Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Un avare héroïque. La haine du français a sauvé l’argent russe

Vu de Russie : les difficultés de notre voisin belge. Avec un ton de commisération et d’ironie, qui révèle en même temps un capital de sympathie des Russes pour la vieille Europe, son histoire, sa culture, dont ils se considèrent partie prenante, et avec cette interrogation : quand vont-ils se réveiller du cauchemar dans lequel ils se sont plongés eux-mêmes ? Connaissant mal la Belgique j’ai demandé à notre ami et contributeur Philippe le Belge, de nous livrer ses commentaires en note de bas de page. Merci à lui (note et traduction de Marianne Dunlop pour Histoire et Société)

РИА Новости, 26.10.2025

Texte : Dmitri Bavyrine

« Il est important pour nous de faire mal à la Russie ». C’est en ces termes que le Premier ministre néerlandais Dick Schoof défend l’idée de voler les actifs financiers de la Russie afin d’accorder à l’Ukraine un crédit dit « de réparation ». Le fait qu’environ 200 milliards de dollars appartenant à notre banque centrale soient jusqu’à présent seulement gelés sur des comptes en euros et non volés est le mérite d’une seule personne en particulier. C’est cette personne que Schoof tente de convaincre.

Cette personne n’est pas le Premier ministre de Hongrie Viktor Orbán, ni la présidente de la BCE Christine Lagarde, ni même le président des États-Unis Donald Trump. Officiellement, la Maison Blanche n’a pas soutenu l’initiative européenne de spoliation, mais en réalité, comme l’écrivent les médias américains, elle pousse Bruxelles à le faire. Trump n’est pas le pire homme à Washington, mais il aime l’argent, et la majeure partie des fonds volés à la Russie devrait atterrir en Amérique. Selon le plan de Bruxelles, environ un quart servira à rembourser le prêt accordé précédemment à l’Ukraine, et au moins 140 milliards seront consacrés à l’achat d’armes pour les forces armées ukrainiennes, principalement américaines.

Le plan a échoué grâce à un héros solitaire, le Premier ministre belge Bart De Wever, qui a permis de reporter le vol au moins jusqu’en décembre. Les déclarations des responsables européens selon lesquelles la question avait déjà été réglée se sont avérées être un bluff. Lors d’une réunion convoquée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, De Wever n’a rien cédé : il s’est battu pour notre argent comme s’il s’agissait du sien.

La Belgique et son dépositaire Euroclear sont les principaux détenteurs d’actifs russes, de sorte que le succès de l’opération dépendait entièrement de De Wever. Mais Ursula, Vladimir Zelensky, le chancelier allemandFriedrich Merz et d’autres lobbyistes du pillage de la Russie ont eu affaire à un adversaire coriace : dans son pays natal, le Premier ministre belge est réputé pour son obstination. À cause de lui, les négociations sur la formation du gouvernement ont été retardées à deux reprises pendant plus d’un an et demi. Dans les deux cas, De Wever n’a pas été convaincu, mais on a simplement trouvé le moyen de se passer de lui.

Maintenant qu’ils peuvent se passer de lui, les responsables européens accusent dans les médias les Belges de mercantilisme : ils gardent pour eux les revenus des actifs russes (plus précisément 30 % ; le reste étant reversé à Kiev), et exigent que les risques financiers liés à leur retrait soient répartis entre tous les pays de l’UE. Tous ne sont pas prêts à accepter cela, car ils sont conscients que les Ukrainiens ne rembourseront jamais ce crédit, tandis que la Russie a la possibilité de compenser ses pertes grâce aux biens des entreprises européennes sur son territoire. Leur valeur totale dépasse les 200 milliards qu’Ursula veut voler, mais un tel scénario est loin d’être idéal, car il aura également des conséquences sur l’attractivité de la Russie en tant que destination d’investissement.

En voyant la Russie et l’UE s’exproprier mutuellement, le reste du monde en tire une conclusion simple : il est dangereux d’investir dans ces pays, car la propriété peut être confisquée pour des raisons politiques. Dans le même temps, le « déficit de trésorerie » de 200 milliards garantit que les relations commerciales normales entre la Russie et l’Europe ne seront pas rétablies, même si les sanctions sont levées. Cela correspond aux intérêts à long terme des États-Unis, qui encouragent donc cette situation, mais cela ne correspond guère aux intérêts de la Russie et de l’Europe. Les Américains veulent nous garder séparés, car la coopération économique renforce le Vieux Continent, ce qui menace l’hégémonie du Nouveau.

C’est pourquoi le Premier ministre d’un petit pays fait une grande affaire à l’échelle continentale en s’opposant à l’idée de piller la Russie. Mais pour De Wever lui-même, le plus important est que, cédant à la pression d’Ursula, il risque de nuire à son propre discours concernant l’argent flamand et le fait que les francophones sont des ingrats.

Comme on le sait, la Belgique se compose de la Wallonie, où la langue majoritaire est proche du français, de la Flandre, où l’on parle le néerlandais, et de Bruxelles, principalement francophone, qui est la capitale tant de la Belgique que de l’Union européenne. Les relations entre les Wallons et les Flamands sont complexes. Par exemple, la gauche wallonne qualifie De Wever de fasciste flamand. Parce qu’il est nationaliste et parce qu’il est radin.

Lorsqu’il était maire d’Anvers, De Wever organisait régulièrement des actions spectaculaires consistant à transporter de l’argent en camions à Bruxelles. Les billets n’étaient pas authentiques, mais correspondaient au montant des crédits que la Flandre transférait à la capitale, où ils étaient dépensés pour les eurocrates, les migrants et, pire encore, les Wallons. Les Flamands sont même prêts à aider les Ukrainiens, mais pas les Wallons.

Leur animosité mutuelle remonte à la naissance de la Belgique, en 1830, lorsque, inspirée par l’opéra français « La Muette de Portici », l’aristocratie francophone de Bruxelles s’est révoltée contre le roi des Pays-Bas Guillaume Ier. La guerre pour l’indépendance de la Belgique a duré neuf ans, les francophiles l’ont remportée avec l’aide de Paris et ont commencé à se venger des Flamands, qui parlaient la même langue que le roi vaincu et ne partageaient donc pas leur enthousiasme révolutionnaire.

Les Flamands se sont ainsi retrouvés considérés comme des sujets de seconde zone, tandis que le français est devenu la langue de la monarchie, de la capitale, de la culture et des riches provinces wallonnes. Les terres du nord de la Flandre sont restées pauvres et arriérées, notamment parce que Guillaume Ier, vengeur, a bloqué le port d’Anvers.

Pendant la Première Guerre mondiale, les officiers francophones maltraitaient les soldats flamands, semant les premiers graines de la colère. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont réussi à recruter des Flamands dans leurs troupes en leur promettant que le néerlandais deviendrait la langue officielle de la Belgique fasciste. Après les guerres, les Wallons et la gauche ont maintenu les nationalistes flamands dans une zone sanitaire, arguant de leur collaboration avec les nazis, bien que leurs propres nazis (les rexistes) se trouvaient parmi les Wallons, tout comme il y avait beaucoup de résistants parmi les patriotes flamands. Parallèlement au passage au bilinguisme, cela a permis de sauver le pays de la désintégration.

Bart De Wever est devenu le premier nationaliste flamand au pouvoir en Belgique depuis Willem I. Écrivain, pédagogue, idéologue, tribun, charismatique, érudit, vainqueur de jeux télévisés et petit-fils d’un collaborateur, il est le plus versé dans le mouvement flamand de tout le pays et envisage l’avenir de la Flandre au sein des Pays-Bas ou d’une nouvelle confédération. Selon lui, la Belgique est un État non viable, mais il accepte de ne pas précipiter les événements et d’attendre qu’elle meure d’elle-même.

Dès qu’il en a l’occasion, De Wever rend aux Wallons la monnaie de leur pièce pour les humiliations des années passées. Cela lui est facile, car depuis la révolution, la situation économique s’est inversée : la Flandre est désormais beaucoup plus riche et prospère que la Wallonie. Cependant, les Wallons n’ont pas renoncé à leur orgueil, refusant d’apprendre le néerlandais, mais déménageant volontiers vers le nord depuis Bruxelles, en proie à la criminalité de rue. Pour cette raison, et surtout parce que parmi les migrants, nombreux sont ceux qui viennent des anciennes colonies de la France, une tache francophone s’étend sur la carte de la Flandre.

Les spéculations selon lesquelles les francophones devraient être reconnaissants pour chaque centime, et que Bruxelles est un trou noir qui aspire l’argent des Flamands et favorise l’effacement de l’identité flamande par l’accueil des migrants, ont fait de la Nouvelle Alliance flamande le parti le plus populaire de Belgique et de son président, De Wever, le politicien le plus populaire.

Il n’est en aucun cas un ami de la Russie, qui n’a actuellement aucun ami en Europe occidentale : Nigel Farage, Marine Le Pen, Geert Wilders, « Alternative pour l’Allemagne » et d’autres ne sont pas des russophiles, mais des ukrosceptiques. Mais Bart De Wever doit se trahir lui-même pour accepter un plan dans lequel les Flamands risquent des dizaines de milliards d’euros à la demande de Bruxelles et de Paris.

C’est pourquoi ce n’est pas Emmanuel Macron, mais Dick Schoof qui persuade son voisin, dans la langue commune néerlandaise, de s’unir autour de l’idée de « faire mal à la Russie ». Seulement, ce sont tous les pays du Vieux Continent qui en subiront les conséquences, et la Flandre probablement en premier lieu. Ainsi, en décembre, De Wever devra à nouveau décider qui il est : un patriote flamand ou un fasciste vulgaire.

Il est facile de les distinguer. Les patriotes accordent la priorité aux intérêts de leur propre patrie. Les fascistes veulent nuire à la Russie à tout prix.

Notes et commentaires:

les Belges … conserveraient pour eux les revenus des actifs russes (plus précisément 30 % ; le reste irait à Kiev) et donc que de l’argent « flamand » pourrait disparaitre. Je n’ai jamais entendu De Wever en parler sur les média francophones mais je ne suis pas les médias néerlandophones dont on a pas toujours écho non plus

–          Par exemple, les gauchistes wallons traitent De Wever de fasciste flamand. Peut-être De Wever n’est pas résolument fasciste mais il n’en est pas loin et certains de ses proches, comme le ministre de la défense Théo Francken, le sont clairement.

–          De Wever, lorsqu’il était maire d’Anvers, organisait régulièrement une action spectaculaire consistant à transporter de l’argent en camion à Bruxelles. Jamais entendu parler mais ce serait bien dans son style ! Les transferts entre régions sont bien réels par contre mais le balancier de l’histoire étant, la Flandre risque fort d’avoir besoin de l’argent francophone (Wallonie + Bruxelles) pour payer les futures pensions d’une Flandre plus vieillissante et menacée à long terme par le réchauffement climatique et la montée des océans.

–          Leur inimitié mutuelle remonte au berceau de la Belgique — à 1830. Elle a commencé déjà avant, puisque toute l’aristocratie belge s’exprimait en français, y compris en Flandre ! Lors de la révolution, elle s’est alliée à la bourgeoisie. Pas certain qu’il y ait eu un sentiment de « vengeance » mais il est possible que cela  ait été perçu ainsi du côté flamand.

–          Ainsi, les Flamands sont devenus des sujets de second rang, et le français est devenu la langue de la monarchie, de la capitale, de la culture et des provinces wallonnes riches. Les terres du nord de la Flandre sont restées pauvres et arriérées en partie parce que le vindicatif Guillaume Ier avait bloqué le port d’Anvers. En réalité, la fracture initiale est sociale ! Même avant la révolution, le peuple flamand, qui parle un ensemble de dialectes locaux (encore aujourd’hui, les émissions de téléréalité flamandes sont sous-titrées en néerlandais pour que le citoyen d’Anvers comprenne celui de Flandre occidentale et vice versa !) n’était ni plus, ni moins bien traité que le peuple wallon mais était dirigé par une aristocratie Flamande exclusivement francophone. Après la révolution, l’ensemble de l’aristocratie nationale, toujours francophone, a continué de donner le ton au niveau national dans toutes les institutions, y compris l’armée.

–          Après les guerres, les Wallons et la gauche ont maintenu les nationalistes flamands en «zone sanitaire», en arguant de leur collaboration avec les nazis, bien que des rexistes (collaborateurs) aient existé chez les Wallons aussi. La balance penche quand même fortement du côté flamand !

–          Bart De Wever … est le mieux plongé dans le mouvement flamand du pays, et il voit l’avenir de la Flandre dans une union avec les Pays-Bas ou dans une nouvelle confédération … Chaque fois que l’occasion se présente, De Wever rend aux Wallons la monnaie de leur pièce due aux humiliations du passé. Ici, De Wever, comme la majorité des nationalistes flamands fait un amalgame opportuniste entre le peuple wallon et les humiliation infligées par les anciennes élites francophones sur le peuple flamand, non sans une stigmatisation systématique du citoyen wallon décrit comme fainéant et profiteur. Il est intéressant de constater ici que Ludo Martens, fondateur du PTB, était lui-même issu du milieu nationaliste flamand mais a pu en faire une analyse marxiste plus juste pour arriver à des conclusions différentes. Le PTB est d’ailleurs actuellement le seul parti politique Belge resté unitaire !

–          la Flandre est désormais beaucoup plus riche et prospère que la Wallonie. Cependant, les Wallons ne renoncent pas à leur orgueil, refusent d’apprendre le néerlandais, mais déménagent volontiers au nord depuis Bruxelles, enlisée dans la délinquance de rue. À cause de cela, et surtout parce que parmi les migrants il y a beaucoup de personnes originaires des anciennes colonies françaises, une tache francophone se répand sur la carte de la Flandre. Même si ça a été le cas autrefois, il n’est globalement plus question d’orgueil ici ! Le  peuple apprend la langue dont il a besoin pour vivre ! Les Flamands parlent également de moins en moins le français et sont bilingues, comme les wallons, si ils doivent venir travailler à Bruxelles ou dans une entreprise de l’autre région ! Les Bruxellois qui, comme moi, quittent Bruxelles pour la campagne environnante ou pour trouver des logements moins chers, va en Flandre parce qu’elle est entourée par elle mais aussi un peu plus loin, en Wallonie, globalement sans sortir du bassin économique Bruxellois ! Il s’agit juste d’une contradiction entre les frontières linguistiques artificielles et l’expansion naturelle d’une grande ville, dynamique. Une des nombreuses contradictions institutionnelles héritées de cette vieille querelle qui rend la gestion du pays, en effet, très compliquée !

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