Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Sarkozy, la délinquance en col blanc et l’estime de soi à l’Elysée…

Les autres parties du monde ont des singes; l’Europe a les Français. Cela se compense. Schopenhauer. aphorismes et insultes.

par Fabrice Ardi, Alexandre Berteau, Antton Rouget et Ellen Salvi (Médiapart le 9 octobre 2025)

C’est toute la force dominante de la bourgeoisie et de ses valets : 1) les lois sont faites pour les autres, pour le peuple, pour les classes dominées. Non pour eux. 2) la solidarité de classe n’est pas un vain mot, contrairement à ce que pourrait laisser penser l’égoïsme du capital. En réalité, tous savent qu’ils doivent faire bloc pour empêcher les travailleurs de se mêler de politique et d’intervenir dans les affaires de l’état. On veut bien concéder une fois tous les cinq ans au rite du « suffrage universel », tant que les leviers (médiatiques, judiciaires, politiques) permettent d’en contrôler suffisamment le résultat pour que le pouvoir de classe ne soit jamais menacé. Ainsi, l’Elysée, qui a toujours entretenu des relations cordiales avec le clan Sarkozy, sait que la condamnation de Sarkozy ouvre la porte à ce que les casseroles que le président actuel traîne finissent un jour par aboutir. (note de Franck Marsal pour Histoire&Société).

Il avait déjà reçu le soutien du ministre de l’intérieur démissionnaire (Bruno Retailleau), du premier ministre démissionnaire (Sébastien Lecornu), un coup de téléphone du président de la République (Emmanuel Macron), et même la visite discrète du ministre de la justice démissionnaire (Gérald Darmanin) au lendemain de sa condamnation. Nicolas Sarkozy peut aussi compter sur l’appui de l’actuel secrétaire général de l’Élysée, Emmanuel Moulin, qui a tenu à être présent à ses côtés mercredi 8 octobre.

Ce soir-là, dans le manoir des Pavillons des Étangs du bois de Boulogne, dans le XVIe arrondissement de Paris, l’ancien chef de l’État, 70 ans, a réuni une petite centaine de fidèles et des membres de sa famille pour un dernier moment collectif avant d’être placé en détention. Le 13 octobre, Nicolas Sarkozy a rendez-vous au Parquet national financier (PNF) pour connaître les modalités de son incarcération dans l’affaire des financements libyens, dans laquelle il a été condamné en première instance à cinq ans de prison ferme.

L’ancien chef de l’État a décidé de convier un large panel de soutiens pour un « pot amical » destiné à « tous ses anciens collaborateurs », de la mairie de Neuilly-sur-Seine (1983-2002) à la présidence de la République (2007-2012) en passant par les aventures ministérielles. Une cérémonie à l’abri des caméras à laquelle a pris soin de se rendre Emmanuel Moulin, qui fut son conseiller économique à l’Élysée entre 2009 et 2012 avant de partir dans le privé.

Le haut fonctionnaire, qui a développé des talents d’imitateur de son ancien mentor – au point de participer au film Neuilly sa mère ! sur recommandation de son amie, l’humoriste Sophia Aram –, a depuis fait son retour au cœur de l’appareil d’État. Il a été directeur de cabinet auprès de Bruno Le Maire à Bercy puis de Gabriel Attal à Matignon, avant d’être appelé par Emmanuel Macron en avril 2025 pour remplacer son fidèle secrétaire général, Alexis Kohler.

Sarkozy se compare au capitaine Dreyfus

Pour la soirée aux Pavillons des Étangs, malgré un agenda marqué par une crise de régime sans précédent, Emmanuel Moulin est arrivé avec une autre membre de l’Élysée, la conseillère culture Catherine Pégard, avec qui les couples Macron et Sarkozy ont toujours entretenu les meilleures relations.

Cette présence double fait dire à un convive de la soirée que l’actuel président de la République a nécessairement validé le déplacement de ses deux collaborateurs pour soutenir son prédécesseur. Sollicités par Mediapart, Emmanuel Moulin et le cabinet d’Emmanuel Macron n’ont pas répondu à nos demandes de clarification.

Parmi les autres personnalités présentes à la soirée figuraient aussi la ministre de la culture démissionnaire, Rachida Dati, liée à Nicolas Sarkozy depuis le début de sa carrière dans les Hauts-de-Seine, l’ancien directeur de la police nationale, Frédéric Péchenard, ou ses ex-conseillers Jean-David Levitte et Franck Louvrier, actuel maire de La Baule-Escoublac (Loire-Atlantique).

Plusieurs de ses avocat·es – Jacqueline Laffont, qui l’a défendu dans l’affaire Bismuth, ou Christophe Ingrain, dans le dossier libyen – ont aussi participé au pot, qui a été ouvert par l’ancien haut fonctionnaire et banquier Sébastien Proto. Aujourd’hui à la tête d’un groupe hospitalier privé, ce dernier est resté proche de l’ancien président de la République depuis leur rencontre pour la campagne de 2007, dont il fut l’un des rédacteurs du programme économique.

Aujourd’hui comme hier, tous ceux qui tombent dans les mailles de la justice continuent à fréquenter les mêmes salons qu’auparavant.

Roberto Scarpinato, ancien magistrat italien

Nicolas Sarkozy a ensuite prononcé un discours court, dans lequel il s’est une nouvelle fois présenté comme victime d’une injustice, allant jusqu’à se comparer au capitaine Dreyfus et au comte de Monte-Cristo, selon le compte rendu du Figaro Magazine. « Dans n’importe quel pays doté d’un État de droit, on aurait conclu à ma probité », a notamment affirmé l’ancien chef de l’État, déjà définitivement condamné pour corruption dans l’affaire Bismuth, et dans l’attente du résultat de son pourvoi en cassation dans le scandale Bygmalion, pour lequel il a été condamné en première instance et en appel.

« À chaque fois, la vérité finit toujours par triompher, ce n’est qu’une question de temps », a-t-il aussi promis, fidèle à une rhétorique – sa « vérité » contre un complot médiatique et judiciaire – qu’il ne cesse d’user depuis plus d’une décennie. L’ancien président de la République a également rendu hommage au « courage » de ses anciens collaborateurs présents à ses côtés, expliquant que « ce qui compte pour [lui], c’est [leur] indignation ». Dans l’assistance, pourtant, beaucoup des grands brûlés du sarkozysme manquaient à l’appel.

En dehors de son ancienne secrétaire générale, Emmanuelle Mignon, condamnée dans l’affaire des sondages de l’Élysée (dans laquelle Nicolas Sarkozy a bénéficié de l’immunité présidentielle), la liste des fidèles de l’ex-président de la République tombés avec lui dans les filets de la justice et qui n’étaient pas présents mercredi soir est longue. Ni son ami Thierry Herzog (condamné dans l’affaire Bismuth), ni son « frère » Brice Hortefeux (condamné dans l’affaire libyenne), ni son lieutenant Claude Guéant (multi-condamné), ni son directeur de campagne Guillaume Lambert (condamné dans le scandale Bygmalion) n’avaient fait le déplacement aux Pavillons des Étangs.

La priorité de Nicolas Sarkozy, déjà déchu de l’ordre de la Légion d’honneur, réside plus que tout dans la préservation de son image vis-à-vis de son propre milieu. « Les criminologues savent que la véritable sanction n’est pas la peine, mais la honte », rappelait à ce sujet le magistrat italien anticorruption Roberto Scarpinato, dans Le Retour du prince (La Contre Allée, 2012). Or, « aujourd’hui comme hier, tous ceux qui tombent dans les mailles de la justice continuent à fréquenter les mêmes milieux et les mêmes salons qu’auparavant, où ils sont accueillis comme si rien n’était arrivé. Au contraire, ils sont gratifiés de tapes sur l’épaule et d’amples manifestations de solidarité », relevait-il aussi.

« Les recherches menées auprès de personnes condamnées pour des faits de délinquance en col blanc sont unanimes : la condamnation pénale n’entraîne pas sur eux d’effet dévalorisant, ces personnes rejettent même l’étiquette de “délinquant”. Elles ne se sentent pas concernées par ce stigmate », analysait aussi le sociologue Pierre Lascoumes en 2014. Il insistait alors sur la force des « relations sociales solides et durables », qui permettent à « ces personnes de conserver une bonne estime d’elles-mêmes ».

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