Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Dans la défaite de l’Arménie au Haut-Karabakh il y a un coupable, par Guevorg Mirzayan

Marianne nous traduit les débats qui ont lieu en Russie autour de l’Arménie, celle-ci qui a des liens historiques avec l’Union soviétique et la Russie apparaît comme un des stades ultimes de la décomposition et de la soumission à un occident lui même dans un stade avancé de désagrégation. Les communistes arméniens contemplent la situation avec le même regard que nous pouvons jeter sur l’UE, et même sur la France aujourd’hui, enfin ceux qui sont doués d’un minimum de lucidité. (note de danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

18 novembre 2020

https://vz.ru/opinions/2020/11/18/1071032.html

La société arménienne essaie toujours de comprendre qui est responsable de la défaite catastrophique du pays dans la deuxième guerre du Karabakh. Et elle comprend déjà que c’est elle-même qui est à blâmer, que la tragédie actuelle est le résultat d’une erreur grandiose commise il y a 2 ans er demie. Et le nom de cette erreur est Nikol Pachinian.

Je n’aime généralement pas les théories du complot. Les schémas complexes en plusieurs étapes – avec des trahisons, des cosaques, des virages délicats. Cela se produit plus probablement dans les films d’espionnage – dans la vraie vie, il y a tellement de variables et de circonstances qu’il est extrêmement difficile de mettre en œuvre un plan en plusieurs étapes. C’est pourquoi de nombreux dirigeants mondiaux – dont Vladimir Poutine et Recep Erdogan – jouent en fonction de la situation.

Cependant, la politique du Premier ministre arménien Nikol Pachinian sur la question du Karabakh avant, pendant et après la deuxième guerre du Karabakh met les observateurs devant un dilemme : soit il est une personne très stupide, soit il a délibérément livré le Karabakh (ou l’Artsakh, comme l’appellent les Arméniens).

L’Arménie est un pays en état de siège. À l’est et à l’ouest se trouvent des pays ouvertement hostiles – l’Azerbaïdjan et la Turquie. Au nord la Géorgie que l’on ne peut pas qualifier de très amicale. Au sud – l’Iran, qui a de bonnes relations avec l’Arménie, mais très mauvaises avec un certain nombre d’autres États, de sorte que les possibilités d’avoir un accès au monde par le territoire de la République islamique sont limitées. Dans cette situation de «siège», la cohésion de la société est l’alpha et l’oméga – cependant, Nikol Pachinian, qui a pris le pouvoir après un coup d’État au printemps 2018, a commencé à diviser la société.

Arrivé au pouvoir grâce aux votes des personnes insatisfaites de la corruption et de l’inefficacité des anciennes autorités, il a commencé à persécuter ses rivaux politiques et à se venger d’eux – par exemple, avec une ténacité digne d’un meilleur usage, il a tenté d’emprisonner l’ancien président Robert Kotcharian – pour le fait qu’en 2010 Kocharyan avait emprisonné Pachinian pour avoir organisé des émeutes après les élections présidentielles de 2008.

Photo: Hayk Baghdasaryan / Photolure / REUTERS

Tout en divisant la société arménienne, Pachinian a poursuivi sa propagande anti-Karabakh (car à cette époque, la république était dirigée par des fidèles à Kocharyan). Et en même temps, il a provoqué l’Azerbaïdjan, déclarant que «l’Artsakh est l’Arménie», a visité Shushi et y a dansé, a fait d’autres déclarations provocantes et a même refusé de poursuivre formellement le processus de négociation. Se rendant parfaitement compte qu’Ilham Aliyev se trouvait dans une situation très délicate en raison de l’acuité de la question du Karabakh en Azerbaïdjan, que l’électorat poussait Aliyev à la guerre et que le président azerbaïdjanais ne pouvait rester sourd à ces appels que si le Premier ministre arménien se comportait décemment dans le respect des formes diplomatiques … Ce genre de de comportement n’a laissé à Aliyev d’autre choix que de résoudre le conflit par la force.

Oui, théoriquement, cela pourrait être le plan rusé de Pachinian – provoquer Bakou dans une guerre que l’Azerbaïdjan perdrait, ce qui permettrait à l’Arménie d’annuler les principes de Madrid du règlement du Haut-Karabakh, qui lui sont désavantageux. Et en même temps rallier la société arménienne autour de Nicolas le Victorieux. Cependant, la victoire de l’Arménie aurait été impossible sans le soutien direct de la Russie – et Pachinian, qui provoque Aliyev, a en même temps tout fait pour retourner Moscou contre lui. Il n’est pas surprenant qu’au début de la guerre organisée par les Turcs, les Azerbaïdjanais et Pachinian, le nom du Premier ministre arménien à Moscou ait provoqué une certaine irritation et peu de gens étaient pressés de donner à Pachinian une victoire au Karabakh.

Quelqu’un peut appeler ce comportement du premier ministre arménien stupidité et insouciance. D’accord, mais alors comment évaluer son comportement au cours de la guerre elle-même – un comportement dont les détails choquants sont maintenant révélés chaque jour. Et si tout le monde connaissait avant cela le refus de Pachinian d’envoyer au moins une demande d’aide à l’OTSC après l’attaque de l’Azerbaïdjan sur le territoire arménien (une attaque que Bakou n’a pas nié), en ce qui concerne la réticence du Premier ministre à envoyer suffisamment de personnel militaire arménien au Karabakh pour éviter l’effondrement du front, on ne commence à en parler que maintenant. En fait, pendant toutes ces semaines, aux troupes turco-azerbaïdjanaises et aux unités des terroristes syriens qui leur sont rattachées ont été opposées, principalement, les habitants du Karabakh eux-mêmes et un certain nombre de volontaires arméniens.

Une passivité frappante a également été démontrée sur le front diplomatique. Pachinian a rejeté les différents plans de règlement qui lui avaient été proposés au début du conflit. Les plans, qui n’impliquaient ni la reddition de Shushi, ni la perte du territoire du NKR lui-même, ne concernaient qu’une partie des régions autour de la république. Selon Pachinian, il espérait qu’il serait en mesure de forcer l’Azerbaïdjan à accepter des conditions plus favorables pour les Arméniens – mais comment l’ennemi peut-il être forcé sans l’armée arménienne et l’assistance russe, dont le Karabakh a été privé à la demande (non par la faute, mais précisément à la demande) de Pachinian lui-même? Il est clair que dans cette situation, le Karabakh était condamné.

Il semblerait que le Premier ministre lui-même, qui a signé la capitulation, soit lui aussi condamné. On s’attendait au moins à ce que Pachinian se repentisse et démissionne. Cependant, le chef de l’Arménie s’est caché de la population pendant deux jours après la signature, puis est passé à l’antenne et … non, il n’a pas annoncé sa démission, mais a commencé à se trouver des excuses. Il a blâmé ses prédécesseurs pour la défaite, a raconté des histoires sur le manque de choix, a blâmé les gens qui s’opposaient à lui, et a même appelé au déclenchement d’une guerre civile pour lui-même (il a dit aux soldats en première ligne qu’il les attendait « à Erevan, afin de résoudre enfin les problèmes de ceux qui pleurnichent sous les murs »). La plupart des habitants de l’Arménie ont été choqués par ce comportement du Premier ministre. Sous le choc également sont les représentants de son gouvernement, qui ont commencé à faire défection en masse des rangs des Pashinites.

Mais les Arméniens comprennent-ils que ce ne sont pas seulement Nikol Pachinian et consorts qui sont à blâmer pour la défaite de leur pays, mais eux-mêmes, qui l’ont élu en 2018, ont fermé les yeux sur son sabotage de l’État arménien? Comprennent-ils que lors des élections législatives anticipées de 2020, au cours desquelles les politiciens pro-occidentaux se présenteront sous le slogan «élisez-nous, pour ne pas élire tous ces ex dirigeants pourris», cela peut être un déjà vu d’il y a deux ans?

La population arménienne a un choix très simple. Soit le chef de l’Etat est non seulement un dirigeant compétent, mais une personne pro-russe à 146% qui jouit de la confiance absolue de Moscou (et il ne s’agit pas forcément de Robert Kocharyan – sa réputation en Arménie est ambiguë, il faut donc trouver un autre homme politique), soit Pachinian 2.0. Et si les Arméniens décident de choisir une nouvelle itération de Nikol – un leader pro-occidental capable de prononcer de belles paroles et de faire des choses terribles – alors dans cinq ans, un nouveau désastre surviendra. Et il ne s’agira pas seulement de la perte des derniers vestiges du Karabakh.

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