Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le coronavirus déclenchera une guerre géopolitique

2 avril 2020

Photo: Kurt Amthor / imagebroker.com / Global Kurt Amthor / imagebroker.com / Global Look PressLook Press

Texte: Peter Akopov

https://vz.ru/world/2020/4/2/1032102.html

Les États devraient mettre de côté leurs différents du temps de paix et s’entraider dans la lutte contre un terrible ennemi commun – la pandémie de coronavirus, car elle ne peut être vaincue qu’ensemble. De tels appels sont proférés par divers politiciens du monde entier, mais sont-ils réalisables? Et surtout – dans quelle mesure sont-ils sincères?

“Dans une crise internationale, tous les pays doivent s’entraider”, a déclaré le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, commentant l’envoi de médecins militaires russes en Italie. Et la représentante permanente des États-Unis auprès de l’OTAN, Kay Bailey Hutchison, a déclaré que “nous sommes dans une crise humanitaire, une crise sanitaire”, et l’OTAN et la Russie devraient s’aider et s’aideraient mutuellement dans la lutte contre le coronavirus.

Oui, la Russie aide les pays de l’OTAN dans la lutte contre le coronavirus – des avions sont envoyés vers l’Italie, puis vers les États-Unis. Si, Dieu nous en préserve, nous avons besoin d’aide, les pays de l’OTAN, s’ils le peuvent, nous en fourniront également. C’est normal – la maladie n’a pas de frontières, et l’humanité (jusqu’à présent) est encore une seule espèce biologique. Et lorsque le vaccin sera inventé – où qu’il soit produit – il sera partagé avec le monde entier. La peur unit – mais seulement dans certaines limites, jusqu’à un certain point, et encore. Dès que le niveau de panique et de peur s’apaise, les valeurs éternelles de la rivalité reviennent au premier plan. Et même pendant la coopération forcée, elles ne s’éloignent pas très loin.

La pandémie est déjà comparée à la troisième guerre mondiale, puis à la guerre contre le terrorisme international – mais il est impossible de faire du coronavirus Hitler ou Ben Laden. La guerre avec Hitler a uni les Anglo-Saxons et les Russes (Churchill et Staline) mutuellement opposés, non pas parce que Hitler était un mal absolu, mais parce que sa victoire menaçait l’existence de l’URSS et de l’Empire britannique. Les États-Unis, de leur part, ont rejoint les Alliés parce que la guerre leur donnait une chance unique d’imposer leur domination mondiale.

Le 11 septembre 2001 a été utilisé par les États-Unis pour tenter de maintenir leur hégémonie acquise après l’effondrement de l’URSS – et la Russie a soutenu cette guerre contre les terroristes islamistes, non seulement à cause d’un rejet du terrorisme en tant que tel, mais aussi pour des raisons tout à fait pratiques: nous étions à l’époque en plein milieu de la guerre en Tchétchénie , où les mêmes islamistes radicaux qui se battaient contre nous étaient les mêmes que ceux qui avaient lancé l’attaque contre New York. Les États-Unis ont finalement transformé la guerre contre le terrorisme en une «croisade» impérialiste qui a radicalisé et chamboulé tout le Moyen-Orient –et dont la Russie a dû éponger les conséquences en Syrie.

Le coronavirus menace tout le monde – mais tout le monde essaiera d’utiliser les conséquences de la crise mondiale qui en résulte. Oui, maintenant les puissances clés vont essayer ensemble de faire face à la fois à la pandémie et au typhon économique qui se déroulent sous nos yeux, afin de réduire en quelque sorte sa force et de réduire les énormes dégâts inévitables pour tout le monde. Mais cette énorme crise est aussi une énorme opportunité pour les principaux acteurs mondiaux. La capacité de changer l’ordre mondial – ou d’essayer de le préserver.

Les États-Unis parieront sur sa préservation – pas Donald Trump, qui préconise simplement d’ajuster la trajectoire mondiale des États-Unis vers la réduction du poids du «fardeau de l’hégémonie mondiale» (qui n’existe plus vraiment hégémonique mais essaie d’agir comme si), mais l’élite dirigeante américaine en tant que telle.

Aucun abandon de la dure dictature ne se produira – cela se voit déjà dans la façon dont les États se comportent au milieu de la crise et de la pandémie. Renforcement de la pression sur le Venezuela (en escomptant que la baisse des prix du pétrole affaiblirait Maduro), refus d’assouplir les sanctions contre l’Iran (qui a été sérieusement affecté par le coronavirus) et la RPDC (assouplissement que la Russie et la Chine avaient suggéré avant même le coronavirus, et qui prend aujourd’hui une dimension humanitaire supplémentaire avec la pandémie) – tout cela montre la réticence absolue de la «ville sur la colline» à corriger quelque peu que ce soitsa politique.

Plus encore, Washington continuera à utiliser de toutes ses forces le coronavirus dans le grand jeu avec la Chine.

Pour faire pression sur Pékin, l’accusant d’avoir caché les données véridiques (à cause desquelles l’Amérique n’aurait pas pris les mesures nécessaires à temps), ou de profiter d’être «guéri en premier» pour renforcer sa position dans les pays pandémiques d’Europe et du monde (en leur fournissant une aide d’abord humanitaire, puis économique).

Autre chose est de savoir si les possibilités des États-Unis de lancer une attaque contre la Chine ne seront pas sévèrement limitées dans un proche avenir – la pandémie est toujours en plein essor, et les conséquences pour l’économie américaine peuvent être beaucoup plus graves même que pour les Chinois. Si le taux de mortalité par coronavirus aux États-Unis atteint des dizaines, voire des centaines de milliers, et que la panne économique dure, alors dans le contexte de la campagne électorale, cela pourrait conduire à de graves bouleversements internes dans la société américaine déjà divisée.

Quoi qu’il en soit, la Chine sort victorieuse – non pas parce qu’elle a la première vaincu le virus, mais parce qu’elle poursuivra son expansion dans toutes les parties du monde. La crise économique frappera l’économie chinoise et les exportations chinoises – mais l’économie chinoise est beaucoup plus axée sur la production que l’américaine: et le monde entier sera toujours contraint d’acheter des marchandises, quoique dans une moindre mesure.

De plus, l’économie chinoise est beaucoup plus facile à gérer et à réguler – c’est-à-dire que sa reprise après la chute se fera plus rapidement. La Chine, qui était déjà la première économie au monde et a fait d’énormes investissements dans différentes parties de la planète, servira désormais de sauveur pour de nombreuses économies affaiblies dans le monde entier – et la capacité des Américains à bloquer les achats et les projets chinois diminuera (l’Europe elle-même n’a pas voulu refuser la 5G avec Huawei).

Le renforcement de la Chine et l’affaiblissement des États-Unis se seraient produits sans la crise actuelle – c’est la tendance principale des dernières décennies. Mais la confrontation croissante entre les deux puissances a récemment atteint un point crucial–on est passés à une confrontation ouverte sur tous les fronts, que ce soit le commerce ou les conflits régionaux.

La Chine ne voulait pas d’un conflit ouvert – préférant continuer à prendre des forces, rattraper les États-Unis dans les domaines où elle est encore sensiblement ou même très loin derrière (par exemple, la marine). Les États-Unis, se rendant compte qu’ils ont de moins en moins d’opportunités de confinement complet de la Chine, l’ont provoquée à aggraver les relations – mais en même temps, ils ne voudraient pas eux-mêmes se retrouver dans une situation de confrontation mondiale à grande échelle avec Pékin (semblable à ce qui s’est passé avec l’URSS).

Dans une telle configuration, l’équilibre entre les deux pouvoirs aurait pu se poursuivre encore longtemps – mais la crise du coronavirus a fait exploser la situation. Maintenant, l’affaiblissement des États peut s’accélérer considérablement et la croissance de l’influence de la Chine s’accélérer sensiblement. Ce changement provoquera-t-il une transition vers le stade de la confrontation ouverte?

Et ici, beaucoup dépend de la Russie – car la bataille américano-chinoise n’est qu’une partie de la guerre géopolitique générale. Dans laquelle la ligne de front s’étend non seulement le long des «frontières» sino-américaines, mais aussi à travers la totalité des conflits (économiques, géographiques, idéologiques), principalement entre la civilisation atlantique et les forces des civilisations eurasiatiques. Dans ce conflit complexe, la Russie apparaît non seulement comme le propriétaire de la «part d’or», comme le pensent les Américains, mais comme le principal moteur de tout le processus de création d’un nouvel ordre mondial.

La Russie et la Chine sont essentiellement alliées, nous avons une vision très proche du monde post-américain. Dans le même temps, la Russie n’est pas intéressée à ce que le conflit américano-chinois passe à une phase aiguë en ce moment – tout comme la Chine ne le veut pas non plus. Les Américains, provoquant constamment la Chine, sont extrêmement désireux de fâcher Moscou de Pékin – et on ne sait pourquoi ils considèrent cette option toujours possible.

La Russie ne jouera pas la carte américano-chinoise – mais elle peut agir comme stabilisateur dans une situation d’aggravation du conflit entre Washington et Pékin. Pas comme conciliateur (puisque nous sommes nous-mêmes l’une des parties), mais par sa capacité à ramener l’épreuve de force à une discussion et à fixer les règles du nouveau jeu.

La réunion des cinq grandes puissances proposée par Poutine (c’est-à-dire essentiellement deux paires : Amérique – Europe et Chine – Russie), qui était préalablement prévue en septembre à New York, acquiert désormais une importance particulière. On l’a appelée le «Nouveau Yalta» – avec des réserves sur le fait qu’en 1945, le monde était divisé en fonction des résultats de la grande guerre, alors que maintenant, « en temps de paix », personne ne voudra ni ne pourra s’entendre sur quelque chose de fondamental.

Maintenant, avec la crise du coronavirus, qualifiée de nouvelle guerre mondiale, un élément «militaire» bien utile s’invite au sommet des grandes puissances. Et le monde de l’après-guerre (pas dans le sens d’une absence de guerre) peut survenir plus rapidement que prévu.

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