire, à la libération nationale et à l’unité nationale se trouvait placée devant un dilemme sans issue qui devait aboutir à un romantisme révolutionnaire était confronté à un dilemme insoluble qui était destiné à conduire à un romantisme réactionnaire. « Toutes les guerres d’indépendance menée contre la France portent le sceau commun d’une régénération qui va de pair avec la réaction » (Marx).

Ni Hegel ni Hölderlin ne se sont laissés séduire par cette réaction romantique. Leur clarification idéologique devant cette situation post-thermidorienne prend cependant des directions diamétralement opposées. En quelques mots: Hegel accepte l’époque post-thermidorienne et la fin de la période révolutionnaire de l’évolution bourgeoise, et il construit sa philosophie précisément sur une compréhension de ce nouveau tournant de l’histoire universelle. Hölderlin n’accepte aucun compromis avec la réalité post-thermidorienne; il demeure fidèle à l’ancien idéal révolutionnaire d’une renaissance de la démocratie antique et il est brisé par une réalité qui n’avait plus de place pour ses idéaux, pas même sur le plan poétique et idéologique.

Les deux voies reflètent d’une manière contradictoire, le développement inégal de la pensée bourgeoise-révolutionnaire en Allemagne.

Cette inégalité de développement – Hegel la désigne lui-même d’une manière idéaliste et idéologique comme la « ruse de la raison » – s’exprime surtout en ce que l’accommodation idéologique de Hegel à la réalité post-thermidorienne devait le conduire sur cette grande voie du développement idéologique de sa classe, à partir de laquelle un progrès de l’évolution intellectuelle jusqu’à la transformation des méthodes de pensée bourgeoises et révolutionnaires en méthode prolétariennes-révolutionnaires (renversement matérialiste de la dialectique idéaliste de Hegel par Marx) devient possible. L’intransigeance de Hölderlin a abouti à une impasse tragique. Inconnu, pleuré par personne, il est tombé comme un Léonidas poétique et solitaire des idéaux de la période jacobine aux Thermopyles de l’invasion thermidorienne.

L’accommodation de Hegel mène sans doute d’une part à son reniement du républicanisme révolutionnaire de la période de Berne. Elle le mène à travers son enthousiasme pour Napoléon jusqu’à la conciliation idéologique avec la misère d’une monarchie constitutionnelle prussienne. Mais elle le mène d’un autre côté, – bien que de manière idéaliste déformée et inversée – à la découverte intellectuelle et à l’élaboration de la dialectique de la société bourgeoise. Chez Hegel, l’économie politique anglaise classique apparaît pour la première fois comme un élément de la conception dialectique de l’histoire du monde qui n’est qu’une forme idéologique, un reflet idéaliste du fait que pour Hegel la dialectique du capitalisme lui-même est devenue le fondement de la dialectique de la réalité contemporaine. L’idéal jacobin d’une lutte contre l’inégalité des fortunes et l’illusion jacobine du nivellement économique d’une société basée sur la propriété privée capitaliste disparaît pour laisser place à une prise de conscience cynique des contradictions du capitalisme inspirées par Ricardo. « Les usines et les fabriques sont fondées précisément sur la misère d’une classe », écrit Hegel quelques années après son virage vers une évaluation des événements contemporains. La république polis disparaît comme un idéal à réaliser. La Grèce devient une chose du passé, irrévocablement révolue.

(1) textes introduction,choix et présentation des textes, chronologie et élements de bibliographie de ClaudePrevost messidor, éditions sociales 1985 p.211

Vues : 377

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.