Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le FMI ou l’hégémonie menacée

On se souvient de l’analyse de Marx dans contribution à la critique politique, je cite de mémoire: Il arrive un moment où la contradiction entre force productives et rapports de production entre dans une phase où les rapports de production qui jusque là portaient le développement deviennent une entrave, commence alors une période de bouleversement. A son tour l’énorme superstructure s’ébranle, toutes les institutions, toutes les représentations entrent en crise.

La crise est financière, économique et politique et de fait ce sont toutes les institutions qui entrent dans un bouleversement, le problème posé à tous les niveaux est celui de la démocratie.

La crise financière qui traduit la manière dont l’accumulation du capital, argent-marchandise-argent est arrivé à une situation telle que le mode de production capitaliste devient mortifère pour les individus et la planètes. Toutes les institutions, les réprésentations s’écroulent à leur tour et on voit ce moment symbolique où une vingtaine de jeunes gens en colère viennent à Wall Street dénoncer le fait que dans la démocratie 1% de la population impose ses choix à 99%.

Mais cette dénonciation du coeur du système a aussi son pendant dans une autre institution représentative de cette concentration du pouvoir, le FMI. Le mode de production capitaliste serait-il à son stade suprême celui de l’impérialisme où là aussi s’affirme l’impossibilité de gouverner sur les mêmes bases ?

Le FMI s’est réuni ce week-end à Washington et là on a assisté non pas à l’affrontement mais au blocage des intérêts divergents, d’abord entre les pays émergents comme la Chine et les Etats-Unis et l’Europe, ensuite entre ces deux dernières entités.

Les Chinois  avaient sur l’estomac un projet de loi du Sénat américain sur le yuan, la monnaie chinoise. En effet à la veille de chaque élection américaine, les représentants américains et l’administration ont l’habitude de faire porter sur la Chine leurs malheurs économiques en l’accusant de manipulation monétaire et en faisant peser la menace d’une nouvelle vague protectionniste. la Chine l’a très mal pris et non seulement a opposé son veto avec la Russie à une nouvelle aventure otanesque en Syrie mais a élevé la voix au FMI. traiter du sujet serait un trop grand détour mais la demande palestinienne, la menace du veto étatsunien joue aussi son rôle, ce qui mériterait toute une analyse sur à qui se sont de fait adressé Palestiniens et Israéliens?

En gros en refusant de fait un premier pas vers l’intervention, la Chine et la Russie ont dit qu’on ne leur referait plus le coup de la Libye mais peut-être le créancier chinois manifeste-t-il sa mauvaise humeur devant cette fuite en avant belliciste au nom de la démocratie et du droit des peuples. C’est ce qu’il apparait en tous les cas dans cette séance du FMI.

Le gouverneur de la Banque centrale de Chine, Zhou Xiaochuan a eu une de ces interventions remarquées et remarquables par lesquelle désormais la Chine dit ce qu’elle a à dire, en particulier qu’on lui demande beaucoup ainsi qu’à d’autres pays émergents mais qu’au FMI ce sont toujours les Etats-Unis et l’Europe qui ont une voix prépondérante, les Etats-Unis d’abord bien sûr. Donc il a déclaré: “Une coopération mondiale est écessaire. Un élement clé de cette coopération est que chaque pays prenne les choses en main chez lui, qu’il prenne des mesures bien adaptées et mette sa maison en ordre”.

Ce qui revient à jouer au billard sur plusieurs bandes à la fois en disant aux occidentaux : ne comptez pas trop sur nous, le mieux que nous pouvons faire est de résoudre les problèmes du quart de l’humanité. Ce genre de réflexion est de mauvaise augure quand tout le monde se tourne vers l’Asie pour lui demander une fois de plus de résorber les obligations des Etats occidentaux. Mais il y a plus la Chine en disant cela dénonce la propension à vouloir imposer au reste des nations souveraines de la planète des diktats en fonction des intérêts occidentaux. Le veto à l’ONU va dans ce sens.

Le Brésil par la voix de son représentant, le ministre des finances, Guido Mantega a renforcé la position chinoise en affirmant que “les pays avancés ne peuvent plus gérer seuls les risques pour la stabilité mondiale” et il a dénoncé “les politiques monétaires obstinément prodigues dans les pays qui émettent des monnaies de réserve qui ont peu fait pour soutenir la reprise économique mais ont généré des casse-tête pour les pays émergents”. Il a repris à sa manière le propos de la Chine en expliquant que tout regain de la demande mondiale dépendra largement des pays des Brics (Bresil, Russie,Inde, Chine, Sud Africain).

Face à cette manifestation de mauvaise humeur du gouverneur de la Banque de Chine appuyée de fait par les autres pays émergents et même par une intervention de madame Lagarde allant dans le même sens en expliquant que le FMI ne serait pas capable de faire face aux besoins si la crise du centre se répandait de plus en plus sur des pays vulnérables de la périphérie, les Etats-Unis ont non seulement freiné des quatre fers tout ce qui pouvait aboutir à une réforme du système monétaire et du FMI et ils  ont mis l’europe au banc des accusés.

 On a assisté à la division des complices de toujours en train de se renvoyer mutuellement la patate chaude de la faillite de leur système. Tim Geithner, le représentant des Etats-Unis a commencé par exprimer son “admiration” pour l’Europe mais aussitôt cet ingrat dont le pays est largement à l’origine d’un grand nombre de problème de l’économie mondiale a réclamé que les Européens créent “un pare-feu contre une contagion plus grave” sous-entendu qui menacerait le système américain. En gros il  a proposé de fait un nouveau montage. Le FESF, le Fond de stabilité ne suffit pas, il a été décidé en catastrophe en juillet il est déjà dépassé, donc il faut changer les institutions européennes et les mettre plus directement sous la coupe de la BCE qui interviendrait conjointement avec la FESF. S’il y a une amorce de décision qui est sorti de cette réunion de blocage ce devrait être celle-là: une intégration européenne accélérée et un poids nouveau de la BCE en liaison étroite avec la FED, réserve Fédérale et institution soumise aux intérêts privés.

On a le sentiment que les Etats-Unis jouent un peu avec l’Europe comme l’Europe joue avec la Grèce et les autres pays menacés hésitant entre la solidarité et la tentation de se débarrasser d’un membre gangrené alors même que l’on est largement à l’origine du mal. La confusion est de plus en plus totale entre représentants des Etats et institutions financières soumis aux intérêts privés, le poids reconnu à la FED et la BCE en témoigne mais ce sont des expédients qui ne répondent pas à la contradiction: dette ou relance… Et à la dénonciation des pays émergents devant l’incapacité de ce système à faire face à cette quadrature du cercle.

Parce qu’il est en train de se passer au FMI quelque chose qui est une menace directe de l’hégémonie nord-américaine et que traduit l’intervention chinoise autant que l’élargissement des missions du FMI en Europe, c’est la question d’une réforme du système monétaire. La CHine profite de cette crise pour peser de tout son poids pour que l’institution devienne multilatérale et plus sous unique domination nord-américaine, ces derniers possédant l’équivalent du droit de veto avec une minorité de blocage.

C’est un peu comme si le symbole des jeunes gens en colère devant Wall Street protestant sur le fait que 1% de la population imposait ses intérêts à 99% trouvait son pendant à l’ONU et au FMI. Ce qui est dénoncé est la crise de la démocratie, parce que les procédures inventées pour l’exercer aboutissent désormais à des formes de tyrannie dont le marché et le complexe industrialo militaire sont la réalité.

Ce qu’il faut bien noter est le stade de la contestation, le fait qu’elle s’adresse dans tous les cas au coeur même du système ce qui est le première fois depuis que les Etats-Unis ont conquis une hégémonie planétaire aux lendemains de la deuxième guerre mondiale. Toute la période dite de la Guerre froide ayant consisté à déplacer les antagonismes sur les pays du Tiers monde, l’effondrement de l’URSS ayant paru faire disparaître tout adversaire. Les crises qui se sont succédées alors jouant essentiellement à la périphérie en Argentine, en Russie… Mais ce sont durant cette période constitués de nouveaux rapports sud-sud derrière la Chine dont la taille permettait une réorganisation de l’ensemble même si elle reste un pays sous développé. Les Etats-Unis et l’Europe ont maintenu une hégémonie essentiellement grâce au dollar, la monnaie universelle et la puissance militaire relayée par un monopole médiatique. Cette architecture qui aboutit à une concentration des pouvoirs et l’exercice de la force sur la diplomatie est fortement contestée.

Pour le moment la Chine appuyé par d’autres pays des BRICS tente d’acquérir une position dominante à l’intérieur des institutions existantes, le Conseil de Sécurité et le FMI, pour y défendre la souveraineté des pays menacés par les appétits occidentaux mais d’autres stratégies plus radicales sont déjà à l’oeuvre qui contestent y compris l’hégémonie du Conseil de Sécurité et celle du FMI.

Dans quelle période historique sommes-nous entrés? S’agit-il réellement de l’histoire telle que l’envisageait Marx ou suis-je en train de revivre éternellement une espérance: « Ceci est l’histoire d’un homme marqué par un souvenir d’enfance » disait la voix off dans le film de Chris Marker qui illustre cet article la Jetée. un film sur la mémoire, le cinéma, le déplacement dans le temps, tous les temps. Mon souvenir d’enfance est celui d’une lutte qu’on a cru victorieuse contre le nazisme, mais nous voici une fois de plus au rendez-vous et la question demeure une fois de plus celle de la démocratie mais celle-ci reste à définir, à conquérir dans des conditions peut-être plus obscure encore que celles de la Seconde guerre mondiale.

Danielle Bleitrach

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