La paix fragile, la pourriture de l’Occident et la nécessité pour la Russie de s’en séparer. Douguine n’est pas un fasciste, c’est un conservateur mystique mais qui a été formé au marxisme, s’il identifie le communisme au mal c’est à cause de son athéisme. En revanche s’il attribue à la Russie un rôle messianique il n’y a pas chez lui de racisme et pas d’antisémitisme à l’inverse de Soljenitsyne qui lui avait choisi son camp, celui de Vlassov et du nazisme, le refus de la « grande guerre patriotique » alors que ce n’est pas la cas de Douguine qui de surcroit prône l’Eurasie avec une Russie à la fois européenne et asiatique… En tous les cas, il y a dans cette analyse beaucoup de réflexions qui sont pertinentes et qui font du personnage pas tout à fait l’illuminé. Si l’on compare Douguine à Ziouganov et au véritable conseiller de Poutine qu’est Andrei Bezroukov (1), on s’aperçoit qu’il y a une certaine cohérence sur qui est Trump et le danger qui menace non seulement la Russie mais l’Europe et le monde. En tous les cas, il y a actuellement un mouvement de résistance dans les ex- pays socialistes qui va dans le même sens, en Hongrie, en Pologne même. Cette référence au caractère complexe des « conservatismes » dans les ex-pays socialistes rappelle ce qui s’est passé sous la restauration, avec la revanche de ceux qui prônaient la « terreur blanche », ceux qui tentaient de « fixer » la révolution face à des peuples en mouvement et auquel il faut coller si l’on ne veut pas être balayé. (note et traduction de danielle Bleitrach)
(1) https://histoireetsociete.com/andrei-bezroukov-un-penseur-russe-francophile/
14 octobre 2025

Alexandre Douguine envisage un monde au point de rupture : l’emprise d’Israël sur l’Amérique s’effondre, Trump joue au poker nucléaire et l’Occident est comme un cadavre en décomposition alors que l’Eurasie se rassemble pour sa résurrection.
Conversation avec Alexandre Douguine dans l’émission Escalade de la chaîne de télévision Sputnik.
Animateur Alexander Bukarev : Commençons par le sujet le plus brûlant, car en ce moment même, Donald Trump prononce un discours à la Knesset. On pourrait dire que cela marque une pause, voire un tournant, dans le conflit entre Israël et le Hamas. La première question est la suivante : l’accord entre Israël et le Hamas, que Trump appelle pompeusement « la fin de la guerre » – dans quelle mesure est-il vraiment durable, et surtout, qui a le plus à y gagner, en parlant des événements en Israël et dans la bande de Gaza ?
Alexandre Douguine : Il me semble que, objectivement, c’est un succès pour Trump. Il a vécu une élection difficile. Son soutien total à Netanyahu impliquait la prochaine étape : reconnaître le démantèlement de l’État palestinien – le reporter indéfiniment. Netanyahu et le gouvernement israélien ont exigé de l’Occident et du monde un refus total de reconnaître la Palestine dans toutes ses frontières – ni à Gaza ni en Cisjordanie – et la reconnaissance du droit d’Israël à établir un « Grand Israël ». C’était leur position et, apparemment, l’élément déclencheur de la tragédie à Gaza – en fait, un génocide de la population locale.
Du point de vue de Netanyahou et de ses partisans politico-religieux radicaux – Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et d’autres ministres – ils suivent les théories de Dov Ber et d’Yitzhak Shapira sur la préparation de la construction du Troisième Temple et le sacrifice de la génisse rousse. Les génisses rousses, soit dit en passant, ont été amenées d’Amérique. Il s’agit d’un ancien rituel juif qui précède la venue du Messie et la construction du Troisième Temple. Pour que cela se produise, la mosquée Al-Aqsa, le lieu saint islamique de Jérusalem, doit être détruite.
Récemment, Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, y a célébré un rituel religieux – violant les droits des musulmans et préparant la mosquée à la démolition – un rite d’initiation pour la venue du Messie. Trump a soutenu cette ligne pendant longtemps, contre les vues de ses partenaires occidentaux et de sa propre base MAGA, qui est largement anti-Israël. En raison de la politique pro-Netanyahu de Trump, des conflits ont surgi entre ses partisans en Amérique. Il a pris des risques, mais la prochaine étape aurait consisté à accepter d’occuper Gaza, de transférer les Palestiniens, de rejeter leur statut d’État et d’étendre le Grand Israël aux dépens de la Syrie et du Liban. Trump a suivi Netanyahou presque jusqu’à la fin, jusqu’à la ligne rouge, sur le chemin du sionisme chrétien. Un immense travail idéologique, militaire et diplomatique a été accompli pour amener l’Amérique à soutenir le projet messianique de Netanyahou.
Mais l’accord d’aujourd’hui est tout le contraire. Lorsque l’envoyé spécial Witkoff s’est adressé hier aux Israéliens et a mentionné Netanyahou, la foule a protesté et l’a réduit au silence. Ce n’est pas la victoire de Netanyahou. L’échange d’otages, la libération de milliers de Palestiniens des prisons et le retrait des troupes de Gaza sont des compromis de Netanyahou. Les conditions du Hamas et des Palestiniens – un État indépendant de Palestine, soutenu par de nombreux pays et même par l’OTAN, en dehors des vassaux les plus durs de l’Amérique – ont prévalu.
Trump a fait un virage : soutenant Netanyahu à 99 %, il s’est arrêté avant le dernier pas. Ce n’est pas le Grand Israël, ni le Messie, ni la génisse rousse, ni le Troisième Temple, ni la démolition d’Al-Aqsa, ni le transfert des Palestiniens.
À quoi ont donc servi les sacrifices ? Les Palestiniens retournent à Gaza sous un État palestinien reconnu par l’Occident. Le Hamas peut déposer les armes, mais c’est son triomphe – ils se sont battus pour l’indépendance et s’en sont rapprochés. La logique messianique de Netanyahou, qui a lancé une guerre sous les bannières du Messie, s’est effondrée. L’Iran, malgré les frappes, reste inébranlable. Son patriotisme a grandi ; Les exigences imposées aux femmes se sont atténuées – les femmes sans hijab sont de plus en plus nombreuses à Téhéran. La plupart des pays s’opposent à Netanyahou. L’Occident est divisé : les mondialistes, Soros et les démocrates le rejettent ; Trump le soutient, mais pas inconditionnellement. Il joue cinq ou six matchs à la fois, sans jamais en terminer un, mais en défendant ses propres intérêts. Plus important encore, il a prouvé qu’il n’est pas la marionnette d’Israël, comme on l’a accusé de l’être. Il a obtenu un cessez-le-feu à Gaza – mais ce n’est pas une paix stable. Il est peu probable que Netanyahu et le lobby messianique l’acceptent – c’est leur défaite.
Pourquoi, alors, gaspiller le capital moral de l’Holocauste ? Le monde voit maintenant comment les actions d’Israël ont sapé sa supériorité morale. Ce n’est pas le Grand Israël. Trump, plaisantant dans son avion sur le « paradis », qui rappelle Biden, diffuse chaque pensée sur les médias sociaux avec une spontanéité extravertie. Il ne s’agit pas d’une paix durable, mais d’un nouveau tournant qui pourrait conduire à la Troisième Guerre mondiale. Une victoire fragile et momentanée pour Trump – mais une véritable victoire pour le Hamas et les Palestiniens, qui ont discrédité Israël et se sont rapprochés de la création d’un État. Il déstabilise la région et menace de nouvelles guerres, peut-être sous des formes encore plus terrifiantes.
Animateur : Des sondages récents aux États-Unis montrent que même les sionistes chrétiens et les évangéliques, qui soutenaient autrefois le lobby israélien – en particulier les plus jeunes – retirent de plus en plus leur soutien. Sans parler de l’Europe et de la communauté musulmane aux États-Unis, qui fait également partie de l’électorat de Trump. Dans ce contexte, puisque, comme vous le dites, Trump n’a pas joué ce jeu jusqu’au bout, que pensez-vous qu’Israël, politiquement et existentiellement, attend s’il n’a pas réussi à atteindre l’objectif pour lequel il a tout risqué ?
Alexandre Douguine : L’objectif pour lequel Israël a tout risqué est un phénomène métapolitique : l’anticipation de la venue du Messie. C’est plus grave que l’échec d’une intrigue politique ou d’une opération militaire. Le seul sens d’Israël réside dans le fait d’être un projet messianique. Sans le Messie, il n’a aucune raison d’exister. En tant qu’« îlot de démocratie dans une mer islamique », il ne durera pas. Il est confronté à un choix : soit intensifier la tension messianique, soit s’effondrer. Tout pas en arrière signifie non-être.
En Amérique, une vague anti-israélienne se développe, même parmi les anciens partisans. La jeunesse – en particulier les Groyper, les nouveaux nationalistes qui ne sont pas trumpistes – professent un antisémitisme qui a atteint un culte d’Hitler. Il s’agit d’un phénomène de masse. Ils demandent : « Israël d’abord ou l’Amérique d’abord ? » Pour tout politicien, la réponse « Israël d’abord » signifie la fin d’une carrière. Tucker Carlson critique Israël avec prudence, s’opposant aux Groypers tout en faisant appel au patriotisme américain. Charlie Kirk – peut-être tué pour avoir refusé de soutenir Israël – était une figure influente. La propagande mondialiste et liée à Soros alimente le sentiment anti-israélien, envoyant les militants antifa et LGBT à des manifestations. Les musulmans essaient de les écarter, mais Soros utilise ces forces – tout comme il a utilisé notre propre opposition – pour des actions pro-palestiniennes.
La pression vient des deux côtés : de la droite – des jeunes nationalistes ; de gauche – les libéraux. L’Anti-Defamation League, d’orientation anti-trumpiste, perd de son influence. L’attitude de l’Amérique envers Israël a changé, et Trump le sent. Lui, Kushner et d’autres sionistes ont suivi Netanyahu – mais en tant que pragmatique et homme d’affaires, Trump comprend que la situation ne peut pas être inversée en sa faveur. Le facteur islamique aux États-Unis reste faible, et le lobby juif domine toujours. Pourtant, le sentiment anti-israélien de dizaines de millions de personnes est devenu trop fort pour être ignoré.
Animateur : Qui paiera pour la reconstruction de Gaza ? Cette question n’est toujours pas résolue.
Alexandre Douguine : C’est une question ouverte. Rien n’est gratuit. La destruction est facile ; La création est difficile. Ils essaieront de rejeter la responsabilité sur l’Europe, avec une partie prise en charge par les États-Unis, Israël ne paiera pas. Les pays islamiques peuvent y participer, mais Gaza est en train de devenir une tête de pont pour les processus politiques palestiniens – ce qui menace Israël. Géopolitiquement et messianiquement, Israël a été vaincu. Avant que Gaza ne soit reconstruite, le Moyen-Orient traversera des moments de tension. Il est possible qu’Israël lance à nouveau une action militaire, cette fois contre l’Iran.
Animateur : Passons à un autre sujet international lié à Donald Trump – mais maintenant, bien sûr, aussi à la Russie. Je voudrais poser une question non pas sur les missiles Tomahawk eux-mêmes, mais sur le dialogue indirect qui se déroule dans les déclarations de Vladimir Poutine et de Donald Trump. Récemment, Trump a mentionné les Tomahawks, puis Poutine a parlé d’Anchorage, soulignant que nous restions dans nos accords et que cette voie se poursuivait. Trump n’a pas commenté directement, mais a déclaré qu’il avait l’intention d’appeler Poutine avant de décider des Tomahawks. Il semble qu’il y ait deux courants : un courant caché, invisible pour nous, et un courant public impliquant Zelensky, Macron et d’autres discutant des Tomahawks.
Alexandre Douguine : La situation est extrêmement grave et ne peut être sous-estimée. Trump, confiant dans sa capacité à faire pression, à faire chanter et à forcer les autres à ce qu’il appelle la « paix », manipule divers camps – y compris le puissant lobby israélien et Netanyahou, un facteur profondément enraciné dans la politique américaine. Ses méthodes coercitives fonctionnent souvent – et c’est alarmant. D’un côté, cela lui plaît – c’est un homme de cycles courts, pas un stratège. Il résout les problèmes instantanément, prend des bénéfices immédiatement, encaisse. C’est une approche commerciale : gagner de l’argent maintenant, demain n’a pas d’importance. Vous pouvez tout perdre au casino – échangez le gain à long terme contre des gains rapides. C’est l’état d’esprit d’un promoteur américain : la valeur réside dans l’accord ici et maintenant.
Conséquences? Il n’a pas de temps pour régler, le rythme s’accélère. Et c’est dangereux, car jusqu’à présent, cela fonctionne pour lui. Il applique cette méthode à la Russie, mais ici elle est inappropriée. Ce sont des projets à long terme, de grandes stratégies – géopolitiques – que Trump évite. Il agit instantanément, et c’est risqué. En essayant d’imposer un principe commercial – « Allez, Poutine, faisons la paix à mes conditions » – il entend Poutine : « Non, ce ne sont pas mes conditions. » Trump répond par des menaces : « Très bien, nous allons couper les liens, j’enverrai des Tomahawks, de nouvelles armes. » Cette intimidation envers la Russie, comme envers la Chine, est extrêmement dangereuse et futile.
Poutine, à mon avis, agit avec la plus grande délicatesse : il ne cède sur aucune question stratégique, ne fait aucun compromis sur les intérêts vitaux et les défend fermement, mais il est prêt à poursuivre ce jeu désagréable et risqué. L’histoire de Tomahawk est comme le poker. Poutine joue des stratégies complexes ; Trump joue au poker, où le bluff et les gestes rapides comptent. Mais si, dans d’âpres négociations, les enjeux s’envolent, l’apparence d’un « simple jeu » de notre côté disparaîtra.
Peskov l’a dit clairement, et nos politiciens ont dit la même chose : nous avons tracé des lignes rouges ; l’Occident les a franchis ; Et nous n’avons pas répondu. L’Occident croit maintenant à tort que nous ne répondons jamais. Livrer des Tomahawks à Kiev, d’un point de vue militaro-technique, signifie des frappes profondément à l’intérieur de la Russie par du personnel américain – il n’y a pas d’autre moyen, comme le confirment les experts. Trump, dans son style de « dur accord », lance un ultimatum qui mène directement à un conflit militaire avec nous. Il refuse clairement de penser à une escalade nucléaire, en supposant qu’elle se déroulera comme avec l’Iran – les frappes américaines contre la Russie pour forcer un accord rapide avec l’Ukraine.
Animateur : Comme avec l’Iran ?
Alexandre Douguine : L’Iran, éloigné d’Israël, soutient les chiites. Pour l’Iran, la situation était complexe mais pas vitale. Pour la Russie, c’est différent, cela touche à nos intérêts directs. En jouant au poker avec l’escalade, Trump joue avec le feu. Si nous cédons – si nous ne répondons pas aux frappes Tomahawk sur notre territoire – et qui sait ce que leurs ogives pourraient transporter ? – cela annulerait toutes nos réalisations, nos sacrifices et nos souffrances. Il ne s’agit pas de la menace d’une contre-offensive ukrainienne, que nous avons gérée de justesse. C’est beaucoup plus grave. Si nous ne répondons pas aux frappes américaines directes, alors tout peut nous être fait.
Le monde est dans le chaos ; chacun tire dans sa propre direction ; Il n’y a personne sur qui compter. Nous sommes seuls : ou nous repoussons l’agression américaine, qui peut commencer à tout moment, ou bien elle devient une guerre avec les États-Unis. Trump, dans son intimidation agressive, a atteint une ligne que même Biden et les mondialistes ont évité de franchir. Ce n’est pas seulement Anchorage. C’est du poker géopolitique – où l’un des camps déclare : « Maintenant, nous passons à la roulette russe. »
Animateur : Passons directement à la roulette russe — comme nouveau facteur ?
Alexandre Douguine : Oui. Les Tomahawks sont un nouveau facteur d’escalade. Ce n’est pas la victoire de l’Ukraine ou la défaite de la Russie – c’est le début d’une confrontation militaire directe entre la Russie et les États-Unis – le seuil de la Troisième Guerre mondiale. Nous nous sommes approchés de cette ligne à plusieurs reprises et avons reculé, mais Trump accélère les événements, réchauffe les tensions. Melania Trump tente de réfuter les fausses histoires sur les enfants ukrainiens, tandis que Maria Lvova-Belova a montré de manière convaincante aux Américains l’absurdité des accusations portées contre notre président et elle-même. Nous y sommes parvenus, mais nous ne pouvons pas arrêter l’escalade maniaque de Trump déguisée en établissement de la paix.
Le prix Nobel de la paix a été décerné à un obscur agent de Soros pour l’échec d’une révolution de couleur au Venezuela – une honte totale pour le prix. Pourquoi Trump a-t-il besoin de ce prix discrédité ? Son image de gardien de la paix est fausse – née de la sénilité et de l’absurdité.
La fragilité de la situation augmente, et les Tomahawks la rendent mortellement dangereuse. Zelensky se réjouirait si l’Amérique commençait à se battre pour lui – ce serait son triomphe. Pendant quatre ans, il a cherché à entraîner l’Occident dans une confrontation directe avec la Russie ; après, il peut prendre sa retraite, même s’il est détruit. L’élite mondiale se dégrade : certains tombent dans la démence, d’autres deviennent toxicomanes, changent de sexe ou se transforment en monstres. L’Occident est en train de perdre son visage humain. Soros est un monstre ; Trump en est un autre – incapable de distinguer les rêves de la réalité. L’Occident se décompose, nous entraînant dans le tourbillon de sa guerre civile – avec les antifas, les marxistes, les transgenres, les poilus. Il exporte cette apocalypse zombie, infectant l’humanité avec le poison de la folie. C’est mortellement dangereux : l’Occident a des bases, des armes et un désir de mourir par le spectacle – comme la tour de Babel qui s’effondre et secoue la terre.
Animateur : Permettez-moi d’aborder le contexte philosophique, puisque vous avez mentionné le Prix de la paix. Certains pensent que la décadence de l’Occident ne profite à la Russie que si elle se produit lentement – afin que ses effets centrifuges ne déstabilisent pas le monde entier. Comment voyez-vous cela ?
Alexandre Douguine : Ce qui compte, c’est que l’Occident pourrit sans nous. Il y a une torture appelée « l’épouse étrusque » – attacher un cadavre à une personne vivante pour que la pourriture s’infiltre dans la chair vivante. L’occidentalisme, le libéralisme, la mondialisation, la numérisation – le désir d’imiter l’Occident – c’est la « fiancée étrusque ».
L’Occident est mort, et plus nous nous en rapprochons, plus il devient dangereux. Qu’il se décompose rapidement ou lentement n’a pas d’importance. La clé est le découplage – couper les liens avec ce monstre toxique. L’Occident a toujours eu tendance à la dégénérescence, mais il a maintenant atteint le stade terminal de la décadence irréversible. S’il pourrit plus vite, c’est peut-être encore mieux. L’essentiel est de clôturer cette caserne de peste appelée « société occidentale éclairée » par un mur impénétrable.
L’humanité doit se sauver de l’Occident. Quiconque reste lié à cette « épouse » en décomposition est condamné – le poison se répandra, rapidement ou lentement, mais la maladie est inévitable. Le découplage aurait dû avoir lieu il y a cent ou deux cents ans. Nous ne cessons de tarder, pensant que l’Occident n’est pas en train de pourrir, ou que sa décadence est en quelque sorte agréable. Les élites infectées par la pensée à court terme courent après le plaisir instantané, ignorant les conséquences. La contagion a pénétré notre culture et notre circulation sanguine. La question n’est pas de savoir si une décomposition rapide ou lente nous profite, c’est qu’elle doit se produire sans nous. Nous avons fait beaucoup pour nous détacher, mais il reste encore du travail à faire – l’infection est profonde.
Animateur : Passons à ce que nous avons fait et à ce que nous faisons — le dernier sujet pour aujourd’hui —, le sommet des chefs d’État de la CEI au Tadjikistan et le discours de Vladimir Poutine. De nombreuses questions ont été abordées. J’aimerais vous poser une question sur les perspectives de la CEI du point de vue de la coopération de la Russie avec les autres pays du Commonwealth. Poutine a mentionné la Biélorussie comme un cas exemplaire de coopération avec nos voisins géographiques et historiques. Que voulait-il dire en établissant une analogie entre la Biélorussie et d’autres pays de la CEI dans le cadre de projets communs ?
Alexandre Douguine : Poutine voulait dire la nécessité de construire, à la place de la CEI, un seul État de l’Union eurasienne sur le modèle de l’État de l’Union Russie-Biélorussie. C’est notre seule voie.
Ses paroles peuvent être interprétées de différentes manières, mais je n’y vois qu’un seul sens : de ce qui a été dit et de ce qui n’a pas été dit, de la logique de l’histoire géopolitique, il s’ensuit que soit nous agissons ensemble comme un seul pôle – les peuples de l’Empire russe, de l’Union soviétique, la partie inséparable de la civilisation eurasienne : notre peuple, notre culture, notre société – ou nous nous retrouverons entourés d’États hostiles, non souverains, fantoches comme l’Ukraine, sous l’influence d’acteurs extérieurs – pas nécessairement l’Occident. Il peut s’agir du pôle islamique, de la Chine ou d’autres centres puissants. La souveraineté n’est possible que pour de grands blocs civilisationnels : la Russie, la Chine, l’Inde et le monde islamique. La souveraineté du monde islamique, comme nous le voyons à Gaza et en Palestine, est faible. Pourtant, il pourrait se réorganiser – peut-être sous l’influence du facteur palestinien – en un nouveau type de califat. L’Asie centrale deviendrait alors une zone de lutte entre le pôle islamique, la Russie et la Chine – une sombre perspective.
Poutine lance un dernier avertissement : soit la CEI se transforme en une véritable Union eurasienne, soit le sort des États semi-souverains post-soviétiques sera tragique. Une telle unification complète avec la Biélorussie n’est pas nécessaire, mais un partenariat militaire, économique, politique et culturel sous forme d’union devrait servir d’exemple à tous les États de la CEI, y compris l’Ukraine. La guerre en Ukraine est le résultat d’un rejet de cette voie, tout comme en Moldavie et en Géorgie. Un argument manque encore : la prise de Kiev. Lorsque nous prendrons Kiev, les paroles de Poutine prendront du poids. Nous devons démontrer la nécessité de l’État de l’Union par un acte décisif et irréversible. Sinon, augmenter le volume de la rhétorique n’aboutira à rien.
(Traduit du russe)
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