Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Dégradation de la situation alimentaire mondiale avant l’épidémie…

L’épidémie, la crise économique qui la précède avec en particulier le chômage s’inscrit dans une tendance préoccupante depuis plusieurs années: la production augmente et pourtant le nombre de gens qui ont faim s’accroît. La réalité du marché capitaliste est là… L’épidémie là encore va agir non comme une cause mais comme un révélateur. Notre pays, la France paraît à l’abri de la faim et pourtant là aussi les inégalités alimentaires s’aggravent et l’épidémie va les porter jusqu’à un stade extrême. Déjà chacun le constate les prix de la nourriture augmentent de jour en jour. Quand il est question d’une “gouvernance mondiale” dans la conclusion, on a envie de répondre ce que Brecht disait à Einstein qui proposait un gouvernement mondial: “est-ce que ce sera celui de la standard Oil? ” celui qui engendre la situation telle qu’elle est? Celui qui à l’Onu interdit qu’on lève les sanctions contre des peuples? Qui interdit que la question soit posée à l’Assemblée générale des Nations Unies, les USA mais aussi la France et l’UE ? Si dans les circonstances où les nécessités les plus vitales de l’être humain comme la santé et la nourriture sont menacées par le capitalisme, les communistes ne proposent pas le socialisme, quand est-ce qu’ils le feront? (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)

Chambres d’agriculture France, décembre 2019

La crise économique qui précédait l’épidémie risque comme on le voit aux Etats-Unis de produire un chômage massif. C’est le contexte dans lequel risque d’apparaître au niveau mondial une crise alimentaire qui s’annonçait elle aussi puisque nous étions au niveau mondial dans une tendance:

Alors que la production alimentaire s’accroît, de plus en plus d’individus souffrent de la faim.

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Les dernières trajectoires de l’état de la sécurité alimentaire mondiale montrent des signes de plus en plus inquiétants ces dernières années. Après plusieurs décennies de progrès considérables et de réduction du nombre d’individus souffrant de la faim à hauteur de plusieurs centaines de milliers de personnes, l’insécurité alimentaire regagne du terrain années après années, alors que la production alimentaire mondiale n’a jamais été aussi élevée.

D’après l’International Grain Council (IGC), la récolte mondiale de grains pour la campagne 2019/2020 s’annonce comme la seconde la plus abondante de l’histoire moderne, à plus de 2 159 milliards de tonnes de grains ; le record ayant été établi lors de la campagne 2016/2017 avec 2 187 milliards de tonnes. Ce seuil de deux milliards de tonnes a été d’ailleurs franchi lors de la période 2013/2014, et la production mondiale de grains s’est constamment maintenue au-delà malgré les divers incidents que certains bassins de production ont subis lors de ces dernières campagnes. Concernant les productions animales, si l’épidémie de peste porcine africaine (PPA) en Chine amputera le potentiel de la production mondiale de produits carnés pour 2019 et 2020 à hauteur de dix millions de tonnes, la trajectoire de la production des trois principales viandes commercialisées à l’échelle mondiale (viande bovine, porcine et volaille) est également sans équivoque. Celle-ci a atteint un record historique en 2018 à plus de 270 millions de tonnes selon les données de l’United States Department of Agriculture (USDA).

 Pourtant, cette opulence des ressources alimentaires mondiales contraste avec la progression de la faim dans le monde, alors que les prix alimentaires mondiaux, tous produits confondus, ont significativement chuté durant la même période, avant de se retrouver en quelque sorte anesthésiés par rapport aux dispositions des marchés mondiaux agricoles et de l’économie mondiale (graphique n°1). Les fondamentaux des marchés semblent ancrés dans un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande, alors que la situation économique des pays développés, mais plus inquiétant encore des pays à revenus intermédiaires ou faibles, tend à se dégrader.

C’est là une des tendances récentes dans l’observation de l’insécurité alimentaire mondiale. La montée des fragilités alimentaires est de plus en plus en lien avec les fragilités économiques. Le rapport 2019 sur « L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde » de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) porte une attention particulière et des inquiétudes légitimes quant à la dégradation de la situation alimentaire de certains pays en proie à des difficultés économiques.

Les principales conclusions du rapport dressent un bilan pessimiste quant aux perspectives actuelles et à venir de la sécurité alimentaire mondiale. Ainsi, le nombre d’individus sous-alimentés dans le monde s’est accru pour la quatrième année consécutive, s’établissant à 821,6 millions de personnes en 2018 contre 783,7 millions à son niveau le plus bas en 2014 (graphique n°2). Ce rebond s’explique par la dégradation de la situation alimentaire.

Le changement climatique continue d’affecter les zones sahéliennes et d’Afrique de l’Est notamment avec l’intensification des périodes de sécheresse qui représente un frein persistant au développement et à la stabilité de la production alimentaire locale. Le Yémen, la Somalie ou le Soudan du sud sont des exemples de pays qui sont les plus affectés par ces phénomènes climatiques, auxquels s’ajoutent une instabilité politique et des conflits internes récurrents contribuant à la persistance de cette insécurité alimentaire aigüe. La survenance de nouvelles zones de conflits comme au Moyen-Orient y a également fragilisé les équilibres alimentaires.

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Les pays d’Afrique restent les principales victimes de la sismicité alimentaire

Le conflit syrien et sa propagation jusqu’aux territoires irakiens et à la frontière turque ont provoqué de très grandes pertes sur l’appareil de production agricole, ainsi que des déplacements de population qui ont accentué la pression de la demande alimentaire dans les pays d’accueil frontaliers. La multiplication des conflits dans la zone moyen-orientale et son prolongement jusqu’aux pays d’Afrique du Nord, marqués par un chamboulement des régimes politiques traditionnels depuis le printemps arabe, ont presque fait doubler le nombre d’individus souffrant de la faim en moins de dix ans. De 28,6 millions de personnes sous alimentées en 2010, plus de 50 millions de personnes se situaient en état de sous-alimentation en 2018 dans cette zone.

Les pays du continent africain restent les principales victimes de la sismicité alimentaire, marquée par une instabilité politique chronique et une exposition accrue aux phénomènes climatiques et aux catastrophes naturelles. La particularité étant que ces zones sont marquées par une situation d’insécurité alimentaire structurelle pouvant basculer lors d’une crise et/ou d’une urgence alimentaire. Selon le Global Report on Food Crisis 2019 du Food Security Information Network (Fnis), six des huit pays classés en état de crise alimentaire en 2018 étaient africains, pour certains à une échelle régionalisée (le Yémen, une partie de la République démocratique du Congo, l’Ethiopie, le Soudan, le Soudan du sud et le nord Nigéria)4. Les points communs entre ces pays ou ces régions sont souvent similaires : des conflits internes ou avec des pays frontaliers, des déplacements de population, une sécheresse aggravée et l’irrégularité des pluies. En 2018, plus de 113 millions de personnes se sont trouvées en état d’insécurité alimentaire aggravée, avec des conséquences à plus long terme qui contribueront à accroître la population en état de sous-alimentation.

Les fragilités économiques provoquent des fragilités alimentaires

Les pertes en récoltes et en cheptel peuvent mettre plusieurs années avant de se reconstituer. Les enfants nés lors de ces épisodes de crise alimentaire souffrent d’anémie, de retard de croissance et sont davantage exposés aux maladies tout au long de leur vie. Les déplacements de population peuvent mener à une perte définitive de la force de travail agricole sur un territoire et donc à un déclin de l’appareil productif local. Le nombre de personnes sous alimentées en Afrique de l’Est et en Afrique de l’Ouest est ainsi passé de respectivement 119 et 32 millions d’individus en 2010, à plus de 133 et plus de 56 millions d’individus en 2018. Mais de nouveaux foyers de dégradation de la situation alimentaire mondiale ont récemment émergé, en partie du fait d’une détérioration de l’économie de ces pays. Les pays d’Amérique latine entre autres, qui s’étaient démarqués jusqu’ici par une très forte amélioration des conditions alimentaires de leur population, connaissent d’importantes difficultés économiques qui ont précipité les populations les plus vulnérables dans des difficultés alimentaires. C’est particulièrement la dépendance de ces pays à leurs exportations de matières premières qui expliquent ce phénomène.

Le rapport de la FAO l’illustre avec les cas de la Colombie et du Chili, dont les recettes en devises dépendent respectivement du prix du pétrole et du cuivre. La chute du prix de ces produits de base depuis 2015 a entraîné une diminution des rentrées de devises en dollars, et par répercussion une dépréciation de leur monnaie nationale. Le coût des importations alimentaires s’est alors accru, de même que la perte de valeur de leur monnaie a généré une inflation dans l’économie locale. Ces déséquilibres macroéconomiques ont alors provoqué un rebond de la pauvreté dans ces pays. Que ce soit du fait du ralentissement économique des secteurs exportateurs ou des coupes budgétaires imposées par la baisse des recettes d’exportation, les indicateurs liés à la pauvreté sont repartis à la hausse. En Argentine, par exemple, la très forte dépréciation du peso et les difficultés du gouvernement Macri à équilibrer le budget de l’État ont abouti à la mise en place d’une politique d’austérité budgétaire. Alors que le taux de chômage dans le pays était au plus bas en 2016 à moins de 6 %, celui-ci est brusquement reparti à la hausse pour atteindre 10,6 % en juillet 2019.

Des objectifs alimentaires encore très éloignés

Cette illustration est davantage spectaculaire dans le cas du Venezuela, dont les structures économiques reposent en très grande partie sur les exportations de pétrole. La chute du prix du baril en 2016 (sous la barre des 30 dollars/baril) et son maintien dans un couloir de prix très bas (aux alentours de 60 dollars/baril actuellement) ont fait fondre les réserves de change du pays tout comme ses ressources budgétaires. Le taux de chômage du pays, qui se situait entre 6 et 8 % en 2016, atteint désormais 38 % en 2019 avec des situations de pénurie et de rationnement en produits de première nécessité. Pour les cas cités plus haut de la Colombie et du Chili, le taux de chômage est également une variable empruntant une pente ascendante inquiétante, atteignant respectivement 11 % et 7 %, soit un à deux points supplémentaires par rapport à 2016.

D’après les données du rapport 2019, il apparaît ainsi que le nombre de personnes sous alimentées en Amérique latine s’est accru de près de deux millions de personnes entre 2016-2018, montrant l’émergence de nouvelles poches d’insécurité alimentaire même dans des zones où l’élimination de la faim semblait acquise. Les objectifs fixés par les Nations unies en termes de réduction de la faim et de la malnutrition dans le monde semblent encore fort éloignés à la lecture du rapport de la FAO. Par exemple, les cibles de réduction d’insuffisance pondérale et d’anémie chez les femmes en âge de procréer sont à l’heure actuelle très en deçà des objectifs fixés par l’Assemblée mondiale de la Santé en matière de nutrition, à atteindre d’ici à 2025-2035.

En 2015, 15 % des nouveau-nés dans le monde souffraient d’une insuffisance pondérale, soit un nouveau-né sur sept, et peu de progrès ont été accomplis ces dernières années (14,6 % en 2018 alors que la cible à atteindre est de 10,5 % à l’horizon 2025). La proportion de femmes en âge de procréer souffrant d’anémie est certainement l’un des indicateurs les plus inquiétants, puisque près d’une femme sur trois dans le monde (32,4 %) souffrait de cet état de carence en 2016, alors que l’objectif visé est de 15 % d’ici à 2025. La progression des autres facteurs de la malnutrition traduit aussi les déséquilibres croissants dans les pays en développement en termes d’inégalités de revenu et d’accès à une alimentation équilibrée.

L’urgence d’une gouvernance alimentaire mondiale

De plus, ces déséquilibres sont perceptibles au niveau géographique, avec une dichotomie grandissante entre les zones urbaines et rurales, où se côtoient alors dans un même pays des problématiques de suralimentation dans les villes et de sous-alimentation et de dénutrition dans les espaces ruraux. Les leviers à activer pour lutter contre tous les aspects de la malnutrition doivent donc être multifactoriels. Ils ne concernent pas seulement les politiques agricoles et alimentaires, mais aussi les politiques économiques, de santé et d’éducation, pour permettre une inclusion des populations les plus vulnérables dans le processus de développement.

Seulement, les marges de manœuvre pour ces États sont des plus limitées. D’après la Banque mondiale, la dette des pays en développement a atteint un niveau record de 7 800 milliards de dollars en 2018, et un retournement de la conjoncture économique ne ferait qu’empirer davantage cette situation. Au vu des signes d’un ralentissement économique mondial qui devrait se prolonger les deux prochaines années, les pays en développement, déjà fragilisés, pourraient subir de plein fouet un choc d’envergure qui dégraderait fortement leur situation alimentaire, compte tenu des liens étroits entre alimentation et dynamisme économique. L’urgence d’une gouvernance mondiale, économique et alimentaire, n’a certainement jamais été aussi forte, dans un monde pourtant de plus en plus désuni et morcelé.

Article publié par Quentin Mathieu.

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