Voici traduit par Baran, un nouvel article de l’éditorialiste du principal journal japonais d’affaire, Nikkei, que l’on connait, qui ici tente d’interpréter l’esprit des lois antimonopole et la manière dont le socialisme de marché pratique la dictature du prolétariat. On ne peut pas isoler ces lois antimonopole de la guerre économique (et idéologique) que les USA ont lancée contre la Chine, le rôle de cheval de Troie qu’ont joué ces monopoles financiarisés dans la chute de l’URSS – le cas que je cite souvent comme illustration- est celui de BP en Azerbaïdjian avec le siège de la compagnie s’installant dans l’ancien comité central. (note de Danielle Bleitrach et Baran)
Analyse: Xi voit Alibaba et Tencent comme des menaces croissantes pour le pouvoir
Le Politburo part en croisade contre `l’expansion désordonnée du capital’
KATSUJI NAKAZAWA, rédacteur principal de Nikkei 17 DÉCEMBRE 2020 05:42 JST
Katsuji Nakazawa est un journaliste sénior et éditorialiste au Nikkei, basé à Tokyo. Il a travaillé sept ans en Chine tout d’abord comme correspondant puis en tant que responsable de la section chinoise. Il a obtenu en 2014 le prix de meilleur reporter international attribué par le Vaughn-Ueda International Journalist’s Award.
TOKYO – Décembre a toujours été un mois important en Chine. C’est à ce moment que le pays, qui n’a pas encore complètement abandonné ses traditions d’économie planifiée, décide généralement comment diriger le navire l’année suivante.
En cette période politiquement chargée, il y eut un développement remarquable dans la région de Zhongnanhai au centre de Pékin, où le Parti communiste chinois et le gouvernement de l’État ont leur siège.
Le président Xi Jinping, qui fait également office de secrétaire général du parti, a présidé deux réunions le 11 décembre. L’une d’elle était une réunion du Politburo, l’organe décisionnel du parti composé des 25 plus hauts fonctionnaires qui font bouger la politique chinoise ; l’autre était une session d’étude de groupe pour les mêmes membres.
La réunion du Politburo a appelé à “un renforcement des efforts antitrust et à la prévention d’une expansion désordonnée du capital”.
Lors de la session d’étude, M. Xi a souligné le besoin de « sécurité nationale », de « sécurité politique » et de « sécurité du pouvoir de l’État et du système politique ».
Une source proche de la politique et de l’économie chinoises nous a expliqué que les deux messages vont de pair. “Mettez-les ensemble et vous aurez une compréhension précise de la signification politique.”
Le Politburo tient une réunion environ une fois par mois à Zhongnanhai. Les sessions d’étude du Politburo, s’organisent en correspondance avec les réunions du Politburo, permettent aux dirigeants de s’informer sur les problèmes politiques de l’époque et de former un consensus à leur sujet. Il s’agit d’un système propre à la Chine, pour un observateur, cela offre une occasion précieuse de jauger ce que contient l’esprit du leader.
Il s’agissait du premier cas de “renforcement des efforts antitrust” et de “prévention de l’expansion désordonnée du capital” que l’on connaisse au Politburo.
Il ne fait aucun doute que les phrases clés figureront en bonne place à l’ordre du jour de la prochaine « Central Economic Work Conference » du parti, une réunion annuelle importante pour discuter de l’orientation des politiques économiques de l’année prochaine.
La « Central Economic Work Conference » de cette année est particulièrement importante car 2021 est la première année du prochain plan quinquennal et donnera le ton aux politiques de Xi au cours de cette période.
Bien qu’aucun nom n’ait été mentionné, l’une des cibles est incontestablement Alibaba Group Holding et son fondateur, Jack Ma.
Alibaba a apporté des contributions significatives à l’économie chinoise et au parti. Ma est lui-même membre du parti, mais il semble que se profile de plus en plus le crépuscule de l’empire du géant du commerce électronique.
Au début du mois dernier, la branche financière du groupe Ant d’Alibaba a été brusquement contrainte de retarder son introduction à la bourse de Shanghai et de Hong Kong.
Le fondateur d’Alibaba Group Holding, Jack Ma, était sur la corde raide vis à vis des dirigeants du parti depuis le début du mois dernier, lorsque Ant Group a été brutalement contraint de retarder les introductions en bourse à Shanghai et à Hong Kong. © AP
Lundi, trois jours après la réunion du Politburo, les autorités chinoises ont infligé une amende à Alibaba et à une filiale de Tencent, le géant de la technologie propriétaire de l’application populaire de messagerie WeChat, pour avoir vraisemblablement omis de déclarer les accords d’acquisition passés conformément aux lois antitrust.
L’Administration centrale de régulation du marché (SAMR) a condamné Alibaba à une amende de 500 000 yuans (76 500 dollars) pour avoir augmenté sa participation dans la chaîne de grands magasins Intime Retail Group en 2017 « sans notification préalable à l’administration ».
L’éditeur de livres électroniques China Literature, créé par Tencent, s’est vu imposer la même peine maximale.
“Bien que le montant des amendes soit relativement faible, les sanctions devraient envoyer le signal d’une surveillance anti monopole plus stricte dans le secteur Internet et avoir un effet dissuasif”, selon un responsable de l’agence, selon l’agence de presse Xinhua.
De plus, l’utilisation de l’expression forte « prévention de l’expansion désordonnée du capital », laisse deviner les nouvelles règles en cours.
Qu’est-ce qui dans Alibaba fait peur à la direction ?
Par l’entremise de ses filiales, Alibaba a investi dans un microblog majeur, une plateforme de médias sociaux qui comprend des services de partage de vidéos et de streaming, ainsi que des groupes de journaux, dont le South China Morning Post basé à Hong Kong. L’influence du groupe Alibaba est devenue si forte qu’on le qualifie « d’empire médiatique ».
L’aptitude à bloquer des informations qui lui sont défavorables, si jamais il le voulait, rappelle les pouvoirs détenus par le département de la propagande du parti, qui joue le rôle de contrôle de l’opinion publique chinoise, et le bureau de la Commission centrale du parti pour la cybersécurité et Informatisation.
Grâce à ses filiales, l’influence d’Alibaba est devenue si forte qu’on le qualifie « d’empire médiatique ». (Photo gracieuseté du South China Morning Post)
Les organes publics ont été alertés par l’influence croissante d’Alibaba. S’ils laissent l’entreprise sans contrôle, leur propre contrôle pourrait être érodé.
Cela constitue l’aspect « sécurité nationale » de la question d’Alibaba.
L’expression « empêcher l’expansion désordonnée du capital », quant à elle, sent l’hostilité contre le secteur privé.
En Chine, il y a eu un débat de longue date sur la manière dont les entreprises privées devraient être traitées dans l’économie de marché socialiste.
“Les gauchistes sauteront de joie s’ils entendent l’expression ‘prévention de l’expansion désordonnée du capital’, a prétendu une source, désignant l’aile du parti qui attache de l’importance aux traditions socialistes et aux entreprises d’État.
Xi a lui-même appelé à ce que les entreprises publiques soient « plus fortes et plus grandes ». En effet, il y a également eu une forte augmentation des acquisitions d’entreprises privées par des entreprises publiques.
Le terme « sécurité politique » est quelque chose de spécifique à la Chine. Il est souvent apparu sous l’ère Xi Jinping; c’est un appel explicite à préserver la structure actuelle du pouvoir. © Kyodo
Lors de la session d’étude du Politburo, M. Xi a souligné l’importance de la sécurité nationale.
La Chine a besoin d’une “approche holistique de la sécurité nationale”, a déclaré le leader, appelant à un axe de sécurité nationale dans les plans de développement économique et social.
“La priorité absolue doit être donnée à la sécurité politique pour sauvegarder la sécurité du pouvoir de l’Etat et du système politique”, a-t-il ajouté.
La sécurité nationale est utilisée ici de la même manière qu’elle est utilisée partout dans le monde.
La sécurité politique du point de vue chinois qualifie une situation dans laquelle on n’empiète pas sur le rôle des acteurs politiques et ne les menace pas non par le biais de facteurs nationaux ou internationaux. C’est un concept propre à la Chine, où le parti passe avant l’État.
La sécurité du « système politique » est un appel explicite de plus à la préservation de la structure actuelle du pouvoir.
La Chine n’a pas de mécanisme démocratique permettant à son peuple de choisir une administration. Le système politique actuel, que Xi appelle à sauvegarder, est un système dans lequel il n’y a plus de limite de mandat pour le président chinois, le secrétaire général du parti, ou le président de la Commission militaire centrale. Xi occupe les trois postes.
Le message suggère une concentration accrue du pouvoir entre ses mains et un écart substantiel par rapport au système de leadership collectif traditionnel.
En protégeant la sécurité nationale, la sécurité politique et la sécurité du régime, Xi occupe une place centrale.
Des agents de la brigade anti-émeute font sentir leur présence alors que des manifestants contre la loi sur la sécurité nationale défilent lors de l’anniversaire du transfert de Hong Kong à la Chine par la Grande-Bretagne, le 1er juillet, à Hong Kong. © Reuters
Les rassemblements du Politburo du 11 décembre reflètent un sentiment de crise parmi les responsables du parti qui se sentent apparemment gênés pour l’avenir.
Ils craignent que sans la protection contre une expansion désordonnée du capital via le renforcement de la gestion économique et l’orientation complète du parti fournis aux entreprises privées, le régime du parti unique pourrait être ébranlé, entraînant in fine une mise en danger du régime Xi.
Rétrospectivement, la sécurité nationale a été constamment invoquée au cours de l’année écoulée, comme lorsque la Chine a contourné la législature hong-kongaise pour introduire la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong.
Ceci est basé sur la logique d’après laquelle la sécurité nationale liée à Hong Kong mènera directement à la sécurité politique et du régime de la Chine continentale.
Il n’y a pas de fin à la bataille de Xi pour la sécurité nationale, politique et du régime.
Vues : 229