Il y a en particulier un interview de Chloé Froissart, une sinologue de l’INALCO (Intitut national des langues et civilisations orientales), spécialiste de la question de l’Etat-parti, “du régime“. Sa problématique est simple: non seulement la Chine est communiste donc totalitaire et Xi en est la clé de voûte, mais plus l’ensemble parait fort plus il est fragile. “son pouvoir repose sur la terreur, dit-elle, mais il vit dans la terreur“… Tiens comme Robespierre, dont une émission récente de la 5 a tenté de nous démontrer à partir d’un masque mortuaire apocryphe qu’il était malade de haine, lui et Marat (1).
Chloé Froissart s’acharne sur son objet : “Le PCC éradique tout ce qu’il ne peut pas absorber“. Selon cette dame rien n’est sauvable dans le “régime chinois”, même pas l’incroyable développement du pays, même pas être passé en soixante et dix ans du PIB du Zimbawe à la deuxième puissance du monde, avoir résorbé la misère, le sous-développement. De tout cela il ne sera même pas question. L’œuvre du PCC se limiterait selon elle à la surveillance maniaque :”l’emprisonnement des activistes et la création des cellules du parti dans les entreprises y compris les sociétés étrangères“. Je n’invente rien le propos se limite à cette description horrifique qui mêle goulag à organisation de base du parti (2).
Xi Jinping, selon cette dame, vit dans la terreur à l’image de l’appareil et ses 90 millions de membres complètement en proie à la paranoïa totalitaire : “l’image de leader infaillible que lui construit la propagande le fragilise, il n’a pas le droit à l’erreur”.(3)
Madame Froissart ajoute un exemple : “La crise due au coronavirus a d’ailleurs été gérée comme une atteinte à la sécurité nationale, l’armée a été envoyée à Wuhan et les journalistes citoyens ont été emprisonnés.” Le résumé de l’action du PCC dans la bataille contre l’épidémie est saisissant et c’est la seule chose qui doit demeurer dans les esprits occidentaux. Qu’il soit permis aux mauvais esprits que nous sommes de préférer une armée qui reste dans le pays pour soulager une épidémie au lieu d’aller porter le fer et le feu là où personne ne l’a sollicitée, voilà qui doit être effectivement bien effrayant.
De quel lieu la Chine est-elle”jugée”, d’où est entamé le procès? Ce n’est pas de la part d’un chercheur intéressé à comprendre son objet, mais de la part d’un propagandiste du système capitaliste et d’un suprématiste occidental.
Le système capitaliste et son avidité démente a déjà plongé des dizaines de millions d’Occidentaux – et peut-être des centaines de millions dans le Sud mondial – dans la misère. Ces chiffres ne peuvent être qu’indicatifs. La majeure partie des retombées économiques de la mauvaise gestion de la crise covid par les gouvernements occidentaux, c’est-à-dire les faillites, les perturbations commerciales, le chômage et les saisies de logements – une glissade massive dans la pauvreté – ne peut être enregistrée qu’en 2021 et au-delà. L’économie chinoise a souffert, principalement au cours du premier semestre 2020, mais ses actions décisives ont réussi à surmonter le chemin de destruction de la pandémie. À la fin de 2020, la production et les services de la Chine étaient revenus à 100 %. Grâce à cette efficacité exceptionnelle, l’Ouest et le Sud mondial peuvent continuer à compter sur l’approvisionnement de la Chine en biens vitaux tels que du matériel médical, des médicaments, de l’électronique et plus encore.
Comment une “sinologue” qui dispense son enseignement à des étudiants peut-elle se laisser emporter par la haine envers son objet au point d’ignorer que La Chine est la seule grande économie à avoir maîtrisé la crise économique provoquée par la covid, terminant 2020 avec une croissance de 2,3 %. A-t-elle songé à comparer avec les baisses économiques dans le rouge pour les États-Unis et l’Europe, de 25% à 35%, et de 10% à 15%, respectivement. Nous verrons que quand d’autres articles sont obligés de faire un tel constat c’est toujours en associant à celui-ci une vision suprématiste de leur supériorité civilisatrice. Certes la Chine a agi et continue d’agir pour le bien de son peuple et celui du reste de l’humanité mais elle est suspecte.
Au nom de qui et de quoi ?
Mais même si cette dame prétend se borner à la relation Etat-parti en ignorant totalement les performance de l’institution tout en notant les vices et les fragilités supposées, comment un chercheur digne de ce nom peut-il ignorer les milliers d’années d’histoire culturelle de la Chine et la tao-philosophie qui s’ensuit de la non-agression et de l’évitement des conflits, d’un esprit sociétal de création sans fin, ainsi que de la pensée à long terme, contraste radicalement avec les conflits occidentaux et la recherche instantanée du profit.
Il est vrai que si le critère de la démocratie est de ne pas croire à l’infaillibilité de nos dirigeants, nul pays n’est plus démocratique que la France peut-être les USA et le Brésil. Cela nous donne-t-il effectivement le droit de distribuer des leçons? Nos sinistres des univers mités, Vidal et Blanquer feraient bien de s’interroger sur ces têtes chercheuses idéologisées jusqu’à l’incompétence alors que l’UE est devenue le premier partenaire commercial de la Chine en 2020 même si cette cour du roi Pétaud de l’Europe désunie mais prédatrice est prise entre les bonnes œuvres de l’OTAN et les intérêts bien compris de ses entreprises.
Quelle formation adaptée ces gens délivrent-ils exactement aux étudiants? Dans des temps où l’UE et la France dans les premiers nouent des accords et y voient la seule opportunité pour tenter d’enrayer la crise dont ils sont entièrement responsables?
Dans un autre article déjà plus intéressant celui de Julien Boisseau nous est décrite la manière dont la Chine resserre sa trame commerciale sur le monde : p87 à 89 “Les Etats-Unis qui cherchent à isoler Pékin avec une violente guerre tarifaire, ont pour l’instant le plus grand mal à en tirer tous les bénéfices. Au mois de novembre 2020, la Chine n’avait importé que 86 millions de dollars (71 millions d’euros) de produits américains, soit seulement le tiers de ce qu’elle s’était engagée à acheter au début de l’année. Dans le sens inverse, les Etats-unis continuent d’importer massivement de Chine. Cette dernière a encore enregistré en 2020 un excédent commercial avec les Etats-Unis en hausse de 7,1% à 316,9 milliards de dollars, ont annoncé le 14 janvier les douanes chinoises. Pis la guerre tarifaire entre les deux puissances a poussé les constructeurs Tesla et BMW à relocaliser une partie de leur production américaine en Chine pour contourner les droits de douane.”
Cela n’est bien sûr pas dit mais l’ensemble du numéro brosse le tableau d’une Chine cherchant la paix et bénéficiant désormais du soutien de l’Afrique dans les institutions internationales (ce qui bien sûr provoque la ire des Français qui surveillent ce continent au profit des Etats-Unis plus que du leur d’ailleurs).
Le hors série est partagé en quatre chapitres 1) L’État parti omniprésent, nous avons vu le cas extrême de madame Chloé Froissart mais les autres ne valent pas mieux. 2) Les ambitions planétaires en gros il s’agit de la route de la soie et du développement 3) Une hégémonie régionale qui est marquée par la pacification et le gagnant gagnant 4) Un modèle sous pression qui bien sûr tente de démontrer que les succès sont fragiles alors qu’il faut reconnaitre que nos échecs ne provoquent pas le moindre doute.
Si la vision de madame Chloé Froissart d’une Chine secouée par la terreur et la paranoïa est d’une vulgarité intellectuelle inquiétante, la plupart des articles à partir de la page 80 sont plutôt dans la tonalité de l’entretien avec Pierre Grosser “la pax asiatica permet à la Chine de regarder vers d’autres horizons”. Depuis plus de trente ans, la Chine n’est plus menacée sur ses frontières, ce qui est une situation historique exceptionnelle au point que les rapports avec ses voisins se sont mêmes inversés en sa faveur” (p.80). Étrange cette Chine qui a pu se développer à ce rythme sans le moindre pillage et en favorisant la paix avec ses voisins.
Effectivement en se détachant de la dépendance occidentale, la Chine concentre le développement commercial et la coopération sur ses partenaires de l’ANASE. En novembre 2020, la Chine a signé un accord de libre-échange avec les dix pays de l’ANASE, plus le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, au total 15 pays, dont la Chine. Le Partenariat économique global régional (RCEP) couvre quelque 2,2 milliards de personnes, soit environ 30 % du PIB mondial. Cet accord est une première par la taille, la valeur et la teneur – dans le monde entier. La Chine, la Russie, ainsi que l’Union économique de l’Asie centrale (CAEU) et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), sont également intégrées dans le bloc commercial de l’Est. Les accords commerciaux du RCEP se feront en monnaies locales et en yuans – pas en dollars américains. Le RCEP est donc aussi un instrument de dédollarisation, principalement dans la région Asie-Pacifique, et de déplacement progressif à travers le monde.
Ce qui lui permet de regarder vers d’autres horizons, l’Europe en particulier et là le dossier est obligé de constater que :
Sabine Weygand, la directrice générale du commerce de l’UE, le 30 décembre 2020 s’est félicitée de la conclusion d’un accord d’investissement avec la Chine “fondé sur des valeurs”. Valdis Dombrovski commissaire européen au commerce s’est réjoui “Cet accord donnera un coup de fouet aux entreprises européennes sur l’un des marchés au monde les plus dynamiques.”
L’Allemagne a joué un rôle décisif dans la signature de l’accord. Au troisième trimestre 2020, l’Allemagne a été le premier investisseur européen en Chine (840 millions d’euros), suivi des Pays bas (270 millions d’euros) selon le cabinet Rhodium Group.
Après avoir reconnu ce fait l’article insiste sur à quoi la Chine se serait engagée : à avoir une politique environnementale, à assurer des droits à ses salariés, on croit rêver de la part de pays et de multinationales qui sont ce qu’ils sont.
Comme l’a trèsbien analysé Peter Koenig (4)le 10 et le 11 mars la Chine a réuni ses plus hautes instances pour l’approbation d’un plan de développement : y ont été abordé des objectifs ambitieux mais réalisables pour 2035, y compris une croissance de plus de 6 % dans un avenir prévisible; réduction du chômage en milieu urbain; l’autosuffisance alimentaire continue et les objectifs d’amélioration de l’environnement, une réduction gigantesque de 18 % du CO2, en grande partie grâce à une baisse significative de la consommation d’énergie (13,5 %) par unité de PIB – et ce, avec une production économique annuelle prévue supérieure à 6 %. Les objectifs d’amélioration et de protection de l’environnement sont bien supérieurs à tous les objectifs environnementaux des pays occidentaux.
En conclusion, je dirais qu’il y a quelque chose d’inquiétant et de fascinant dans le narcissisme occidental, dans son approche d’un monde qui lui échappe puisqu’il ne se limite pas à être le reflet de sa propre image. L’état de la recherche scientifique ou supposée telle que présente ce numéro est dramatique. Quand des gens dont la spécialité devrait être la connaissance d’une autre civilisation sont désormais incapables d’avoir la démarche du chercheur, on en est au “stade du miroir” cet enfermement narcissique. Il ne s’agit plus d’un moment structurant de la psyché de l’enfant entre six et dix huit mois, mais d’une régression sénile. L’Occident n’a plus d’autre approche de la réalité que dans la suspicion d’un autre qui ne saurait que lui ressemblerpour que lui-même puisse être et qui devient l’ennemi, ce qui engendre une tension agressive entre un ego et un alter ego qui relève de la même image et que l’on ne peut séparer réellement pour connaitre l’autre et soi-même. Tout entre alors dans un registre de la fiction caractérisé par la rivalité, la jalousie.
Ce mal engendre une anomie généralisée . Dans les sociétés occidentales arrivés à ce stade de narcissisme, il semble même par une bizarre inversion qu’il n’y ait plus que le profit, l’avidité qui crée un certain retour à la réalité, à la possible reconnaissance de l’autre dans son altérité, avec comme base une cupidité qui interditpourtant la connaissance et la coopération.
Danielle Bleitrach
(1) Là aussi on a un mélange de scientisme et de charlatanerie de bas étage… un positivisme dévoyé pour une vision psychologisante et réactionnaire de l’histoire.
(2) Heureusement que Robert Hue et ses successeurs immédiats ont supprimé les cellules d’entreprises parce qu’autrement lui n’aurait jamais pu prétendre à l’amitié de Macron et autres grands démocrates de son espèce et le parti ainsi émasculé n’aurait pu participer d’un tel consensus.
(3) Entre nous l’infaillibilité quasi pontificale et le droit à la censure des opinions divergentes ne s’est jamais aussi bien portée que dans les institutions françaises, il n’y a plus d’opposition nulle part. Demandez à Assange ce qu’il pense du droit à l’information sous nos climats.
(4) China – Leading to World Recovery – and Beyond | New Eastern Outlook (journal-neo.org)
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chabian
Un peu dans la même veine, une revue papier de la Radio France Culture, appelée “Papiers”, a publié récemment un drôle recueil sur le thème : “Hors l’unité, quelle est votre priorité des priorités pour la gauche” ? Question posée à un panel décousu de quelques penseurs, artistes, romanciers, et quelques politiques. Cela donne un résultat médiatique, qui ne vaut pas d’être lu ! (et une qualité de mise en page en dessous de tout). C’est du bruit, mais il faut le considérer plutôt un peu comme la propagande des industriels du tabac (technique copiée par beaucoup d’autres) : à avancer des questions futiles, des résultats sans valeur, on ensevelit les bonnes questions, on envenime la discussion, on tue le débat utile. Sur un forum bien connu auquel je participe, cela a provoqué colère et mépris, mais quand même plusieurs florilèges de billets et de mini-contributions intellectuelles autour de la question. Débat désordonné, pas inintéressant, mais comme suspendu dans le vide… le vide ouvert par un coup médiatique. Innocemment pernicieux.