S’il n’est pas question ici de faire une analogie quelconque entre la NEP et ce ce qui se passe en Chine, le parallélisme entre l’approche léniniste des questions internationales et la manière dont le Parti Communiste chinois aujourd’hui réagit face à l’agression occidentale est intéressant. comme d’ailleurs il est intéressant de constater la reproduction des modes d’agression capitalistes. Mais ce qui est peut-être le plus intéressant c’est qu’à travers la transformation des relations internationales qu’il s’agisse de l’URSS ou de la Chine,il faudrait y ajouter Cuba, nous sommes proches de ce qui fait du communisme une “civilisation”, une “culture”.
Durant la période qui va de 1921 à 1923, après la défaite de l’intervention étrangère (14 pays) et de la contre-révolution intérieure, une nouvelle étape, non prévue dans aucun classique du marxisme, s’est ouverte en Russie soviétique.
Les capitalistes n’avaient pas renoncé à combattre la Russie soviétique. Les plus belliqueux d’entre eux, parmi lesquels la France, armaient les pays voisins dont ils espéraient faire l’instrument d’un assaut militaire contre l’Union soviétique. Ils ne purent mettre en oeuvre cette stratégie avant 1941, même si la menace demeurera permanente.
Le terrain principal de l’affrontement s’était malgré tout déplacé. Les puissances capitalistes se contentèrent en priorité d’organiser le boycott économique et financier, le refus de reconnaître le gouvernement de l’URSS, son isolement. Ils tablaient en fait sur l’impossible redressement de l’économie dans de telles conditions.
Ce que Lénine choisit alors fut le rétablissement économique: “Nous ne pouvons affaiblir nos forces armées mais nous devons engager toute la machine du pouvoir soviétique axée sur la guerre, dans la voie nouvelle de l’édification pacifique”(1)
Le Xe Congrès du parti prit la décision de passer à la NEP (2).
Lénine a tout de suite, à l’inverse sans doute de la Chine de Deng Xiao Ping, mis en relief la portée internationale de l’édification économique de l’Etat soviétique. Si l’on ne peut pas cependant comparer la NEP à la politique des réformes chinoises, c’est d’abord en fonction de deux évidence. L’essor économique chinois n’est pas lié à ces seules réformes, il n’y a pas de rupture entre la Chine de Mao et celle de ces réformes alors qu’il y en a une dans l’édification soviétique non seulement avec le tsarisme mais avec le communisme de guerre. Ensuite, toutes les révolutions intervenues après la révolution soviétique bénéficieront d’un environnement international que l’URSS a du créer de toute pièce. Si toutes les Révolutions qui ont établi un pouvoir prolétarien ont du se poser à chaque moment la question de leur survie et si toutes ont du affronter une dynamique entre nation et internationalisme, la Révolution soviétique apparaît comme une épopée,un saut dans l’inconnu par rapport à laquelle toutes les autres se détermineront.
Si aujourd’hui la Chine revendique une transformation des relations internationales, le gagnant-gagnant, la communauté de destin, il y a là à la fois une création originale mais aussi un patrimoine socialiste. Il, faudrait étudier la manière dont la Chine a pensé sa propre stratégie internationale à la fois avec l’acquis de l’URSS mais aussi en réfléchissant à sa propre voie et y compris à partir des échecs. C’est la seule seule solution pour un révolutionnaire que de méditer sur des expériences.
Donc dès le départ, Lénine voit la portée internationale de l’édification d’une économie socialiste “Actuellement,disait-il, c’est par notre politique économique que nous exerçons surtout notre influence sur la révolution internationale… La lutte est transposée sur ce terrain à l’échelle mondiale. Menons cette tâche à bien, et alors nous aurons gagné à l’échelle internationale de façon sure et définitive.”(3)
Comment parler de gagner à l’échelle internationale alors que voici la situation telle qu’il la décrit :”Dans notre pays arriéré, ces sept années de guerre ont totalement exténué les ouvriers, qui ont consentis des sacrifices sans nom, et les masses paysannes. C’est un état voisin d’une complète incapacité de travail“.(4)
Le génie politique de Lénine réside d’abord dans la perception immédiate du terrain sur lequel prétend l’affronter l’adversaire, tout en ne perdant jamais de vue des buts qui eux ont des horizons lointains, vingt, trente ans et plus. Il voit à quel point l’affrontement militaire est latent mais l’asphyxie économique est l’immédiat, celui vers qui les forces doivent être mobilisées y compris armées. La lecture des récentes sessions du parti communiste chinois aujourd’hui prouve qu’i reste léniniste, même si les positionnements sont originaux: on ne peut pas affaiblir l’armée, mais l’affrontement se déroule sur d’autres terrains, il faut les renforcer.
Mais pour revenir à Lénine, le succès de l’édification socialiste dépend dans la conjoncture de la paix et d’un développement favorable de la situation internationale, de la coopération économique avec les autres pays dans un esprit constructif et pratique.
Là aussi, on ne peut comparer la Russie soviétique de 1921 à 1923 avec la puissance actuelle chinoise et même la possibilité d’un développement centré sur ses propres forces sans négliger le desserrement de l’étranglement que tente les USA, mais sans céder sur l’essentiel, ce qui relève de la sécurité.
En 1921, le problème qui se posait au plan des affaires étrangères de l’URSS était de transformer une trêve en paix durable. Les “concessions” économiques accordées aux capitaux étrangers pouvaient à la fois aider au développement de l’URSS et à consolider la paix. “L’établissement de contacts d’affaires avec les milieux bourgeois devait rendre ‘difficile‘ aux puissances capitalistes qui avaient traité avec nous des manœuvres militaires contre nous.” (5)
Comment lier contacts économiques et avancées diplomatiques? Une date importante en ce sens fut l’arrangement anglo-soviétique conclu le 16 mars 1921. Sa signature facilita l’accord de commerce avec l’Allemagne allant plus loin que l’accord britannique en accordant représentation, faveurs et privilèges diplomatiques. Des accords similaires suivirent avec la Norvège, l’Autriche, l’Italie, le Danemark et la Tchécoslovaquie.
En revanche la France, les USA exploitaient à fond la famine terrible qui sévissait dans le bassin de la Volga pour tenter d’amener l’uRSS à capitulation On a beaucoup attribué à la collectivisation stalinienne la famine ukrainienne, mais ces famines étaient endémiques et on peut au contraire voir que le développement de l’agriculture, de sa mécanisation par l’URSS de Staline a réussi a en finir avec ces épidémies. Donc à la Conférence de Bruxelles (octobre 1921) la France prétendit interdire une aide tant que ne serait pas payé la dette russe ainsi que la restitution de leurs avoirs aux capitalistes.
durant tout ce temps, le gouvernement soviétique ne cessait d’oeuvrer en faveur d’une politique de coopération et de paix. Il s’est affirmé à discuter y compris de la dette en échange de la sécurité et de l’inviolabilité de ses frontières.
Ce qui sera l’objet d’une très importante conférence internationale où seront posé les premières bases de la politique internationale de l’uRSS, qui annonce par bien des points un renversement des politiques internationales jusqu’ici: le 6 janvier 1922 c’est la conférence internationale de Cannes.
Le conseil suprême allié prenait la résolution de convoquer cette conférence et d’y inviter toutes les puissances européennes dont l’uRSS et on ne manquât pas de stipuler le souhait “que monsieur Lénine ne manqât pas de se présenter à la conférence”
La résolution adoptée à Cannes stipulait :
“Les puissances alliées considèrent que 1° les nations ne peuvent pas revendiquer le droit de se dicter mutuellement les principes suivant lesquels elles entendaient organiser , à l’intérieur, leur régime de propriété,leur économie et leur gouvernement; Il appartient à chaque pays de choisir pour lui-même le système qu’il préfère à cet égard”.
Mais dans le même temps la déclaration de Cannes exigeait du gouvernement soviétique qu’il restitue les avoirs étrangers nationalisés et reconnaisse les dettes contractées par les gouvernements russes précédents. Cette exigence était déclarée condition indispensable de l’ouverture de nouveaux crédits.
Les gouvernements de France et de grande Bretagne produisirent un mémorandum commun appelé memorendum de Londres,ce que ces pays prétendaient imposer àl’URSS était l’équivalent de ce qu’ils imposaient aux pays colonisés.
La délégation soviétique avec à sa tête Lénine et G.Tchitchérine prévint dès l’ouverture que l’Union soviétique ne se laisserait pas intimider et refuserait toutes les conditions asservissantes et ayant tracé les limites, il invita à rechercher des compromis avec des “accords mutuellement avantageux”. Il ne s’agissait pas comme le souligna Lénine de convaincre leurs interlocuteurs du bien fondé du communisme mais de passer un accord commercial avec “la fraction pacifiste du camp opposé (bourgeois)” et il ajoutait “l’une de nos tâches politiques principales est de dégager cette aile pacifiste de l’ensemble du camp bourgeois ,en déclarant par exemple qui est possible avec elle de conclure non seulement un accord commercial mais politique”.
Lors de ma rencontre en 1979, avec Ponomarev j’ai retrouvé cette stratégie de recherche dans la social démocratie européenne une aile pacifiste pour introduire un coin dans le camp. Mais il y avait erreur sur le camp susceptible d’être pacifiste. En outre, une telle stratégie suppose également une grande fermeté sur ce qui ne doit pas être remis en cause, en particulier tous les états, toutes les forces qui se garantiraient mutuellement l’intangibilité de leurs structures politiques et économiques internes autant que l’inviolabilité des frontières.
Au memorandum, Lénine répondit par une note énumérant les dommages causées par leur intervention en Russie. Le total se montait à plus de 39 milliards de roubles-or.
C’est également à l’inititiative de Lénine que va être mis en place une des grandes constantes de la politique de l’URSS et plus généralement des communists dans le monde entier: la réduction générale des armements et l’interdiction totale des moyens les plus barbares.
Lénine insistait pour que tout ces principes soient proclamés clairement et avec force durant la conférence et que la presse soit informée. et il proposait que les convictions bolcheviques sur le recours à la violence ou sur le caractère inévitable d’une autre guerre mondiale ne soit pas mises en avant, mais bien l’exigence du pacifisme qui en est l’autre volet puisqu’il faut tenter d’empêcher la guerre et la violence du capital.
Il y a là un principe intangible auquel tout état socialiste dirigé par un parti communiste, mais je dirai même plus tout communiste doit être attaché: mener un combat sans relâche pour la paix, le désarmement et créer les conditions de la coopération internationale y compris avec des régimes capitalistes. Il faut utiliser le droit international et l’améliorer, comme les Cubains faire reconnaître les dégâts du blocus et le faire condamner chaque année. Etre partout cette puissance de paix. Mais dans le même temps il faut, premièrement ne jamais se faire d’illusion sur la nature de la paix ainsi obtenue et sur l’adversaire capitaliste. Il faut en outre ne pas tolérer le moindre compromis sur l’intangibilité des frontières, le droit à avoir ses propres choix politiques et à être maitre chez soi et conserver ce qui relève de son identité.
Tant que les communistes ont constitué une avant-garde, cette dialectique national-international et paix, désarmement et noyau de sécurité auquel i est interdit de toucher, leur a été sinon naturelle à tout le moins est restée une “ligne”. La destruction de cette avant-garde, l’absence de formation des militants, a pu entraîner toutes les formes d’incompréhension de ces dialectiques.
Etre une avant-garde c’est créer de manière permanente les conditions du rassemblement en veillant partout à ce que la stratégie soit comprise et partagée.,organiser la mobilisation et la mise en mouvement sur les faiblesses, les points d’appui.
Par ailleurs seule la République de la Fédération de Russie avait été invitée à la Conférence et Lénine voulut qu’un accord entre toutes les Républiques soient signé pour qu’il n’y ait pas utilisation de divisions, avec les huit républiques indépendantes soviétiques, pour qu’il y unité sur la stratégie. Comme avant la conférence, il fut fait le tour des capitales voisines y compris la Pologne pour bien comprendre ce qu’on pouvait en attendre.
Est-ce un hasard si c’est au même moment en 1921, dans la préparation du Xe Congres que Lénine, opposé à TRotski et aussi à Boukharine sur leur définition des syndicats donne une leçon de dialectique à ce dernier qui tente de produire une motion de synthèse: “Trotski dit ça, Lénine dit ça : ils ont tous les deux raisons.” Lénine lui répond que c’est de la logique formelle, la logique dialectique consiste à prendre TOUS les aspects de la situation et d’en voir l’aspect principal qui est toujours celui de la lutte des classes, la mise en mouvement et à partir de là, voir quels sont les faiblesses, les points d’appui. Ceux-ci n’ont pas à être répétés comme une leçon intangible mais bien à être créés par rapport à l’adversaire. Plus la situation est difficile, plus on doit tenir bon sur l’essentiel tout en travaillant au compromis en jouant les divisions et les intérêts, les divisions du capitalisme, un conglomérat d’intérêts concurrentiels.
Les Cubains sont incontestablement les stratèges les plus exemplaires. je me souviens de ce que me disait Risquet à propos de la Chine où il était fréquemment envoyé par le gouvernement cubain: “ne crois jamais avoir compris trop tôt ce qui se passe en Chine. Il ajoutait, tout gouvernement doit savoir ce qu’il ne doit jamais oublier à travers tous les aléas d’une politique: si nous Cubains, nous oublions un seul instant que nous avons à notre porte le plus impitoyable des ennemis, nous sommes foutus. Si la Chine oublie un seul instant qu’elle a un milliard trois cent mille personnes à nourrir, elle ne tiendra pas. Maintenant à partir de là, ne passe jamais de compromis qui ne tienne pas compte de ces deux faits avec un ennemi dont tu sais qu’il ne tiendra pas ses promesses.
et je crois que ces précautions sont vraies pour toute situation où il existe un rapport de forces, étant bien entendu que tu ne traites pas de la même manière un allié que tu veux conquérir ou une partie de toi égarée et un adversaire.
Danielle Bleitrach
Histoire de la politique de l’URSS 1917-1945. MOscou sous la direction de Boris Ponomarev.
(1)V.Lénine. oeuvre. t.30,p.342
(2) comme je l’ai expliqué dans un autre article, ce qui condamne le plus le fractionnisme de Trotski et le jeu de groupe tampon de Boukharine est d’avoir pris la décision irresponsable dans pareilles circonstances de lancer un débat sur la nature des syndicats, dans laquelle ils ont joué tous les deux à faire de la surenchère en tirant en arrière comme l’a dit Lénine la dictature du prolétariat confronté à des circonstances dramatiques. Pourtant Lénine ne se déroba pas et affronta sur le plan théorique parce que l’éducation des communistes sur la clarté des enjeux était pour lui essentiel.
(3) Lénine, oeuvres. t. 32, p.466
(4)V.Lénine oeuvres, t.32, p.235
(5)V.Lénine oeuvres. t.31.p499
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Jean François DRON
Trèès bien; j’ai beaucoup aprécié ce texte avec lequel je me sens en plein accord. Merci Danielle.