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Le mythe d’une diplomatie chinoise du ‘piège de la dette’

La présidence de Biden devrait atténuer l’acrimonie américano-chinoise sur les infrastructures financées par la Chine. Comme nous le signalons dans un autre article aujourd’hui si la campagne accusant la Chine d’organiser sciemment l’endettement est pure propagande, il existe aussi une catégorie d’hommes d’affaires chinois qui poursuivent une politique capitaliste hors des frontières, l’exemple dont certains doivent être mis au pas en Chine en particulier en matière d’environnement leur laisse toute latitude d’agir ailleurs. Mais ce constat dont le gouvernement chinois commence à s’inquiéter ne doit pas être confondu selon l’article avec une politique chinoise visant à mettre la main sur des infrastructures. Le système de financement du développement de la Chine est « trop fragmenté et mal coordonné pour poursuivre des objectifs stratégiques détaillés », a-t-on soutenu à Chatham House, sur la base d’un document de recherche présenté par les universitaires Lee Jones et Shahar Hameiri. En fait, d’après le document, ce sont les gouvernements des pays en développement et leurs intérêts politiques et économiques associés qui déterminent par eux-mêmes la nature des projets BRI sur leur territoire. (note de Danielle Bleitrach, traduction de Baran)

Anthony Rowley

25 Novembre 2020 05:00 JST

Le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis visitent le terminal à conteneurs de Cosco au Pirée en novembre 2019 : y a-t-il jamais eu une diplomatie chinoise du piège de la dette ? © Reuters

Anthony Rowley est l’auteur de «Foundations of the Future – the Global Battle for Infrastructure».

Dans ce que Donald Trump pourrait appeler une affaire de “fake news”, la Chine a souvent été accusée d’utiliser la diplomatie du “piège de la dette” en incitant les pays en développement à emprunter plus qu’ils ne peuvent pour financer des projets d’infrastructure afin d’ensuite s’emparer des actifs stratégiques, comme garantie de prêt.

Alors que Trump se prépare à quitter la Maison Blanche, avec le vice-président Mike Pence qui est la principale source du récit d’une « diplomatie de la dette »à l’encontre de la Chine en 2018, une série de déclarations et d’études remettent en question l’idée que Pékin a effectivement poursuivi de telles stratégies machiavéliques.

Les accusations portées contre la Chine relèvent en partie d’un malentendu, mais les allégations relatives au piège de la dette font également partie de ce que j’estime comme des « guerres d’infrastructure »qui impliquent la Chine d’une part et un groupe de pays comprenant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde d’autre part.

L’un des cas les plus souvent cités de cette tactique prétendument sans scrupules employée par la Chine concerne le port de Hambantota au Sri Lanka, qui a été financé en grande partie par des prêts chinois. Un autre concerne un projet ferroviaire trans-Malaisie que la Chine finance également en grande partie.

Les deux impliquent un développement portuaire. À Hambantota, le port a été cédé à la Chine pour un bail de 99 ans en décembre 2017, lorsque le Sri Lanka n’a pas été en mesure de rembourser les prêts contractés pour développer le port. Dans le cas de la Malaisie, les prêts de la Chine ont dû être renégociés à partir d’une situation de défaut de paiement. Il y a eu de nombreux autres rapports suggérant qu’en Afrique, le gouvernement kenyan est en risque de perdre son port de Mombasa au profit de la Chine, si le pays devenait incapable de rembourser les prêts importants consentis par les prêteurs chinois.

Tout cela aurait pu passer comme des transactions commerciales normales si le vice-président Pence n’avait pas choisi de déclarer dans un discours à l’Institut Hudson de Washington en 2018 que la Chine utilisait les prêts excessifs afin de prendre le contrôle d’actifs maritimes stratégiques dans diverses parties du monde.

La Chine, a affirmé Pence, utilisait la diplomatie de la dette “pour étendre son influence” en “offrant des centaines de milliards de dollars de prêts d’infrastructure aux gouvernements, de l’Asie à l’Afrique en passant par l’Europe et même l’Amérique latine. Les conditions sont au mieux opaques et les bénéfices affluent massivement vers Pékin.

Selon Pence, ces accords ont une “valeur commerciale douteuse“, ce qui implique que les achats de ports de la Chine étaient motivés par des fins stratégiques. Pence a invoqué le projet des routes de la soie énoncé en 2013par le président chinois Xi Jimping, incluant des couloirs maritimes et terrestres en Asie, en Europe, en Afrique et au-delà.

Les affirmations de Pence semblaient gagner plus de crédibilité en novembre 2019 lorsque le géant chinois du transport maritime Cosco prenait une participation majoritaire dans le plus grand port de Grèce au Pirée, et à peu près au même moment prenait le contrôle des principaux ports de Trieste et de Ravenne en Italie, ainsi qu’à Koper en Slovénie et Fiume en Croatie.

Chantier de construction d’une nouvelle plate-forme logistique au port de Trieste, photographié en avril 2019 : la ville de Trieste se prépare à ouvrir son nouveau port, l’Italie devenant le premier pays du G7 à adhérer au projet des nouvelles routes de la soie. © Getty Images

Les déclarations ont toutes alimenté une rivalité beaucoup plus large entre les deux plus grandes économies du monde.Elle a éclaté politiquement avec le lancement d’une guerre commerciale contre la Chine par le président sortant Trump qui s’est vite transformée en une rivalité sur la technologie et le développement économique.

Mais y a-t-il vraiment eu une diplomatie chinoise du piège de la dette, comme le stipule le stratège indien Brahma Chellaney, crédité pour être l’inventeur du terme en 2017 ? Ou encore, Arthur Culvahouse, l’ambassadeur américain en Australie qui avance la notion de « diplomatie des prêts sur salaire » ?

Les développements récents jettent des doutes sur l’idée d’une telle stratégie consciente de la part de la Chine. Par exemple, Chatham House,Royal Institute of International Affairs a organisé à Londres un webinaire en octobre, sous le titre plutôt provocateur de « Démystifier le mythe de la diplomatie du piège de la dette ».

Le système de financement du développement de la Chine est « trop fragmenté et mal coordonné pour poursuivre des objectifs stratégiques détaillés », a-t-on soutenu à Chatham House, sur la base d’un document de recherche présenté par les universitaires Lee Jones et Shahar Hameiri. En fait, d’après le document, ce sont les gouvernements des pays en développement et leurs intérêts politiques et économiques associés qui déterminent par eux-mêmes la nature des projets BRI sur leur territoire.

Les autorités sri-lankaises ont utilisé les prêts chinois consentis dans le cadre du port de Hambantota en partie pour rembourser la dette contractée auprès d’autres créanciers, a-t-on affirmé à Chatham House, et aucun navire de la marine chinoise n’a jusqu’à présent utilisé le port, comme cela a été suggéré en motif de financement de la Chine.

Il a également été noté lors du séminaire de Chatham House qu’en Malaisie, où des prêts chinois ont été consentis pour financer le projet de chemin de fer de la péninsule, une partie de l’argent a été utilisée pour combler des « trous » dans les fonds souverains du pays généré durant le règne de l’ancien Premier ministre NazibRazak..

Dans le livre China’s Belt and Road Initiative : Impacts on Asia and Policy Agenda, publié il y a quelques mois, les universitaires Pradumna B.Rana et Xianbai Ji ont détaillé une enquête auprès de quelque 1000 leaders d’opinion en Asie qui ont également contesté la thèse de la diplomatie du piège de la dette.

Il conclu que 42% des répondants pensaient que la BRI représentait un bénéfice net pour leur pays, tandis que seulement 18% ont déclaré qu’il s’agissait d’un coût net. Les appuis les plus forts provenaient de pays d’Asie du Sud, incluant le Bangladesh, le Pakistan et le Népal.

L’ancien vice-ministre japonais des Finances pour les finances internationales et chef de la Banque japonaise pour la coopération internationale, Hiroshi Watanabe, a suggéré aux auteurs du livre que le manque de diligence raisonnable, ainsi que la concurrence entre prêteurs chinois étaient d’avantage des facteurs clés explicatifs des problèmes avec les prêts de la Chine à l’étranger que la diplomatie du piège de la dette.

L’acrimonie qui a caractérisé les relations américano-chinoises en général et celles relatives aux infrastructures, en particulier, est susceptible de s’estomper avec l’arrivée de l’administration Biden. Dans le même temps, la Banque mondiale espère coordonner certains aspects de l’activité d’infrastructure dans le monde – une évolution amplement bienvenue.

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