Les stratégies numériques et l’essor de l’IA donnent aux éditeurs chinois un avantage sur leurs concurrents occidentaux, plus lents à s’adapter. Voici encore un exemple concret de la stratégie non seulement politique, économique mais aussi « culturelle » de la Chine. Ce qui renvoie non seulement à la nation chinoise mais à son aire d’influence « civilisationnelle » à la différence avec la conception de l’occident qui non seulement divise, fragmente en « champs » isolés en les centrant autour du profit et de la domination, de fait l’exclusion des masses. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
par Zulkifli Musa 1er décembre 2025

Si les tendances actuelles se maintiennent, la Chine est en passe de devenir la force dominante de l’édition mondiale d’ici dix ans. Son essor repose sur la croissance économique intérieure, une stratégie d’expansion ciblée, des progrès rapides dans l’édition scientifique et l’adoption précoce des technologies numériques. Cette évolution influencera à la fois le contenu et les pratiques de lecture à travers le monde.
Le marché de l’édition en Chine est déjà l’un des plus importants au monde. Des centaines de millions de lecteurs actifs, conjugués à une augmentation du revenu disponible, ont fait croître la demande pour les formats imprimés et numériques.
Des plateformes comme Dangdang et JD Books continuent d’étoffer leurs catalogues, tandis que les applications de livres audio et de lecture mobile connaissent un succès fulgurant. Le fait que les librairies physiques prospèrent encore parallèlement à la lecture numérique témoigne de l’étendue et de la diversité du marché.
Grâce à l’intense activité des consommateurs, les éditeurs chinois disposent des ressources financières nécessaires pour expérimenter de nouveaux formats, stratégies marketing et canaux de distribution. Ces conditions leur permettent de tester et d’affiner des modèles que d’autres marchés peinent à mettre en œuvre. Au cours de la prochaine décennie, cette vigueur du marché intérieur stimulera davantage les exportations de contenu de la Chine et son influence sur les tendances mondiales.
Bien que le marché ait dû faire face à des défis, tels que de féroces guerres de prix et un ralentissement du segment des livres pour enfants en raison de changements démographiques, sa capacité d’innovation reste forte.
Les éditeurs chinois s’adaptent rapidement à l’ère numérique, les plateformes de commerce électronique de vidéos courtes comme Douyin, l’équivalent chinois de TikTok, devenant des canaux de vente majeurs. Cette adoption rapide de nouveaux modèles de distribution confère aux éditeurs chinois une agilité supérieure à celle de leurs concurrents occidentaux, leur permettant d’atteindre instantanément un vaste public natif du numérique.
Par ailleurs, un sentiment croissant de fierté culturelle alimente la demande de contenus originaux et de grande qualité, mêlant récits traditionnels chinois et thèmes modernes. Cette volonté de développer des propriétés intellectuelles locales porte déjà ses fruits, les éditeurs s’engageant activement dans l’exportation de droits d’auteur et la conclusion d’accords de coopération internationale.
À mesure que la qualité de la littérature et des essais chinois s’améliore, le marché international connaîtra une augmentation constante des traductions, modifiant ainsi les priorités culturelles mondiales en matière de lecture. Par ailleurs, l’intelligence artificielle (IA) devenant de plus en plus essentielle dans le secteur de l’édition, l’avantage de la Chine devrait se renforcer.
Les grandes entreprises investissent massivement dans l’édition, la traduction et l’analyse de marché assistées par l’IA. Ces outils leur permettent d’identifier plus rapidement les manuscrits prometteurs, de personnaliser leurs recommandations aux lecteurs et de réduire leurs coûts de production.
Édition commerciale stratégique
L’internationalisation de l’édition commerciale chinoise s’inscrit pleinement dans une stratégie d’influence plus large, soutenue par le gouvernement. La Chine a ouvertement affirmé son ambition nationale de devenir une « puissance culturelle » d’ici 2035, et l’exportation de produits culturels, notamment les traductions et les droits d’auteur, contribuera à la réalisation de cette ambition.
Il ne s’agit pas d’un processus lent et organique, mais d’une stratégie menée par de grands conglomérats d’État comme le China Publishing Group Corporation et le China International Publishing Group. Ces géants déploient leurs ressources considérables pour s’implanter à l’international par divers moyens.
Des organisations telles que Foreign Languages Press et New World Press, filiales de China International Communications Group, publient des ouvrages en plusieurs langues étrangères, dont l’anglais, le français, l’allemand, l’espagnol, le japonais, l’arabe et d’autres, couvrant la société contemporaine, la littérature et les classiques culturels de la Chine.
Ce modèle soutenu par l’État promeut à l’étranger les récits privilégiés par la Chine grâce à une distribution dans plus de 180 pays via les exportations, la coédition et les partenariats afin de favoriser une compréhension mondiale.
Par ailleurs, les éditeurs chinois acquièrent rapidement les droits d’ouvrages internationaux. Ils nouent également des partenariats stratégiques avec des maisons d’édition internationales afin de coéditer des œuvres destinées à un public multilingue. Ces initiatives renforcent le rayonnement culturel de la Chine et permettent à ses éditeurs d’influencer le débat mondial.
Au cours de la prochaine décennie, on peut s’attendre à voir davantage de récits chinois circuler sur les marchés grand public, notamment en Asie, en Afrique et en Amérique latine, où les liens diplomatiques et économiques de la Chine sont les plus forts.
Essor des publications scientifiques
Tandis que l’édition commerciale connaît une expansion constante à l’étranger, une transformation encore plus profonde s’opère dans le secteur universitaire chinois. Les investissements colossaux et constants de la Chine dans la recherche et le développement l’ont déjà érigée en puissance scientifique et technologique.
Les preuves de cette ascension sont déjà évidentes : la Chine a dépassé les États-Unis en nombre d’articles scientifiques parmi les plus cités au monde, grâce à une croissance fulgurante de sa production scientifique annuelle. Cette production massive exige une infrastructure de publication à la hauteur.
L’accès libre est un autre domaine où la Chine progresse rapidement. Les changements de politique ont encouragé les institutions à créer des archives ouvertes, à partager des données et à adopter des pratiques de recherche plus transparentes.
Grâce à des investissements massifs dans les domaines des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM), la Chine s’impose rapidement comme une puissance de recherche. D’ici 2030, on prévoit que les éditeurs scientifiques chinois exerceront une influence mondiale encore plus importante, notamment en ingénierie, en médecine et en sciences de l’environnement.
Le gouvernement chinois encourage également la création de revues académiques de niveau international, gérées localement, afin de réduire sa dépendance vis-à-vis des entités étrangères. Cette initiative stratégique est accélérée par des investissements massifs dans l’édition numérique et les plateformes de partage des connaissances, permettant à ces éditeurs locaux de se moderniser et de se développer rapidement.
En développant sa propre infrastructure académique aux normes internationales, la Chine passe progressivement du statut de suiveur du modèle académique occidental à celui de concurrent majeur.
puissance douce et partenariats
L’édition est une forme de soft power, et la Chine en reconnaît la valeur. Des initiatives telles que l’initiative « la Ceinture et la Route » comportent des volets culturels, notamment des projets de traduction, des festivals de lecture et des échanges universitaires.
Grâce à ces programmes, les éditeurs chinois nouent des relations avec les marchés émergents et renforcent leur présence dans des régions où les éditeurs occidentaux ont historiquement dominé.
Ces partenariats débouchent souvent sur des coéditions ou des accords de distribution à long terme qui permettent aux livres chinois d’accéder à de nouveaux marchés. Ils encouragent également les auteurs et chercheurs locaux à collaborer avec leurs homologues chinois. À terme, ces relations façonneront la perception qu’ont les lecteurs du monde entier du savoir et de la culture mondiaux.
Le secteur de l’édition chinois entre dans une phase où ambition et capacités convergent enfin. Son vaste marché, ses investissements technologiques et sa stratégie culturelle à long terme lui confèrent un élan que peu d’autres peuvent égaler.
Au cours de la prochaine décennie, cette combinaison façonnera la production des récits, le partage des recherches et la circulation de l’influence culturelle au-delà des frontières. Si les tendances actuelles se maintiennent, la Chine sera en tête, car elle a posé les fondements nécessaires. Pour les éditeurs internationaux, la question n’est plus de savoir si ce changement se produira, mais à quelle vitesse ils pourront s’y adapter.
Zulkifli Musa est rédacteur pour Penerbit Universiti Sains Malaysia (USM), maison d’édition basée à Penang, où il gère les revues académiques et les initiatives d’édition numérique. Il travaille au sein du département marketing et supervise la stratégie en matière d’intelligence artificielle de l’organisation.
Views: 10



