Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les espions d’un président, qui se prend pour Napoléon et ressemble à OSS 117, comme les autres d’ailleurs..

Cet interview (publié dans Vanity fair) des auteurs d’un livre sur la fin de règne de Macron tente de renouveler le coup du livre bilan de Hollande « ce qu’un président ne devrait pas dire ». Notons que ce dernier était dans sa seconde partie proprement scandaleux d’ailleurs en ce qui concerne la même fascination pour la toute puissance des services secrets, l’assassinat des dirigeants opposants relevant d’une pratique admise du précédent, quant à Sakozy ou Mitterrand… Quand on a une pareille brochette, on s’interroge sur la veine romanesque qui s’obstine à transformer en portrait psychologique ce qui est l’exercice de la puissance pour le monde occidental. La vie des 12 césars de Suétone ou celle des hommes illustres de Plutarque dans la décadence impérialiste. Les Nixon, les Dick Cheney et les Trump s’attribuant tous les droits sont dans la même logique, comme le président Merz dont nous racontons par ailleurs le scandale que provoque la révélation de son utilisation de drones mystérieux en faveur de l’industrie militaire allemande face à la crise économique provoquée largement par la politique de sanctions face à la Russie. Ces traits vont leur jouer des tours face à un Poutine ou un Xi Jinping, commentent sobrement les auteurs. Quel traits ? et pourquoi ? Le fait est que si Napoléon avait des ambitions démesurées pour la France, Macron et les autres n’en ont que pour eux-mêmes. A partir de là, cherchez l’erreur : on se souvient des remarques tout à fait pertinentes de Poutine interviewé par un journaliste de CNN, expliquant que la politique étrangère des USA est déterminée par la CIA, et que c’est une erreur. Lui-même a été élevé dans le sérail des services secrets, ne les fantasme pas et ne les confond pas avec la diplomatie, ni sur une perspective à long terme. Le cas de la Chine est encore plus caractéristique et ce qui est exigé d’un président et d’un cadre chinois est l’incarnation de son pays, un projet, qui tient compte des aléas événementiels mais n’en reste pas là. Nous renvoyons nos lecteurs aux articles d’aujourd’hui, ceux de cet intellectuel indonésien qui analyse justement les derniers travaux du comité central du part communiste chinois ou celui traduit par Marianne qui dit à quel point les Russes jugent avec sévérité ce déclin capricieux de l’occident qui se prend pour James Bond et ressemble à une mission d’OSS 17. Le ridicule y est mais sans les victoires obtenues par hasard. Plus la politique de la France se fait à la corbeille, plus le président gadgétise la toute-puissance supposée de sa fonction, il n’y a qu’à voir Sarkozy… le fleuron, mais aucun président français ou étatsunien n’a échappé au genre d’une manière plus ou moins caricaturale.. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Pour Emmanuel Macron, l’heure du bilan a-t-elle déjà sonné ? Antoine Izambard et Pierre Gastineau, deux journalistes du média spécialisé dans le renseignement Intelligence Online, dressent l’inventaire dans Les Espions du président. Un livre fouillé, nuancé et surtout haletant dans lequel ils racontent la fascination du jeune président pour les espions, mais aussi les maigres résultats obtenus en matière de politique étrangère. Manque d’anticipation de l’invasion russe de l’Ukraine, mise à la porte du Sahel, affaire de la vente ratée des sous-marins à l’Australie… Ils font le portrait d’un chef de l’État pointilleux, mais aussi convaincu de sa bonne étoile et de sa force de séduction. Un trait qui va lui jouer des tours face à un Poutine ou un Xi Jinping.

Reste que sous sa présidence, les agences du renseignement ont vu leur place et leurs moyens étoffés. Des services capables de jolies coups : notamment sur l’arrivée des mercenaires russes de Wagner en Afrique ou encore lors de la découverte par la contre-ingérence militaire d’une mystérieuse antenne dans une petite commune rurale de Haute-Garonne.

Vous écrivez que rien ne prédisposait Emmanuel Macron, jeune président énarque, banquier, à se prendre d’affection pour le monde tortueux de l’espionnage. Et pourtant, il serait le président de la Ve République qui a eu le plus d’appétences pour le renseignement ?

Antoine Izambard : C’est une impression qui nous a été remontée par nos sources, venant des services de renseignement ou de personnes travaillant à l’Elysée. Pour être concret, tous les jours, le président reçoit sur son bureau à 19 heures le bulletin quotidien du renseignement (BQR), une feuille recto-verso qui recense les principales notes des services du jour. Avant Macron, il y avait très peu de retours des chefs de l’État. Les espions ne savaient même pas s’il était lu. Dès que Macron est arrivé au pouvoir, les espions ont vu que le bulletin revenait annoté, avec des commentaires, des demandes de précisions, de lieux, d’opérations… Macron a pris fait et cause pour la matière.

more

Il n’avait que huit ans à l’époque du Rainbow Warrior, épisode qui a créé beaucoup de méfiance de toute une génération de politiques envers les services. Il était aussi à Bercy lors de la vague d’attentats de 2015 qui ont fait que le renseignement redevenait hyper légitime. Il faut le dire aussi, il est assez fan du Bureau des légendes. Il a aussi été marqué par le piratage des mails d’En Marche par les Russes à la fin de sa campagne de 2017. Enfin, il a été président à un moment du retour du tragique dans l’Histoire. Il y a eu l’affaire Skripal en 2018, le Covid, le rapport difficile avec la Chine, il s’est fritté avec Erdogan, avec les Algériens… Dans ces temps difficiles, Macron a eu un désamour pour les diplomates, perçus comme pas assez opérationnels, au profit des espions et des militaires qui sont plus frontaux.

Pierre Gastineau : Lorsqu’il arrive au pouvoir, il est largement vierge sur les questions internationales. Il a fait son stage de six mois de l’ENA au Nigeria, mais il n’est pas du tout acclimaté à ces questions-là. Donc le renseignement lui sert aussi à se dépuceler sur les affaires stratégiques. Il arrive aussi au pouvoir avec cette idée d’adapter la France à la mondialisation heureuse, d’en faire une start-up nation. Mais très vite, il va se faire percuter par le retour du tragique, des conflits, l’Ukraine en étant l’apogée. En filigrane, le livre raconte cette mue imposée. L’époque impose une réactivité forte. Et comme lui aime gouverner à bride courte et mettre les mains dans le cambouis, les espions sont idéals : ce sont des gens très obéissants qui vont vite pour combler vos désirs. Ce qui se conjugue aussi bien avec le goût prononcé du président pour le secret.

PC Jupiter

Il a goûté tout de même à la matière lors de son passage au ministère de l’économie. Vous racontez notamment son utilisation d’une « salle blanche » à Bercy…

Antoine Izambard : C’est un abri anti-atomique qui avait été créé dans les années 70-80 à Bercy. On était en pleine guerre froide. Et dans l’hypothèse d’un conflit nucléaire, on avait stocké des vivres pour que les ministres et leurs conseillers puissent survivre. Dans les années 2000, plusieurs ministres ont pensé à couler cette pièce parce qu’elle ne servait pas. Mais elle est restée. Et Macron, après avoir été nommé ministre de l’économie en 2014, va utiliser ce lieu pour faire des réunions sur des sujets sensibles. Ça a été le cas notamment sur Airbus, mais aussi sur l’activité grandissante de Huawei en France.

En cela, c’est un précurseur. On était, certes, un an après l’affaire Snowden. Mais durant le quinquennat Hollande, même des conseils de défense et de sécurité nationale (CDSN), avaient lieu dans le Salon vert de l’Elysée, qui n’est pas sécurisé, où tous les ministres ou conseillers venaient avec leur portable. Macron, lui, a bien été sensibilisé à ces enjeux. À Bercy, les réunions sensibles se font sans portable. Et quand il arrive à l’Élysée, les participants au premier conseil de défense et de sécurité nationale sont priés de laisser leur portable. Et la réunion se fait quasiment toujours dans le PC Jupiter, situé à 70 mètres sous terre à l’Élysée.

Vous faites un bilan très contrasté de la politique étrangère d’Emmanuel Macron. L’un des terrains les plus compliqués pour lui a été l’Afrique. N’a-t-il pas voulu voir le sentiment anti-français qui s’y développait ?

Pierre Gastineau : Au départ, Macron écoute beaucoup. Il connaît un peu le Nigeria. Il fait d’ailleurs plutôt le pari de l’Afrique anglophone. Macron est né après les décolonisations, il n’est pas englué dans les névroses coloniales ou décoloniales. Il part plutôt d’une page blanche, avec beaucoup d’ambitions. C’est bien perçu au départ, même au sein de l’administration française. Ce qui a sans doute été sous-estimé, c’est l’émergence d’une nouvelle génération d’Africains néo-souverainistes, sur lequel vient ensuite se brancher la Russie. Mais surtout, c’est faire table rase un peu vite des régimes avec des présidents à vie qui ne voient pas forcément d’un très bon œil l’arrivée de ce jeune président français disruptif. Tout cela fait qu’une partie croissante de l’Afrique pense que la France est plus un problème qu’une solution.L’autre problème sur la période est que la France a principalement vu cette zone, le Sahel, par le prisme de la question intérieure de l’anti-terrorisme. L’enjeu était d’empêcher des attentats en France. Donc les chefs de poste dans certains pays étaient de plus en plus des gens du contre-terrorisme et moins des africanistes, au fait des subtilités locales. Enfin, au fur et à mesure, de plus en plus de signaux faibles sont mal ou peu remontés, parce qu’il reste difficile de contredire un président qui s’est déjà fait une religion sur ce sujet.

Vous dîtes qu’il est difficile de remonter des analyses qui ne vont pas dans le sens de celles d’un président. En cela, Macron est-il différent de ses prédécesseurs ? Vous racontez une scène, lors d’un CDSN, où Macron livre son analyse pendant deux heures alors que le rôle des personnes autour de la table est justement de livrer des analyses pour aider la prise de décision du président.

Pierre Gastineau : Cette scène-là est assez récente. Peut-être qu’Emmanuel Macron a l’impression d’avoir huit ans de pouvoir dans les pattes et donc une connaissance parfaite de certains sujets. Emmanuel Macron reste un énorme bosseur. Les néo-ministres, notamment Bruno Retailleau, ont même pu parfois être impressionnés par sa maîtrise des dossiers. Mais parfois, des remontées du terrain peuvent différer de l’analyse présidentielle. Et là ça devient un problème.

Antoine Izambard : En cela, Macron a des similitudes avec Nicolas Sarkozy sur le côté vertical, le fait d’avoir des certitudes et surtout de vouloir entraîner une administration qu’il trouve parfois réticente. Mais c’est un biais traditionnel. Regardez Trump, qui en est l’incarnation la plus parfaite. Sauf que le président américain a une idée de départ, sans avoir quasiment rien lu sur le sujet. Macron, lui, s’informe beaucoup. Même au-delà du renseignement. Souvent il fait des réunions avec des chercheurs pour préparer un déplacement à l’étranger. Durant le premier quinquennat, ces mêmes chercheurs racontaient que Macron était plutôt à l’écoute. Et plus le temps passait, plus il les rabrouait en leur disant, « vous n’avez rien compris, ça va être comme ça ». Je pense qu’il y a l’expérience qui joue, mais peut-être aussi un sentiment de toute puissance.

Par exemple, quand il va instaurer la stratégie de Brégançon [en 2019, il reçoit Vladimir Poutine sur son lieu de villégiature et tend la main aux Russes, Ndlr] beaucoup, dans les milieux militaires, du renseignement et même des chercheurs, lui disent que ça ne marchera pas. Mais Macron y va quand même. Sur la Chine pareil : au départ, sa position était plutôt lucide. Aujourd’hui, elle est totalement brouillée parce qu’il a pensé que par son charisme ou son génie, il arriverait à avoir des gains vis-a-vis de Xi Jinping. Je pense que l’égo, l’orgueil, ont beaucoup joué. Après, on peut lui reconnaître d’avoir tenté des choses.

Le temps des prédateurs

Dans le livre vous faites un portrait savoureux d’un personnage très discret mais qui a beaucoup compté pour Macron : un certain « Monsieur Paul ». Qui est-il ?

Pierre Gastineau : C’est d’abord un officier des forces spéciales. Aux hasards des rencontres, il se retrouve en direct avec le candidat Macron, lors de sa campagne de 2017. Macron, par ce côté disruptif, se lie d’amitié avec lui et voit tout l’intérêt qu’il a à avoir un poisson pilote personnel, qui permet dans son esprit d’aller vite, d’éviter les lourdeurs des hiérarchies du Quai d’Orsay, des armées, des services de renseignement, etc. Au départ, Monsieur Paul est spécialisé sur la Libye. Et il arrive à faire ce coup en juillet 2017, de réunir toutes les factions libyennes rivales à Saint-Cloud, alors que tout le monde pensait que c’était impossible. C’est un gros coup diplomatique, même s’il restera sans débouché déterminant.

De ce fait, Macron va se reposer de plus en plus sur lui pour agir vite. Quand surviennent les grands coups de grisou que sont l’Ukraine ou Gaza, ce personnage va être mobilisé, comme la voix et l’oreille du président. Sachant que dans des régions comme le monde arabe ou la Russie, on adore ce genre d’émissaires personnels, plus que les autorités constituées que peuvent être des ministres des affaires étrangères ou autres. Progressivement, il va être envoyé sur toutes les négociations secrètes qui vont conduire à Abu Dhabi, Istanbul, entre Russes et Ukrainiens.

Il est envoyé d’ailleurs très vite à Moscou après le début de la guerre en Ukraine…

Pierre Gastineau : Il est envoyé pour assurer un canal de discussion nécessaire entre puissances, en plus nucléaires. Parce que derrière la relation franco-russe, il y a aussi des questions de lutte contre le terrorisme, contre la prolifération nucléaire… Vous ne pouvez pas arrêter toutes les discussions avec la Russie.

Ce qui est intéressant, c’est qu’un personnage romanesque comme Paul Soler a mis du temps à être repéré par l’environnement médiatique. Il a beaucoup intrigué parce que beaucoup pensaient qu’il était un sorte de conseiller aux affaires privées, dans une vue très parisienne. En réalité, c’est d’abord la bouche et la voix du président auprès de beaucoup de leaders sécuritaires du monde, généralement des dirigeants peu recommandables, avec lesquels il est compliqué de discuter.

Vous révélez aussi une opération sur une antenne située dans la région de Toulouse. A quoi servait-elle ?

Antoine Izambard : La direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) remarque une grosse antenne parabolique de sept mètres dans le jardin d’une habitation d’une petite commune de 1 600 habitants. Ce qui n’est pas illégal en soi. Mais on est à 70 kilomètres des sites d’Airbus, du CNES, et en plus dans un cône de réception satellitaire… La DRSD fait un contrôle sur place et s’aperçoit que l’antenne n’a pas d’autorisation de l’Agence nationale des fréquences. Surtout la personnalité de la propriétaire intrigue. C’est une ressortissante chinoise qui coche toutes les cases de la personne susceptible de travailler pour le renseignement chinois. Elle a fait ses études dans une université liée à l’armée chinoise, elle a travaillé ensuite à l’académie spatiale chinoise et surtout, elle travaille pour la filiale française d’un groupe de conception de satellites qui est suspecté d’espionnage dans des pays européens. Les services français ont fait en sorte que l’antenne ne fonctionne plus. Au sein des services, ça a été vécu comme une des plus grosses opérations d’espionnage étranger visant la France ces dernières années. Il reste d’ailleurs une interrogation autour de cette affaire : quinze jours après le démantèlement, un satellite français, vendu à l’Azerbaïdjan, a cessé de fonctionner. Il y a des doutes sur une potentielle manœuvre de la Chine.

Vous racontez aussi une scène lors d’un forum de sécurité organisé à Singapour. Macron fait un discours, personne ne l’écoute vraiment. Le lendemain, Pete Hegseth, le secrétaire à la Défense américain est à la même tribune et tout le monde acquiesce pendant son discours très dur et offensif. Est-ce que cela démontre que la France n’est pas prête à l’heure des prédateurs ?

Pierre Gastineau : Ça montre que dans une période post-dissolution, en France ou à l’étranger, le président est affaibli. Macron se veut aussi un peu comme le dernier champion du multilatéralisme dans ce monde de prédateurs. Il apparaît à contre-temps. Ce que j’aime bien dans cette scène, c’est que le président commence son discours en disant, « j’ai été invité en 2018, mais je ne viens que maintenant ». Plusieurs personnes dans la salle se sont alors fait la remarque qu’en 2018, surtout sous Trump 1, ce discours aurait davantage plu qu’aujourd’hui. Trump n’est plus un épiphénomène mais une donne installée. En parallèle, le retour des empires auquel on assiste n’est pas parti pour être une parenthèse de l’histoire mais une nouvelle donne de long terme… Notamment dans cette zone, l’Asie-pacifique, où la France avait de grands espoirs de troisième voie indépendante.

Antoine Izambard : Je trouve que la scène de Singapour n’est pas tant révélatrice de ce qu’est la France, parce qu’il n’est pas illogique qu’un président français soit moins écouté que le patron du Pentagone. Ça reste les États-Unis et leur puissance militaire et financière démesurées. Mais c’est révélateur de ce qu’est Macron et notamment d’un manque d’écoute et d’un défaut d’appréciation. On a parlé de la Russie, il a tendu la main à quelqu’un qui n’avait aucune envie de lui donner. Quand il va à Ouagadougou, au Burkina, et qu’il fait un discours à l’université en disant « la jeunesse africaine, c’ était merveilleux, c’est l’Afrique nouvelle, c’est un continent de paix, les néo coloniaux c’est fini », etc, il ne voit pas qu’une jeunesse au contraire très anticoloniale est en train d’émerger. Là on arrive en 2025, huit ans après son arrivée au pouvoir, et il continue à tenir un discours multilatéral, hors sol et inaudible. Quel est l’intérêt de faire ça ?

Les espions du président de Antoine Izambard et Pierre Gastineau, Albin Michel, 208 pages, 18,90 euros.«Il est fan du Bureau des légendes» : Macron et les espions, splendeurs et misères d'une fascination présidentielle

« Il est fan du Bureau des légendes » : Macron et les espions, splendeurs et misères d’une fascination présidentielle

Views: 53

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.