Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Staline et la guerre, aux éditions « Temps des Cerises » un document historique et politique fondamental

La guerre fut inévitable, tant l’apport révolutionnaire de la Russie Soviétique entrait en contradiction violente avec le vieux monde réactionnaire et colonial qui s’était « partagé le monde ». Tout ce qu’il y eut de positif dans la deuxième moitié du 20ème siècle découle directement de la victoire de l’URSS sur le nazisme. C’est le cas de la création de l’ONU, de la décolonisation, du développement de la Chine, jusqu’à nos services publics et notre carte de sécurité sociale. Le retour sur cette époque nous permet de mesurer la nôtre, l’importance des efforts accomplis pour bâtir pacifiquement un nouvel ordre du monde, tourné vers le développement, débarrassé de l’hégémonie et respectueux des souverainetés de chaque pays. (note et article de Franck Marsal pour Histoire&Société)

Les éditions « Le Temps des Cerises » viennent de publier un document historique très important, Staline et la guerre, écrit par le romancier et correspondant de guerre soviétique Constantin Simonov. Constantin Simonov est né à Petrograd, en 1915.  Il devient tourneur sur métaux avant de faire des études à l’Institut de littérature Gorki et de publier son premier recueil de vers en 1938. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sert comme correspondant de guerre au journal Krasnaia Zvezda et écrit des œuvres majeures sur le front, dont Les Jours et les nuits de Stalingrad et le roman Les Vivants et les morts (premier tome publié en 1959 de sa trilogie majeure décrivant l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie). Il rédige également des pièces de théâtre et occupe des postes importants dans la vie littéraire soviétique, notamment comme rédacteur en chef de Literatournaia Gazeta (1950–1954) et de Novy Mir (1954–1958). Il participe aussi à des projets cinématographiques et signe des scénarios, notamment pour le film Normandie-Niémen (1960). Pendant la « déstalinisation », il subit comme d’autres figures de la seconde guerre mondiale une mise à l’écart. Il meurt à Moscou le 28 août 1979 et son héritage demeure celui d’un écrivain qui a façonné l’image de la « jeune » littérature soviétique.

Staline et la guerre résulte des carnets de guerre de Constantin Simonov et d’une séries d’entretiens qu’il a eus avec les principaux généraux soviétiques (Joukov, Koniev, Isakov, Vassilievski, Batov, Moskalenko) qui furent aux côtés de Staline dans la direction de l’Armée Rouge pour faire face et stopper l’invasion nazie, puis reprendre l’initiative et remporter à Berlin la victoire qui libèra l’Europe du fléau fasciste et ouvrira pour le monde une nouvelle ère de paix et de développement. Le refus de rouvrir le débat sur l’action de Staline empêcha la publication de cet ouvrage en URSS jusqu’en 1990. Grâce au travail de traduction de François Eychart et Simone Pirez et aux éditions Le Temps des Cerises, ce document historique fondamental est désormais accessible au public francophone.

L’intérêt de ce travail réside d’abord dans la qualité de ses sources. Les généraux soviétiques sont interrogés dans un contexte détaché de la période historique. Les conversations ont lieu entre 1962 et 1976. Ensuite, les événements sont rappelés dans leur contexte historique, ce qui demande, pour nous occidentaux en particulier, un effort important, car ce contexte historique, nous le maîtrisons peu, essentiellement dans ses généralités, sans perception concrète des choses et sous la pression déformante de l’idéologie bourgeoise dominante. D’autre part, l’auteur rejette toute simplification.  Ainsi, Constantin Simonov indique d’emblée « Une partie de la vérité  complexe de cette guerre est liée au rôle de Staline. Notre devoir, à l’aide des documents et des témoignages, est d’étudier et d’analyser ce rôle, avec ses côtés positifs et négatifs, sans l’exagérer et sans le minorer. » Son expérience de correspondant de guerre lui permet de saisir la complexité de la prise de décisions militaires en situation de guerre.  Ainsi, il rapporte les propos de Joukov, dans la brève guerre qui opposa l’armée rouge au troupes japonaises entre mai et septembre 1939. l’URSS tient une tête de pont sur la rivière Khalkine-Gol. En difficulté, suite à l’arrivée des troupes japonaises, Joukov reçoit l’ordre d’évacuer l’artillerie. Il s’y oppose, refusant de laisser seule l’infanterie. Il déclare « En gros, je n’obéis pas. Je refusai d’appliquer cet ordre et rapportai à Moscou mon point de vue, selon lequel je considérais irrationnel de replier l’artillerie de la tête de pont. Et mon point de vue l’emporta.« 

Simonov décrit la dure réalité de la guerre, l’intensité de l’affrontement qui voit s’opposer d’un côté la « plus puissante armée du monde » ( l’expression est employée par Joukov) au service du  fascisme le plus criminel, de l’autre le peuple en armes, l’Armée rouge du premier état ouvrier de grande ampleur et les tensions extrêmes qui parcourent l’ensemble de la jeune société soviétique avant la guerre bien sûr, dans la terrible période de 1937 – 1938, mais également après. Dans ce contexte, la description (notamment par Joukov) de multiples délibérations de la Stavka, le quartier général du commandement en chef, conseil suprême, qui, autour de Staline, prenait les décisions les plus importantes, donne accès à une sorte d’intimité dans la vie de ces hommes qui tinrent dans la justesse de leurs choix le sort de l’humanité. Les débats sont parfois intenses. Seul le déroulement de la guerre permet de juger la qualité des décisions, qu’il faut parfois corriger très rapidement, sous la pression des événements.

Le cheminement de Simonov fait parcourir l’ensemble des événements, parfois plusieurs fois selon ce qui est abordé avec chaque interlocuteur, de 1939 à 1945, et partiellement l’après guerre. Le propos n’est pas un compte rendu exhaustif. Il s’agit de donner à voir, au travers de ces multiples situations, le travail de commandement, ses débats, ses doutes, ses erreurs et ses réussites. Il faut affecter les moyens, évaluer les compétences des généraux et des commandants de fronts, estimer la véracité des rapports, faire le tri entre les arguments contradictoires, motiver, reconnaître les efforts surhumains, et même parfois, permettre un temps de repos.

Chacun se fera son opinion en parcourant cet ouvrage passionnant, mais le plus important, me semble-t-il, est qu’il permet de sortir des mythes pour examiner la réalité des rapports humains qui ont permis de constituer un collectif, d’apprendre de ses erreurs, et de battre la plus grande armée du monde à son propre jeu. Dans ce travail sur-humain, comme le souligne Simonov, l’Union Soviétique a triomphé par la qualité des hommes qu’elle a su former. Malgré les purges « douloureuses des années 1937 – 1938 », l’école militaire soviétique avait formé des cadres, qui étaient plus faibles au début de la guerre que ceux de l’état-major allemand, mais qui ont su apprendre. Ils « ont reculé jusqu’à Moscou, jusqu’à Leningrad, jusqu’à Stalingrad, mais n’ont cédé ni Moscou, ni Leningrad, ni Stalingrad, et sont ensuite passés à l’offensive, ont appris à se battre et au bout du compte ont écrasé l’armée la plus puissante du monde – l’armée allemande – et sont allés jusqu’à Berlin. » (Constantin Simonov)

Prend corps alors l’idée que la victoire de l’URSS exprime la force supérieure de la révolution soviétique, émergeant des racines les plus profondes du peuple,  élevée dans l’apprentissage collectif des combats révolutionnaires, de la construction patiente et difficile de la nouvelle société socialiste et embrassant les hommes et les femmes pour les porter, malgré toutes les vicissitudes possibles, à réaliser l’impossible. Dans cette force supérieure, rien ne peut être soustrait, ni ajouté. C’est l’Histoire, dans sa vérité et dans sa complexité.

Franck Marsal

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