Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Lady Di, adultère, vierge et martyre par Manuel Vazquez Montalban

Des mythes révolutionnaires au mythe tendre

Manuel Vasquez Montalban lors de la mort de lady Di s’est confronté au mythe. Il fallait un vrai courage je vous l’assure, pour avoir osé faire quelques réserves sur la sainteté de cette icone, j’ai failli partir la tête couverte de shampoing tant le salon de coiffure entier s’était ligué contre moi face à une simple remarque. Mais plus intéressant le positionnement de ce communiste montre aussi le désarroi des communistes espagnols, européens en général et ici l’incapacité à saisir des temps nouveaux auxquels les Cubains parce qu’ils avaient choisi de résister sont confrontés. Voici qu’aujourd’hui où netflix passe the crown une démystification est toujours nécessaire, une double démystification de cette époque. Parce que je m’inscris en faux sur le culte qu’il a cru voir à Cuba lors de la venue du pape qui fut une victoire par KO de Fidel sur Jean paul II, l’ancien élève des jésuites fit clairement la démonstration qu’à l’inverse de la Pologne, Cuba avait choisi son socialisme, quant à Eusebio Leal ce fut un catholique des plus révolutionnaires et sur la tribune de la place de la Révolution, Gabriel Garcia Marquez était venu confirmer que Cuba n’était pas Varsovie, ni même la Barcelone de Santiago Carillo, ce que ni un ommuniste espagnol ni français ne savait voir à l’époque. (note de danielle Bleitrach)

Rien ne relie, a priori, Che Guevara, Lady Diana et Mère Teresa, sinon le fait que ces trois figures emblématiques se sont transformées en icônes pour des millions de personnes, d’un bout à l’autre de la planète. Si le révolutionnaire argentin restera dans l’histoire, rien n’est moins sûr en ce qui concerne la religieuse albanaise. Quant à l’ex-princesse de Galles, son souvenir aurait eu peu de chances de passer le cap d’une génération si le «Diana business» n’était venu soutenir les mémoires… Le 1er juillet, dans la propriété familiale d’Althorp en Grande-Bretagne, le comte Spencer ouvrait au public un musée-mausolée consacré à sa sœur. Seuls 10% des recettes de ce «Dianaland» seront finalement versés à des œuvres caritatives. Qu’importe, pourvu que le mythe perdure…par Manuel Vazquez Montalban 

Dans Le Banquet, Platon soutient que l’être humain à l’origine, avant la division des sexes, était sphérique et autosuffisant, de là que la sphère, dans toutes les cultures archaïques, a toujours symbolisé la perfection, la totalité. D’autre part, sur le plan métaphorique, la rose est la fleur symbolique la plus utilisée en Occident; elle signifie la régénération et l’amour pur : Béatrice, dans La Divine Comédie, de Dante, remet une rose jaune à son amant dans le dernier cercle du paradis.

C’est pourquoi, quelques mois avant le mariage de Cristina de Bourbon, fille du roi d’Espagne, et d’Ignacio Urdangarin, joueur de handball du Barcelone, on qualifia cette union de «rencontre de la rose et de la sphère», ici la balle de handball. Une mystérieuse conjuration ruina cette trouvaille symbolique, mais il faut la reprendre pour mieux saisir le langage secret de ce mariage atypique : pour la première fois, une princesse royale épousait un joueur de handball, et qui plus est du Club Barcelone, du Barça.

Un beau jour, l’infante Cristina avait débarqué à Barcelone pour travailler à la Caixa Bank, se comportant comme une immigrante de classe moyenne bien conseillée, car la Caixa Bank est l’une des firmes les plus solides de Catalogne. On aurait pu qualifier cela d’expansion monarchique, mais la jeune fille menait simplement sa vie, à sa manière, et se laissait photographier le visage ensommeillé lorsqu’elle arrivait à son bureau ou lorsqu’elle parlait, avec réserve et timidité, avec les citoyens ordinaires.

De temps en temps, Cristina retournait à Madrid pour une photo de famille, mais revenait vite à Barcelone où elle avait sa vie, une chose si difficile à avoir. Ainsi, alors que les amours de son frère Felipe ont parfois des accents d’énigme de Mayerling, et que les fiançailles de sa sœur aînée Elena semblaient régies par le concordat avec le Saint-Siège ou le concile de Trente, la rencontre de Cristina avec le joueur du Barça fait partie de la vie quotidienne. Indiscutablement, Ignacio lui plut parce qu’il était blond comme son père, mais plus grand et jouait mieux au handball. Puis vint le protocole, et cela devint le mariage entre Caixa et Barça, un événement du Gold Gotha retransmis, le 4 octobre 1997, par les télévisions du monde entier sous le regard attentif d’une réalisatrice socialiste, Pilar Miro (1). Si j’ai évoqué si longuement mes propres princes, ce n’est pas par chauvinisme, mais parce que, en Espagne et en Europe, on a l’habitude d’opposer le modèle de la monarchie espagnole à celui de la famille royale anglaise, rongée par des scandales presque toujours sexuels, et endeuillée, il y a un an, le 31 août 1997, par la mort dans un accident de voiture, à Paris, de Lady Diana Spencer, l’un de ses principaux sex symbols.

Tandis que Lady Di, devenue une funèbre Dame du lac, concentrait les larmes de l’humanité, Cristina et Ignacio ou Ignacio et Cristina, rose et sphère, sphère et rose, apparaissaient sur les écrans du village global comme des princes vitaux mais trop périphériques dans le nouvel ordre mythique international.

Car, dans le marché des mythes, à l’échelle planétaire, ces princes exemplaires espagnols existent à peine, alors qu’une concurrence surprenante oppose Lady Di, le Che et Mère Teresa de Calcutta.

Comme une sorte de cauchemar pour la pensée unique, pour le marché unique, pour la vérité unique, pour le gendarme unique, nous avons vu émerger à nouveau, ces temps derniers, la figure du Che comme signe d’insoumission, de rébellion à l’égard de la Sainte Inquisition de l’intégrisme néolibéral. Non pas comme prophète de révolutions inutiles mais comme symbole du droit à dire «non!».

Désormais, se référer au Che, c’est parier pour une libération de nouveau type, au-delà même de la rhétorique révolutionnaire devenue une sorte de code obsolète des impuissances passées. Se référer au Che, c’est retrouver le droit de l’individu à être solidaire sans avoir à demander pardon. Le Che reste valable parce qu’il a placé au-dessus de tout son exigence morale; et parce qu’il critiqua autant les conservatismes de droite que de gauche. Son exemple sert à mieux dénoncer ce monde que la mondialisation est en train de nous concocter.

Le système ne peut plus promettre la croissance; encore moins le bonheur. Cette évidence, perçue naguère par quelques-uns, est désormais une certitude sur toute l’étendue de la planète. Chaque fois que l’image du Che s’élève au-dessus des foules, les conspirations de la pensée unique se brisent. Et tous les intellectuels lèche-bottes du système laissent échapper un petit rire hystérique de suffisance.

Une époque sans finalité historique

LE retour de l’iconographie du Che a des causes diverses. Certaines d’entre elles ont un rapport avec l’ascension aux paradis mythologiques de Lady Di et de Mère Teresa, la première comme étrange prototype de princesse adultère mais vierge et martyre, et la seconde comme religieuse d’avant Vatican II, taillée à la mesure de l’actuelle économie mondialisée et impie (2).

Nous avons besoin de mythes de transgression pour cette époque qui ne semble pas avoir de finalité historique. A cet égard, Lady Di, comme mythe, a la même force et le même sens que celui du Che.

Qu’une partie de la société s’approprie un référent symbolique, cela veut dire qu’elle en a besoin. On peut à cet égard interpréter le retour du Che comme le résultat de la sélection d’une valeur révolutionnaire pure, d’un prophète vaincu mais pur, contrairement à tant de prophètes vaincus et de surcroît impurs, après toutes les catastrophes subies par les utopies révolutionnaires, après la révolution soviétique. Le Che est le révolutionnaire qui, vainqueur avec la révolution cubaine, n’a pas voulu s’installer comme bureaucrate; il incarne l’internationaliste révolutionnaire jusqu’au sacrifice personnel et se propose comme une œuvre ouverte, roi Arthur qui reviendra un jour rétablir la liberté et la justice. Un roi Arthur favorisé par d’excellentes photographies, mort ou vif, qui ont conféré à son masque funèbre des aspects de Saint-Suaire, du Juste assassiné. Il est évident que ce même mythe moral a favorisé l’ascension au paradis de Lady Dy, compagne de voyage de Mère Teresa.

Quelle différence y a-t-il entre un roi et un prince? Nous voyons le roi comme le véritable primum inter pares et le prince comme son héritier. Mais aujourd’hui un roi ou un prince constitutionnels ne sont plus que des mandataires célestes dépendant d’un Parlement. Qu’était Charles d’Angleterre? Rien ou presque jusqu’à son mariage morganatique (3) avec Diana Spencer, et leurs problèmes d’alcôve.

Le prince Charles n’a pu cacher, dans les jours qui suivirent la mort de son ex-épouse, la stupeur que lui causait l’avalanche de fleurs entassées devant la demeure de la princesse morte (4). Chaque fois qu’il prenait un bouquet pour le contempler obsessionnellement ou pour le montrer à ses fils, il semblait répondre aux directives d’un conseiller en image : «Prenez n’importe quel bouquet et chaque citoyen du Royaume Uni croira que vous avez pris le sien.» Mais, malgré ces consignes publicitaires, Charles donnait l’impression de se demander devant chaque bouquet : «Pourquoi? Qu’a fait cette jeune fille pour mériter une telle adhésion populaire?»

Après le décès de Lady Di, dès l’apparition de Charles à Balmoral, déguisé en Ecossais, le monde entier constata que les jambes du prince ne pouvaient se comparer à celles de Diana, les plus belles sans doute de la royauté universelle de tous les temps. Soudain revenaient en mémoire les prestations médiatiques de Charles et Diana à la télévision exposant leurs problèmes d’alcôve. Charles en resta à une interprétation de style Tudor, tandis que Diana se livrait à un numéro de l’Actor’s Studio avec toutefois une certaine retenue, comme il sied à une princesse, fût-elle morganatique. Au fond de l’âme, toujours en veille, des masses, chacun se souvenait de ses yeux immenses, débordant sur le visage fin, le regard flottant à la recherche de point d’ancrage que seule Lady Di percevait.

Le style Actor’s Studio de Lady Di en a fait une très correcte interprète de son rôle de princesse presque inutile une fois accompli son devoir de mettre au monde les lionceaux qui garantissent la continuité de la monarchie. Sans cesser d’être princesse, elle incarnait aussi le rôle de la femme blessée et décidée à aller de prince en prince, c’est-à-dire du prince d’Angleterre au prince de l’équitation ou à celui du rugby, ou encore à celui des play-boys.

Tous ceux qui accusent la monarchie britannique de s’être trompée en acceptant des princesses dépourvues de sang royal se trompent. Sarah Ferguson lui a apporté une saine vigueur, et Diana Spencer un souffle asthénique. Lady Di a offert à la maison de Hannover (ancien nom des Windsor) une longue vie de monarchie, et seule la circonstance de ne pas être catholique l’empêchera d’être sanctifiée comme première princesse adultère, vierge et martyre, «princesse des masses». Ces masses dont la rébellion continue de surprendre et qui a récemment revendiqué ces icônes fugaces que sont le Che, Lady Di et Teresa de Calcutta.

En janvier dernier, je me trouvais à Cuba. On attendait la rencontre entre Jean Paul II et Fidel Castro, c’est-à-dire entre le Saint-Esprit et l’Esprit de l’Histoire, à La Havane, ville des esprits. Je ne pouvais imaginer que j’allais y trouver la réponse à l’énigme que constitue la triple vénération dont font l’objet Che Guevara, Lady Di et Mère Teresa.

Un portrait gigantesque du Che trônait place de la Révolution, regardant du coin de l’œil le non moins gigantesque Sacré-Cœur de Jésus dressé pour présider la messe pontificale. Mais le Che était partout dans la ville, sorte d’icône exclusive de la révolution. Au même moment, on apprit qu’Eusebio Leal, historien chargé de la restauration de La Havane, s’apprêtait à inaugurer, dans le cœur historique de la vieille ville, une place dédiée à… Lady Di!

En effet, les autorités révolutionnaires cubaines avaient décidé de consacrer une place, dans un endroit privilégié, à Lady Di. Eusebio Leal inaugura le lieu, prononça un discours à la rhétorique fleurie, suivi des propos mesurés de l’ambassadeur britannique. On attendait la visite du pape, mais, sur cette place, était déjà descendu l’esprit de la princesse de Galles. Eusebio Leal rappela que Lady Di était morte la même semaine que Mère Teresa. «Souvenez-vous de leurs corps, dit-il, et chacun convint qu’ils étaient fort différents. Mais comparez leurs esprits : toutes deux se sont sacrifiées pour leurs semblables; Mère Teresa, par son abnégation évidente, Diana de Galles, en se dépouillant de ses robes en faveur des causes les plus nobles.»

Des intellectuels de premier ordre, comme Alfredo Guevara ou Miguel Barnet, déchiffrèrent le sens de la place, révélèrent les concepts de lac et de phallus suggérés par les architectes avec des accents caribéens, mais faisant clairement allusion à l’ultime demeure de la Dame du lac, si bien exploitée par son frère Lord Spencer. Quelqu’un commenta : «Les touristes britanniques sont de plus en plus nombreux à Cuba; ils viendront ici en pèlerinage et laisseront beaucoup de livres sterling.»

Eusebio Leal planifie le futur non seulement de La Havane mais de la mondialisation culturelle, et son regard tient compte sans doute du spectacle qu’on peut voir à Paris, au pont de l’Alma, où se rassemblent des bandes de voyeurs, à l’endroit même où Lady Di prononça ses dernières paroles : «Laissez-moi en paix, laissez-moi en paix…»

Elans de nécrophilie

Installée dans la sainteté light du Gold Gotha, Lady Di a déjà un an d’ancienneté et les projets commerciaux post mortem se sont multipliés. A commencer par l’île où elle repose au cœur de la propriété des Spencer et où son frère a récemment ouvert un musée, lieu de pèlerinage pour nécrophiles au prix de 95 francs par personne. La mémoire de Lady Di est protégée par les tribunaux qui ont condamné l’hebdomadaire Paris-Match à payer 50 000 francs à M. Mohamed Al Fayed, beau-père in pectore de la princesse, pour avoir reproduit une photographie dans laquelle Lady Di et Dodi s’embrassaient.

Par ailleurs, la firme Asbro a tenté de produire une «poupée Lady Di»; une autre entreprise envisage de fabriquer un puzzle Diana; la signature de la princesse est apparue pour recommander une margarine; les étudiants en sciences politiques de l’université libre de Berlin consacrent une partie de leur temps à étudier le thème : «La princesse de Galles, mythe et politique»; et le testament de Lady Di a été un best-seller.

Le magazine madrilène Lecturas, dans un autre élan de nécrophilie, a publié les patrons des robes les plus célèbres de Diana Spencer afin que les jeunes filles en fleur de l’Espagne puissent s’habiller comme la Sainte.

Il faut dire que, au moment de la mort de Diana, il y eut dans la presse un déferlement de textes sur Diana totalement délirants écrits parfois par des auteurs inattendus comme le romancier cubain exilé Guillermo Cabrera Infante, qui publia un article intitulé : «Pavane pour une Anglaise défunte ou La princesse qui voulait vivre», où l’on pouvait lire ce passage fort édifiant : «Mais Diana était légère, son cadavre pesait à peine. On dit qu’elle aurait pu monter directement au ciel si elle avait été une institutrice faisant de la lévitation ou une religieuse volante.»

On dit aussi que sa belle-mère, Elisabeth II, a décidé de faire un musée à sa mémoire dans le palais de Kensington; et dans les anciennes écuries familiales, un lieu de souvenir à sa mémoire vient d’ouvrir sur instruction de son frère, Charles Spencer, naguère connu comme l’un des plus grands buveurs de champagne du royaume, et maintenant devenu le vengeur du calvaire de sa sœur, souffre-douleur de la famille royale et de la presse de caniveau.

Cet aristocrate suspect, négociant habituel de photos exclusives sur sa vie privée (il vendit les photos de la naissance de son fils, pour 250 000 livres, à la revue Hello!) aurait pu devenir un personnage shakespearien hantant les couloirs des châteaux où vécut Diana avec son cadavre, au sens métaphorique, dans les bras.

Il a compris (et en tire financièrement profit, semble-t-il) que cette fin de siècle, après l’effondrement de tant de héros d’acier, a un fort besoin de glorifier des héros tendres comme Che, Mère Teresa ou Lady Di.

Manuel Vazquez MontalbanEcrivain et essayiste espagnol. Auteur, entre autres, de Sabotage olympique, 10-18, Paris, 1999; Le Prix, Bourgois, Paris, 1999; Pasionaria et les Sept Nains, Seuil, Paris, 1998; Y Dios entró en La Habana, El País-Aguilar, Madrid, 1998.

(1) Pilar Miro, réalisatrice de films (notamment du Crime de Cuenca et du Chien du jardinier) et directrice générale de la télévision d’Etat sous le gouvernement de M. Felipe Gonzalez, est décédée le 20 octobre 1997, peu après avoir assuré la retransmission télévisée du mariage princier.

(2) Lire Christopher Hitchens, «Mère Teresa, une sainteté médiatique», Le Monde diplomatique, décembre 1996.

(3) Se dit de l’union contractée par un prince et une femme de condition inférieure.

(4) Lire Joan Smith, «Diana, une femme du passé», Le Monde diplomatique, octobre 1997.

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