Beyrouth part en fumée par Andre Vltchek

Encore une fois appel au calme face à une des nombreuses poudrières mondiales. Les interprétations, les fausses nouvelles sont des armes aux mains des fascistes qui jouent à la mort.Désormais les “nouvelles” sont tronquées, les logos falsifiés et d’imbéciles criminels dans ce domaine comme dans d’autres jouent avec les angoisses maximales d’une population traumatisée. (note et traduction de Danielle Bleitrach)

Voir Beyrouth et sa zone portuaire avec un énorme champignon au-dessus est un spectacle vraiment surréaliste. Mais qu’est-ce qui n’est pas surréaliste dans la capitale libanaise malmenée?

Une grande partie du centre-ville semble aplatie, complètement ruinée.

Un de mes amis japonais basé à Beyrouth s’est exclamé:

«Cela ressemble à Hiroshima!»

effectivement.

Qui est derrière le carnage? Que s’est-il vraiment passé? Personne ne revendique la responsabilité. S’agit-il d’un sabotage, d’une attaque directe contre le Liban ou d’un acte terroriste à motivation politique?

Ce qui est certain, c’est que «la terre a bougé». Une des explosions, équivalente à un tremblement de terre de magnitude 4,5, a tout ruiné à proximité. Des explosions ont été entendues tout au long de la mer jusqu’à Chypre, tandis qu’à une vingtaine de kilomètres de là, les panneaux de fenêtres de l’aéroport international Rafik Hariri se sont brisés.

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Depuis cinq ans, j’observe depuis ma fenêtre et ma terrasse ce magnifique spectacle: de hautes montagnes souvent enneigées, une immense baie et une vaste zone portuaire avec des grues, des pétroliers et de puissants porte-conteneurs.

Un jour il y a eu un petit incendie dans le port, et je pouvais en voir chaque détail. Mais maintenant, tout a changé. Deux explosions, une relativement petite et une énorme, ont transformé toute la zone portuaire de Beyrouth en une zone de guerre, une cible de bombardements en tapis. Ou à la suite d’une explosion nucléaire.

Les gens s’enfuient, horrifiés. Des femmes et des enfants crient, pleurent, s’accrochent les uns aux autres. Le nombre de victimes est encore inconnu. Les rapports préliminaires font état d’au moins 73 personnes tuées, mais il y a probablement des centaines de personnes qui ont perdu la vie. Il y a ceux qui sont encore enterrés sous les décombres, brûlés au-delà de toute reconnaissance. Une brigade de pompiers entière a «disparu». La Croix-Rouge a signalé au moins 2 200 blessés. Peu de temps après, le nombre est passé à 4000. Plusieurs membres d’équipage du navire de la FINUL, qui était amarré dans le port de Beyrouth, ont été blessés. L’horrible décompte monte et monte.

Le système médical libanais, privatisé dans sa quasi totalité et en très mauvais état, il ne peut pas faire face au carnage.

De la fumée rouge lévite au-dessus de la côte. De quoi s’agit-il réellement ?

Les spéculations et analyses préliminaires ont été des plus alarmantes.

L’ambassade du Canada a commencé à compter son personnel. Ce fait a été confirmé.

Ce qui a été clairement un canular, c’est que l’ambassade a envoyé des avertissements scientifiques / médicaux, qui circulent maintenant partout sur les médias sociaux, tels que:

«C’est une bombe larguée avec de l’uranium appauvri (couleur rouge). Dites à tous vos proches de s’évader et de ne pas inhaler. Essayez d’aller dans la direction opposée du vent. “

La vérité se mêle aux fausses nouvelles. Que ce soit une bombe est une question très légitime. Mais l’ambassade du Canada n’a certainement pas affirmé sur ses médias sociaux qu’elle l’était.

Il y a un «message urgent» de l’AUBMC (American University of Beirut Medical Center), l’établissement médical le plus prestigieux du Moyen-Orient. Il porte même son logo en haut de la page. Mais lorsque j’ai contacté AUBMC, le personnel a fermement nié l’envoi de tels messages:

«Tout le monde au Liban doit rester à l’intérieur… Du point de vue de la flamme, l’explosion semble à base d’acide nitrique. VEUILLEZ RESTER À L’INTÉRIEUR !!! “

Il y a cependant un long message du président de l’AUB, qui commence par:

«Chers membres de la communauté AUB, j’espère que vous et vos proches êtes en sécurité et commencez à vous remettre de l’explosion catastrophique qui s’est produite plus tôt ce soir dans le port de Beyrouth. Nous connaissons déjà des milliers de blessés et plus de 67 morts. La propriété a été détruite sur une superficie de plusieurs kilomètres carrés, notamment à l’AUB et l’AUBMC. Nos cœurs et nos prières accompagnent tous ceux qui ont été blessés ou perdus dans cette terrible tragédie. Nous devons faire tout ce que nous pouvons, et dans une certaine mesure au-delà, pour soigner les blessés et guérir les terribles blessures invisibles que cela a engendrées. Le service des urgences de l’AUBMC, notre faculté de médecine, les infirmières et le personnel répondent tous à des centaines de cas de traumatisme, y compris un certain nombre de cas graves et critiques, avec beaucoup de compétence et de professionnalisme… »

Pourquoi des rumeurs se propagent-elles? Qui en profite? Quels sont les buts ?

Chaque élément d’information doit maintenant être vérifié. Scruté. Doublement et triplement vérifié.

Chaque «fake news» ou fabrication pure et simple peut conduire à une autre «explosion», à l’aggravation de la violence politique. Le Liban est à la limite. Et toujours quand c’est le cas; quand on en est là, des milliers d’innocents meurent. Tous ceux qui ont vécu ici, tous ceux qui comprennent son histoire, savent qu’il en est exactement ainsi ici.

Il est évident que certains groupes dans le pays sont intéressés à semer le chaos dans ce pays qui souffre depuis longtemps et est profondément blessé.

Mais il existe également des sources très légitimes qui pensent qu’il s’agit d’une attaque par des États étrangers hostiles.

Certaines sources de sécurité fiables que j’ai approchées sont brèves dans leurs analyses et leurs conclusions préliminaires sont effrayantes:

«Nuke a frappé un entrepôt de missiles balistiques. La fumée rouge est du carburant.

Mais je ne sais pas encore; personne ne sait.

La situation est incroyablement déroutante. Tout le monde est encore sous le choc et en deuil.

Certains doigts pointent Israël. Israël nie son implication et propose de l’aide à la place. Trump prétend que c’était une bombe, mais ne donne pas de détails.

RT a rapporté plus tôt le jour des explosions:

«Le secrétaire général du Parti chrétien Kataeb du Liban, ou Phalange, Nizar Najarian, a été tué.

Le parti Kataeb est un parti chrétien de droite extrémiste et violent, qui est allié à la faction pro-saoudienne de l’ancien Premier ministre Saad Hariri.

Bienvenue dans le labyrinthe politique à la libanaise!

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Pendant ce temps, les habitants de Beyrouth ont peur. Le Liban est confronté à d’énormes problèmes depuis au moins un an. D’énormes émeutes anti-établissement qui ont commencé en 2019, à l’éclosion du COVID-19 suivie du verrouillage, de graves crises économiques et d’effondrement financier. Finalement, le taux de change contrôlé entre la livre libanaise et le dollar américain a été abandonné, et la monnaie locale a piqué du nez; il a été fortement dévalué. Pendant un certain temps, les gens n’ont pu retirer qu’une petite partie de leur épargne des banques locales.

Les affrontements politiques ont toujours frappé le Liban, mais récemment, ils ont augmenté. Le pays abrite d’innombrables partis et mouvements politiques et religieux, ainsi que des coalitions instables et temporaires. Ce qui est en surface ne correspond pas nécessairement à ce qui forme les fondations.

Par exemple, le Hezbollah, qui est un ennemi juré d’Israël et qui figure maintenant sur la liste des terroristes américains, a été en fait l’organisation sociale la plus efficace, fournissant de facto un filet de sécurité sociale aux musulmans et aux chrétiens. Mais c’est aussi une force déterminée et puissante, toujours prête à défendre le Liban contre les invasions israéliennes, donc constamment sur la «liste noire» de quelqu’un.

Les chrétiens d’extrême droite pouvaient toujours se balancer dans les deux sens; de s’opposer aux Palestiniens maltraités et de se ranger du côté d’Israël, à la formation de coalitions avec le Hezbollah. Pour un étranger, tout cela n’a aucun sens. Mais, d’une manière ou d’une autre, c’est le cas (souvent de manière perverse), du moins pour les Libanais, et pour ceux d’entre nous qui ont passé un long moment dans le pays.

Les explosions ont eu lieu quelques jours à peine avant que la cour de justice de l’ONU ne lise le verdict, par contumace, contre quatre membres du Hezbollah, qui auraient été impliqués dans l’assassinat en 2005 de Rafik Hariri, ancien Premier ministre du Liban. Certains croient qu’il existe un lien, mais je ne suis pas du tout d’accord, connaissant le Hezbollah et ses objectifs politiques. Cette attaque n’est certainement pas du «style» du Hezbollah, ni ne serait dans l’intérêt du groupe.

Le Liban a toujours été une bombe à retardement, avec des dizaines de véritables organisations terroristes formant de soi-disant «cellules dormantes»; dans tout le pays, et naturellement dans toute la ville de Beyrouth. Leur proximité les uns avec les autres, leur caractère antagoniste, peuvent conduire à une catastrophe à tout moment.

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Al Mayadeen, une chaîne de télévision de gauche proche du Hezbollah et du sud-américain TeleSur, a rapporté dans son service arabe:

«Le général de division Abbas Ibrahim a déclaré à Al-Mayadeen qu’il était possible que l’explosion provienne de matériaux hautement explosifs qui avaient été confisqués il y a quelque temps, ajoutant que le déroulement des enquêtes ne pouvait pas être anticipé et qu’une fois terminées, nous ferions circuler des informations confirmées.»

De son côté, le directeur général des douanes a annoncé que le nitrate était à l’origine de l’énorme explosion du port de Beyrouth.

Quant au ministre de l’Intérieur, Mohamed Fahmy, lors de son inspection du port de Beyrouth, il a déclaré: «Il faut attendre des investigations pour découvrir la cause de l’explosion.»

Le dernier par Al-Mayadeen a réaffirmé que ce qui a explosé était du «nitrate d’ammonium». Et Al-Mayadeen est étroitement lié au Hezbollah.

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Maki, un travailleur humanitaire japonais, basé à Beyrouth, a commenté:

«J’espère que ce n’est pas nucléaire. Cette forme de champignon de la fumée est très inquiétante.

Rana, membre du personnel libanais de l’ONU à Beyrouth, a partagé ses réflexions:

«De nombreuses spéculations circulent: un accident dans le dépôt de feux d’artifice, une attaque israélienne contre le Hezbollah ou des armes de l’armée. Rien n’est certain pour le moment, sauf qu’il y a d’énormes dégâts et destructions. »

Avant les explosions, apparemment, un drone tournait au-dessus de la zone de la catastrophe. Les images montrent clairement sa présence dans le ciel. Les gens demandent une explication.

Comme personne ne revendique la responsabilité, il semble que pendant au moins un certain temps, il y aura beaucoup plus de questions que de réponses. Mais c’est bien mieux que des conclusions précipitées.

La tragédie est énorme. Le pays tout entier est sous le choc. Les émotions sont vives. Un faux mouvement et toute cette partie du monde pourraient s’enflammer. Encore.

À l’heure actuelle, le plus important est de s’occuper de milliers de blessés, d’enterrer les victimes et d’enquêter de manière approfondie et calme.

C’est peut-être le moment le plus difficile et le plus dangereux pour le Liban depuis la fin de la guerre civile. Pas de temps pour le sectarisme. Le pays doit s’unir, sourire des dents et lutter stoïquement pour sa survie même.

Ceux d’entre nous qui aiment et manquent au Liban, malgré tout, le soutiendront autant que possible.

Andre Vltchek est un philosophe, romancier, cinéaste et journaliste d’investigation. Il est le créateur de  Vltchek’s World in Word and Images , et un écrivain qui a écrit un certain nombre de livres, dont  China’s Belt and Road Initiative: Connecting Countries Saving Millions of Lives . Il écrit spécialement pour le magazine en ligne  «New Eastern Outlook».