Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le grand gel des avoirs russes de l’UE

Les élites de l’UE vont bientôt apprendre, comme Napoléon à Moscou, que certains blocages coûtent bien plus cher qu’ils ne rapportent. Dans un chapitre du livre que je viens de terminer et qui paraîtra en 2026, je prends de la distance avec la censure dont a été victime de la part de l’Humanité et de la Marseillaise notre livre, alors que l’Humanité est devenue le lieu de proclamation de notre adhésion à l’OTAN, et je me dis que tout cela n’a malheureusement pas grande importance. Ces gens-là sont hors jeu. « Cette incapacité à comprendre ce qui se joue et à chercher la responsabilité du peuple chinois dans sa propre déchéance pour éviter de mettre en cause l’UE et l’OTAN a toujours été imbécile et erronée, elle apparaît désormais suicidaire. » (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

par Sebastian Contin Trillo-Figueroa 18 décembre 2025

L’Europe s’apprête à saisir les avoirs russes gelés et à les transférer à l’Ukraine. Image : Capture d’écran X

On n’envahit pas la Russie en hiver. Napoléon l’a appris à ses dépens, confortablement installé dans les salons chauffés du Louvre, bien avant que quiconque puisse dérober les bijoux de l’impératrice sous le nez des gardiens de musée.

Quiconque croit que le grand jackpot européen de 2025 n’est qu’un leurre se trompe lourdement. Cette gêne s’estompera ; le véritable blocage se joue à Bruxelles, dans les salles du Conseil où des dirigeants qui ont passé des décennies à prêcher au monde entier le caractère sacré de l’État de droit mettent en œuvre un plan visant à transformer quelque 210 milliards d’euros (246 milliards de dollars américains) d’avoirs russes gelés en une machine à cash paneuropéenne.

Ce faisant, l’UE sacrifie sa crédibilité juridique, la confiance financière et la cohérence institutionnelle au profit d’une solution de facilité qui ne résout rien et laisse des dégâts irréversibles. Les dirigeants – affaiblis sur le plan intérieur, dépourvus de politique cohérente concernant l’Ukraine et ayant promis que la guerre ne coûterait rien aux Européens – se prennent désormais pour des comptables créatifs, cherchant des prétextes pour faire passer l’annexion pour une stratégie.

L’indignation morale, le désespoir et la juste révolte, habilement présentés, réécrivent des traités autrefois sacro-saints. Le passage de « l’effet Bruxelles » à l’opportunisme politique et financier marque la capitulation finale de l’élite : prêter à autrui en utilisant l’argent d’autrui comme levier est présenté comme un acte d’héroïsme légitime plutôt que comme une simple escroquerie.

1. La théologie de la commodité

Avant février 2022, les responsables européens prêchaient la pureté constitutionnelle avec une conviction quasi liturgique. Il y a trois ans, interrogez-en un seul sur la question de toucher aux biens d’autrui et il vous récitera le catéchisme : le caractère sacré de la propriété, la protection de la crédibilité de l’euro et l’épuisement de toutes les alternatives avant de franchir de telles limites. Ils auraient recalé un étudiant en droit de première année qui aurait proposé un tel arrangement ; aujourd’hui, ils le défendent comme une vision d’État novatrice.

https://9ab8746f0f9552742d8ca8bc5078d199.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-45/html/container.html

Ces politiciens, qui ne font office de dirigeants que par défaut, n’ont bougé que sous la pression de Donald Trump. Le plan ukrainien en 28 points de Trump et Poutine proposait de canaliser les ressources russes vers des entreprises commerciales à destination de Washington et de Moscou : Washington empocherait 50 % des bénéfices et le reste serait investi dans une entité commune russo-américaine.

Cela a révélé la véritable motivation : les représentants de l’UE agissaient moins par principe que par crainte d’exclusion, incapables de justifier leur passivité devant leurs électeurs. Le recours aux réserves s’est transformé en une course contre la montre pour devancer Washington, et la question de la survie politique primait sur celle de l’Ukraine ou de la justice.

En effet, un haut responsable américain a confirmé à Asia Times ce que les médias alternatifs avaient relayé : après une réunion le 15 décembre entre des négociateurs ukrainiens et américains à Berlin, le Premier ministre polonais Donald Tusk a souligné un profond fossé entre Washington et Bruxelles.

« Les Américains disent : “Laissez ces intérêts russes tranquilles.” » Si les États-Unis considèrent qu’un quelconque projet met en péril un accord de paix, quel est alors l’objectif d’Ursula von der Leyen, de Friedrich Merz et des autres ?

Et nous en sommes là. Les héritiers du marché unique considèrent désormais les règles comme facultatives, les ignorant dès que cela les dérange et révélant une classe politique paralysée par l’échec, incapable d’élaborer son propre plan de paix pour l’Ukraine près de quatre ans après le début de la guerre.

Il faut bien le dire, douze mois de pression américaine ont été éloquents : agir d’abord, justifier ensuite et masquer le désastre sous un vernis de rectitude morale. Les responsables européens sont ressortis du sommet écossais affaiblis mais convertis, appliquant la stratégie de Trump avec le zèle de disciples dévoués.

Depuis, les tactiques mafieuses de la ‘Ndrangheta’ se sont multipliées. Tout d’abord, après avoir modifié les règles car les règles existantes exigeaient l’unanimité, les autorités ont invoqué l’article 122, une clause d’urgence économique qui autorise l’approbation à la majorité qualifiée.

Ensuite, si un État majeur comme l’Italie s’abstient, l’équipe de Merz fait pression : les pays qui refusent de la soutenir « subiraient de graves conséquences financières », ce qui aurait « un impact négatif sur leur notation de crédit », a averti le ministre allemand des Affaires européennes, Gunther Krichbaum.

Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a qualifié l’opération de « déclaration de guerre ouverte » et de « violation flagrante du droit international », menaçant d’engager des poursuites judiciaires. Qu’elle soit intentionnelle ou non, cette fracture pourrait surprendre Bruxelles : le « Budapexit » apparaît désormais moins comme une intimidation que comme une issue plausible, un recul progressif et manifeste.

2. Prêt de réparation et sables mouvants juridiques

Bruxelles prévoit de convertir 210 milliards d’euros de réserves gelées de la banque centrale russe en garantie pour des prêts à taux zéro à l’Ukraine, saisissant ainsi des actifs qui n’appartiennent pas à l’UE et les remettant à un État non membre, avec des garanties qui pourraient engager les contribuables européens avec des dettes supérieures à l’ensemble de la crise de la dette grecque.

Qualifié de « prêt de réparation », ce dispositif officialise – directement ou indirectement – ​​la confiscation en un instrument de crédit prétendument légal. Faible comme moyen de pression sur la Russie et largement symbolique, il masque la piraterie et fait fi de tout précédent. Des chercheurs comme Luuk van Middelaar ont interpellé les législateurs : « Voler l’ennemi, un régime meurtrier – est-ce vraiment du vol ? »

La Banque centrale européenne a refusé de garantir l’opération, la qualifiant de « financement monétaire » prohibé. Même au sein des institutions de l’UE, ce plan repose sur des fondements fragiles. De même, la conversion des réserves souveraines en une arme politique mine la confiance dans les juridictions de l’UE en tant que refuge pour les banques centrales et les fonds souverains, avec des effets déstabilisateurs sur les marchés obligataires. Le Fonds monétaire international lui-même a appelé à la prudence, mettant en garde contre des conséquences imprévisibles pour la stabilité du système monétaire mondial.

La capacité de l’Ukraine à rembourser les fonds est pour le moins incertaine, laissant une fois de plus les citoyens européens endettés. Kiev ne rembourserait les fonds que si Moscou, une fois la guerre terminée, indemnisait les dommages causés, une condition déconnectée de la réalité, les réparations étant généralement versées après la défaite. Bruxelles qualifie cela de « solidarité », un argument repris par l’ancien avocat d’affaires Merz, le plus fervent défenseur du plan.

3. La bombe à retardement d’Euroclear

L’absurdité atteint son comble avec Euroclear, l’institution belge qui détient 185 milliards d’euros des réserves russes gelées et assure la conservation de titres pour le compte de banques centrales et de fonds souverains du monde entier. Tous observent avec quelle audace l’establishment européen manipule la finance internationale à des fins politiques.

Une fois les avoirs russes utilisés, tous les gouvernements ayant des fonds déposés en Europe se poseront la même question : et si c’était notre tour ? Pékin, Riyad, Delhi et Abou Dhabi verront apparaître un système où la frontière entre adversaire et déposant deviendra floue. Chaque compte pourrait être menacé lorsque l’opportunisme politique prime sur la sécurité financière.

Valérie Urbain, PDG d’Euroclear, a annoncé la possibilité de poursuivre l’UE en justice si la structure choisie pour utiliser les avoirs russes gelés s’apparente à une confiscation. « Nous sommes un maillon essentiel qui doit rester irréprochable pour la stabilité des marchés financiers. »

La Belgique se retrouve piégée par un problème de responsabilité. Les contrats d’Euroclear devraient l’obliger à rembourser la Banque centrale de la Fédération de Russie une fois les sanctions levées – une obligation qui relève de la seule juridiction belge. Si ces fonds sont transférés à l’Ukraine, la Belgique supportera la dette lorsque la Russie viendra la recouvrer, et sera donc exposée à toute pression que Moscou choisira d’exercer.

Dans l’intervalle, les conditions imposées par la Belgique s’apparentent à un frein d’urgence : mutualisation totale des risques entre les États membres, garanties de liquidités pour protéger Euroclear d’inévitables poursuites judiciaires et partage des charges qui regroupe les 185 milliards d’euros avec les 25 milliards d’euros dispersés entre la France, l’Allemagne, la Suède et Chypre. Le masque tombe lorsque l’Union ne parvient pas à obtenir le soutien du pays qui abrite ses propres institutions.

4. Blessure auto-infligée

La guerre menée par la Russie est illégale et exige des comptes, notamment des réparations. Moscou commet des atrocités, viole la souveraineté et abuse de son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, un siège que personne ne prend au sérieux. Rien de tout cela ne change un fait fondamental : la crise économique européenne n’est pas due à l’agression russe, mais aux choix de Bruxelles.

Le découplage inachevé du système énergétique russe fut auto-imposé, exécuté sans préparation et mené comme si les marchés pouvaient se plier à un élan moral. Il faisait suite à des décennies de politique de « marche dans le vide », longtemps saluée comme visionnaire, puis condamnée du jour au lendemain comme catastrophique. Ce coup dur auto-infligé rend la position actuelle de Bruxelles absurde : vous m’avez forcé à me nuire, alors maintenant je saisis vos actifs, les remets à un tiers extérieur à mon union et appelle cela une noble justice.

Les Ukrainiens méritent d’être soutenus. Or, ce plan révèle l’absence en Europe d’un cadre de reconstruction sérieux et son refus de le financer sur ses propres ressources. Il instrumentalise la zone euro pour justifier une justice expéditive, tout en alourdissant les responsabilités de l’UE : combattre l’illégalité par l’illégalité dévoile un leadership englué dans une spirale infernale.

Comparez cela aux réactions antérieures des citoyens qui ont accepté des millions de réfugiés, fourni une aide généreuse et autorisé les représentants à fournir des munitions – autant de mesures plus ou moins conformes aux valeurs européennes sans mettre en péril l’euro ni l’ordre juridique.

Existe-t-il d’autres solutions ? Si oui, les dirigeants ne les ont pas trouvées. Pourtant, Bruxelles aurait pu s’appuyer sur la notation AAA de la Norvège – la plus élevée au monde – pour garantir les prêts. La Norvège a profité de la guerre grâce à l’augmentation de ses ventes de gaz à l’Europe à des prix exorbitants. Accorder une garantie aurait permis à Oslo de contribuer sans que Bruxelles ne mette à mal ses propres fondements juridiques. Au lieu de cela, Bruxelles a choisi la voie qui mine la confiance.

5. Un précédent qui se détruit lui-même

Banques centrales, ministères des Finances et experts lancent le même avertissement : rompre avec les précédents, c’est s’exposer à une perte de confiance. Le contraste avec les débuts de l’intégration européenne est saisissant. Les architectes de l’euro avaient compris que la crédibilité repose sur la discipline, même lorsque celle-ci est contraignante. Le marché unique visait à prévenir les distorsions ; l’euro, lui, a imposé cette discipline. Aujourd’hui, la zone euro gère mal ses réserves de change tout en demandant aux investisseurs internationaux de faire confiance à son système.

Des décennies de confiance survivront-elles à cette faille ? Non, car chaque violation banalise la suivante. Même le prix Nobel Joseph Stiglitz, partisan de cette mesure, avance un argument fragile : « Il est à noter qu’il n’y a pas eu de fuite de capitaux des États-Unis ou d’Europe. Cela tient au fait qu’il existe peu d’alternatives sûres au système financier établi. »

Si les gouvernements venaient à hésiter à conserver leurs actifs aux États-Unis, en Europe ou au Japon, où les placeraient-ils ? En résumé : démantelons le système, car les options de sortie sont limitées. Henry Kissinger, malgré son cynisme, paraît presque romantique face au réalisme que défendent aujourd’hui certains économistes.

Néanmoins, la saisie du capital ouvre la porte à des poursuites judiciaires qui pourraient s’éterniser, sans aucune garantie d’issue. Pire encore, elle signale à toutes les banques centrales que les réserves en euros déposées dans les chambres de compensation européennes sont susceptibles d’être confisquées politiquement, sapant ainsi la confiance dans le statut de monnaie de réserve de l’euro.

Si Bruxelles persiste malgré les objections, les répercussions politiques seront bien plus graves que toute aide financière à l’Ukraine. Les adversaires n’auront plus besoin de propagande : il leur suffira de citer des responsables européens expliquant pourquoi les règles ne s’appliquent plus quand elles les gênent, pourquoi les droits de propriété s’effacent sous la pression morale et pourquoi la même institution qui poursuit les États membres pour violations budgétaires considère désormais les réserves de change comme une manne financière.

Nouvelle réalité européenne

Le gel des avoirs marque le moment où la classe politique européenne a abandonné toute prétention de croire que le droit limite le pouvoir, enterrant ainsi « l’effet Bruxelles ». Les responsables qui, jadis, élaboraient des cadres pour limiter le pouvoir discrétionnaire célèbrent désormais ouvertement son exercice sans limites. Les institutions qui, autrefois, punissaient la comptabilité créative la pratiquent désormais elles-mêmes.

Il ne s’agit pas de force, de démonstration de pouvoir constitutionnel, ni d’affirmation de souveraineté, autant d’actes que les gouvernements et leurs courtisans célèbrent avec euphorie dans des récits épiques dénués de bon sens ; il s’agit d’épuisement déguisé en détermination. Le Louvre récupérera peut-être ses joyaux volés, mais l’Europe ne recouvrera jamais la crédibilité sacrifiée lorsque l’expropriation est présentée comme une forme de justice.

Entre-temps, les dirigeants européens sont sur le point de découvrir ce que Napoléon a appris à Moscou : certains blocages ont un coût bien plus élevé qu’ils ne rapportent. Les conséquences se feront sentir à travers des procès, la fuite des déposants, un euro plus faible et un ordre financier rongé par les précédents.

D’ici là, les architectes et les champions de ce projet — von der Leyen, Merz, Macron et Sanchez — auront quitté leurs fonctions, obligeant leurs successeurs à justifier pourquoi la parole de l’Europe n’a plus de valeur et pourquoi les règles qui définissaient autrefois l’Union se sont effondrées dès qu’elles sont devenues inopportunes.

Sebastian Contin Trillo-Figueroa est un stratège géopolitique basé à Hong Kong, spécialisé dans les relations Europe-Asie.

Views: 54

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.