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Dieu me pardonne c'est son métier

L’Australie révèle les atrocités commises en Afghanistan

Crimes de guerre : L’Australie révèle les atrocités commises en Afghanistan, les États-Unis continuent d’ignorer les leurspar LesCrise

Source : Consortium News, Joe Lauria
Traduit par les lecteurs du site Les Crises

L’Australie a dû révéler les crimes odieux que ses troupes ont commis en Afghanistan, même après avoir poursuivi un lanceur d’alertes et effectué une descente dans une chaîne de télévision. Il est temps pour les États-Unis de lancer des enquêtes sérieuses sur leur propre conduite en temps de guerre, écrit Joe Lauria.

Vidéo de Collateral Murder publiée par WikiLeaks.

Le rapport d’une enquête de quatre ans du gouvernement australien sur les crimes de guerre présumés commis par les forces spéciales du pays en Afghanistan a été publié le 19 novembre, révélant des atrocités indicibles contre les civils.

Le rapport détaille comment au moins 25 membres des services aériens spéciaux australiens (SAS) ont été impliqués dans 39 meurtres de civils. La description du rapport à la page 120 d’un seul incident suffit à décrire la nature de ces crimes :

« Les forces spéciales encerclent alors tout un village, emmenant les hommes et les garçons dans des maisons d’hôtes, qui se trouvent généralement à la périphérie d’un village. Là, ils étaient ligotés et torturés par les forces spéciales, parfois pendant des jours. Lorsque les forces spéciales partaient, les hommes et les garçons étaient retrouvés morts : abattus d’une balle dans la tête ou les yeux bandés et la gorge tranchée.

Des dissimulations. Un incident spécifique décrit au Dr Crompvoets est celui où des membres des « SASR » [Special Air Service Regiment, NdT] circulaient sur une route et ont vu deux garçons de 14 ans qui, selon eux, pourraient être des sympathisants des talibans. Ils se sont arrêtés, ont fouillé les garçons et leur ont tranché la gorge. Le reste de la troupe a ensuite dû « nettoyer le désordre », ce qui impliquait d’emballer les corps et de les jeter dans une rivière voisine… »

Apprendre à tuer

Le rapport de la page 29 décrit une pratique connue sous le nom de « blooding » [Premier sang, NdT]

«…l’enquête a révélé des informations crédibles selon lesquelles des soldats novices étaient tenus par leurs chefs de patrouille, d’abattre un prisonnier, afin de réaliser leur premier meurtre, dans une pratique connue sous le nom de « blooding». Cela se produisait après que le périmètre de la cible ait été sécurisé et que les ressortissants locaux aient été considérés comme des « personnes sous contrôle ».

En général, le commandant de la patrouille prenait une personne sous contrôle et un soldat novice, ce dernier recevant alors l’ordre de tuer la personne.  De l’équipement était alors placé avec le « corps » et un « faux scénario » était créé pour les besoins des rapports opérationnels afin de contourner les inspections de contrôle. Le tout était conforté par un code du silence. »

Dix-neuf des 25 soldats concernés font l’objet de poursuites pénales. Leur unité a été dissoute. Jusqu’à 3 000 soldats seront dépouillés de leurs médailles et les forces spéciales porteront à l’avenir des caméras corporelles.

Ce sont des crimes qui montrent un lien ininterrompu avec la barbarie coloniale datant du XIXe siècle, lorsque des soldats occidentaux, poussés à tuer leurs “inférieurs”, à l’époque comme aujourd’hui, se déchaînent sur des populations innocentes dans les pays en développement.

Poursuite et raid

Le gouvernement australien a eu connaissance de ces allégations lorsqu’un avocat de l’armée en Afghanistan, le major David McBride, s’est présenté comme lanceur d’alertes. Il a raconté ce dont il avait été témoin tout au long de la chaîne de commandement et a été ignoré. Il a ensuite relaté son histoire et fourni ses documents à l’Australian Broadcasting Corporation. ABC a diffusé les « dossiers afghans » en juillet 2017.

« Les documents fournissent également de nouveaux détails sur certains incidents notoires, notamment le fait que des soldats australiens ont coupé les mains de combattants talibans morts, » a rapporté l’ABC, tout comme la photo du Congo belge dans le tweet ci-dessus.

Pour ses efforts, McBride a été arrêté. Il est poursuivi pour avoir divulgué des documents classifiés (marqués Australian Eyes Only). Il risque la prison à vie. Pour ses efforts, les bureaux de l’ABC à Sydney ont fait l’objet d’une descente de la police fédérale australienne (AFP) et des copies de fichiers ont été prises dans les ordinateurs de la salle de rédaction.

Cette descente a eu lieu moins de deux mois après l’arrestation à Londres, en avril 2019, de l’Australien Julian Assange, éditeur de WikiLeaks, qui avait lui-même révélé des crimes de guerre en Afghanistan et en Irak. Un journaliste d’ABC, Dan Oakes, qui était poursuivi pour avoir publié des informations classifiées (tout comme Assange), a vu ses accusations abandonnées le 15 octobre, juste un mois avant que le rapport du gouvernement ne confirme l’histoire de McBride et le reportage d’Oakes.

J’ai écrit au moment de la descente à ABC :

« Bien qu’il n’y ait pas de lien direct entre l’arrestation et l’inculpation d’Assange pour possession et diffusion de matériel classifié et ces actions policières ultérieures, un tabou occidental sur l’arrestation ou la poursuite de la presse pour son travail a clairement été fragilisé. Il faut se demander pourquoi la police australienne a agi suite à une diffusion réalisée en 2017 et un article publié en avril seulement après l’arrestation et la poursuite d’Assange. »

Les poursuites contre McBride se poursuivent jusqu’à présent. Ce serait un scandale encore plus grand que son arrestation, si ses accusations ne sont pas également abandonnées.

C’est à votre tour, les États-Unis

Ce pourrait être un moment décisif pour l’Australie, qui a été ébranlée par le rapport du gouvernement. Elle pourrait repenser sa politique militaire et peut-être son obéissance spontanée à un ordre des États-Unis de se joindre à ses guerres.

Howard reçoit la Médaille présidentielle de la liberté 2009. (Archives GW Bush Maison Blanche)

L’Australie n’était en Afghanistan qu’à la demande des États-Unis. Pour son dévouement envers Washington en envoyant des troupes australiennes loin en Afghanistan en 2005, l’ancien Premier ministre John Howard a été récompensé par la Médaille présidentielle de la liberté par George W. Bush, qui a commencé la guerre en Afghanistan en 2001.

Ce que l’Australie a finalement fait devrait servir de leçon à son associé principal des Five Eyes [Alliance des services de renseignement de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis, NdT]. En effet, les États-Unis n’ont que très peu d’expérience dans la poursuite de leurs propres crimes de guerre.

Alors qu’il y a eu au moins dix crimes de guerre connus pendant la guerre civile américaine (en particulier la course à la terre brûlée vers la mer de Sherman), seuls quatre hommes, tous des confédérés, ont été poursuivis après la fin de la guerre. Pendant la guerre contre les Amérindiens, le gouvernement américain a autorisé des raids, qui ont souvent conduit à des massacres. Plutôt que de poursuivre, le gouvernement a récompensé les Américains pour avoir tué des indigènes.

Lors de la guerre coloniale américaine aux Philippines après la guerre de 1898 contre l’Espagne, le général de brigade Jacob H. Smith a été traduit en cour martiale et forcé de se retirer après avoir dit au commandant de la Samar : « Je ne veux pas de prisonniers. Je souhaite que vous tuiez et brûliez, plus vous tuerez et brûlerez, plus cela me plaira. Je veux que soient tuées toutes les personnes capables de porter des armes durant les conflits actuels contre les États-Unis. »

Un massacre généralisé de civils s’ensuivit. Les historiens philippins disent que jusqu’à 50 000 personnes ont été massacrées.  Mark Twain, qui s’est opposé à la guerre des États-Unis aux Philippines, a écrit : « En quoi était-ce une bataille ? Cela n’a aucune ressemblance avec une bataille. Nous avons effectué nos quatre jours de travail et l’avons achevé en massacrant ces gens sans défense. » Ce n’était pas le seul massacre américain dans cette guerre.

Des soldats américains posent avec le Philippin Moro mort après la première bataille de Bud Dajo, le 7 mars 1906, à Jolo, aux Philippines. (Wikimedia Commons/auteur inconnu)

Les Conventions de La Haye de 1899 et 1907 ont suivi la Convention de Genève de 1864 en tant que premières lois internationales sur les crimes de guerre. Toutes les parties impliquées dans la Première Guerre mondiale, y compris les États-Unis, ont utilisé des gaz toxiques, ce qui constituait une violation des conventions de La Haye, mais personne n’a été poursuivi pour cela.

Selon History.com, « le futur président Harry S. Truman était le capitaine d’une unité d’artillerie de campagne américaine qui a utilisé des gaz toxiques contre les Allemands en 1918. » Ce ne serait pas la dernière fois que Truman était impliqué dans des armes non conventionnelles.

Le fait qu’il ait lâché deux bombes atomiques sur des civils au Japon, en opposition aux hauts généraux américains, est probablement le plus grand crime de guerre de l’histoire. Il a été célébré et non puni. Il existe une longue liste de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité documentés réalisés par les États-Unis et leurs alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, mais les procès furent réservés aux criminels de guerre allemands et japonais vaincus.

Un crime de guerre américain pendant le conflit coréen a été couvert pendant près de 50 ans, avant que l’Associated Press ne le révèle en 1999. Les soldats américains ont massacré des réfugiés à No Gun Ri en 1950. Personne n’a jamais été inculpé.

Pendant la guerre du Vietnam, les massacres de civils étaient monnaie courante, selon Nick Turse, auteur de Kill Anything That Moves (Ndt : Tuez tout ce qui bouge). Mais il y a eu peu de poursuites contre des soldats américains. Seuls 203 militaires américains ont été inculpés, 57 ont été traduits en cour martiale et 23 ont été condamnés, sans compter le cas le plus connu de My Lai.

Photo prise par le photographe de l’armée américaine Ronald L. Haeberle le 16 mars 1968 après le massacre de My Lai.

L’incident de My Lai a été révélé au public en novembre 1969 par le reportage du journaliste d’investigation Seymour Hersh. Un lanceur d’alertes, vétéran de l’armée, Ronald Ridenhour, avait écrit pour la première fois au début de 1969 à la Maison Blanche, au Pentagone, au Département d’Etat et aux membres du Congrès, révélant des détails crédibles sur le massacre. Cela a conduit à une enquête militaire.

L’enquête a révélé que des soldats de l’armée américaine avaient tué 504 personnes non armées le 16 mars 1968 dans le village de My Lai, des hommes, des femmes et des enfants. Certaines femmes ont été victimes de viols collectifs commis par les soldats. L’enquête militaire a conduit à l’inculpation de 26 soldats. Un seul, le lieutenant William Calley Jr., chef de section de la compagnie C, a été condamné. Il a été reconnu coupable du meurtre prémédité de 109 villageois. (Condamné à vie, il n’a finalement purgé que trois ans et demi en résidence surveillée).

Mais la condamnation de Calley a été largement dissimulée par les militaires jusqu’à ce que Hersh fasse éclater l’histoire. C’est encore Hersh, plus de 30 ans plus tard, qui a révélé l’histoire de la torture à la prison américaine d’Abu Ghraib. Lorsque les médias d’information présentent des preuves d’un crime de guerre américain, le gouvernement est parfois obligé d’agir. C’est le cas de la torture en prison, où le public a été scandalisé, notamment par les photographies.

Les soldats américains agissaient dans un environnement post-11 Septembre dans lequel les dirigeants américains soutenaient ouvertement la torture, et les avocats de la Maison Blanche et le procureur général américain de l’époque, Alberto Gonzales, soutenaient que les détenus étaient des « combattants illégaux » et n’étaient pas protégés en tant que prisonniers de guerre par les Conventions de Genève, une série de conventions sur les crimes de guerre de 1864 à 1949.

12 décembre 2003. Le Sgt Cordona avec un chien qui surveille le détenu tandis que le Ssg Fredrick observe. (Armée américaine / Commandement des enquêtes criminelles (CID). Saisi par le gouvernement américain).

Les crimes de guerre américains se normalisent légalement et, à l’exception des journalistes de la vieille école comme Hersh, ne font pas l’objet d’enquêtes par les médias. Cela a créé un sentiment d’impunité pour les dirigeants américains qui commettent tous les crimes qu’ils jugent nécessaires en temps de guerre. Peu de gens les connaissent. Comme l’a dit Harold Pinter dans son discours d’acceptation du prix Nobel en 2005 :

« Je soutiens que les crimes américains de la même période [la Guerre froide] n’ont été que superficiellement enregistrés, et encore moins documentés, et encore moins reconnus, et encore moins reconnus comme des crimes… Les actions des États-Unis dans le monde entier ont montré clairement qu’ils avaient conclu qu’ils avaient carte blanche pour faire ce qu’ils voulaient… Cela n’a jamais eu lieu. Il ne s’est jamais rien passé. Même si cela se passait, cela ne se passait pas. Cela n’avait pas d’importance. Cela n’avait aucun intérêt. Les crimes des États-Unis ont été systématiques, constants, vicieux, sans remords, mais très peu de gens en ont réellement parlé. Vous devez le reconnaître à l’Amérique. Elle a exercé une manipulation du pouvoir assez cynique dans le monde entier tout en se faisant passer pour une force au service du bien universel. C’est un acte d’hypnose brillant, voire drôle, très réussi. »

Le peuple américain a cependant appris l’existence d’Abu Ghraib et une enquête a dû être lancée. Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a alors été traîné devant les commissions des services armés du Sénat et de la Chambre et a déclaré : « Ces événements se sont produits sous ma surveillance… en tant que secrétaire à la Défense, j’en suis responsable et j’en assume l’entière responsabilité… Il y a d’autres photos – beaucoup d’autres photos – qui montrent des incidents de violence physique envers des prisonniers, des actes qui ne peuvent être décrits que comme ouvertement sadiques, cruels et inhumains. »

George W. Bush ne s’est pas excusé, mais a exprimé des remords « pour l’humiliation subie » par les prisonniers irakiens. Mais l’enquête n’a permis de condamner que sept soldats de niveau secondaire dans la prison. Le général de brigade Janis Karpinski, qui supervisait la prison, a simplement été rétrogradé au rang de colonel. Lorsque le président Barack Obama est entré en fonction, il a refusé d’enquêter sur les officiels américains pour torture, préférant ne pas « regarder en arrière ». Il a ainsi ajouté à l’impunité américaine.

En Afghanistan, les États-Unis ont condamné un soldat pour meurtre, en ont jugé un autre et en ont rétrogradé un troisième, qui a été acquitté. Mais le président Donald Trump a gracié les deux premiers et a rétabli le grade du troisième, se rendant peut-être complice d’un crime après coup. Lorsque la Cour pénale internationale a annoncé en mars qu’elle allait ouvrir une enquête sur les crimes présumés des États-Unis en Afghanistan, le secrétaire d’État Mike Pompeo a réagi en menaçant les responsables de la CPI de sanctions s’ils venaient aux États-Unis.

Contrairement à la réaction à Abu Ghraib, une autre révélation de preuves ‘à première vue’ d’un crime de guerre américain en Irak a été pratiquement ignorée : la vidéo de WikiLeaks Collateral Murder

Cliché de la scène d’ouverture de Collateral Murder.

Malgré l’intérêt qu’elle a suscité au départ, rien ne s’est passé, comme dirait Pinter. Au lieu de poursuivre les soldats impliqués dans le massacre de Collateral Murder, le gouvernement américain a arrêté et fait juger Assange, le journaliste qui l’a révélé et a emprisonné sa source, Chelsea Manning.

Après avoir avoué ses propres crimes de guerre, l’Australie devrait enfin affirmer sa souveraineté et dire aux États-Unis de renvoyer leur citoyen [Julian Assange, NdT] chez lui. Ne pas le faire serait se moquer de son rapport révélant ses propres crimes de guerre.

Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant à l’ONU du Wall Street Journal, du Boston Globe et de nombreux autres journaux. Il a été journaliste d’investigation pour le Sunday Times de Londres et a commencé sa carrière professionnelle en tant que pigiste pour le New York Times. Il peut être joint à l’adresse joelauria@consortiumnews.com et suivi sur Twitter @unjoe

Source : Consortium News, Joe Lauria, 19-11-2020
Traduit par les lecteurs du site Les CrisesLesCrise | 4 décembre 2020 à 6 h 50 min | Tags: AustralieCrimes de guerreUSA | Catégories : GéoPolitique | URL : https://wp.me/p17qr1-1551

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