Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Mode d’emploi…

Hier, mon amie Maria dans une longue conversation téléphonique m’a dit: c’est simple tu t’ennuies. Tu n’as pas d’interlocuteur aussi exigeants que ceux que tu as connus et tu nous en veux de vouloir nous distraire. Maria est bienveillante et passe sa vie à construire de l’harmonie autour d’elle, comme si les choses s’interpellaient entre elles. Je l’ai écoutée et j’ai réagi: Ils étaient exigeants, mais surtout ils comprenaient mon exigence et ils l’alimentaient aussi bien sur le plan intellectuel que moral, l’un ne va pas sans l’autre. J’ai repensé à Risquet qui me disait: “quelque fois on a envie de se détendre mais dès que l’on te vois tu exiges des pompes intellectuelles et l’on sent qu’il faut s’exécuter si l’on veut conserver ton estime” et il ajoutait “tu es dénuée de malice“.. ou Pascal qui me reprochait “mais pourquoi tu ne veux pas comprendre qu’il y a des imbéciles et que c’est comme ça, on n’y peut rien!… ” et il se moquait de moi en disant “pauvre piou piou”, cela me mettait en rage “dis moi ce que tu veux mais pas pauvre piou piou“…

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’intelligence, “il y a mille sortes d’intelligence” disait Thomas Mann et il ajoutait “dont la bêtise n’est pas la moins efficace“… C’est vrai il suffit d’avoir vécu le cas d’un imbécile qui a décidé de faire votre malheur, il est redoutable. Donc si l’on admet que l’intelligence est cette efficacité par rapport à un but déterminé, on est au contraire frappé par l’insondable connerie de tous ces technocrates qui nous gouvernent à commencer par Macron: on a envie de se pincer devant la manière dont ils gèrent cette crise… Le Capital a la formidable intelligence du profit et de l’accumulation, les capitaliste ne se laissent jamais distraire de ce profit et c’est ça qui les rend redoutables. Eux, leur petit personnel, même pas, ils courent derrière avec la conviction imbécile que leur pensée peut tout ou simplement comme des voyous sans scrupules,…

Donc non je crois que ce que tente de m’expliquer mon amie Maria est bel et bien un travers : je ne sais pas faire autre chose que travailler et me poser des questions sur la réalité, ce qui est une distraction pour les autres, par exemple aller au cinéma, devient un travail pour moi ou ce que les autres considèrent comme un travail… et je m’ennuie si je n’agis pas ainsi… Cet ennui devient un véritable désespoir, un gouffre et je m’interroge : “pourquoi il me parle de ça, ça n’a aucun intérêt?” D’où le fait que sur les réseaux sociaux je raye périodiquement des gens qui sont dans la répétition de ce que j’estime une rumeur sans fondement.. Je le fais sans aucune colère contre l’individu en question, c’est simplement comme le supplice de la goutte d’eau, je dois l’écarter au moins temporairement. je veux bien reconnaître que c’est de l’ordre de l’arbitraire et que je n’ai pas nécessairement raison, mais je crois que j’y arrive au bout d’un raisonnement et surtout du constat d’un FAIT: cette controverse divise ceux qui devraient s’unir. Il n’ya aucun moyen de convaincre ni pour ni contre, cela devient de l’ordre de la foi, voir du fanatisme.

Cela peut paraître de l’intransigeance, peut-être pourtant je suis au contraire très gourmande de véritables contradictions, autres approches qui m’aident à percevoir un aspect de la réalité que j’avais ignoré. Surtout alors que je suis convaincue que nous sommes actuellement dans une intense période d’expérimentation sociale. Je pense que je suis très attentive à ce que vous dites, à ce qui vous intéresse… quand j’ai repéré quelqu’un je me souviens de tout ce qu’il dit et cela m’aide à moins m’attacher à certaines de ses formulations qui peuvent m’irriter. Là, ça touche à une manière d’être aux autres que j’ai depuis toujours. Comment vous expliquer, c’est comme si les autres détenaient un secret que j’ignore et qu’ils ne veulent pas me dire.. Il font semblant de me parler d’autre chose parce qu’ils ne veulent pas me dire.

Et quelquefois à force d’interroger, c’est miraculeux, effectivement il y a une pépite. Une réflexion qui m’apporte pour plusieurs jours tant elle m’a paru être proche de l’essentiel. Ce n’est pas l’intelligence au sens habituel de ce terme, c’est plutôt une expérience qui est la sienne et qui tout à coup m’éclaire autant qu’elle m’aide à me conduire d’une manière plus juste.

Cela suppose une attention passionnée que j’éprouve dans la lecture, il m’arrive de ne pas pouvoir lire plus de deux ou trois pages d’un livre tant c’est dense, tant je suis submergée… et cela déclenche en moi des flots de paroles, une sorte d’émotion… En ce moment ma lecture de Duby me conduit au bord des larmes parce qu’elle me dit que tout renaît y compris dans ce qui paraît l’obscurité la plus profonde.

Mais c’est de l’écoute non seulement de ce qui est dit mais de son mode de surgissement. En fait c’était l’attitude que j’avais avec mes étudiants, j’essayais de comprendre le fonctionnement de leur intelligence, je disais que c’était comme un garagiste écoutant un moteur et sachant exactement son fonctionnement. En gros il y a des moteurs orientés vers la connaissance pratique, ce qui est utile pour un but et d’autres moteurs sont orientés vers la compréhension pour la compréhension. Mais ainsi posée la distinction est caricaturale puisque l’on peut passer de l’un à l’autre, partir de l’art comme un objet technique pour comprendre la spiritualité de la matière comme un Leroi Ghouran.

Il faut mettre de l’ordre dans le chaos… Peut-être cela a-t-il à voir avec le chaos dans lequel j’ai atterri en 1938 et dans lequel s’est débattu ma toute petite enfance entre fuite et bombardements… C’est probable puisque je ne peux pas supporter le négationnisme qui a trait à cette époque.

Mais pour en revenir au contact humain, Je me souviens de tout, ce que vous me dites et cela s’imprime illico dans ma mémoire à partir du moment où je vous ai repéré, comme ce que je lis. Comme je n’ai aucun don pour les langues et que je suis dénuée d’oreille, quand je ne comprend par le langage,j’ai appris à percevoir les autres à la manière des sourds, en guettant gestes, regards, peut-être est-ce dû au fait que la personne qui m’aimait le mieux quand j’étais enfant était une grand mère sourde. Mais le fait est sur ce soit vos mots ou vos regards, tout s’imprime comme si vous étiez un livre… La répétition est angoissante, je veux que l’on avance… mais c’est parce que je suis réellement curieuse de ce que vous avez à dire.

Grace à Maria, et à notre longue discussion, j’ai compris que je suis une désadaptée sociale ce qui est la cause de la plupart des interprétations, mais c’est une redécouverte que je fais périodiquement, depuis toujours, la famille de ma mère m’appelait professeur Nimbus et depuis mon plus jeune âge s’amusait à me demander la définition d’un mot du questionnaire ou qui était une personne…c’est bizarrement lié à la conviction que personne ne m’aime, ne me plaint. Une blessure ontologique comme nous en avons tous,: l’être humain est cousu d’enfance et ça tire aux coutures. L’amour, les amitiés exceptionnelle cela sert à croire pour un temps que le manque est enfin comblé et je n’ai manqué ni des uns , ni des autres. Mais ma consolation est aussi que je n’arrête de lire et d’écrire que pour aller au cinéma, dans une exposition, ou marcher et nager pour réfléchir à ce que je viens de lire ou de voir… Avec une espèce de monomanie qui commande l’attention.

Le fond de ce qui m’intéresse ce sont les êtres humains ou plutôt l’aventure humaine, cette odyssée extraordinaire du vivant et de l’intelligence de ce vivant. Cela me crée et une carapace comme si j’étais jetée très loin de ce qui peut blesser, sans pour autant me dessolidariser, simplement en prenant le meilleur. Quelquefois le politique est à ce niveau mais en ce moment non, alors que nous sommes en train de rentrer dans une nouvelle ère, c’est du moins ce que je ressens.

Je suis convaincue que l’innovation, la création part de la rue, de la peine des êtres humains et qu’il n’y a ni art ni science s’il ne sait pas interpréter cette poussée juvénile inconsciente de ceux qui agissent.

Le communisme est, ou du moins a été et j’espère encore qu’il le sera, parce que je n’ai rien d’autre en réserve dans mon sac à dos, est donc ce moment privilégié où la dynamique de la justice sociale pour ceux qui font réellement l’histoire s’est confondue avec l’élan d’une civilisation. Partant d’une base matérielle forte, sans échappatoire, passée de la colère à la soif de justice, cette civilisation a poussé les êtres humains à se transcender sans attendre rien d’autre pour eux mêmes que ce destin de l’humanité. vers une émancipation collective. Ce pourrait être un mythe, une illusion, mais le fait est que je l’ai vu à l’oeuvre, que j’ai rencontré des gens individuellement et collectivement qui relevaient de cette expérience historique.

Et d’abord en ces 8 et 9 mai, la sortie du chaos, la vie, la petite enfance et ce qui a suivi au prix de tant de millions de vie, les résistants, l’armée rouge.. et l’on voudrait me faire confondre bourreaux et victimes, cette confusion serait acceptée par ceux qui se prétendent les héritiers de cette histoire ?

j’ai le sentiment que le communisme a déchu, que ceux qui se disent communistes se sont laissé convaincre d’abandonner cette vocation prométhéenne pour se faire accepter, devenir comme les autres.. cela m’angoisse, me met en colère d’abord parce que cela nie justement ce que j’ai rencontré et qui me pousse à dire c’est possible, mais aussi parce qu’alors c’est non seulement eux mais tout le reste qui est frappé d’inertie, qui peine dans les ornières…

L’avantage de la situation c’est que je n’ai pas d’ambition, pas de goût du pouvoir, dès que j’ai écris un livre je l’oublie… l’écriture est plus importante que ce qu’il advient. j’ai très peu le sens de la propriété intellectuelle et même de la propriété tout court… en ce moment la seule chose à laquelle je tiens en dehors de quelques affections c’est à pouvoir jouir de cette liberté de continuer à m’identifier à ce désir de comprendre, je me dis j’ai peut-être encore 5 à 10 ans, il faut les vivre pleinement. Ma liberté de voyager connait déjà un frein physique il faut conserver cette autre liberté essentielle du désir de comprendre même si elle se combine déjà avec l’impuissance d’agir politiquement. parce que aujourd’hui loin de m’alimenter le collectif m’oblige à des dialogues répétitifs et destructeurs. C’est le cas pour moi, mais je conçois qu’il en soit différemment pour d’autres, cela me rassure même de penser que cela puisse être différent pour d’autres. Il me semble que ceux-là empêchent que la situation devienne tout à fait intenable…

Voilà, j’ai été privilégiée et cela se poursuit parce qu’il existe des êtres humains avec qui l’échange a du sens, ce blog en témoigne.

Danielle Bleitrach

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3 Commentaires

  • Dietzgen
    Dietzgen

    Heureux de vous retrouver sur ce nouveau blog !

    Je n’ai pas le privilège d’avoir vécu une vie si pleine, longue et aimée que la votre, mais tant de choses que vous racontez à votre sujet semblent parler de ma propre vie… J’ai du moins celui de pouvoir vous lire. L’Autre paraît être un mystère insoluble, comme vous le décrivez si bien.

    Si vous aimez des lectures de l’envergure d’un Duby ou d’un Leroi-Gourhan, dont trois pages vous envoient dans une méditation ambulante, je vous conseille “L’Histoire de l’Art” d’Elie Faure (il partage nombre de nos causes rouges et ses théories, sans jamais le nommer, se structurent toutes sous la marque du matérialisme historique).

    Merci d’exister et d’écrire.

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    • Danielle Bleitrach

      merci, effectivement j’ai aussi lu Elie Faure… mais ravie de partager ce riche plaisir.

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      • Daniel Arias
        Daniel Arias

        Je n’avais jamais encore lu Duby, j’ai commencé à lire “histoire de la France des origines à 1348.” C’est la première fois que je lis un livre d’histoire qui commence par une leçon de géographie des plus dures, de la géologie quasiment. Cela place bien le cadre naturel qui va servir de socle au développement des peuples. Jamais on m’avait enseigné l’histoire sous cet angle. Merci Danielle de m’avoir donner la curiosité de découvrir Duby.
        Dès la préface il évoque l’évolution des forces productives parmi d’autres facteurs de l’évolution de l’humanité.

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