Dans l’attente des résultats du sommet de l’Organisation de la Coopération de Shanghai, nous abordons ici la question fondamentale du rapport à la souveraineté. Comme nous l’avons expliqué depuis plusieurs articles, les nouvelles organisations internationales qui se développent dans l’émergence du Sud Global, la fin de l’hégémonie occidentale et autour du développement de la Chine sont marquées par le respect fondamental de la souveraineté de chaque état. Cela suppose d’accepter parfois des retours en arrière, des régressions. C’est ce qui est arrivé lorsque Bolsonaro a été élu président du Brésil dans des conditions très douteuses de manipulation de la justice pour emprisonner Lula et mettre en doute l’honnêteté de Dilma Roussef. Bolsonaro est arrivé avec un programme d’opposition aux BRICS et de rapprochement des USA. La Chine aurait pu exercer un chantage. Pas la moindre menace n’a été émise. Bolsonaro s’est rendu compte de lui-même que renoncer aux BRICS était une impasse et aux élections suivantes, Lula a été réélu. C’est ce qui arrive aussi d’une certaine manière avec les tentatives permanentes de l’occident (Angleterre et USA notamment) d’envenimer les conflits entre le Pakistan et l’Inde. Il y a quelques semaines, ces pays se bombardaient. Aujourd’hui, ils participent ensemble à ce sommet. Le dialogue de longue durée, le respect de la souveraineté et la priorité au développement sont les ingrédients de ce succès diplomatique. La situation de l’Afghanistan est bien pire. Après avoir manipulé l’islamisme radical dans ce pays pour affaiblir l’Union Soviétique qui tentait de venir en aide à la jeune république laïque, les USA ont été dépassées par ce qu’elles avaient créé. L’islamisme afghan s’est généralisé et radicalisé à un point extrême sous la forme des talibans et le jeune agent de la CIA Ben Laden a de son côté fondé Al Qaeda et commencé une longue série d’attentats et de guérillas dans le monde. Lorsque Ben Laden revendique l’attentat contre les tours du World Trade Center, en 2001, il est réfugié en Afghanistan. Mais la priorité des USA, c’est d’attaquer l’Irak. L’Irak n’a absolument rien à voir avec les attentats, mais les USA veulent prendre pied dans ce pays stratégique du moyen orient. La décision sera prise d’attaquer les deux et les USA vont occuper l’Afghanistan durant 20 ans. Ils abandonnent l’Afghanistan dans une situation catastrophique à des talibans plus radicalisés que jamais. Renouer les relations, rouvrir les portes du développement est donc une stratégie radicalement opposée. Mais il faut avoir conscience que l’Afghanistan est un pays parmi les plus jeune du monde. L’âge moyen de la population afghane est de 17 ans. Il y a autant d’enfants que d’adultes. Ce sont ces enfants qui feront l’Afghanistan de demain. Isoler ce pays ne peut que rajouter le drame de la misère à celui du radicalisme. Miser sur l’ouverture et le développement est un pari risqué, mais il est cohérent avec le respect de la souveraineté, le dialogue de longue durée et la priorité au développement. Il s’appuie sur l’espoir que l’Afghanistan fera par lui-même le chemin vers la liberté, que l’émancipation sera l’œuvre des Afghans et surtout Afghanes eux-mêmes. (note de Franck Marsal pour HistoireetSociété)
Евразия без Запада: Китай покажет новый мир – РИА Новости, 30.08.2025
Texte : Piotr Akopov
Au cours des quatre prochains jours, le centre de l’activité politique internationale sera situé en Chine : jusqu’à mercredi, deux grandes réunions de dirigeants mondiaux se tiendront dans l’Empire céleste. Tout d’abord, un sommet de deux jours de l’Organisation de coopération de Shanghai se tiendra à Tianjin, puis Pékin célébrera le 80e anniversaire de la victoire sur le Japon. Ces deux événements rassembleront de nombreux invités étrangers : 20 chefs d’État et de gouvernement participeront au sommet de l’OCS, les dirigeants de 30 pays assisteront au défilé sur la place Tian’anmen, et près de 50 États seront représentés au plus haut niveau.
Pour le président Xi Jinping, la venue d’invités étrangers aura une signification non seulement symbolique (démonstration de l’influence croissante de la Chine), mais aussi pratique. En particulier, des négociations à grande échelle auront lieu avec Vladimir Poutine, Xi rencontrera enfin à nouveau le Premier ministre indien Modi, et Kim Jong-un fera sa première apparition publique (le dirigeant nord-coréen n’a jamais participé auparavant à des cérémonies internationales collectives). Même un ancien sinophobe comme le président argentin Milei se rendra au défilé de Pékin. Seuls les pays occidentaux seront principalement représentés au niveau des ambassades (mais pas tous : la France et l’Italie enverront leurs ministres des Affaires étrangères).
Le défilé devrait permettre de présenter les dernières technologies militaires chinoises, mais Pékin continue de miser principalement sur la puissance du commerce et de la coopération plutôt que sur celle des armes. Pour un pays qui est déjà devenu le principal partenaire commercial de la plupart des États du monde, il s’agit d’une stratégie délibérée, qui n’empêche toutefois pas de comprendre la nécessité d’une participation de plus en plus active aux efforts visant à modifier l’ordre mondial. C’est pourquoi le sommet de l’OCS, spécialement organisé pour les célébrations à Pékin, tombe à point nommé.
L’OCS est souvent mentionnée au même titre que le BRICS, dont l’expansion active ces dernières années a quelque peu éclipsé la première. Mais cela est injuste, car c’est précisément l’OCS qui a été la pionnière dans la construction d’un nouvel ordre mondial. Officiellement, l’organisation a fêté ses 25 ans (mais en réalité ses 30 ans), mais elle est en train de passer d’une coopération russo-chinoise pour la stabilité en Asie centrale (ce qui était son point de départ) à une structure panasiatique à part entière. Le nombre de participants est passé de cinq à dix, et si l’on tient compte du nombre croissant de « partenaires de dialogue » ces dernières années, il atteint même 26. Oui, plusieurs pays font partie à la fois du BRICS et de l’OCS, notamment des États clés tels que la Chine, l’Inde et la Russie, mais c’est précisément l’OCS qui est appelée à assurer la sécurité dans la majeure partie de l’Eurasie. Il s’agit bien sûr d’un objectif ambitieux et encore inaccessible, mais il est important que les participants comprennent que les Asiatiques doivent eux-mêmes assurer la sécurité dans leur région.
Oui, c’est un défi lancé à l’Occident — ou plutôt, pas un défi, mais un désaccord avec la situation dans laquelle l’Occident (et en premier lieu les États-Unis) s’est unilatéralement proclamé responsable de la sécurité dans le monde entier. La période coloniale de domination directe de l’Occident en Asie est révolue depuis longtemps, mais son influence, ses capacités et ses intérêts n’ont pas disparu pour autant. Les atlantistes veulent toujours « être les bergers des peuples » d’Asie — en les guidant, en les dirigeant, en jouant sur leurs contradictions, et parfois même en les montant ouvertement les uns contre les autres. La puissance combinée de l’Occident — militaire, financière, humaine, informationnelle et autre — lui offre d’énormes possibilités à cet égard. De plus, il existe de nombreuses contradictions entre les pays asiatiques, et les processus d’intégration des associations régionales sont loin d’être aussi fructueux partout qu’au sein de l’ASEAN (qui regroupe les pays d’Asie du Sud-Est). Rien que cette année, des conflits militaires, certes limités, ont éclaté entre le Pakistan et l’Inde (membres de l’OCS), la Thaïlande et le Cambodge (ce dernier ayant le statut de partenaire de dialogue). Et on a pu constater que l’OCS n’a pas joué de rôle notable dans leur cessation (d’ailleurs, Donald Trump, qui a déclaré avoir réussi à rétablir la paix dans les deux cas, prend ici ses désirs pour des réalités). Un autre membre de l’OCS, l’Iran, a été victime d’attaques israéliennes et américaines, et l’organisation s’est contentée d’exprimer son mécontentement. Alors, peut-être que l’OCS ne devrait pas prétendre jouer le rôle de « mécanisme de sécurité panasiatique » ?
Au contraire, c’est précisément dans le cadre de l’OCS qu’il faut chercher des moyens, sinon de résoudre définitivement, du moins d’atténuer et d’apaiser les contradictions entre les participants. Premièrement, cela exclura toute possibilité de manipulation de la part de pays et de forces non asiatiques. Deuxièmement, grâce au caractère multilatéral de l’OCS, il est plus facile de trouver des solutions mutuellement acceptables que dans le cadre de relations bilatérales.
Il suffit de regarder les contradictions indo-pakistanaises : il est évident que les États-Unis et la Grande-Bretagne souhaitent non seulement maintenir ces pays dans un état de tension permanente, mais aussi utiliser l’animosité réciproque entre Delhi et Islamabad pour former diverses alliances (par exemple, une alliance anti-chinoise, en jouant sur les craintes de l’Inde concernant la coopération entre le Pakistan et la Chine). Mais dans le cadre de l’OCS, les contradictions entre l’Inde et le Pakistan peuvent être aplanies par la Russie elle-même, qui est intéressée tant par le maintien de relations stratégiques avec Delhi que par l’établissement de liens durables et diversifiés avec Islamabad.
Ce n’est donc pas un hasard si, à la veille du sommet de Tianjin, la Russie (par la voix du secrétaire du Conseil de sécurité Choïgou) a proposé de rétablir la coopération de l’organisation avec l’Afghanistan, l’un des deux États ayant le statut d’observateur au sein de l’OCS. Le second est la Mongolie, qui ne souhaite pas devenir membre à part entière de l’organisation en raison de son statut neutre, tandis que le statut de l’Afghanistan a été, en fait, gelé après l’arrivée au pouvoir des talibans il y a quatre ans. En 2025, après la reconnaissance du gouvernement afghan par la Russie (et alors que l’ambassadeur des talibans est en poste à Pékin depuis longtemps), la situation devrait enfin changer, ce qui intéresse les autorités afghanes, mais pas seulement.
La restauration, puis l’adhésion à part entière de l’Afghanistan à l’OCS serait un signal positif : si le gouvernement de Kaboul, soutenu par les États-Unis, pouvait participer aux travaux de l’organisation (mais c’est précisément pour cette raison qu’il ne lui a pas été accordé le statut de membre à part entière), alors a fortiori, un pouvoir autonome et indépendant devrait bénéficier de ce droit. Et la reconstruction de l’économie afghane, son raccordement aux corridors de transport, d’approvisionnement en matières premières et commerciaux, répond aux intérêts de tous les pays de l’OCS : la Chine, l’Inde, la Russie, le Pakistan et les républiques d’Asie centrale. Car cela démontrera la capacité des pays asiatiques à résoudre leurs problèmes de manière autonome et collective, après le départ des Occidentaux d’Asie.
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