Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Huitième jour: le chat me demande où sont passés les masques ?

Hier c’était le septième jour de confinement et le chat s’est reposé en contemplant l’oeuvre. Dans ses yeux verts pastillés d’or est passé le diagnostic: “bande de connards”.

Il n’est pas le seul. Connard est même devenu un terme, un propos, dénué d’agressivité, chacun découvrant l’ampleur du mal dont semblent atteints nos gouvernants. Le chat n’y fait pas exception et il s’est planté à côté de mon ordinateur, la patte effleurant le A et il m’a fixé de l’air de me dire: “Puisque tu as décidé d’occuper 24 heures sur 24 mon espace vital, explique-moi ce qui se passe, pourquoi ne sors-tu pas, ne serait-ce que pour nous goûtions le plaisir des retrouvailles?

Mardi, le chat, si tout se passe bien, j’irai jeter les trois poubelles de tri sélectif que je m’obstine à faire. Cinquante mètre dehors, à découvert, je vais les savourer… Toi, par dieu sait quel privilège, tu appartiens à l’ordre de la nature dont on nous dit que débarrassée de nous, elle reprendrait ses droits. La lagune de Venise est en train de redevenir limpide et les dauphins l’envahissent… Bref ces gens-là en sont déjà à la fin de la planète des singes, celle où la statue de la liberté est enfouie dans le sable et où les singes les plus racistes refusent de reconnaître qu’ils descendent de nous.

Je me demande où est passé Greta! Bizarre cette inversion: d’habitude les prophètes surgissent à la fin des épidémies pour nous inviter à nous repentir, là le cirque de Davos nous les a offerts en couple, l’infâme Trump et elle, la fragile… A ma mauvaise conscience, il ne restait plus que le tri sélectif, vu que Macron avait mis en place les cars à la place du rail et s’obstinait à démanteler l’entreprise ferroviaire…

Il n’y a pas de masques, pas de test… Si tu savais la bande de connards dont nous dépendons toi et moi, tu n’en reviendrais pas… Comment te les décrire?

Il y a les indépassables, les hors concours, un niveau international,Trump, Boris Johnson, Jair Bolsonaro avec plein de petits disciples : des clowns officiant dans une morgue. Mais regarde comme notre porte-parole Sibeth, comme son nom l’indique a spontanément adopté le statut du bouffon, c’est tout simplement qu’elle prend très au sérieux son rôle et la traduction réelle de la pensée du maître, servile, menteuse mais copié-collé fidèle. Résultat elle en révèle les traits les plus grossiers, ceux qui témoignent du mépris dans lequel il nous tient.

Comment expliquer le fait inexplicable: parce qu’il y avait trop de masques il n’y a plus de masques?

En 2006, la France disposait d’un stock de 200 millions de masques FFP2 et de 6000 respirateurs artificiels. Selon un rapport sénatorial daté de 2015, c’est en 2011, que, nouvellement nommé Ministre de la Santé, Xavier Bertrand décide, contre l’avis du Haut Conseil de la Santé Publique de démanteler les stocks stratégiques de masques FFP2. Les masques chirurgicaux, dit masques anti-projection, suffiront bien à faire face à une pandémie! Pour faire quelques économies, l’Etat se décharge sur les employeurs, qui devront eux, faire des stocks de masques FFP2.

Olivier Véran reconnaissait le 3 mars dernier l’inexistence de tout «stock d’État de masques FFP2». Il y a quelques années, l’administration en possédait pourtant quelque 600 millions, ainsi qu’un milliard de masques chirurgicaux et pourtant le fait était il n’y avait plus de masque. Comment parler de cela?

Affirmer hautement que les masques sont inutiles, seulement si vous êtes contaminés et comme il n’y a pas de tests, vous ne le saurez qu’en cas d’étouffement, et comme il n’y a pas assez de machines pour aider à la respiration, vous suivez… Je me demande s’ils ont prévu assez de cercueils pour les indigents, pour les autres avec capiton et poignées dorées pas de souci… Donc le masque ayant disparu, il s’agit à propos de son port d’en faire un des actes bizarres dont les asiates sont friands, une manifestation de plus de leur appétence à la dictature. Le Chinois – et là il convient de dire: heureusement nous ne sommes pas comme lui – adore se balader avec un masque et le personnel soignant se promener déguisés en scaphandrier. Nous nous préférons le doliprane, d’ailleurs on va le rationner.

Toutes les chaines de télévision sont allées répétant la fable, nos plus brillants éditorialistes s’y sont attelés : comparer notre liberté de penser, d’agir, d’être, celle de ceux qui nous gouvernent à la dictature chinoise sur un peuple de fourmis apeurées. Et même ceux qui aujourd’hui découvrent parfois que nous avons un gouvernement de connards comme le charmant Claude Askolovitch ont répondu à l’appel de dénigrement des Chinois. Tout le début de l’épidémie ça a été une sorte de sport national. Oui mais Sibeth a jugé qu’il fallait un petit plus pour emporter la conviction et elle a expliqué que c’était difficile de mettre un masque et d’ailleurs qu’elle qui était ministre ne savait pas c’est dire, j’y reviendrai.

Nous sommes en guerre sans armes pour le Front, une tradition nationale

Entre temps, Macron s’était refendu d’un discours “collectiviste”, il avait commencé sa guerre selon une tradition bien française, celle qui à la veille de l’invasion allemande de quarante avait tenu compte des insuffisances de celle de 14-18, nous avions alors dans ces temps d’étrange défaite à notre disposition une collection de masques à gaz, nous avions fait la fortune de quelques marchands de ciment en construisant la ligne maginot, et nous avons attendu Munich de pied ferme dans les couloirs de l’assemblée nationale et dans les bordels de la capitale à la recherche de la nouvelle mata hari à exécuter. Donc nous étions en guerre mais au front des hôpitaux, ils n’avaient pas d’armes. Je te passe diverses péripéties, le maintien des élections toujours sans masque, et juste avant le premier ministre venu nous engueuler parce que nous nous attardions à la terrasse des cafés, nous assurant que puisque nous étions indisciplinés nous allions voir après les élections.

Le chat, tu te souviens à quel point j’étais inquiète, d’ailleurs je me faisais engueuler partout quand je tentais d’éviter que l’on s’approche trop de moi, ce qui avec mon physique actuel qui n’est plus ce qu’il a été pouvait passer pour une vieille folle manifestant une pruderie hors saison. On se souviendra qu’il n’y eut pas à l’époque le moindre parti politique pour s’opposer à cette désorganisation de l’opinion publique.

De même, ils prirent plutôt bien et nos médias dans un état proche de l’exaltation le second discours de Macron. Là il est vrai que lui et Edouard Philippe ressemblaient à Staline et Vorochilov sur les toits de Moscou guettant l’armée nazie. Tout le monde semblait prêt à leur confier “la dictature” au sens romain du terme, ce pouvoir qui suspend tous les autres…

Il y eu, dois-je dire heureusement tant cela fut sordide, la découverte que la ministre de la santé tout à fait consciente des dangers de l’épidémie avait déserté son poste pour aller batifoler avec le succès que l’on sait dans cette élection municipale. Il y a eu encore plus récemment la ministre du travail qui non contente d’inviter les gens du BTP et autres catégories à poursuivre un labeur non essentiel en profitait pour faire des fleurs au patronat… OU l’autre annonçant 1000 euros pour les salariés à la discrétion dudit patronat… Bref après s’être étonnés de ces mesures manquant de lisibilité ce qui témoigne d’une certaine myopie, PCF et france insoumise se sont évité le déshonneur de voter les pleins pouvoirs non pas à Guy Mollet mais à la République plutôt à l’arrêt.

Le chat me dévore des yeux, il est le dernier à me contempler avec une telle intensité… Je poursuis… Et là, il va falloir s’accrocher parce que j’opère “une distanciation brechtienne”‘

La question hier était pourquoi alors qu’il y avait des milliards de masques n’y a-t-il plus de masque… Brecht lui parlait de la disparition du coton…

Turandot ou le congrès des blanchisseurs est la dernière pièce de Bertolt Brecht, restée en partie inachevée. Dans Turandot, l’empereur convoque les Tuis à d’un grand congrès afin qu’ils expliquent et justifient au peuple les raisons pour lesquelles il n’y a plus de coton, alors que cette année-là la récolte a été particulièrement abondante – dans une improbable Chine de comédie. En fait ce sont les sbires de l’empereur qui pour organiser la spéculation ont brûlé dans l’entrepôt impérial la récolte.

Les ” Tuis “, ce sont les Tellect-Uel-In, les In-Tellect-Uels, les blanchisseurs d’opinions à la solde du pouvoir. Ils sont regroupés dans une sorte de joute publique dans laquelle chacun d’eux vient à son tour faire preuve de ses capacités d’enfumage. Un panier avec du pain à l’intérieur symbolise leur avancée ou leur échec, puisque tous à un moment emportés par leur rhétorique disent un peu de vérité, trop, ils ont perdu et le panier remonte. Si tu parles trop même dans le vain babillage habituel, il y a un moment où tu dis ce qu’il ne faut pas dire, en temps ordinaire on peut te le tolérer, là tout prend sens.

Un paysan qui veut devenir Tui est spectateur des prestations pour justifier l’absence de coton alors que la récolte a été abondante sans mettre en cause bien sur l’empereur, il les écoute attentivement de plus en plus convaincu qu’il y a toujours quelque chose à prendre chez les Tuis… Dans un chaos théorique total dans un monde totalement décomplexé qui est à a fois la Chine puisque le paysan a fini par rejoindre l’intellectuel Mao, mais aussi le capitalisme où le nazisme n’est pas éradiqué tant que le capitalisme est là et que règne l’inflation des prix et la crise économique et la dévaluation de la pensée… Cette pièce de théâtre s’accompagne d’un texte très subtil, le roman des Tuis, une avancée en terre inconnue, brûlée, au-delà des repères établis du politique et du social, dans un étrange no man’s land où les traits du “pas encore atteint” doivent se deviner au travers du paysage – héritage de ce temps passé et à venir, là où nous en sommes comme ceux vers lesquels nous allons.

les Tuis sont des marchands de formule à la solde des pouvoirs et pour les décrire Brecht pratique la prêche et l’esquive parce que le socialisme n’en est pas débarrassé… Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau sale mais guetter les contaminations entre le capital et son principal adversaire qui peut parfois se laisser aller à lui ressembler et donner dans l’emphase pour faire oublier ses reniements.

La question de hier était pourquoi alors qu’il y avait des milliards de masques n’y a-t-il plus de masque…

Le choix a alors été simple puisqu’il n’y avait plus de masque il fallait le dénigrer… Qui eut cette idée dans l’entourage du prince qui nous gouverne ? Peut-être le même qui lui a conseillé dans ses discours de la jouer social, presque “mon ennemi c’est la finance” On ignore dans quel esprit brillant l’idée a surgi, mais en tous les cas ce fut le clown de service Sibeth Ndiaye qui en fourni l’expression la plus mémorable, “le peuple est trop bête pour savoir mettre le masque, même moi qui suis ministre je n’y arrive pas. “

Mais comment en est-on arrivé là! Et que viennent faire les Tuis dans cette histoire-là alors que par ailleurs tout fait la démonstration de leur utilité, du rôle que peut jouer la science ? Et du mépris dans lequel on les tient. Qu’est-ce qui fait que parmi eux les plus utiles ne sont pas entendus alors que tant de bavards occupent les plateaux de télévision, se pressent dans les couloirs ministériels?

Les Tuis défendent la culture (laquelle est bâtie sur la propriété). Pendant des années, ils ont joui de la liberté, vu que leurs bavardages n’ont pas eu très grande importance. En eux s’est affermie la conviction que l’esprit détermine la matière ce qui est alors synonyme de liberté intégrale. Ils écrivaient dans les journaux qui n’étaient pas leur propriété et certaines insolences leur étaient autorisées.


Comme le dit Brecht dans une formule saisissante:


La raison principale de la pensée non intervenante est la démocratie fausse non intervenante. Des droits à qui manquent les moyens de leur sauvegarde…

qu’est-ce qui pose problème avec ou sans cette épidémie:

Voici le contexte tel que le décrit Brecht: la propriété est menacée parce que la misère devient trop grande. Les Tuis défendent la culture (laquelle est bâtie sur la propriété)

La faute des Tuis nous dit Brecht dans son “Romans des Tuis”, ils lient la culture (moralité,art, etc…) à la propriété. Dans un cas critique qui est un cas d’urgence, la propriété les sacrifie en même temps que la culture. Alors, ils se retrouvent en exil, assis entre deux chaises. (1) Et ils commencent à s’interroger sur la bande de connards qui nous gouverne.

Toujours l’esprit marche en avant des réalités, pas comme un tracteur, mais comme un chien qui fait des cabrioles, l’inconséquence est le passe-partout de l'”esprit”. Liberté politique, ajoute Brecht, en l’absence de liberté économique; voilà la cause de la confusion.

Tu as compris le chat… Il s’est endormi…

Danielle Bleitrach

(1) Bertolt Brecht Le Roman des Tuis L’Arche. Paris 1979 p.92

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 208

Suite de l'article

1 Commentaire

  • delepine
    delepine

    bonjour
    il y a longtemps que je n’avais pas lu un texte si frais, si vif, et si juste dans l’apostrophe merci beaucoup camarade

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.