Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le festin, le « complot » ou l’art d’avoir raison jusqu’à l’effondrement…

Jeudi 4 septembre, “le président Trump a réuni les patrons des plus grandes entreprises de la tech au monde” à la Maison-Blanche pour un repas somptueux, relate The Wall Street Journal. Et “chaque participant l’a remercié et félicité à tour de rôle” pour son soutien à l’innovation. Les géants de la tech, dont le PDG d’Apple Tim Cook, le patron d’OpenAI Sam Altman, le fondateur de Microsoft Bill Gates et celui de Meta Mark Zuckerberg, ont chacun “remercié le président, certains précisant le montant que leur entreprise a prévu d’investir aux États-Unis”. Seul Elon Musk manquait occupé à pomper jusqu’au dernier centime des actionnaires de Tesla. Cette scène de banquet était une réponse spectaculaire ou qui voulait l’être à ce que la puissance chinoise venait de démontrer. Mais il est caractéristique des empires sur le déclin de jouer avec le thème des « festins », des « prophéties, qui sont caractéristiques de l’ultime effondrement, bref la paranoïa est l’ultime mise en scène.

Fort heureusement on peut aussi estimer que ce grand guignol permanent se heurte à un monde qui ne veut pas la guerre et s’ingéniera partout à en démonter les grandiloquences et le cauchemar a toute chance d’être nôtre…

Le livre « quand la France s’éveillera à la Chine, la longue marche vers un monde multipolaire » aurait dû susciter deux réflexions pour ceux, relativement nombreux, qui en ont eu connaissance. La première est qu’il a été remis à l’éditeur en novembre 2024, alors que Trump à qui est attribuée la crise actuelle n’était pas encore au pouvoir et n’avait pas encore inventé sa guerre tarifaire. Et pourtant ce livre paraît décrire la situation actuelle. Il n’y a à ce fait qu’une explication rationnelle : tout était déjà là même si personne ne le voyait. La deuxième réflexion est pourquoi si tout était déjà là pouvait-on ignorer à ce point la réalité ? En effet si tout était déjà là, c’est que Trump n’est pas à l’origine de l’apocalypse qu’il paraît avoir déclenchée et pourtant il l’est à sa manière, par le caractère brutal qu’il a adopté en tant que syndic de faillite, l’apparente incohérence avec laquelle il est en train de se débattre quitte à détruire l’économie mondiale, à multiplier les foyers de guerre et aller même jusqu’à la guerre nucléaire et donc le spectacle que l’on ne peut ignorer tant la mise en scène est l’essentiel.

Trump donne ce sentiment d’apocalypse alors qu’il lutte avec les armes habituelles de l’impérialisme qui se retournent en boomerang contre lui : la militarisation du dollar, l’armée au coût le plus élevé de la planète, ses bases, les sanctions, les blocus. Il se débat comme quelqu’un qui se noie, contre ce qui apparaît comme un mouvement irrésistible. Dans son « l’Amérique d’abord » qui est tout sauf une nouveauté, il amplifie le désordre et le désarroi dans le monde, mais d’abord aux Etats-Unis et chez « les alliés » eux-mêmes. Les Etats-Unis comme la plupart des pays de l’hégémon occidental ne sont pas seulement des nations, ils forment un système de pillage entré en crise interne et externe. Ils ont imposé au reste du monde leur caprice par le biais financier et militaire, ils faisaient la loi, la monnaie dollar, mais aussi euro, mais non seulement le reste du monde résiste mais la crise est interne avec une inflation galopante et des divisions communautaires entretenues jusqu’à la guerre civile. Le paradoxe est que les alliés qui subissent les effets directs de cette autodestruction du système ont un personnel politique encore plus belliciste que celui des USA, tenté par un moratoire, mais parce qu’ils craignent de finir abandonnés par les USA et confrontés alors à la colère et à la violence de leur peuple qu’ils n’ont cessé de trahir. Le cas de Zelenski et Netanyahou voulant toujours plus de guerre est contagieux.

Pourquoi notre société française est-elle la proie d’une hallucination qui l’empêche de voir cette réalité? Et pourquoi cela engendre-t-il des phénomènes de superstition collective caractéristiques des crises profondes dans lesquelles nous avons à la fois un développement scientifique et technique, une capacité accrue à la connaissance et à la maitrise par les êtres humains des défis auxquels ils sont confrontés avec dans le même temps la montée des superstitions les plus étranges et des chasses aux sorcières et des boucs émissaires ? C’est le deuxième FAIT, dont il est question ici : en quoi l’art d’avoir toujours raison de la planète finance qui nous gouverne peut-elle muter dans la superstition pure et simple ?

Comment avons-nous subi tous les discours sur la toute puissance sans rival de l’occident, la désindustrialisation, une économie qui a détruit sa base matérielle et est allée selon la logique impérialiste l’implanter dans ce qui était le monde en développement, colonisé qui est devenu « émergent ». La classe dominante de l’occident est le produit de cette financiarisation et son idéologie est celle que décrit Marx dans la section 1 du capital, le fétichisme n’est même plus celui de la marchandise, il a été celui du dieu dollar et de sa toute puissance. Il y a dans le monde de la finance, dans le primat de ce qui est le monétaire, une référence au signe qui frôle la superstition.

Ce fétichisme et ses croyances fait songer au grand pessimiste idéaliste du système qu’est Schopenhauer et qui a tenté de définir l’inconscient de cette société en matière philosophique. Il n’y a plus recherche de la vérité mais le sophisme à une échelle rarement atteinte puisqu’il a bénéficié du monopole du discours à l’échelle mondiale avec des moyens inconnus à ce jour. Schopenhauer a longuement décrit la dialectique éristique ou l’art d’avoir toujours raison, c’est une ré-interprétation des sophistes qui démontrent n’importe quoi, mais qui devient chez lui une technique de controverse qui a peu à peu envahi nos sociétés avec les moyens modernes et on peut ajouter capitalistes du pilonnage. Cette technique, qui peut apparaître comme une forme d’art, repose sur la distinction entre la vérité objective d’une proposition et l’apparence de vérité que cette proposition peut prendre aux yeux des disputeurs et des auditeurs. La finalité de cet art est de fournir des moyens pour parvenir à cette dernière apparence, afin de convaincre les auditeurs que l’on a raison, même si l’on a objectivement tort. On peut penser que toute la société capitaliste s’est autoconvaincue y compris sa classe dominante d’avoir raison et que ses propres critères de santé économique, politique, idéologique sont les seuls crédibles.

C’est à qui formulera le plus beau compliment aux puissants pour l’entretenir dans sa gloriole, nous vivons un banquet perpétuel dans lequel chacun est nourri en fonction de cette capacité à entretenir l’illusion non seulement de la toute puissance mais de la légitimité de celle-ci.

Quand on lit ou écoute le désarroi provoqué par le grand spectacle qui a eu lieu à Pékin, l’OCS, puis le défilé de la victoire, de ce monde financier et de celui du personnel politique chargé de porter ses seuls intérêts, on ne peut manquer d’être frappé par la théâtralité de l’effroi. Il vient non seulement du spectacle du monde qui s’oppose à leur ÊTRE prédateur, mais de fait très concret, l’Asie représente désormais à elle seule 51% des échanges commerciaux mondiaux et ceux-ci se sont tournés avec la Chine et la Russie vers le Sud.

Ce que Trump a interprété comme un « complot » avec son art particulier d’inverser les causes et conséquences.

C’est parce que les sociétés et leurs puissants mais aussi « leurs opposants » officiels, se sont autoconvaincus d’avoir raison contre toutes les évidences qu’ils sont la proie de telles superstitions. La chute de l’empire romain a été celle d’une gigantesque crise monétaire avec l’incapacité de payer de fait les légions qui allaient toujours plus loin chercher produits et esclaves nécessaires aux grands domaines de la ville empire, mais la chute à grand spectacle parait être celle de superstition religieuse et barbare. Les chutes d’empires et de royaumes tombés dans la décadence sont des grands classiques et le rôle de la « prophétie » en marque le caractère stupéfiant, la faveur du ciel est retirée aux puissants et le meilleur signe en est que ce qui devait assurer la puissance éternelle s’avère être leur vulnérabilité. Quand on lit la manière dont les financiers voient ce qui s’est passé à l’OCS, c’est le caractère impossible de la rencontre entre l’Inde et la Chine qui définit la fin de l’impérialisme américain et de l’UE … c’est la prophétie de Macbeth.

Chassériau : Macbeth, encore le banquet dans lequel les puissants festoient pendant que le spectre de leur crime les hante… parce qu’il sont trop vains, incapables de conserver le pouvoir même par le sang…

Nous sommes dans la prophétie de Macbeth. Chez Shakespeare, la tragédie vire déjà au drame bourgeois et la volonté du couple de s’emparer du pouvoir inspirera Ubu d’Alfred Jarry. Dévoré d’ambition, le général Macbeth commet le crime de régicide pour s’emparer du pouvoir, poussé par son épouse Lady Macbeth, mais la culpabilité et la paranoïa les font peu à peu sombrer dans la folie. Cette pièce dont on pense qu’elle a été écrite à l’avènement du roi écossais Jacques VI sur le trône d’Angleterre en 1603, le fils de Marie Stuart tuée par Elizabeth Première. Elle est publiée pour la première fois dans le Premier Folio en 1623. C’est un profond bouleversement qui va dans la réalité monter jusqu’à l’exécution de Charles premier et la première révolution de la cité face aux féodaux.

Macbeth, qui ne cesse d’errer en proie aux doutes et hallucinations, poussé par l’ambition de son épouse parvient tout de même à poignarder le roi endormi pour prendre sa place pendant que son épouse maquille de son sang les serviteurs endormis. Mais après le crime, le régicide divague. On retrouve dans la pièce les délires du roi de Ninive qui voit des fantômes au cours du festin (1). Macbeth se rend auprès de trois sorcières et leur demande la vérité sur l’avenir de son pouvoir. Elles invoquent d’effroyables apparitions pour lui répondre : une tête casquée lui dit de se méfier de Macduff, un enfant ensanglanté lui annonce que nul homme né d’une femme ne pourra le blesser, et un enfant couronné tenant un arbre dans la main lui prédit que rien de mal ne peut lui arriver tant que la forêt de Birnam ne s’est pas mise en marche vers la colline de Dunsinane. Ces prophéties apparemment irréalisables rassurent Macbeth, ou du moins lui donnent la volonté de poursuivre dans la paranoïa et la répression et la folie continue à monter autour de lui. Lady Macbeth voit des tâches de sang sur ses mains et se suicide. La noblesse écossaise, épouvantée par la tyrannie et la violence de Macbeth, apporte son soutien au prétendant. Macbeth apprend que sa femme s’est suicidée. Il sombre dans un profond désespoir et médite sur le caractère éphémère et dénué de sens de l’existence. Cela ne l’empêche pas de fortifier Dunsinane, car il garde foi dans les prophéties des sorcières et reste persuadé de son invincibilité. Les soldats, qui marchent vers le château de Dunsinane, se dissimulent sous des branches d’arbres coupées dans le bois de Birnam. En apprenant que l’armée anglaise approche sous le couvert des branchages du bois de Birnham, la peur s’empare de lui. Mais ce qui l’achève est que dans la bataille qui s’ensuit, Macbeth se retrouve face à face avec Macduff. Ce dernier lui apprend qu’il satisfait à la prophétie des sorcières, car il est né par césarienne : ayant été arraché avant terme du ventre de sa mère, il n’est donc pas « né d’une femme ». Macbeth comprend qu’il est condamné, mais il lutte jusqu’à la mort. Macduff remonte sur scène avec la tête de Macbeth à la main. Malcolm annonce le rétablissement de l’ordre avec son avènement et invite l’assemblée à assister à son couronnement à Scone.

Notons qu’avec la Fronde comme à la veille de la révolution française nous allons avoir un autre festin et son fantôme célèbre : la statue du commandeur invité par l’impie don juan, figure vivante du caprice seigneurial.

Certes comparer Bayrou, Macron, Ursula von der Leyen et les 26 conjurés qui tentent de faire pression sur Trump à Macbeth qui se sont autoconvaincus de leur aspect inexpugnable peut paraître excessif, ils sont plus proches d’Ubu roi et du vaudeville bourgeois ou des bergeries de Marie Antoinette.

Il est stupéfiant de voir comment notre classe dominante, son personnel politique qui s’était convaincu de « la fin de l’histoire » et du triomphe indépassable du « libéralisme », l’analyse marxiste renvoyée par la chute de l’URSS à l’échec revoit surgir avec le trio infernal Chine, Corée du nord mais aussi Russie et d’autres forces anti-impérialistes ce qu’elle croyait impensable mais quand de surcroit c’est tout le monde du Sud qui vient célébrer la victoire de la deuxième guerre avec le front Pacifique malgré Hiroshima, là c’est la prophétie de la forêt qui marche qui s’impose.

Mais là où l’art d’avoir toujours raison ou l’éristique a incontestablement fait des dégâts c’est quand il n’y a plus aucune opposition, quand la gauche et même une partie importante des communistes en proie au crétinisme parlementaire le plus aigu ne peut elle-même se détacher d’une telle analyse. Rosa Luxembourg a déjà décrit à propos de Jaurès, qui valait au moins sur la question de la guerre mieux que ça ce qui caractérisait la France et allait lui faire choisir l’union sacrée. Il y avait d’un côté, le syndicalisme révolutionnaire, la charte d’Amiens, le mythe de la grève générale c’est-à-dire l’art et la manière quand il n’y a aucune issue politique de s’affaiblir soi-même. Et cette courte vue se combinait avec Millerrand, c’est à dire le compromis municipal ou l’art de pactiser avec n’importe qui pour conserver un poste d’élu, le tout combiné avec une étroitesse de colonialiste persuadé d’apporter aux « barbares » le savoir et les bonnes mœurs. La grande période du péril jaune…

L’analyse marxiste paraît à certains membres du parti communiste comme susceptible de ne convaincre que les convaincus et seules les « prophéties » des libéraux, leurs analyses ont un semblant de véracité, d’ailleurs plus personne ne prend la peine de lire Marx, Lénine, quelques extraits hors contexte ou son interprétation par quelques gourous avec ses obsessions… A complètement disparu la nécessité d’un parti dans lequel la classe ouvrière dépasserait ce que l’ouvriérisme exalte, son ignorance, sa faiblesse, sa haine du savoir… Au lieu de placer toutes ses billes dans un électoralisme qui vise des magistratures de plus en plus branlantes, tout aurait dû être investi dans un parti capable de rassembler les victimes non pas de ce qui nait mais de ce qui prétend résister à ce qui nait.

De tout cela ce livre parle abondamment mais il est évident que la régression, l’autodestruction fait que l’on est incapable de lire plus d’un paragraphe et l’on peut féliciter ceux qui seront allés jusque là, en espérant que le peuple français arrivera à sortir de son cauchemar et s’éveillera à ce qui lui est réellement proposé, pour le moment nous en sommes loin…

Dora B

(1) La référence est cette fois l’explication du prophète Daniel face au roi de Babylone, dont voici le récit :

Soudain on vit apparaître, en face du candélabre, les doigts d’une main d’homme qui se mirent à écrire sur la paroi de la salle du banquet royal. Lorsque le roi vit cette main qui écrivait, il changea de couleur, son esprit se troubla, il fut pris de tremblement, et ses genoux s’entrechoquèrent. Le roi cria de faire entrer les mages, les devins et les astrologues. Il prit la parole et dit aux sages de Babylone : « L’homme qui lira cette inscription et me l’interprétera, on le revêtira de pourpre, on lui mettra un collier d’or, et il sera le troisième personnage du royaume. » Tous les sages du roi entrèrent donc, mais ils ne purent lire l’inscription ni en donner au roi l’interprétation. Le roi Balthazar en était épouvanté : son visage changea de couleur, et les grands du royaume furent atterrés. On fit venir Daniel devant le roi, et le roi lui dit : « Es-tu bien Daniel, l’un de ces déportés amenés de Juda par le roi mon père ? J’ai entendu dire qu’un esprit des dieux réside en toi, et qu’on trouve chez toi une clairvoyance, une intelligence et une sagesse extraordinaires. Et maintenant on a fait venir en ma présence les sages et les mages pour lire cette inscription et m’en faire connaître l’interprétation. Mais ils n’ont pas été capables de me la donner. J’ai entendu dire aussi que tu es capable de donner des interprétations et de résoudre des questions difficiles. Si tu es capable de lire cette inscription et de me l’interpréter, tu seras revêtu de pourpre, tu porteras un collier d’or et tu seras le troisième personnage du royaume. »

Daniel répondit au roi : « Garde tes cadeaux, et offre à d’autres tes présents ! Moi, je lirai au roi l’inscription et je lui en donnerai l’interprétation…


En voici le texte : Mené, Mené, Teqèl, Ou-Pharsine.
Et voici l’interprétation de ces mots : Mené (c’est-à-dire “compté”) : Dieu a compté les jours de ton règne et y a mis fin ;Teqèl (c’est-à-dire “pesé”) : tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé trop léger ; Ou-Pharsine (c’est-à-dire “partagé”) : ton royaume a été partagé et donné aux Mèdes et aux Perses. »


Alors, Balthazar ordonna de revêtir Daniel de pourpre, de lui mettre au cou un collier d’or et de proclamer qu’il deviendrait le troisième personnage du royaume.
Cette nuit-là, Balthazar, le roi des Chaldéens, fut tué.

Rembrandt : le festin de Balthazar

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