La nostalgie masque la dérive stratégique de l’Australie, son pouvoir d’action limité et sa dépendance croissante à l’égard des alliances. L’occidentalisation devient un boulet alors que la réalité des intérêts l’a fait comme d’ailleurs l’UE dériver de plus en plus loin des « opérations de com » vers les Etats-Unis. C’est à cette distance entre position d’alliance officielle qui devient soumission pure et simple et intérêts réels non seulement ceux des peuples, mais même pour une part croissante des capitalistes (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
par Grant Newsham 22 décembre 2025

L’auteur de ces lignes est suffisamment âgé pour que sa vision de l’Australie et des Australiens ait été renforcée par le personnage laconique et impitoyable de Crocodile Dundee.
Elle a en réalité été créée bien plus tôt à partir d’une photo de troupes australiennes (du moins ce qu’il en restait) en formation après avoir stoppé l’armée impériale japonaise sur la piste Kokoda en Nouvelle-Guinée en 1942.
Les Australiens se sont battus avec une ténacité exceptionnelle en Corée et au Vietnam, et ont combattu aux côtés des Américains lors des conflits suivants. Le professionnalisme et la détermination des troupes australiennes d’aujourd’hui sont incontestables.
Mais la relation entre l’Australie et les États-Unis présente une particularité que même les récentes démonstrations d’affection à Washington entre les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des deux pays ne parviennent pas à masquer.
James Carafano, analyste réputé en affaires étrangères, a publié une analyse pertinente avant la réunion ministérielle. Le présent auteur propose une interprétation légèrement différente de certains points clés de cet article.
De manière générale, ce texte surestime systématiquement le poids stratégique et les compétences de l’Australie tout en minimisant la passivité et les faiblesses structurelles du gouvernement Albanese.
hésitation stratégique, absence d’action
L’article note à juste titre que Canberra « reste hésitante, sans stratégie claire face à Washington et semble ne pas saisir les attentes des États-Unis ». C’est un constat bienveillant.
Après plus d’un siècle de gestion d’alliances, l’Australie ne peut prétendre ignorer la situation : la demande constante des États-Unis a été simple : investir davantage dans des capacités de puissance militaire crédibles et contribuer matériellement à la dissuasion collective.
Canberra a délibérément choisi de ne pas répondre à cette demande, maintenant ses dépenses de défense au strict minimum de l’OTAN, soit 2 % du PIB (un seuil insuffisant pour la région indo-pacifique), tout en espérant que des engagements symboliques suffiront.
Maîtrise des îles du Pacifique ?
L’affirmation selon laquelle l’Australie est « inestimable pour empêcher l’implantation militaire chinoise dans les îles du Pacifique » est déconnectée de la réalité.
L’évolution du pacte de sécurité des Îles Salomon avec Pékin, la perte des batailles pour la reconnaissance diplomatique dans de nombreux États et l’effondrement quasi total de l’influence douce australienne dans la région démontrent le contraire.
La politique de Canberra dans le Pacifique souffre depuis vingt ans d’un manque de moyens, d’une attitude condescendante et d’une approche réactive. Loin d’être un atout, l’Australie en est actuellement le maillon faible.
accord sur les terres rares
La signature d’un accord visant à étendre les capacités de traitement en Australie semble constructive jusqu’à ce que l’on prenne en compte le contexte réglementaire.
Les longues procédures d’approbation environnementale, les négociations labyrinthiques avec les populations autochtones concernant l’utilisation des terres, les désaccords entre l’État et le gouvernement fédéral et l’activisme écologiste agressif font de l’Australie l’un des endroits les plus lents et les plus coûteux au monde pour la construction de nouvelles usines de traitement.
Engager des milliards dans des projets qui subiront des années de retards et de dépassements de coûts avant de produire une seule tonne de terres rares séparées n’est pas une stratégie de diversification sérieuse ; c’est du théâtre politique jusqu’à ce que les obstacles réglementaires et politiques susmentionnés soient résolus.
« En manque d’attention »
Le fait que l’Australie se sente négligée parce que le président américain Donald Trump est concentré ailleurs donne l’impression que les Australiens ont un sentiment de droit acquis.
Si l’Australie souhaite attirer davantage l’attention, elle doit proposer davantage – des forces plus importantes, des bases avancées, une infrastructure AUKUS accélérée et un véritable partage des risques – au lieu d’attendre d’être courtisée.
AUKUS et la prétention de la résolution
L’article reconnaît que l’Australie aura du mal à maintenir le programme AUKUS parallèlement à ses autres besoins en matière de défense, mais il s’arrête avant la conclusion logique : avec un budget d’investissement minuscule, un système d’acquisition complexe et réfractaire au risque, et aucune volonté politique de redéfinir les priorités de dépenses, l’Australie n’est actuellement pas sur la voie pour devenir un partenaire de premier plan d’ici les années 2030.
L’indécision persistante concernant une base sous-marine sur la côte est – sept ans après la décision d’acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire et sans site encore choisi – symbolise un problème plus vaste : un gouvernement qui veut le prestige d’AUKUS sans accepter le coût, la discipline et les dépenses nécessaires à sa réalisation.
Le scénario le plus probable
L’auteur estime que « la continuité fondée sur l’AUKUS » est l’issue la plus probable, moyennant quelques ajustements mineurs. C’est presque certainement exact, car l’inaction est le choix par défaut de l’Australie depuis des années.
Le maintien de dépenses de défense minimales conformes, les déclarations rhétoriques occasionnelles sur l’ordre international fondé sur des règles et la dépendance à l’égard des États-Unis pour garantir la dissuasion persisteront probablement.
Le danger réside dans le fait que cette complaisance repose sur l’hypothèse que la tolérance américaine est sans limites et que la géographie, à elle seule, continuera de nous faire gagner du temps. Or, ces deux hypothèses sont de plus en plus contestables.
On peut affirmer que l’Australie s’est rapprochée de la Chine depuis plus de 40 ans. Ce rapprochement s’est accentué avec la dépendance commerciale totale de l’Australie vis-à-vis de la Chine et la limitation de la marge de manœuvre de Canberra en matière de défense et de politique étrangère.
L’Australie excelle également dans l’art de se faire des amis aux États-Unis. Un ami me disait d’ailleurs récemment que « si les Australiens étaient aussi compétents en matière de défense nationale qu’en relations publiques (et Canberra investit massivement à Washington), les Chinois ne s’approcheraient même pas à moins de 8 000 kilomètres de leurs frontières ».
Qu’on ne s’y trompe pas, l’Australie demeure un allié. Mais comme pour tous les alliés, il faut toujours tenir compte de la réalité actuelle et la confronter aux idées reçues et à la nostalgie.
Cet article a été initialement publié sur Sunday Guardian Live et est republié avec l’autorisation de l’auteur. Lire l’original ici .
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