Interview de Guennadi Ziouganov parAndreï Polounine pour SP (presse libre)
https://svpressa.ru/society/article/269946/
Les résultats réels du plébiscite sur la Constitution montrent que le Kremlin n’a rien à célébrer explique Guennadi Ziouganov, le président du KPRF. Une fois de plus, il montre l’esprit de responsabilité des communistes russes, la conscience qu’ils ont des enjeux essentiels qui sont là devant eux et que Poutine ne peut ignorer. Un grand texte … (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop).
Sur la photo: le chef du Parti communiste Guennadi Ziouganov (au centre) s’entretient avec des journalistes après avoir participé au vote sur les amendements à la Constitution de la Fédération de Russie (Photo: Valery Sharifulin / TASS)
Le 3 juillet, la Commission électorale centrale (CEC) a officiellement approuvé les résultats du vote panrusse sur les amendements constitutionnels qui s’est terminé la veille. 77,92% des votants ont soutenu les amendements, 21,27% ont voté contre, avec un taux de participation de 67,97%.
Comme l’a déclaré la présidente de la CEC, Ella Pamfilova , le système électoral a démontré une vitesse sans précédent de saisie des données et d’affichage des résultats – il n’y avait encore jamais eu une saisie aussi rapide du volume complet des protocoles. C’est ce qui a permis de mener une campagne «très digne» d’une complexité «sans précédent», a déclaré le chef de la CEC.
Dans le même temps, de rares irrégularités ont été enregistrées, a-t-elle noté. Dans un bureau de vote du district de Ramenki à Moscou, les résultats du vote ont été annulés – des bourrages de bulletins de vote y ont été constatés. Les urnes dans des urnes portables dans 23 sites dans six régions ont également été invalidées.
Au Kremlin, les résultats du vote ont été déclarés un triomphe. Selon le porte-parole présidentiel Dmitri Peskov , « un référendum de facto sur la confiance dans le président Poutine a eu lieu. » Selon lui, «il était très difficile de prévoir un taux de participation aussi élevé et un si haut niveau de soutien».
Aujourd’hui, l’administration présidentielle est tentée d’étendre cette technologie «triomphale» à d’autres élections. Par exemple, la pratique de voter sur plusieurs jours – une telle suggestion a déjà été faite par la présidente du Conseil de la Fédération, Valentina Matvienko.
«Nous devons réfléchir, peut-être devrions-nous continuer à saisir cette opportunité. Il est pratique pour les citoyens de venir au moment où ils peuvent se le permettre », a déclaré la présidente.
À son avis, la décision de voter sur plusieurs jours a porté ses fruits. Elle a également déclaré que cette pratique est utilisée dans un certain nombre d’autres États – comme les politologues l’ont précisé plus tard, en Indonésie et en Inde.
La CEC estime que cela est tout à fait réaliste, seulement il est nécessaire d’inscrire cette possibilité dans la législation. «S’il s’agit d’un élément de la loi électorale, la CEC, en tant qu’organisme chargé de l’application des lois, l’appliquera. J’ai beaucoup discuté avec les électeurs, la quasi-totalité d’entre eux parle positivement de la possibilité de choisir quand voter », a déclaré Evgeny Chevtchenko, membre de la CEC.
Les analystes disent que dans les pays développés, il n’y a pas une telle pratique, car le vote sur plusieurs jours offre des possibilités de fraude. Et les observateurs ne peuvent pas avoir l’œil partout. Par conséquent, le bourrage des urnes, la saisie et la «modification» des bulletins de vote des électeurs qui ont voté «mal» sont possibles – dans ce cas, le bulletin de vote peut être invalidé en cochant une autre case.
Le vote électronique offre non moins d’amples possibilités de fraude.
Il est clair qu’avec cette méthode la population politiquement active ne fera pas confiance aux résultats exprimés, ni à la procédure pour les obtenir. Mais le vote sur la Constitution a montré que le système a effectivement cessé de cacher la manipulation des votes et a cessé de prendre en compte l’opinion des citoyens politiquement actifs.
Le Kremlin n’a tout simplement pas d’autre choix: l’électorat a moins de sympathie pour les dirigeants du pays, et à chaque nouvelle élection, il est plus difficile d’obtenir les résultats souhaités.
Qu’est-ce qui nous attend en septembre, où donc les jeux de dés du Kremlin mèneront-ils la Russie?
– “En politique, j’ai le plus peur des gens intelligents obséquieux et des radicaux stupides”, a déclaré le chef du Parti communiste Guennadi Ziouganov . «Ceux qui sont obséquieux cachent la vraie image et déversent de douces paroles dans les oreilles, alors qu’en situation de crise, il est particulièrement important de voir les vrais problèmes et d’entendre les exigences de la société. Et les radicaux stupides – ils sont prêts à tout briser et à détruire, sans penser aux conséquences.
Comme maintenant: il a été procédé à un vote sur les amendements à la Constitution – et “Russie unie” commence à exulter, bien qu’il n’y ait essentiellement aucun sujet de se réjouir. Je le répète encore une fois: la loi sur les amendements a été précédemment adoptée par la Douma d’État, le Conseil de la Fédération et signée par le président et, par conséquent, au moment du vote panrusse, de jure elle était déjà entré en vigueur. En fait, le vote était une clarification de l’opinion des citoyens: soutiennent-ils le cours actuel, la politique actuelle et la suite des choses.
C’est un point fondamental. Ce n’est pas une coïncidence si nous, communistes, avons dit: nous lutterons pour une Constitution soviétique et pour le pouvoir du peuple. Nous invitons tout le monde à participer activement à la sensibilisation afin que les gens sachent en réalité pour quoi ils voteront.
Pendant une semaine, les autorités ont tout fait pour obtenir le résultat souhaité, mobilisant tous les canaux d’information. Nous n’étions pas invités – ils ne voulaient même pas écouter un autre point de vue. Ce fait à lui seul réduit la valeur des résultats du vote. Mais même ces résultats, s’ils sont soigneusement analysés, devraient faire réfléchir le gouvernement.
“SP”: – De quels résultats parlez-vous?
– À mon avis, le président, qui a fait beaucoup d’efforts pour tirer le pays de l’abîme, est bien informé sur le vote par les services spéciaux du Conseil de sécurité. Ils doivent lui avoir rapporté des informations reflétant l’image réelle.
Il n’est pas étonnant que Poutine, félicitant ceux qui ont soutenu les amendements, ait remercié ceux qui ont voté contre. Il a noté qu’il y a beaucoup de questions, beaucoup de mécontentement, que les problèmes doivent être résolus et qu’il faut tâcher de renforcer la cohésion de la société.
Seule “Russie unie” n’est pas en mesure d’évaluer la situation avec sobriété. Et la situation ressemble à ceci :
A Moscou – dans la capitale – un tiers des électeurs ne sont pas venus voter et un tiers a voté contre les amendements. Cela signifie que la plupart des Moscovites – malgré la propagande officielle – estiment que les modifications proposées à la Loi fondamentale ne sont pas suffisantes et que des décisions plus fondamentales sont nécessaires.
Ou prenez les plus grands centres. Nijny Novgorod – la principale capitale commerciale de la Russie tsariste, et maintenant le plus grand centre industriel et culturel: les amendements, selon nos données, ont été soutenus par 40% des habitants. A Ekaterinbourg – 30%.
Ou faites une incursion par le Nord russe – d’Arkhangelsk à Magadan et Tchoukotka. Les résultats du vote montrent que ces terres, qui depuis des siècles ont assuré notre puissance, et qui vivent dans des conditions incroyablement difficiles, nécessitent une politique plus équitable.
Les autorités parlent de renforcer l’unité du pays. Mais cela nécessite une qualité de vote élevée. Nous avons besoin du soutien de la véritable majorité de la société. Mais maintenant, ce n’est pas ce qui se passe. En Extrême-Orient, seulement 42% du total des électeurs ont voté, en Sibérie – 44%, l’Oural s’est divisé en deux.
Tout politicien normal doit tenir compte de ces résultats.
«SP»: – Le Kremlin étendra-t-il ces nouvelles formes de vote à d’autres élections?
– Le vote électronique et à distance, ainsi que le vote pendant toute une semaine est synonyme de manque de contrôle. Cela ne peut tout simplement pas marcher avec de telles méthodes de vote. Les enseignants et les employés sont sur les sites en tant que superviseurs – ils ne peuvent pas y rester pendant une semaine sans pause. De son côté, la Chambre civique n’est pas en mesure de rassembler l’armée de contrôleurs requise, et les partis sont écartés du contrôle – ils ne peuvent pas envoyer leurs observateurs.
Quand ils disent qu’un tel format convient aux futures élections, c’est une déclaration douteuse. Ni le vote à distance ni le vote électronique n’apporteront une confiance suffisante dans les résultats du vote.
En outre, certains politiciens ont déjà appelé à la tenue d’élections anticipées à la Douma d’État – ce serait une étape logique après l’adoption des amendements à la Constitution.
J’ai envie de leur dire: de quelles élections parlez-vous? Nous ne sommes pas sortis du précipice, et la situation continue de se détériorer! Des mesures urgentes doivent être prises pour sauver l’économie et lutter contre l’appauvrissement vertigineux de la population. Et vous proposez de mettre toutes vos forces dans la campagne électorale, en écartant d’un revers de main les problèmes qui doivent être résolus immédiatement.
Nous devons penser à la cohésion sociale au milieu des défis externes. Le mondialisme s’effondre – l’Amérique se tord de douleur, l’Europe tremble. Et pendant ce temps Russie unie crie victoire, prétendant que la Russie est un havre économique et politique tranquille et prospère. Mais nous avons des industries entières pratiquement à l’arrêt! Chaque famille a perdu en moyenne 40% de ses revenus à cause de la crise! Demain, ces gens n’auront plus de quoi acheter à manger.
Prochainement, le gouvernement fera son rapport à la Douma d’État. J’ai rencontré le Premier ministre, j’ai parlé avec le président. Ils sont conscients que des mesures urgentes sont nécessaires pour soutenir plusieurs branches de l’industrie et que cela nécessite une hiérarchisation appropriée. Mais cela ne suffit pas – nous devons encore entendre une opinion différente, l’opinion de l’opposition. Mais ce n’est pas ce que l’on observe.
Je le répète: les constitutions vivent quand elles servent le peuple et renforcent l’État. J’étais heureux lorsque, lors du référendum pan-soviétique en 1991, 78% des citoyens soviétiques ont voté pour préserver l’URSS. Et juste une semaine plus tard, lors de réunions avec Gorbatchev, Yakovlev et Eltsine, j’ai réalisé qu’ils continuaient de suivre la même ligne – ils divisaient le pays, démolissaient le Parti communiste, dressaient les gens contre l’appareil d’État, humiliaient l’armée. Et ils se foutaient du référendum.
J’ai alors écrit au journal Sovietskaïa Rossiya une lettre ouverte, «L’architecte au milieu des ruines», qui critiquait la perestroïka. Les membres du Politburo m’ont fichu une telle raclée que je sentais mes os se briser. Mais je voyais que nous courions au désastre – et cela malgré le fait que peuple avait exprimé sa volonté!
Un peu plus tard, à l’été 1991, les gens étaient occupés à leurs propres affaires: certains se prélassaient sur la plage, d’autres passaient leurs examens et d’autres encore s’occupaient de leur potager. Et quand ils ont repris leurs esprits – à la fin de l’année – le pays avait disparu. Le peuple a perdu ses droits et ses économies. Et surtout – il a perdu le pouvoir, dont la solidité jusque-là semblait inébranlable. Mais les autorités ne veulent toujours pas prendre en compte cette expérience. Je ne peux pas me réjouir, quand je vois que notre pays est encerclé de toutes parts, qu’il se tord de douleur. La Russie a besoin d’un nouveau cap, d’une nouvelle politique. Nous devons tout faire pour sortir de l’impasse – cela nécessite de la cohésion et un programme de développement. Le Parti communiste a proposé un tel programme et se battra pour son application.
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