Cette analyse de Xuan nous confronte à l’interprétation de la réaction devant la publication par Trump de la nouvelle stratégie internationale et la réaction de l’Europe. C’est d’ailleurs par cette question que je clos le petit livre d’une centaine de pages que je viens d’écrire sur ce que révèlent les « événements » : « Les Etats-Unis restent « le plus grand allié de l’UE », assure Kaja Kallas malgré la publication de la nouvelle stratégie américaine. La cheffe de la diplomatie européenne a réagi à la publication d’un document de l’administration Trump actant une rupture historique dans la stratégie de défense américaine, ciblant désormais l’Europe […] une nouvelle stratégie de sécurité américaine, résolument nationaliste, anticipant l’« effacement civilisationnel de l’Europe» : « Bien sûr, il y a beaucoup de critiques, mais je pense que certaines d’entre elles sont également fondées », a déclaré la diplomate, interrogée sur ce document lors d’une conférence à Doha, au Qatar. « Les Etats-Unis restent notre plus grand allié (…) nous n’avons pas toujours été d’accord sur différents sujets, mais je pense que le principe général reste le même. Nous sommes les plus grands alliés et nous devons rester unis », a-t-elle ajouté… »
Aussitôt cela a été interprété comme le fait Xuan par un degré de vassalisation tel que celle qui s’est autoproclamée le ministre des affaires étrangères de l’UE feint de ne pas voir que le suzerain l’a abandonnée, elle et son héros Zelenski. C’est une interprétation qui fleurit sur tous les plateaux de télévision. Mais il faut aller plus loin, Trump n’a pas abandonné son droit de cuissage impérialiste sur l’UE, il le renforce en établissant une doctrine Monroe sur l’occident comme sur l’arrière cour de l’Amérique latine et sur le même modèle. Celui d’un impérialisme qui installe par la force les chefs qui lui conviennent en soutenant une vague fascisante pour enrayer la colère des travailleurs, en les divisant sur des bases racistes. Donc Kaja Kallas qui est issue d’un pays qui a fait le choix de la haine de l’URSS comme fondement de la nation avec la négation de ceux qui osent continuer à parler russe, sur le modèle ukrainien, simplement dit son accord avec le véritable projet des Etats-Unis, elle témoigne du fait que ce continent européen qui se présente comme l’ultime défenseur de la démocratie libérale, est en fait arrivé à une attitude assez proche de celle de l’Argentin à la tronçonneuse, ou de la droite raciste triomphant en Bolivie, peut-être bientôt du Chili, que l’on peut obtenir en ayant désarmé le peuple, acheté les dirigeants, masqué les enjeux réels. Cela renvoie au constat de Brecht sur la manière dont le fascisme n’est pas en opposition avec la « démocratie » libérale mais son prolongement par temps de crise. Ce serait de la naïveté que d’en rester à ce dogmatisme. Ce n’est pas par pure nostalgie de temps révolus que j’ai tenté cette plongée dans un temps où un parti avait une tout autre conception de ce qui armait ou désarmait le peuple. Et parce que je suis convaincue que ce choix de l’impérialisme de papa, limité pour le moment (le temps supposé de se refaire une santé « productive » et pas seulement « rentière » ) est dans un contexte qui rend difficile de croire que la régression est la solution. Simplement ce choix rend presque inévitable la guerre comme mode de relation si la Chine communiste n’arrive pas à imposer une autre direction. Et si le peuple français demeure « désarmé » parce que ses « amours sont malheureuses »., comme le dit le poème d’Aragon mis en chanson. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et societe)

La terre est la proie des conflits de toutes sortes, une guerre hors limites. Apparemment il règne une grande confusion et la colère des masses cherche des exutoires, mais elle ne trouve pas encore l’issue du soulèvement libérateur. Il est important de chercher les lames de fond de l’histoire que nous vivons, parfois la presse bourgeoise nous en donne quelques reflets plus fidèles que la bouillie de la social-démocratie, perdue dans ses contradictions.
A propos de contradiction, le Monde écrit le 6 décembre : « Les Etats-Unis restent « le plus grand allié de l’UE », assure Kaja Kallas malgré la publication de la nouvelle stratégie américaine. La cheffe de la diplomatie européenne a réagi à la publication d’un document de l’administration Trump actant une rupture historique dans la stratégie de défense américaine, ciblant désormais l’Europe […] une nouvelle stratégie de sécurité américaine, résolument nationaliste, anticipant l’« effacement civilisationnel de l’Europe» : « Bien sûr, il y a beaucoup de critiques, mais je pense que certaines d’entre elles sont également fondées », a déclaré la diplomate, interrogée sur ce document lors d’une conférence à Doha, au Qatar. « Les Etats-Unis restent notre plus grand allié (…) nous n’avons pas toujours été d’accord sur différents sujets, mais je pense que le principe général reste le même. Nous sommes les plus grands alliés et nous devons rester unis », a-t-elle ajouté… »
Kallas représente ici une des pointes avancées du bellicisme anti communiste et anti russe, qui s’accroche désespérément au rêve de l’occident perdu.
Deux échecs cuisants
Cette semaine la visite de Macron chez Xi Jinping et celle de Poutine à New Dehli marquent deux échecs cuisants pour l’hégémonisme et ses laquais. Tandis que Macron rêvait d’infléchir la politique étrangère chinoise, toujours fidèle aux cinq principes pacifistes de Bandung, la seconde visite ruinait les espoirs de Trump d’écarter l’Inde de la Russie.
Et ceci inspire aux Echos sous le titre « La fin de l’occident ? » : « La semaine écoulée restera-t-elle dans les livres d’histoire comme symbolique d’un monde qui est en train de devenir toujours plus post-occidental ? Les images en provenance de Pékin et de New Delhi se répondent dans un kaléidoscope d’impressions qui mènent toutes à la même conclusion : le centre de gravité du monde s’est déplacé vers l’Asie. C’est une chose de le savoir. C’en est une autre de le voir ».
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Je cite exprès la conférence des non alignés à Bandung en avril 1955. Les Dasasila (les dix principes de Bandung) développaient les cinq principes de l’accord de Panchsheel, que la Chine et l’Inde avaient rédigés en 1954 pour les aider à surmonter leurs différends. Ces principes de « coexistence pacifique » et foncièrement anti coloniaux, cités dans le communiqué final du 24 avril 1955, s’opposaient fermement à l’établissement d’alliances et de bases militaires dans toute l’Asie et à la menace d’attaques nucléaires contre certains pays :
1) Respect des droits humains fondamentaux en conformité avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ;
2) Respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de toutes les Nations ;
3) Reconnaissance de l’égalité de toutes les races et de l’égalité de toutes les Nations, petites et grandes ;
4) Non-intervention et non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ;
5) Respect du droit de chaque Nation de se défendre individuellement ou collectivement conformément à la Charte des Nations Unies ;
6) a) Refus de recourir à des arrangements de défense collective destinés à servir les intérêts particuliers des grandes Puissances quelles qu’elles soient; b) Refus par une Puissance quelle qu’elle soit d’exercer une pression sur d’autres ;
7) Abstention d’actes ou de menaces d’agression ou de l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un pays ;
8) Règlement de tous les conflits internationaux par des moyens pacifiques, tels que négociation ou conciliation, arbitrage ou règlement devant des tribunaux, ainsi que d’autres moyens pacifiques que pourront choisir les pays intéressés, conformément à la Charte des Nations Unies ;
9) Encouragement des intérêts mutuels et coopération ;
10) Respect de la justice et des obligations internationales
Le premier article du communiqué final, « Coopération économique » disait notamment : 1. La Conférence afro-asiatique reconnaît la nécessité urgente d’encourager le développement économique de la zone afro-asiatique. Les pays participants ont exprimé le désir général d’une coopération économique sur la base des intérêts mutuels et du respect de la souveraineté nationale. Les propositions concernant la coopération économique entre les pays participants n’excluent pas le caractère désirable ou la nécessité d’une coopération avec les pays en dehors de la zone afro-asiatique, y compris les investissements de capitaux étrangers. Il a été reconnu que l’assistance reçue par certains des pays participants dans le cadre d’accords internationaux ou bi-latéraux – assistance émanant d’Etats extérieurs à la zone afro-asiatique – a représenté une contribution appréciable à la réalisation des programmes de développement des bénéficiaires.
Soixante dix ans plus tard, nous voyons que l’Afrique progresse à plus de 4,5 % vers l’objectif de 7 % fixé par l’Agenda 2063 de l’Union africaine et que l’Asie du sud est se développe à grande vitesse. En témoigne l’article de William Pesek dans Asia Times sur l’essor du Vietnam : « La croissance de 8 % du Vietnam ridiculise les droits de douane de Trump ». https://asiatimes.com/2025/12/vietnams-8-growth-making-a-mockery-of-trumps-tariffs/
L’essor de la Chine Populaire est manifeste dans ses rapports avec les pays impérialistes et chacun a pu l’observer lors de la visite de Macron, qui s’est entendu dire « La Chine soutient tous les efforts pour la paix [et] continuera à jouer un rôle constructif pour une solution à la crise ukrainienne…En même temps, elle s’oppose fermement à toute tentative irresponsable visant à rejeter la faute ou à diffamer quiconque, »
De sorte que jeudi, le sinologue Emmanuel Lincot dans les colonnes du Figaro : « les Chinois sont aujourd’hui en position de force dans presque tous les domaines. Une réponse globale et uniforme est vouée à l’échec, tant les rapports de forces sont asymétriques…Pour la Chine, la France apparaît aujourd’hui comme un pays ‘’has been’’ ».
Conséquence de l’essor irréversible des pays émergents et de l’oppression impérialiste elle-même, les martingales agressives consistant à dresser les pays les uns contre les autres finissent par céder. Ci-dessous un commentaire sur la visite de Poutine en Inde démontre que là aussi les rapports ont changé.
Xuan pour Histoire & Société
L’accueil chaleureux réservé à Poutine par l’Inde envoie un message glacial à Washington.
https://asiatimes.com/2025/12/indias-warm-welcome-for-putin-sends-a-cold-message-to-washington/

La visite de Poutine remet en question les hypothèses de Washington concernant la fiabilité de Delhi, obligeant les États-Unis à envisager des partenariats alternatifs en Asie du Sud.
par Mazhar Siddique Khan6 décembre 2025
L’accueil triomphal réservé cette semaine par l’Inde à Vladimir Poutine a provoqué des remous à Washington. Impossible d’ignorer la portée de cette initiative : alors que le président russe menaçait ouvertement l’Europe – avertissant que Moscou était « prêt » à déclencher un conflit sur le continent –, New Delhi célébrait sa visite comme une preuve de son autonomie stratégique.
Du point de vue de l’administration Trump, la capacité de l’Inde à maintenir des relations cordiales avec une puissance qui sape activement la sécurité occidentale relève moins d’un exploit diplomatique que d’un problème stratégique. Cela soulève une question fondamentale : l’Inde peut-elle encore être le pilier indispensable des États-Unis dans l’Indo-Pacifique lorsqu’elle indique, par ses actes et sa communication, que les priorités occidentales sont secondaires ?
Pendant deux décennies, la politique américaine envers l’Inde a été guidée par un mélange de pragmatisme et d’optimisme. Washington souhaitait une Inde émergente : économiquement dynamique, militairement puissante et stratégiquement positionnée pour contrebalancer la Chine. Les liens durables de l’Inde avec la Russie, longtemps considérés comme un héritage du passé, étaient tolérés car les avantages d’une coopération entre les deux pays semblaient l’emporter sur les inconvénients.
Mais la conjoncture mondiale a considérablement évolué. La guerre que la Russie poursuit en Ukraine, sa rhétorique belliqueuse envers l’Europe et son partenariat croissant avec la Chine créent un paysage géopolitique dans lequel la stratégie d’atténuation des risques de l’Inde n’est plus aussi facilement envisageable.
Dans les relations internationales, les États agissent pour assurer leur survie et leur sécurité, considérant les alliances comme des instruments plutôt que comme des engagements moraux. L’administration Trump interprète l’engagement de l’Inde auprès de Moscou sous cet angle. La question n’est pas de savoir si l’Inde a le droit de mener une diplomatie indépendante, mais si elle agit pour renforcer ou saper les intérêts de sécurité collectifs occidentaux . En accueillant publiquement un dirigeant qui menace l’Europe de destruction, l’Inde sape la crédibilité de la posture stratégique occidentale. Concrètement, l’Inde devient un partenaire dont le soutien ne peut être tenu pour acquis en temps de crise.
Cette logique conduit naturellement à une réflexion sur l’équilibre des puissances. Si l’on ne peut compter pleinement sur un État pour soutenir des mesures collectives contre une puissance révisionniste, la réponse rationnelle consiste à diversifier ses partenariats et à répartir son influence afin qu’aucun acteur n’exerce une influence disproportionnée sur les enjeux régionaux.
Du point de vue de Washington, l’alignement sélectif de l’Inde pourrait s’avérer insuffisant pour dissuader l’aventurisme russe ou garantir l’intégrité de l’architecture de sécurité indo-pacifique. D’autres voies, comme un engagement plus profond avec le Bangladesh ou le Sri Lanka, ou un réajustement des relations avec le Pakistan, ne relèvent pas de l’opportunisme, mais constituent des ajustements nécessaires au maintien de l’équilibre stratégique.
La vision du monde de Trump amplifie cette préoccupation. Il privilégie la clarté transactionnelle : les partenaires doivent « choisir », et toute forme d’hésitation est perçue comme une ambiguïté, souvent interprétée comme une défection implicite.
Dans ce contexte, la revendication d’autonomie stratégique par l’Inde est perçue moins comme une manœuvre diplomatique sophistiquée que comme un signal d’alarme indiquant que les attentes stratégiques américaines pourraient ne pas être comblées. Accueillir Poutine dans un tel contexte n’est pas un simple désagrément ; c’est une remise en cause manifeste des fondements de la politique américaine en Asie du Sud.
La symbolique est importante. Le soutien constant de l’Inde à la Russie démontre que New Delhi poursuit ses intérêts nationaux indépendamment des intérêts collectifs des puissances démocratiques de l’Indo-Pacifique, et parfois même en contradiction avec ces derniers. Les Etats-Unis ne peuvent se contenter de compter sur la bonne volonté de l’Inde ni présumer d’un alignement de sa part en cas de crise. La fiabilité se mesure aux actes, non aux paroles. Les conséquences pour l’Asie du Sud sont considérables. Si Washington relativise le rôle central de l’Inde dans la stratégie régionale, des États plus petits – le Bangladesh, le Sri Lanka et même le Népal – gagneront en influence en tant que partenaires alternatifs dans les domaines diplomatique, commercial et sécuritaire. Le Pakistan, longtemps négligé dans les calculs stratégiques américains, fait déjà l’objet d’une attention renouvelée, Washington cherchant à multiplier les points d’influence pour contrebalancer la Chine et une Inde moins prévisible. L’Afghanistan, toujours instable, devient un terrain où l’engagement stratégique des États-Unis ne peut plus reposer uniquement sur l’Inde comme facteur de stabilisation.
En substance, les actions de l’Inde risquent de fragmenter la coalition même sur laquelle les États-Unis se sont appuyés pour garantir la stabilité de l’Asie du Sud, créant ainsi un ordre régional plus diffus et incertain. Ce réajustement ne signifie pas la fin du partenariat américano-indien. Les impératifs structurels de l’Indo-Pacifique – contrer l’expansion de la Chine, garantir la sécurité maritime, favoriser les liens économiques – demeurent incontournables. Mais cette relation sera de plus en plus conditionnelle et évaluée à l’aune de la fiabilité, de l’engagement et de l’alignement sur des objectifs de sécurité communs. La stratégie de couverture de l’Inde réduit son avantage stratégique et introduit un risque dans les calculs américains.
L’Inde peut certes arguer que ses liens avec la Russie sont historiques et pragmatiques. Cependant, dans le contexte actuel, de telles distinctions perdent de leur importance. Les États-Unis, guidés par une prudence réaliste et une logique d’équilibre des puissances, sont contraints de diversifier leurs relations et de veiller à ce que leur stratégie indo-pacifique ne repose pas sur un partenaire dont les priorités divergent des leurs. Accueillir Poutine au moment de l’escalade russe indique que l’alignement de l’Inde est transactionnel et contingent – une position sur laquelle Washington ne peut pas s’appuyer lors de prises de décisions cruciales. La visite de Poutine revêt donc à la fois une signification symbolique et constitue une épreuve. Symboliquement, elle renforce l’image que l’Inde se fait d’elle-même en tant que puissance stratégique autonome. Concrètement, elle met à l’épreuve les hypothèses américaines quant à la fiabilité, la crédibilité et la volonté de l’Inde de privilégier la sécurité collective.
Dans un système marqué par l’anarchie, la concurrence et la nécessité d’engagements crédibles, se prémunir contre l’Occident a un coût. C’est la clarté stratégique, et non la rhétorique, qui détermine l’influence. L’Inde a encore le potentiel d’être un pilier central de la stratégie indo-pacifique, mais ce potentiel seul ne suffit pas. Si Delhi continue de privilégier ses relations avec la Russie au détriment des attentes occidentales, Washington s’adaptera : en explorant des partenariats avec d’autres acteurs sud-asiatiques, en réévaluant la confiance et en réduisant sa dépendance à un partenaire unique, de plus en plus imprévisible. En résumé, l’architecture stratégique de l’Asie du Sud – et le rôle de l’Inde en son sein – est en pleine mutation. New Delhi a beau croire pouvoir maintenir indéfiniment un équilibre entre Moscou et Washington, la logique des rapports de force suggère qu’une telle neutralité comporte des risques désormais inévitables.
Maître Mazhar Siddique Khan est un avocat inscrit au barreau de la Haute Cour de Lahore. Vous pouvez le contacter à l’adresse mazharsiddiquekhan@gmail.com .
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