Histoire et société

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Menace pandémique du Coronavirus (2019-nCoV) : un défi pour l’humanité…et une exigence de soutien aux hôpitaux publics, Jean-Jacques Pik

La revue “progressiste”, une fois de plus nous offre un article qui porte sur le fond, nous avions déjà ici même souligné le fait que les épidémies ne sont pas éradiquées. Et que dès aujourd’hui au lieu de faire de la politique de guerre contreun pays frappé nous devons mettre en place les conditions d’une lutte collective et que cela passe par un système de recherche et de soin public, sans recherche du profit et avec transparence. Cet article va dans le même sens et il apporte une vision rationnelle et humaniste à laquelle nous ne pouvons qu’adhérer (note de danielle Bleitrach)

Nous n’en avons définitivement pas fini avec les maladies infectieuses, malgré les découvertes décisives des deux siècles précédents, vaccins et antibiotiques, auxquelles il faut ajouter les progrès de l’hygiène.

* Jean-Jacques Pik est docteur en médecine interne, centre hospitalier de Kourou.


La disparition des maladies du millénaire précédent, variole et peste notamment, le recul d’affections telles que la diphtérie, la poliomyélite, la lèpre, le choléra (encore endémique en Haïti, épidémique actuellement dans la province du littoral au Cameroun), ont pu donner une fausse impression de sécurité. D’autres hélas connaissent un regain du fait de l’insuffisante efficacité des politiques vaccinales : c’est le cas de l’hépatite B et de la rougeole.

Parallèlement, de nouvelles affections, dites maladies émergentes apparaissent régulièrement par différents phénomènes : mutation virale, diffusion continentale ou planétaire d’infections géographiquement localisées (c’est grosso modo le modèle du VIH). Le réchauffement climatique laisse craindre, à tort ou à raison, la ré-émergence de virus congelés dans le permafrost.

La menace des épidémies de maladies respiratoires reste très présente, essentiellement du fait des grandes concentrations urbaines et de la proximité des humains avec les espèces animales qui sont souvent des réservoirs de virus. On ne s’étonnera donc pas de voir naître la plupart des épidémies en Asie du sud ou du Sud-Est, région de très forte concentration humaine et de très grande promiscuité humains/animaux.

Historiquement, l’infection respiratoire la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité demeure la tuberculose, dont le réservoir est exclusivement humain. Certes en régression, elle demeure toutefois bien présente dans de nombreuses régions du monde et a même connu un regain au cours des 40 dernières années lié à la pandémie du VIH. Un traitement médical de plusieurs mois d’antibiotiques combinés reste indispensable pour en assurer la guérison.

1/ Le XXème siècle et le début du XXIème

Ces deux derniers siècles ont été marqués par des épidémies de virus grippaux. La contagiosité de ces souches virales est massive. Rappelons les principales vagues:

– Grippe « espagnole » (virus A H1N1) en 1918/1919, dans un monde qui venait de connaître les désastres de la 1ère guerre mondiale. Les diverses évaluations rapportent de 50 à 100 millions de morts.

– Grippe « asiatique » en 1957 (virus A H2N2), déjà née en Chine par probable mutation d’une souche virale du canard sauvage. 2 millions de victimes selon l’OMS.

– Grippe « de Hong-Kong » en 1968 (virus A H3N2) : autour d’un million de victimes.

– Grippe aviaire de 2004 à 2007, en réalité 2 épidémies voisines (H5N1 et H7N7) atteignant les oiseaux sauvages. La transmission à l’être humain est restée très limitée, quelques centaines de victimes tout de même.

– Grippe pandémique de 2009 par réassortiment de la souche A H1N1. La source porcine mexicaine, considérée comme la plus probable, n’a jamais été totalement confirmée ; Mortalité en France (probablement sous-estimée par biais de sous-déclaration) 350 personnes. (BEH 2011, n°1) Campagnes de vaccination massive en France selon les recommandations de l’OMS. Atteinte plus spécifique des sujets jeunes (du fait d’une moindre immunité acquise contre les souches antérieures de H1N1).

En dehors de ces vagues liées à l’émergence de nouvelles souches virales, les virus grippaux traditionnels circulent dans le monde entier en saison froide et connaissent des réaménagements génétiques qui nécessitent une adaptation annuelle des formules vaccinales. Les données du réseau Sentinelles montre que les épidémies durent en moyenne 9 semaines, extrêmes de 4 à 16 semaines en France.

2/ La famille des coronavirus

Depuis 2003, l’attention s’est portée sur une autre famille virale, celle des coronavirus (nom donné du fait de l’aspect « en couronne » de leur virion en microscopie électronique). Connue pour donner des infections bénignes des voies respiratoires supérieures chez l’homme et diverses affections animales. Ils sont de taille supérieure aux virus de la grippe et se transmettent par projection de gouttelettes issues de la toux ou des éternuements ou bien par contact avec des objets ayant reçu lesdites projections.

Un foyer chinois d’une infection respiratoire beaucoup plus sévère, appelée Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) est apparu en 2002 et s’est répandu à travers le monde en 2003, avant de disparaître. Les caractéristiques étaient une létalité élevée 15%, voire 50 % après 65 ans. Au total l’OMS a signalé plus de 8 000 cas et un peu moins de 800 décès. Le réservoir naturel vient des chauves-souris et l’intermédiaire avec l’espèce humaine s’est révélé être la civette palmiste, animal sauvage consommé au sud de la Chine. La diffusion mondiale a suivi les migrations aéroportuaires. A l’époque, les autorités chinoises avaient été critiquées pour leur absence de communication de données scientifiques et épidémiologiques et ce manque de transparence a été considéré comme dommageable vis-à-vis de la diffusion mondiale de l’épidémie.

En 2012, détection d’un nouvelle flambée virale par un nouveau variant des coronavirus, qui fut baptisé MERS-CoV (pour Middle East Respiratory Syndrom), caractérisé par une létalité élevée (35% pour l’OMS), la fréquence des symptômes digestifs associés à la défaillance respiratoire. Le virus est également dans ce cas d’origine animale, chauve-souris à nouveau, l’hôte intermédiaire identifié fut le dromadaire. 80 % des cas en Arabie saoudite. La transmission interhumaine semble possible mais faible et les infections asymptomatiques nombreuses. Si l’épidémie semble se poursuivre à bas bruit, l’explosion épidémique redoutée du fait des grandes concentrations humaines liées au pèlerinage de la Mecque ne s’est heureusement pas produite.

3/ Le 2019-nCoV

L’affaire est connue de tous car, à la différence de 2003, les autorités chinoises ont très vite communiqué autour de l’émergence de cette nouvelle flambée épidémique, avec une alerte à l’OMS dès le 31/12/2019 alors que les cas princeps ne remontaient qu’à 3 semaines auparavant, à savoir des cas groupés de pneumonie virale chez des personnes ayant fréquenté le « seafood market » de la ville de Wuhan en Chine centrale, ville de 11 millions d’habitants, au centre d’un important réseau de communications multimodales, et dont les liens importants avec la France ont été relevés par les commentateurs, pour des raisons industrielles, commerciales et universitaires. L’OMS a très vite communiqué par le biais de conférences de presse, l’équipe médicale chinoise a très vite émis sa publication princeps dans le numéro en ligne du 24 janvier 2020 du Lancet, comportant étude clinique des premiers cas et séquençage du génome viral en PCR1. L’origine, une fois de plus animale, n’a pas encore été complètement identifiée. La séquence clinique est essentiellement celle d’une affection respiratoire mais de véritables pneumonies sont possibles et il semble exister sur les premiers cas une surreprésentation d’association à des terrains de diabète et/ou de maladies cardio-vasculaires.

A la date de rédaction de cet article, 14 000 cas ont été notifiés, les décès rapportés sont de 300, des cas ont été décrits dans une vingtaine de pays chez des patients ayant séjourné ou vécu dans la zone chinoise considérée comme l’épicentre, 6 en France à ce jour. La transmission interhumaine est très probable mais semble nécessiter, au stade où nous en sommes, une exposition massive dans la zone centrale et aucun cas de transmission hors Chine n’a été décrite.

Au plan transmission, le modèle « gouttelettes » a été retenu. On ne sait toujours pas si les personnes asymptomatiques en cours d’incubation sont susceptibles de transmettre le virus, cela apparaît toutefois peu probable si elles ne toussent pas. La fièvre semble fréquente mais pas systématique et peut être combattue par les antipyrétiques habituels, ce qui rend peu productif la détection par contrôle thermique. La prévention de transmission comporte les mesures barrières habituelles : protection de la bouche et du nez quand on tousse ou éternue, port d’un masque chez les personnes atteintes d’une infection respiratoire, et en zone d’exposition animale, cuisson suffisante de la viande et des œufs (OMS).

D’importantes dispositions d’isolement de la zone Wuhan-Wenzhou ont été prises par les autorités chinoises, la France s’engage vers une voie de rapatriement et confinement de trois semaines pour ses ressortissants de la zone. L’OMS a franchi un pas supplémentaire de mobilisation en décrétant l’USPPI (Urgence de Santé Publique de Portée Internationale), de façon à montrer sa mobilisation et indirectement et diplomatiquement, de rappeler aux autorités chinoises leurs obligations.

Il est évident que d’autres développements interviendront dans les prochaines semaines et il paraît difficile d’aller plus loin, sinon se référer aux modèles épidémiologiques des infections respiratoires mais on a vu que les caractéristiques de transmission et de virulence de chaque souche peuvent modifier le modèle, de même que la pertinence des mesures prises pour y faire face.

4/ La situation en France

En France, le Ministère de la santé, la Direction Générale de la Santé sont très présents et communiquent beaucoup sur ce front, prennent des initiatives telles le rapatriement et l’isolement des ressortissants cité plus haut. Depuis l’épisode de la canicule de 2003 et ses funestes conséquences, les gouvernants se montrent toujours très actifs, voire activistes de façon pas forcément dénuée d’arrière-pensées électoralistes.

Cette crise sanitaire intervient dans un contexte particulier :

– Tout d’abord épidémiologique : notre pays est traversé comme d’habitude en cette période de l’année par une épidémie de grippe saisonnière en très forte augmentation lors des semaines en cours (voir Santé Publique France, Bulletin Grippe Hebdomadaire, 2020, n°42) et de nombreux hôpitaux ont dû se déclarer « en tension », ce qui signifie ni plus ni moins travailler plus, voir ré-ouvrir des lits sans moyens supplémentaires.

– Ensuite social et politique. L’hôpital public est exsangue du fait de son mode de financement et des vagues austéritaires successives, le ras-le-bol des soignants de toutes les professions s’exprime par les innombrables mouvements de grève et de manifestations de tous les personnels, ainsi que les positions de plus en plus critiques des médecins hospitaliers (démissions, grève du codage,…). Ce grand mouvement social durablement installé, trouve un écho particulier avec le mouvement social national contre le projet gouvernement rétrograde de réforme des retraites.

Or, il apparaît à l’évidence, comme à chaque fois que se produit une urgence sanitaire, que c’est l’Hôpital Public, et personne d’autre, qui aurait à supporter la gestion et la prise en charge d’une extension de la pandémie de 2019-nCoV en France, hypothèse peu probable compte tenu de ce qui précède mais que l’on ne peut exclure a priori.

S’y préparer c’est donc aussi se mobiliser pour un grand plan de dotation d’urgence des Hôpitaux publics comme le demandent les personnels.

revue-progressistes.org/2020/02/17/menace-pandemique-du-coronavirus-2019-ncov-un-defi-pour-lhumaniteet-une-exigence-de-soutien-aux-hopitaux-publics-jean-jacques-pik/?fbclid=IwAR0eTjHcp4LLBmMlNKWeIURugEJRwrdDCqIySUrJbLYVJR_DJICPpvELmO0

1. Chaolin Huang et coll. Clinical features of patients infected with 2019 novel coronavirus in Wuhan, China. Lancet 2020.

2. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe-semaine-4.-saison-2019-2020

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