Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Des médecins italiens vous supplient : “Restez chez vous!”

Daniele Macchini, médecin de la clinique Humanitas Gavazzeni à Bergame :

« Je comprends la nécessité de ne pas créer une panique, mais quand le message sur la dangerosité de ce qui se passe
n’atteint pas les gens, que j’entends ceux qui se moquent des recommandations et que je vois des gens qui se
rassemblent pour se plaindre de ne pas pouvoir aller à la salle de sport ou participer à des tournois de football,
je frissonne.

J’ai moi-même observé avec un certain étonnement la réorganisation de l’ensemble de l’hôpital la semaine précédente,
alors que notre ennemi actuel était encore dans l’ombre : les services se sont lentement et littéralement vidés,
les activités programmées ont été interrompues, les soins intensifs ont été libérés, tout ça pour disposer
d’autant de lits que possible. Des containers étaient posés devant les urgences pour créer des espaces diversifiés
et éviter la contagion.

Toute cette transformation rapide a apporté dans les couloirs de l’hôpital une atmosphère de silence et de vide
sidéral que nous ne comprenions pas. Nous étions dans l’attente d’une guerre qui n’avait pas encore commencé
et dont beaucoup (moi y compris) n’étaient pas sûrs qu’elle viendrait, surtout avec une telle férocité.

La guerre a éclaté et les batailles sont ininterrompues jour et nuit. L’un après l’autre, les pauvres malheureux
se présentent aux urgences. Ils ont tout, sauf des complications d’une grippe saisonnière.
Arrêtons de dire que c’est une mauvaise grippe.

Aujourd’hui, le besoin de lits se fait sentir avec une intensité dramatique. L’un après l’autre, les services
se remplissent à un rythme impressionnant. Les panneaux d’affichage avec les noms des patients sont désormais
tous rouges. Il y a le diagnostic, qui est toujours le même : pneumonie interstitielle bilatérale.
Maintenant, dites-moi quel virus grippal provoque une tragédie aussi rapide.

Le Covid-19 provoque une grippe banale chez de nombreux jeunes, mais chez de nombreuses personnes âgées (et pas seulement)
un véritable Syndrome Respiratoire Aigu Sévère, car il arrive directement dans les alvéoles des poumons et les infecte,
les rendant incapables de remplir leur fonction.

Je vous assure également que lorsque vous voyez des jeunes qui se retrouvent en soins intensifs, intubés, mis à plat
ventre ou pire, en ECMO (Oxygénation par membrane extra-corporelle : une machine pour le pire des cas, qui extrait
le sang, le ré-oxygène et le renvoie au corps, en attendant que l’organisme, si tout va bien, guérisse les poumons),
toute cette tranquillité d’esprit en raison de votre jeune âge s’évanouit.

Et bien qu’il y ait encore des gens sur les réseaux sociaux qui se vantent de ne pas avoir peur et qui protestent
car leurs habitudes de vie sont changées, la catastrophe épidémiologique est là. Et il n’y a plus de chirurgiens,
d’urologues, d’orthopédistes, nous ne sommes que des médecins qui font soudain partie d’une seule équipe pour
faire face à ce tsunami qui nous a submergés.

Les cas se multiplient, nous arrivons au rythme de 15-20 hospitalisations par jour, toutes pour la même raison.
Les résultats des prélèvements se succèdent désormais : positifs, positifs, positifs. Soudain, la salle des urgences
est dans le chaos. Des consignes d’urgence sont émises : de l’aide est nécessaire dans la salle d’urgence.

L’écran du PC avec les motifs d’accès est toujours le même : fièvre et difficultés respiratoires, fièvre et toux,
insuffisance respiratoire, etc. Examens, radiologie, toujours avec la même phrase : pneumonie interstitielle bilatérale.
Tous doivent être hospitalisés. Une personne est déjà à intuber et part en soins intensifs. Pour d’autres, cependant,
il est trop tard. L’unité de soins intensifs finit saturée. Chaque appareil respiratoire devient comme de l’or.
Les salles d’opération qui ont maintenant suspendu leur activité non urgente deviennent des lieux de soins intensifs
qui n’existaient pas auparavant.

J’ai trouvé incroyable la façon dont nous avons pu mettre en œuvre en si peu de temps un déploiement et une
réorganisation des ressources aussi bien ajustés pour nous préparer à une catastrophe d’une telle ampleur.
Et chaque réorganisation des lits, des services, du personnel, des équipes et des tâches est constamment
revue jour après jour pour essayer de tout donner et même plus. Ces services qui semblaient auparavant
fantomatiques sont maintenant saturés, prêts à essayer de donner le meilleur pour les malades, mais ils sont épuisés.
Le personnel est épuisé. J’ai vu de la fatigue sur des visages qui ne savaient en réalité pas ce que c’était
vraiment malgré la charge de travail déjà épuisante qu’ils avaient. J’ai vu des gens s’arrêter au-delà de
leurs heures habituelles de travail, faisant des heures supplémentaires désormais habituelles. J’ai vu de
la solidarité de nous tous, qui n’avons jamais manqué d’aller voir nos collègues internistes pour leur
demander « que puis-je faire pour vous maintenant? » ou « laissez ce patient, je m’en occupe. »
Les médecins qui déplacent les lits et transfèrent les patients, qui administrent des thérapies à la place
des infirmières. Des infirmières qui ont les larmes aux yeux, car nous ne pouvons pas sauver tout le monde
et les paramètres vitaux de plusieurs patients révèlent en même temps un destin déjà scellé.
Il n’y a plus de quarts de travail, d’horaires…

La vie sociale est suspendue pour nous. Je me contente de quelques photos de mon fils que je regarde entre
les larmes, et de quelques appels vidéo.

Alors, soyez donc patients vous aussi, vous qui ne pouvez pas aller au théâtre, aux musées ou à la salle de
sports. Essayez d’avoir pitié pour cette myriade de personnes âgées que vous pourriez exterminer.

S’il vous plaît, écoutez-nous, essayez de sortir de chez vous uniquement pour les choses indispensables.

N’allez pas en masse faire des stocks dans les supermarchés : c’est la pire des choses, car de cette façon
vous vous concentrez et le risque de contact avec des personnes infectées qui ne savent pas qu’elles le sont
est plus élevé. Vous pouvez y aller comme vous le faites habituellement. Peut-être que vous avez un masque
normal (même ceux qui sont utilisés pour effectuer certains travaux manuels) : mettez-le. Ne recherchez pas
les FFP2 ou FFP3. Ceux-ci devraient nous servir à nous, et nous commençons à avoir du mal à les trouver.
Désormais, nous avons dû optimiser leur utilisation, et ne les utiliser que dans certaines circonstances.

Eh oui, à cause de la pénurie de certains équipements, moi et beaucoup d’autres collègues sommes certainement
exposés malgré tous les moyens de protection dont nous disposons. Certains d’entre nous ont déjà été infectés
malgré les protocoles. Certains collègues infectés ont également infecté des membres de leurs familles,
et certains membres de leur famille luttent déjà entre la vie et la mort ».


« Dans les hôpitaux, nous sommes comme en guerre. »

Corriere della Sera, 09-03-2020

Christian Salaroli, anesthésiste réanimateur à Bergame :

« On décide en fonction de l’âge et des conditions de santé. Certains d’entre nous, que l’on soit chef de service
ou nouveau venu, en sortent broyés. Dans les urgences, une grande salle de vingt lits a été ouverte, qui n’est
utilisée que pour les événements de masse. C’est là que l’on fait le triage. On décide en fonction de l’âge, et de
l’état de santé. Comme dans les situations de guerre.

C’est donc vrai ?

Bien sûr que oui. Seuls les femmes et les hommes atteints de pneumonie Covid-19, souffrant d’une insuffisance
respiratoire, sont autorisés dans ces lits. Les autres retournent à la maison.

Que se passe-t-il ensuite ?

Nous les mettons sous ventilation non invasive, qui est appelée Niv. La première étape, c’est ça.

Et les autres étapes ?

Tôt le matin, avec les soignants des urgences, le réanimateur passe. Son avis est très important.

Pourquoi est-ce si important ?

Outre l’âge et la situation générale, le troisième élément est la capacité du patient à se
remettre d’une procédure de réanimation.

De quoi parlons-nous ?

Cette pneumonie induite par Covid-19 est une pneumonie interstitielle, une forme très agressive
qui affecte l’oxygénation du sang. Les patients les plus touchés deviennent hypoxiques, ce qui signifie
qu’ils n’ont plus assez d’oxygène dans leur corps.

Quand faut-il choisir de continuer les soins ?

Juste après. Nous sommes obligés de le faire. En quelques jours, tout au plus. La ventilation non invasive
n’est qu’une phase transitoire. Comme il y a malheureusement une disproportion entre les ressources hospitalières,
les lits de soins intensifs et les personnes gravement malades, tout le monde n’est pas intubé.

Que se passe-t-il alors ?

Si une personne âgée souffre d’une grave insuffisance respiratoire, il est peu probable que vous poursuiviez
les soins.

Ceux « qu’on laisse partir » meurent du Covid-19 ou de maladies préexistantes ?

Dire que l’on ne meurt pas du Coronavirus, c’est un mensonge qui me rend amer. Ce n’est pas non plus respectueux
pour ceux qui nous quittent. Ils meurent de Covid-19, car dans sa forme critique, la pneumonie interstitielle
affecte les problèmes respiratoires préexistants, et la personne malade ne peut plus tolérer cette situation.
La mort est causée par le virus, et non par autre chose.

Et vous médecins, vous arriver à endurer cette situation ?

Certains en sortent écrasés. Cela arrive au chef de service comme au nouveau venu, qui se retrouve tôt
le matin à devoir décider du sort d’un être humain. À grande échelle, je le répète.

Cela ne vous dérange pas d’être l’arbitre de la vie et de la mort d’un être humain ?

Pour l’instant je dors la nuit.

Que pensez-vous des dernières mesures gouvernementales ?

Peut-être qu’elles sont un peu génériques. L’idée d’enfermer le virus dans certaines zones est bonne, mais elle
arrive avec au moins une semaine de retard.

Restez à la maison. Restez à la maison. Je ne me lasse pas de le répéter. Je vois trop de gens dans la rue.
La meilleure réponse à ce virus est de ne pas sortir. Vous n’imaginez pas ce qui se passe ici. Restez à la maison.

Y a-t-il une pénurie de personnel ?

Nous faisons tous tout. Nous, anesthésistes, effectuons des quarts de soutien dans notre salle d’opération, qui gère
Bergame, Brescia et Sondrio. D’autres ambulanciers se retrouvent dans la salle, aujourd’hui c’est à moi de décider.

Dans la grande salle ?

C’est ça. Beaucoup de mes collègues souffrent de cette situation. Ce n’est pas seulement la charge de travail,
mais la charge émotionnelle, qui est dévastatrice. J’ai vu des infirmiers de trente ans d’expérience pleurer,
des personnes qui ont des crises de nerf et qui tremblent soudainement. Vous ne savez pas ce qui se passe dans
les hôpitaux, c’est pourquoi j’ai décidé de vous parler.

Je me dis que c’est comme pour la chirurgie de guerre. Nous essayons seulement de sauver la peau de ceux qui peuvent s’en sortir.
Voilà ce qui se passe.

envoyé : 16 mars 2020 à 08:36
de : Carlos Parada carlosparadapro@gmail.com
à : undisclosed-recipients:;
objet : Consignes pour le médico-social

Bonjour
Pour information je vous transfère les directives arrivées ce dimanche 15 mars concernant le Médico-Social.
Bon courage à tous.

Carlos Parada

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1 Commentaire

  • Brochard
    Brochard

    Merci et courage ! j’ai de la famille a Foggia pour information

    Répondre

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