Le président russe Vladimir Poutine arrive à New Delhi le 4 décembre pour deux jours de discussions dans le cadre du 23e sommet annuel Inde-Russie. Il sera accueilli chaleureusement par le Premier ministre Narendra Modi, et la Russie sera présentée comme le « meilleur ami » de l’Inde, ou quelque formule équivalente. Mais rien de nouveau sous le soleil. Lors de sa première prise de fonction en 2014, à une réunion des BRICS avec Poutine, Modi avait déclaré : « Chaque enfant en Inde sait que la Russie est notre meilleur ami. » Depuis, Modi n’a cessé d’employer diverses formulations pour exprimer cette prétendue relation privilégiée entre la Russie et l’Inde lors de ses rencontres avec Poutine, et celle-ci ne fera pas exception. L’image de « meilleur ami » que Modi donne de la Russie bénéficie d’un fort soutien populaire et, par conséquent, politique en Inde. Selon une étude du Pew Research Center de 2023, « les Indiens se distinguent par leur opinion globalement favorable de la Russie, étant le seul pays parmi les 24 pays étudiés cette année où une majorité déclare avoir une opinion favorable de la Russie et faire confiance au président russe Vladimir Poutine ». Un rapport récent du Center for Naval Analysis indique que, sur certains points, les relations russo-indiennes se sont en réalité encore améliorées depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Et ceux qui ne voient que partenariat junior dans le relation entre la Chine et la Russie, semblent ignorer le poids de cette dernière en Asie centrale dans « le voisinage » mais aussi à travers l’ex-URSS sur toute la planète dans les pays du sud. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
https://vz.ru/politics/2025/12/4/1378422.html
Texte : Evgueni Pozdniakov
Vladimir Poutine se rendra dans la capitale indienne, New Delhi, les 4 et 5 décembre. Il s’agira de la première visite du président russe dans la république depuis 2021, avant le début de la guerre. À la veille de son départ, le chef de l’État a souligné que les parties devaient discuter d’un large éventail de questions économiques, notamment la coopération dans les domaines de l’énergie, de l’espace et de l’agriculture, ainsi que l’augmentation des livraisons de produits indiens sur le marché russe.
Selon les propos de l’assistant du président, Youri Ouchakov, dix documents intergouvernementaux et plus de 15 accords commerciaux devraient être signés dans le cadre de cette visite. Dans la soirée du 4 décembre, Vladimir Poutine rencontrera le Premier ministre indien Narendra Modi. Les dirigeants échangeront leurs points de vue sur des questions internationales d’actualité, notamment la coopération au sein de l’ONU, de la SCO, du G20 et des BRICS.
Le porte-parole du président, Dmitri Peskov, a révélé certains détails des négociations à venir. Il a précisé que l’une des tâches principales serait la mise en place de mécanismes de coopération résistants aux pressions extérieures. Selon lui, le partenariat militaro-technique reste un pilier important des relations bilatérales.
Le Kremlin s’attend à ce que, dans cette nouvelle phase, le dialogue entre Moscou et New Delhi ne se limite pas à la fourniture d’armes et à la production conjointe, mais inclue également l’échange de technologies de pointe et de savoir-faire. « Nos connaissances et notre expérience se sont considérablement enrichies ces dernières années, et nous sommes prêts à les partager avec nos partenaires indiens », a déclaré M. Peskov.
En Inde aussi, on attend cette rencontre avec impatience. En novembre dernier, M. Modi avait adressé ses salutations chaleureuses à M. Poutine et exprimé son espoir de voir le président russe se rendre rapidement dans son pays, rapporte NDTV. Parallèlement, Times of India rappelle que chaque visite du président russe dans la république contribue de manière significative au développement des relations stratégiques à long terme entre les deux États.
Les médias occidentaux s’intéressent également à ce sommet. Ainsi, Bloomberg note que dans le cadre de la visite de Poutine, l’Inde prévoit d’entamer des négociations sur l’achat d’avions de combat russes Su-57 et d’une nouvelle version du système de défense aérienne S-500. Selon les estimations du magazine, cela pourrait compliquer les accords commerciaux potentiels entre New Delhi et Washington, qui s’oppose à la coopération militaire entre l’Inde et Moscou.
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Cependant, le dialogue entre l’Inde et les États-Unis connaît déjà de nombreux problèmes. Ainsi, cet été, la Maison Blanche a imposé des droits de douane de 50 % sur les marchandises provenant de la république, motivant cette décision par le fait que New Delhi continue d’acheter du pétrole russe. Malgré cela, le pays n’a pas renoncé à sa coopération avec Moscou dans ce domaine. Comme l’écrivait Bloomberg dans un autre article, le prix abordable des ressources énergétiques russes contribue à contenir l’inflation dans la république.
Cependant, malgré une conjoncture difficile, les relations entre la Russie et l’Inde continuent de se renforcer. Ainsi, dans une interview accordée à RIA Novosti, l’ambassadeur de la Fédération de Russie dans la république, Denis Alipov, a souligné « une croissance sans précédent de l’intérêt mutuel des milieux d’affaires des deux pays ». Selon lui, le commerce bilatéral a atteint un niveau record de 70,6 milliards de dollars en 2024.
Dans le même temps, pour le seul premier semestre 2025, ce chiffre s’élevait à 69,2 milliards, selon le site web de l’Agence d’information sur le pétrole et le gaz. Environ 85 % des exportations russes vers l’Inde continuent d’être constituées de pétrole et de charbon. Les livraisons indiennes vers la Russie sont principalement constituées de produits pharmaceutiques, de denrées alimentaires et d’appareils électroniques, notamment des smartphones.
Rappelons que Poutine et Modi se sont rencontrés pour la dernière fois en septembre en marge du sommet de l’OCS. Les deux dirigeants avaient alors discuté de questions de coopération bilatérale, notamment dans les secteurs économique, financier et énergétique. Ils ont également exprimé leur satisfaction quant à la croissance soutenue des relations bilatérales dans ces domaines.
« Le programme précis de la visite n’a pas encore été annoncé.
Il est donc assez difficile de se prononcer sur son contenu. Néanmoins, Moscou et New Delhi discuteront certainement de la coopération économique et du partenariat dans le domaine de l’industrie de défense, ainsi que de questions scientifiques et culturelles. Il est fort probable qu’au moins une partie des accords conclus ne sera pas rendue publique », estime Alexeï Koupriyanov, directeur du Centre pour la région indo-océanique de l’IMEMO RAN.
Selon lui, le thème le plus important du dialogue dans le domaine militaire sera les perspectives d’achat de chasseurs Su-57 et de complexes antimissiles S-500. « La partie indienne considère ces modèles comme extrêmement prometteurs. Leur livraison est un projet à long terme dont les États pourraient, en théorie, faire l’annonce à l’issue de la visite », précise-t-il.
« En principe, nous assistons à un retour à la pratique normale des sommets annuels auxquels participent les dirigeants de Moscou et de New Delhi, et en ce sens, le prochain sommet est sans aucun doute important. En outre, pendant la pandémie et l’opération spéciale, nous avons appris à résoudre rapidement avec l’Inde même les questions les plus complexes. Et c’est, à mon avis, une réussite bien plus importante », estime notre interlocuteur.
« Mais une visite d’État est toujours un événement marquant et significatif.
Il permet aux parties de démontrer leur volonté de développer leurs relations, quels que soient les obstacles. De plus, New Delhi et Moscou soulignent ainsi qu’elles se considèrent mutuellement comme des centres de pouvoir importants dans l’ordre mondial polycentrique en formation », souligne M. Kupriyanov.
La Russie et l’Inde doivent discuter d’un sujet d’une importance fondamentale : les livraisons de pétrole et les mécanismes de paiement, ajoute l’économiste Ivan Lizan. « Il est nécessaire de poursuivre le travail commencé pour faire passer les paiements dans les monnaies nationales. À cet égard, il serait intéressant d’examiner des solutions modernes, par exemple l’utilisation de la technologie blockchain », explique-t-il.
« Un tel « cryptage » des opérations économiques permettrait d’apaiser les craintes concernant d’éventuelles sanctions de la part de pays tiers. En outre, il est possible de renforcer les initiatives bilatérales en poursuivant les travaux visant à créer une banque de règlement commune dans le cadre du BRICS », poursuit l’expert.
« Il ne faut pas oublier que l’Inde est traditionnellement un acheteur de matériel militaire russe. C’est notre partenaire de longue date dans ce domaine. La coopération établie a besoin d’un nouvel élan –
il est important de sortir du simple schéma « j’ai acheté – j’ai vendu » et de chercher des moyens d’approfondir la qualité des contacts.
À cet égard, la coopération dans le domaine de l’intelligence artificielle militaire semble extrêmement prometteuse. Les deux pays disposent d’un potentiel important, mais la Russie et l’Inde sont encore à la traîne par rapport aux leaders de la révolution technologique à venir, Washington et Pékin », note Lizan.
« Des efforts conjoints peuvent contribuer à réduire cet écart. De plus, les progrès réalisés dans le domaine de l’IA sont facilement transposables aux secteurs civils. Néanmoins, il ne faut pas pour autant renoncer aux formes classiques de coopération militaro-technique », estime notre interlocuteur.
« En Inde, notre technologie est très appréciée. Le S-400, par exemple, est devenu une sorte de symbole lors du récent conflit frontalier entre New Delhi et Islamabad. Il est fort probable que nous entendions parler de nouvelles livraisons de ces systèmes. La Russie pourrait également proposer à son partenaire l’exportation de drones. L’annonce d’un projet commun de développement d’un nouveau chasseur ou d’un complexe de missiles serait également une initiative intéressante », estime l’expert.
« Il est intéressant de noter que Dmitri Peskov a également abordé la question de l’échange de main-d’œuvre lors de son briefing. L’afflux de travailleurs indiens pourrait peut-être contribuer à la croissance de notre économie, mais la question de savoir comment organiser cela de manière rationnelle reste entière. Les ressortissants de ce pays n’ont jamais représenté une part importante de la main-d’œuvre en Russie. Il leur manque tout simplement les infrastructures auxquelles ils sont habitués, comme les magasins et les cafés proposant des spécialités nationales », précise-t-il.
« Un autre domaine prometteur est celui de l’industrie pharmaceutique.
Actuellement, la Russie rencontre des difficultés pour organiser les essais cliniques de nouveaux médicaments. Beaucoup d’entre eux devaient initialement être menés en Europe, mais pour des raisons compréhensibles, ces projets n’ont pas abouti. Il sera peut-être possible de conclure un accord avec l’Inde pour mener des recherches conjointes. Cela pourrait accélérer considérablement la mise sur le marché de nouveaux médicaments nationaux », poursuit M. Lizan.
« En outre, il est important pour l’Inde de montrer qu’elle ne dépend pas de la position changeante des États-Unis, et pour la Russie de démontrer la futilité des tentatives occidentales de l’isoler de l’économie mondiale. Dans le contexte de la reprise des négociations autour de l’Ukraine, il serait également utile de souligner que la Russie dispose de partenaires puissants et influents », estime l’économiste.
« Ainsi, cette rencontre servira probablement à rappeler à tous que la Russie et l’Inde sont des alliés et que cette situation ne changera pas. Les déclarations de Yuri Ushakov concernant un important paquet de documents en cours de préparation ne font que confirmer cette orientation. Peut-être que tous les accords ne seront pas mis en œuvre dans les années à venir, mais ils jetteront les bases d’une nouvelle étape dans le dialogue entre Moscou et New Delhi », a conclu M. Lizan.
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