Histoire et société

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Une rumeur de l’extrême-droite : la loi Pompidou-Giscard-Rothschild votée en 1973 empêcherait l’Etat de battre monnaie par Alain Beitoun

Par Alain Beitone, professeur de Sciences économiques et sociales Lycée Thiers Marseille, honnêtement je croyais que ce vieux serpent de mer ne nageait plus depuis longtemps et je m’aperçois que des militants de bonne foi, pas le moins du monde suspects de complaisance envers l’extrême-droite continuent à voir là l’alpha et l’oméga de la perte de notre souveraineté nationale? alors publions encore ce texte très éclairant. d’Alain qui nous a quitté il y a peu. (note de Danielle Bleitrach)

La rumeur enfle depuis quelques semaines, sur internet, dans les médias, dans les déclarations de leaders politiques : la source de tous nos maux économiques serait la “loi de 1973”

C’est l’extrême droite qui est à l’origine du mouvement. D’Alain Soral à Marine Le Pen, les choses sont claires la “loi Pompidou, Giscard, Rothschild”, en réformant les statuts de la Banque de France empêche l’Etat de “battre monnaie” pour se financer ce qui permet aux banques privées de s’engraisser en encaissant les intérêts de la dette. Certains n’hésitent pas à parler de “casse du siècle”. Dans ce courant politique, la lourde insistance sur les fonctions jadis exercées par G. Pompidou au sein de la banque Rothschild est loin d’être innocente. On se trouve en présence d’une rumeur complotiste traditionnelle qui désigne un bouc émissaire et apporte une explication simple à la crise de la dette. Ce discours a son correspondant aux Etats-Unis avec la campagne autour du livre de Eustace Mullins sur les secrets de la Réserve Fédérale, dont la création est attribuée à un complot de banquiers impulsé par…James de Rothschild. Mullins (décédé en 2010) était une figure marquante de l’extrême droite antisémite américaine. Il suffirait donc de rendre la Banque de France aux français et de financer les dépenses publiques par des crédits à taux nuls ou très faibles pour que la crise de la dette soit résolue.

Curieusement, la dénonciation de la “loi de 1973” fait aussi florès au sein de la gauche radicale. Un document récent sur la dette diffusé par Attac et la Fondation Copernic, fait de cette loi une des trois causes principales de la crise actuelle. Fort heureusement, la connotation antisémite est absente de ce second type de discours. Mais sur le plan économique, l’argumentation est la même : avant la loi de 1973, l’Etat pouvait se financer à des taux très faibles auprès de la Banque de France, depuis, il est devenu prisonnier des marchés financiers. Il suffirait donc d’en revenir au mode de financement ancien pour que les problèmes soient résolus et seule l’obstination de la BCE et des allemands nous empêcherait d’adopter cette solution de “bon sens”.

Le fait que la loi de 1973 ait été abrogée en 1994 ne conduit apparemment pas ces innombrables blogueurs et autres auteurs de tracts à se poser la moindre question. De plus, bien avant cette loi, les banques commerciales assuraient déjà la création d’une bonne partie de la monnaie.

Par ailleurs, la loi de 1973 ne fait que confirmer la possibilité ancienne pour le Trésor d’obtenir des avances auprès de la Banque de France dans le cadre d’une convention approuvée par le parlement. Bref, une analyse économique et historique même superficielle conduit à rejeter l’explication incantatoire par ” la loi de 1973 “. Comme souvent, les rumeurs, en même temps qu’elles proposent une explication simpliste, occultent les vrais problèmes. Citons en rapidement quelques uns :

– La crise des dettes souveraines dans la zone euro, n’est pas d’abord liée au niveau d’endettement (le Japon, les Etats-Unis, la Grande Bretagne sont plus endettés), il s’agit d’une crise de la gouvernance au sein de la zone euro. Quand bien même la “loi de 1973” expliquerait la montée de la dette publique en France (ce qui n’est pas le cas), elle n’explique pas la crise des dettes souveraines dans l’Union Européenne à laquelle il faut répondre ici et maintenant.

– La France est bien passée d’un financement de la dette publique très largement administré dans le cadre du “circuit du Trésor”, à un financement par le marché. On peut préférer une moindre dépendance à l’égard des marchés financiers, mais sans oublier que le financement administré n’est pas sans inconvénients. Et sans oublier non plus que le passage au financement de marché était lié à la volonté d’obtenir des crédits à moindre coûts sur un marché plus profond et plus liquide.

– La crise actuelle des dettes souveraines en Europe est d’abord une crise liée à l’ampleur des mouvements spéculatifs et la régulation insuffisante du système financier. C’est de cela qu’il faudrait discuter, et non de la loi de 1973.

– L’augmentation brutale du taux d’endettement des Etats en Europe est d’abord la conséquence de la crise économique mondiale qui s’est déclenchée en 2007 à partir de l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis. Ce qui est en jeu, c’est d’abord la relance de la croissance et l’abandon des politiques de rigueur qui ne peuvent qu’accroître la gravité de la situation économique. Sur ce dossier aussi, la dénonciation de la loi de 1973 n’est d’aucun secours.

– En invoquant la loi de 1973, on passe sous silence l’essentiel : le traité de Maastricht et la définition qu’il donne des missions de la Banque Centrale Européenne. De nombreux économistes (P. Artus, J. Pisani-Ferry, H. Rey) ont souligné que pour mettre un coup d’arrêt à la crise de la dette, il faudrait que la BCE annonce un taux d’intérêt plafond sur les dettes publiques et son intention de racheter sans limitation les titres de dette si ce taux est dépassé sur le marché. J.C. Trichet, puis M. Draghi se sont refusés jusqu’ici à une telle politique en invoquant la lettre des Traités et le statut de la BCE. C’est cela qu’il faudrait changer et non la “loi de 1973” abrogée depuis longtemps.

– Enfin, il faut rappeler que si l’on souhaite accroître la part relative des consommations collectives dans le revenu national, il faut nécessairement réduire la part relative des consommations privées.

Pour que cela se produise de façon compatible avec la justice sociale, il faut une réforme fiscale d’ampleur, donnant au système de prélèvement fiscal et social un caractère véritablement progressif. Croire que l’on peut répondre aux besoins sociaux en finançant par la création monétaire la construction d’école et d’hôpitaux ou la recherche scientifique c’est entretenir une illusion dangereuse. Certes, la science économique nous enseigne que la création de monnaie joue un rôle essentiel pour assurer la croissance en finançant par anticipation la création de richesses futures, mais cela n’est pas contradictoire avec la nécessaire prise en compte des contraintes de financement liées, notamment à la répartition plus ou moins équitable des revenus.

Ce serait l’honneur de la gauche, surtout de celle qui veut changer radicalement l’ordre du monde existant, de poser les vrais problèmes plutôt que d’alimenter la rumeur fantaisiste sur la “loi de 1973”.

Dernier ouvrage paru : Dictionnaire de sciences économiques (Armand Colin), 2010.

Point de vue | LEMONDE.FR | 29.12.11 | 10h15

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