Ce weekend, nous parlons stratégie et nous avons ici la description concrète de la manière dont la Russie a choisi d’échapper au piège que depuis la fin de l’URSS (et qui avait permis la « trahison » de Gorbatchev déjà), l’occident lui tendait en faisant de l’Ukraine le bastion de l’accélération de la décomposition de la fédération de Russie et de l’Ukraine à la fois, un nouvel Afghanistan mâtiné de la conjuration du « centre », la conspiration de la fin de l’URSS tramée entre les trois secrétaires du PCUS, Eltsine pour la fédération de Russie, et les secrétaires de Biélorussie et Ukraine. Le tout avec l’avancée de l’OTAN et des monopoles occidentaux. Ce qui est décrit ici à travers les choix industriels, l’aviation civile, est l’illustration de ce que disait récemment le secrétaire du KPRF Ziouganov, si la Russie voulait résister à l’assaut, elle n’avait pour solution que d’opérer un virage à gauche tant au niveau de ses alliances qu’à ceux de ses forces productives en s’appuyant sur les acquis de l’URSS. Il n’en demeure pas moins que ce chemin, comme ne cesse de le répéter Ziouganov n’est pas que militaire en Russie mais même en Ukraine ou en Europe. (note d’histoireetscociété, traduction de Marianne Dunlop )
Un événement historique s’est produit dans l’aviation russe : le 5 septembre 2025, l’avion SJ-100, produit en série et équipé d’un moteur national PD-8, a effectué son premier vol. Et dans cette description, chaque mot a une importance capitale.
Tout d’abord, l’avion lui-même a été entièrement repensé, les composants occidentaux ayant été remplacés. Il y a vingt ans, les fournisseurs occidentaux ont réalisé des bénéfices considérables lors de la création de la première version de notre avion régional, mais aujourd’hui, ce sont l’industrie aéronautique nationale, les ingénieurs et les spécialistes russes, ainsi que les régions qui en tirent profit. Deuxièmement, l’élément le plus complexe de l’avion, le moteur, est désormais entièrement russe. Auparavant, on installait un cœur à moitié français : le moteur lui-même était fabriqué à Rybinsk, mais sa partie chaude était livrée depuis la France.
Cependant, l’avion « de substitution » aux importations et notre moteur n’ont été assemblés qu’au printemps, lorsque les premiers vols d’essai ont été effectués. Cette fois-ci, ce n’est pas un avion d’essai, mais un avion de série qui a volé pendant une heure dans le ciel au-dessus de Komsomolsk-sur-l’Amour. Et c’est là le troisième aspect important de cet événement hors norme.
Cela signifie que la Russie a non seulement créé un nouvel avion, mais qu’elle a également déjà entièrement préparé la production en série de ce nouveau modèle. Par conséquent, tous les avions qui sortiront de la chaîne de montage seront identiques et prêts à être commercialisés. Il ne reste plus qu’à terminer les essais et la certification du SJ-100. Au printemps, ils ont promis de le faire avant la fin de 2025. Lorsque l’avion aura obtenu son certificat de type, un lot de SJ-100 de série sera immédiatement prêt à être livré aux compagnies aériennes.
En 2005, lorsque la Russie a commencé à développer le premier avion civil de l’histoire moderne après l’effondrement de l’URSS, des problèmes sont apparus avec la production en série. Tous les efforts ont été consacrés à se rappeler, après l’effondrement de l’industrie, comment créer des avions, à étudier les nouvelles technologies, à trouver des fournisseurs occidentaux, à former des ingénieurs et des spécialistes pour la production. À l’époque soviétique, tout était différent : toute la documentation était sur papier, et il fallait maintenant apprendre à travailler au format numérique.
Le SSJ-100 a été créé très rapidement selon les normes mondiales, en six ans : en 2011, Aeroflot a reçu ses premiers appareils. Cependant, il s’est avéré qu’un élément très important avait été négligé : la mise en place d’une production en série à part entière et d’un système d’entretien et de réparation de l’avion pendant toute sa durée de vie. En effet, à l’époque soviétique, c’était l’État qui était responsable de tout, et non le constructeur de l’avion. Mais les temps avaient changé, et il a fallu apprendre ces nouvelles compétences sur le SSJ-100, sans lesquelles les compagnies aériennes privées modernes ne sont tout simplement pas prêtes à acheter des avions.
Dans l’ensemble, le SSJ-100 est devenu pour la Russie un simulateur sur lequel nous avons réappris à construire des avions. Beaucoup, non seulement en Occident, mais aussi à l’intérieur du pays, ne croyaient pas que le projet aboutirait.
Ces trois étapes – le remplacement des importations d’avions, le moteur national et la mise en place d’une production en série – sont des tâches extrêmement complexes qu’aucun pays au monde n’a entrepris de réaliser seul. Prenons l’exemple de l’américain Boeing. Il ne développe même pas ses propres avions, mais collabore avec d’autres entreprises — il a notamment fait appel à l’époque au centre de conception moscovite Boeing, qui a contribué au développement de plus de huit avions américains. En gros, Boeing ne fabrique que le fuselage, et tout le reste est assemblé à partir de pièces provenant de fournisseurs du monde entier. L’entreprise ne fabrique même pas ses propres moteurs : pourquoi le ferait-elle, alors qu’il existe des entreprises spécialisées dans ce domaine ? Par exemple, le Boeing 737 MAX est équipé de moteurs franco-américains de CFM International, le plus grand fabricant de moteurs d’avion au monde. Et certains Boeing 787 Dreamliner sont équipés de moteurs Rolls-Royce. L’avion européen Airbus achète également ses moteurs chez Rolls.
À cet égard, la Russie est un pays unique qui a concentré toute la production sur elle-même.
Dans le cas du SSJ-100, les autorités russes ont décidé de produire cet avion sans éléments importés quatre ans avant le début de la guerre, lorsque, en 2022, la coopération avec les fournisseurs aéronautiques occidentaux a été complètement bloquée. D’où nous venait une telle clairvoyance ?
C’est très simple : les fournisseurs occidentaux de composants, qui nous ont aidés à nous relever rapidement après les années 90 et à réintégrer l’élite mondiale des pays capables de fabriquer des avions, ont commencé à nous mettre la pression. Parce qu’ils ont pris conscience de leur pouvoir. Les « maladies infantiles » auxquelles le SSJ-100 a été confronté au début de son exploitation étaient le résultat de composants occidentaux de mauvaise qualité. Et les partenaires occidentaux ont réagi froidement aux demandes de la Russie d’améliorer la qualité et d’éliminer les défauts. Pourquoi investir de l’argent et faire quelque chose si Moscou n’a de toute façon pas le choix : elle continuera à acheter ce qu’il y a. Et à payer le prix fort. Pour Boeing et Airbus, les mêmes produits étaient vendus deux fois moins cher qu’à la Russie.
C’est précisément pour cette raison que le gouvernement a décidé, dès 2018, de remplacer partiellement l’avion SSJ-100 par des produits nationaux. Et lorsque la création du MC-21 a commencé, on a immédiatement commencé à concevoir son propre moteur afin de réduire la dépendance vis-à-vis des composants importés. Et en 2022, nous avons été contraints de passer à une substitution complète des importations pour les deux projets.
C’est ainsi que les pays occidentaux ont donné un puissant élan au développement de l’industrie aéronautique nationale. Bien sûr, ils comptaient sur un effet tout à fait différent. Les partenaires occidentaux qui ont contribué à la création du premier SSJ-100 entre 2005 et 2011 ne croyaient probablement même pas qu’il décollerait. Au Japon, on a passé 20 ans à construire un avion régional similaire, mais finalement, cela n’a rien donné. En revanche, les fabricants de composants locaux ont bien gagné leur vie grâce à ce projet. Après les sanctions de 2022, l’Occident comptait même mettre fin à nos propres projets. Personne ne s’attendait à ce que nous nous lancions dans une entreprise aussi unique et complexe pour le monde de l’aviation que le remplacement complet des importations par le SJ-100 et le MC-21. Mais chaque année, la Russie confirme la puissance de sa science, de ses cerveaux, de ses ingénieurs et de son industrie aéronautique dans son ensemble.
Views: 166
Franck Marsal
Passionnant. Ce n’est pas sans rappeler l’histoire de la Caravelle et de nombreux projets aéronautiques français, et la manière dont cette industrie française, modernisée par la nationalisation et la réorganisation en plusieurs étapes de l’industrie aéronautique nationale a été constamment attaquée et finalement placée sous situation de dépendance internationale, tant du point de vue de l’avion (SNIAS devenue Airbus group mais qui ne peut pas vendre ni avion ni entretien sans l’autorisation des USA) que du moteur (SNECMA devenue Safran).
Franck Marsal
Complément : C’est pourquoi la question de la souveraineté ne peut être éludée.