La Sainte famille c’est aussi la critique des mystères de Paris d’Eugène Sue, le prince philanthrope. On découvre un Marx qui oppose à “la critique” et aux belles âmes la force matérialiste des corps et des désirs. “L’individu égoïste de la société bourgeoise a beau, dans sa représentation non sensible et son abstraction sans vie, se gonfler jusqu’à se prendre pour un atome, c’est-à-dire un être sans la moindre relation, se suffisant à lui-même, sans besoins, absolument plein, en pleine félicité, l’infortunée réalité sensible, elle, ne se soucie pas de l’imagination de cet individu ; et chacun de ses sens le contraint de croire à la signification du monde et des individus existant en dehors de lui ; et il n’est pas jusqu’à son profane estomac qui ne lui rappelle chaque jour que le monde hors de lui n’est pas vide, qu’il est au contraire ce qui, au sens propre, remplit. Chacune de ses activités et de ses propriétés essentielles, chacun de ses instincts vitaux devient un besoin, une nécessité, qui transforme son égoïsme, son intérêt personnel en intérêt pour d’autres choses et d’autres hommes hors de lui. La force de Marx dès ce moment c’est de marquer la manière dont la société bourgeoise est basée sur une dualité, celle qui comme Hegel transforme les hommes en idées tandis que l’économie comme Ricardo les transforme en marchandise. Le temps du pillage assorti sous prétexte des “droits de l’homme” illustre plus que jamais cette démonstration de Marx et Engels (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Rédigé par Christine Belcikowski
De gauche à droite : Robespierre ; Karl Marx.
« Écrit en 1844-1845 à Paris en collaboration avec Friedrich Engels, La Sainte Famille ou Critique de la critique contre Bruno Bauer (1) et consorts est le premier grand texte publié par Karl Marx. Marx s’attaque dans cet ouvrage à la philosophie des frères Bauer, représentants des jeunes hégéliens — la « Sainte Famille » —, qui « ne voyaient dans les masses populaires qu’une matière inerte, un poids mort dans le processus historique, proclamant en revanche que les personnalités élues, et eux-mêmes en particulier, porteurs de “l’esprit”, de la “critique absolue”, étaient les créateurs de l’histoire » (1).
Horace Vernet (1789–1863), 14 octobre 1806. Bataille d’Iéna, détail, Galerie des Batailles, château de Versailles.
On sait que Hegel a reconnu en Napoléon, « fondateur de la paix en Europe », promoteur de réformes et de constitutions, une figure de la raison, ou de « l’esprit » qui advient depuis toujours dans l’histoire du monde et qui touche désormais à sa fin initiale. « J’ai vu l’Empereur — cette âme du monde — sortir de la ville [Iéna, 1806] pour aller en reconnaissance ; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine » (2).
Bruno Bauer et consorts, tels que cités par Marx, tenaient pour « vérité lumineuse » que « toutes les grandes actions de l’histoire passée furent ratées d’emblée et demeurèrent sans résultat effectif, parce que la Masse [le peuple] s’y était intéressée et s’était enthousiasmée pour elles ; ou bien qu’elles furent condamnées à une fin lamentable, parce que l’idée sur laquelle elles reposaient était d’une nature telle qu’elle devait se contenter d’être comprise superficiellement et compter aussi, par conséquent, sur l’approbation de la Masse. » (3)
Dans l’extrait de La Sainte Famille reproduit ci-dessous, Karl Marx s’attache à critiquer, sur le mode de « la critique de la critique », comme il dit, la Critique, ou Critique absolue, à laquelle se livrent « Bruno Bauer et consorts » concernant le rôle qu’il convient d’accorder à la « Masse » dans le processus historique de la Révolution française.
Lire la suite de Robespierre, Saint-Just et la Révolution française, vus en 1845 par le jeune Karl Marx24 février 2021
Vues : 388