Histoire et société

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La visite de Macron en Chine : le sentiment d’urgence de l’Europe

Un irrépressible “sentiment d’urgence”… C’est en ces termes, dans les colonnes du magazine Fenghuang, que le politologue chinois Gu Xuewu, professeur à l’université de Bonn, décrit les tenants de la visite d’Emmanuel Macron en Chine, qui se déroule du 3 au 5 décembre à Pékin et à Chengdu. Cet empressement, selon lui, “découle d’abord de l’impulsion donnée par le réajustement de la politique américaine à l’égard de la Chine”. L’auteur souligne une sorte de perfidie de la part de des États-Unis de Donald Trump envers leurs alliés européens traditionnels, dont il semble regretter le manque d’“autonomie stratégique” : d’un côté, “Washington fait pression sur les pays européens pour qu’ils ne se rapprochent pas trop de la Chine” ; mais, en parallèle, “Trump ignore totalement le point de vue européen en plaidant pour une sorte de ‘G2’ entre les États-Unis et la Chine”. Notez à quel point ce commentateur chinois (professeur d’université à Bonn mais qui écrit en chinois) décrit à propos de Macron un personnage dirigé par ses seules ambitions personnelles. Ce qui impliquerait de la part de forces politiques ayant un minimum de responsabilité de placer la relation nécessaire avec la Chine sous l’angle de l’intérêt de la France, donc d’avoir également une politique « face à l’urgence » il n’en est rien. Et l’ignorance volontaire dans laquelle les dirigeants politiques de gauche se maintiennent face à la Chine pèse lourdement, on ne fait pas la politique de la France seulement à partir de l’électoralisme au jour le jour. (note et traduction avec deepl de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

La visite de Macron en Chine : l'impatience de l'Europe

Auteur | Gu Xuewu

Professeur titulaire à l’Université de Bonn, en Allemagne

Edité par Li Shaowei

À compter d’aujourd’hui (3 décembre), le président français Emmanuel Macron entame une tournée de trois jours en Chine, comprenant des visites à Pékin et à Chengdu.

Outre Emmanuel Macron, le chancelier allemand Merz et le Premier ministre britannique Starmer prévoient également de se rendre en Chine l’année prochaine. M. Merz a déclaré publiquement à plusieurs reprises que ses entretiens avec le Premier ministre Li Qiang lors du sommet du G20 au Brésil avaient été très constructifs et qu’il se réjouissait de se rendre à Pékin en janvier. M. Starmer n’a pas encore précisé la date de son voyage à Pékin, mais son projet de visite en Chine l’année prochaine a déjà fuité sur Internet, apparemment en janvier, faisant de la Chine le premier pays qu’il visitera l’année prochaine.

Bien que le gouvernement chinois, d’ordinaire prudent, n’ait pas confirmé la visite de Merz et Starmer en Chine, ces informations sont déjà de notoriété publique en Europe. L’empressement de trois grandes puissances européennes à se rendre en Chine constitue un phénomène remarquable. Ajouté à la récente visite du roi d’Espagne, il semble que toute l’Europe gravite désormais autour de la Chine.

Les répercussions de l’apaisement des relations entre les États-Unis et la Chine

Il est extrêmement rare que les chefs d’État et de gouvernement des trois grandes puissances – France, Royaume-Uni et Allemagne – aient déjà effectué ou s’apprêtent à effectuer des visites consécutives à Pékin. Cela indique que Paris, Berlin et Londres sont non seulement parvenus à un consensus sur leur position quant au développement des relations avec la Chine, mais partagent également un même sentiment de l’urgence à améliorer ces relations.

Ce sentiment d’urgence découle principalement de l’impulsion donnée par le réajustement de la politique américaine à l’égard de la Chine.

Depuis des années, Washington fait pression sur les pays européens pour qu’ils ne se rapprochent pas trop de la Chine. Mais comme par le passé, lorsque les États-Unis souhaitent soudainement se rapprocher de la Chine, ils n’en informent pas leurs prétendus alliés proches, les laissant complètement désemparés. La rencontre entre les dirigeants chinois et américains à Busan n’est autre que la répétition de ce schéma historique.

Suite à la rencontre de Busan entre les dirigeants chinois et américains, Washington a annoncé qu’il désignerait à nouveau 2026 comme l’année des visites mutuelles entre les deux chefs d’État par le biais de la diplomatie téléphonique, alimentant les spéculations quant à une amélioration des relations entre Washington et Pékin.

Le 30 septembre 2025, heure locale, le président américain Donald Trump a répondu aux questions des journalistes à la Maison-Blanche à Washington, D.C. / Photo : Hu Yousong, Agence de presse Xinhua

Le 30 septembre 2025, heure locale, le président américain Donald Trump a répondu aux questions des journalistes à la Maison-Blanche à Washington, D.C. / Photo : Hu Yousong, Agence de presse Xinhua

Les pays européens perçoivent un signal inquiétant. Trump n’a fait aucun effort pour dissimuler son plaidoyer en faveur d’une relation « G2 » entre les États-Unis et la Chine sur ses réseaux sociaux, ignorant totalement le point de vue européen. Les Européens sont désormais contraints de se demander avec inquiétude : si une telle relation « G2 » voit le jour, quelle sera leur place ?

Trump a annoncé qu’il se rendrait en Chine en avril prochain à l’invitation des États-Unis et attend avec intérêt la visite de Xi Jinping prévue plus tard dans l’année. On comprend aisément pourquoi l’Europe, si elle ne veut pas se retrouver dans une position encore plus passive, doit se rendre en Chine avant Trump. La communauté internationale a longtemps eu l’impression que « l’Europe est à la solde des États-Unis », et c’est en grande partie vrai. Si l’Europe se rend en Chine après la visite de Trump, cette impression se renforcera et la placera dans une situation délicate.

Dans ce contexte, il serait préférable de saisir l’occasion et d’envoyer un signal fort à Pékin : l’Europe espère donner le ton des futures relations bilatérales avant la visite de Trump en Chine, en soulignant son « autonomie stratégique » qui n’a jamais été qu’un vœu pieux.

Macron cherche à percer sur le plan politique

Ce sentiment d’urgence découle également des inquiétudes quant à l’issue de la guerre russo-ukrainienne.

À en juger par les déclarations publiques de ces trois dirigeants, Berlin, Londres et Paris ne doutent pas de la détermination de Trump à mettre fin à la guerre en sacrifiant l’Ukraine et en cédant aux exigences de la Russie.

Comment mettre fin à la guerre de manière plus digne pour l’Ukraine et l’Europe ? C’est une question qui préoccupe fortement les responsables politiques européens. À leurs yeux, seule la Chine exerce une réelle influence sur la Russie. Face à la situation actuelle, nul n’ose se permettre de relâcher sa vigilance.

Ce sentiment d’urgence était également lié aux besoins individuels de chacun d’eux.

La pression exercée par la France pour renforcer sa coopération avec la Chine est liée aux difficultés internes et externes que rencontre actuellement Macron.

Sur le plan intérieur, le président français est de facto déjà en position de faiblesse. La dissolution impulsive du Parlement l’an dernier lui a fait perdre sa majorité, entraînant la succession de plusieurs Premiers ministres en l’espace d’un an. Il gouverne désormais en faisant d’importants compromis avec l’opposition et ses adversaires politiques. Son ambitieux programme de réformes est truffé d’incohérences et ses objectifs sont devenus de plus en plus inatteignables.

Macron

Macron

Après l’échec prématuré de sa politique intérieure, l’influence de Macron sur la Commission européenne a également fortement décliné. Dans le conflit tarifaire avec les États-Unis, Macron, sincèrement ou non, a exigé qu’Ursula von der Leyen tienne bon et ne cède jamais aux pressions américaines, mais cette dernière a ignoré les appels de son ancien mentor et s’est tout de même soumise à Trump sur son terrain de golf irlandais.

Alors que son pouvoir politique intérieur s’affaiblit, que la Commission européenne se sent de plus en plus à l’écart et que les États-Unis prennent leurs distances, Macron se tourne vers la Chine pour sortir de cette impasse politique. Ce jeune président français, ambitieux mais sans éclat particulier, espère manifestement renforcer son influence et son prestige politiques en se rendant en Chine et en nouant une forme de coopération avec Pékin.

La « confiance de Macron envers la Chine » repose sur ses relations politiques relativement bonnes avec ce pays. L’année dernière, lors de la visite du président Xi Jinping et de son épouse en France, Macron a soigneusement orchestré cette visite afin de renforcer ses liens avec le dirigeant chinois, confortant ainsi sa conviction de pouvoir tirer profit d’un renforcement des relations avec la Chine à des moments cruciaux.

La position de Merz est mise à l’épreuve.

Plus de six mois se sont écoulés depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement allemand, et Berlin n’a toujours pas élaboré sa propre « stratégie pour la Chine », laissant toute la société dans l’incertitude.

En particulier, nombreux sont ceux, dans les milieux d’affaires et universitaires, qui souhaitent développer activement les relations avec la Chine. Cependant, la stratégie extrêmement négative du précédent gouvernement à l’égard de la Chine persiste et entrave encore leur développement. Si Berlin ne définit pas de nouvelles orientations pour ses relations avec la Chine, celles-ci risquent fort de prendre un retard considérable par rapport à celles des autres pays.

Le gouvernement Merz semble hésiter sur la manière de définir la Chine. Le gouvernement précédent la qualifiait de « partenaire, concurrent et adversaire systémique », une vision à laquelle Pékin s’oppose fermement. Pékin n’accepte que le terme de « partenaire », concède à contrecœur celui de « concurrent », mais rejette catégoriquement l’argument, irréaliste et idéologiquement biaisé, d’« adversaire systémique ». Cette attitude moralisatrice de l’Allemagne a entraîné un net refroidissement des relations sino-allemandes.

C’est un test pour le gouvernement Merz. Sans renoncer à l’étiquette d’« adversaire », les relations sino-allemandes ont peu d’avenir.

Merz

Merz

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Waldhofer, avait prévu de se rendre à Pékin en octobre, mais son excès de confiance a entraîné un refus. Depuis, sa position intransigeante envers la Chine s’est quelque peu adoucie, mais il persiste à la qualifier de « rivale systémique ». Récemment, lors d’une réunion à l’hôtel de luxe ADLON à Berlin, le ministre allemand a revu sa position antérieure, « toujours hostile », à l’égard de la Chine, la qualifiant de « partenaire et concurrente », avant d’ajouter que le facteur de « rivalité systémique » existait également dans les relations sino-allemandes. Le décalage entre ses paroles fermes et son manque de fermeté réelle est flagrant.

L’Allemagne subit déjà les conséquences de son éloignement de la Chine. Son économie atone a plus que jamais besoin du marché chinois et de l’engagement de la Chine à fournir des terres rares aux entreprises allemandes. L’économie allemande risque d’être vidée de sa substance par les États-Unis. Face au « nouveau protectionnisme commercial » américain qui pousse de plus en plus d’entreprises et de capitaux allemands à s’installer aux États-Unis, stabiliser et renforcer les liens économiques et commerciaux avec la Chine revêt une importance stratégique majeure pour le gouvernement Merz, dont la mission est de « redynamiser l’économie allemande ».

Le nouveau « Comité Chine » interpartis créé par le gouvernement et le parlement allemands doit élaborer d’urgence une nouvelle « stratégie Chine » avant la visite de Merz en Chine ; sinon, même si Merz vient, il n’y aura aucune condition préalable au développement de relations efficaces.

Le dilemme de Starmer

Le gouvernement travailliste de Starmer fondait ses espoirs de relance de l’économie britannique, atone depuis le Brexit, sur sa « stratégie à deux roues » : le retour à l’écosystème européen et l’ouverture au marché chinois. La première roue a fonctionné relativement bien, mais la seconde a constamment vacillé et grincé, sans jamais trouver sa voie.

D’après les données des douanes chinoises, en 2024, la Chine était le sixième partenaire commercial du Royaume-Uni pour ses exportations, avec un montant total de 16,7 milliards de livres sterling. Elle se classait ainsi derrière les États-Unis (59,3 milliards de dollars), l’Allemagne (32,1 milliards de dollars), les Pays-Bas (27,9 milliards de dollars), l’Irlande (23,9 milliards de dollars) et la France (23,2 milliards de dollars). Les États-Unis constituent un marché d’exportation traditionnel pour la Grande-Bretagne depuis l’époque coloniale, et les autres pays sont tous des voisins proches ; de ce fait, la Chine représente de facto le principal partenaire commercial du Royaume-Uni pour ses exportations extraterritoriales. Du point de vue des importations, le premier fournisseur du Royaume-Uni est l’Allemagne (40,9 milliards de dollars), suivie de la Chine (25,5 milliards de livres sterling), puis des États-Unis (24,2 milliards de dollars), des Pays-Bas (22,5 milliards de dollars) et de la France (21,4 milliards de dollars).

Cependant, les échanges commerciaux sino-britanniques de marchandises ont connu des difficultés ces dernières années. En 2024, la croissance annuelle n’a été que de 0,4 %, un niveau quasi stagnant. Les exportations chinoises vers le Royaume-Uni n’ont progressé que de 1,2 % sur un an, tandis que les importations en provenance du Royaume-Uni ont même reculé de 2,9 %.

Le 5 juillet 2024, heure locale, Keir Starmer a prononcé un discours devant le 10 Downing Street, résidence du Premier ministre à Londres, en Angleterre. (Photo : Li Ying, Agence de presse Xinhua)

Le 5 juillet 2024, heure locale, Keir Starmer a prononcé un discours devant le 10 Downing Street, résidence du Premier ministre à Londres, en Angleterre. (Photo : Li Ying, Agence de presse Xinhua)

Depuis son entrée en fonction, Starmer a maintes fois manifesté sa volonté d’améliorer les relations avec Pékin, mais l’opposition intérieure a opposé une résistance farouche et sa politique envers la Chine est restée inefficace. En particulier, la question persistante de la « nouvelle ambassade de Chine » a sérieusement perturbé la normalisation des relations sino-britanniques et entravé les projets de Starmer visant à « s’ouvrir au marché chinois ».

Pékin envoie un signal clair à Londres : la Chine se félicite de l’amélioration des relations sino-britanniques, mais seulement à la condition que le gouvernement britannique surmonte divers obstacles et abandonne sa « politique passive », notamment son refus d’approuver la construction d’une nouvelle ambassade chinoise de très grande taille dans le centre de Londres pour des raisons de « sécurité ».

Le 6 novembre, le ministre britannique des Affaires étrangères, Cooper, s’est entretenu par téléphone avec son homologue chinois, Wang Yi, afin de solliciter des consultations. Selon un communiqué du ministère chinois des Affaires étrangères, « M. Wang Yi a insisté sur la position de la Chine quant à l’accélération du règlement des questions urgentes affectant les relations sino-britanniques, et les deux parties se sont engagées à faire des concessions mutuelles et à résoudre leurs préoccupations légitimes respectives sur un pied d’égalité. »

Si les informations parues dans les médias américains et britanniques s’avèrent exactes, le gouvernement Starmer approuvera d’ici la fin de l’année la demande de permis de construire pour une nouvelle ambassade de Chine, ouvrant ainsi la voie à sa visite en Chine en janvier prochain et à ses efforts pour conquérir le marché chinois. L’étendue de ses possibilités dépendra toutefois des circonstances, compte tenu des tensions géopolitiques et des contraintes imposées par les « sinophones » au sein du Parti travailliste.

Starmer

Starmer

Pour la Chine, les visites successives des chefs de gouvernement allemand, britannique et français constituent une avancée diplomatique majeure. Pékin, en particulier, a toujours placé de grands espoirs en la Grande-Bretagne et la France. Wang Yi a déclaré sans ambages à ses homologues français et britanniques que « les propos provocateurs du dirigeant japonais actuel concernant Taïwan représentent un recul flagrant du progrès historique et une atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Chine ». Il a ajouté qu’en tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et partenaires stratégiques globaux, la Grande-Bretagne et la France « devraient préserver conjointement les acquis de la victoire de la Seconde Guerre mondiale et se soutenir mutuellement sur les questions touchant à leurs intérêts fondamentaux ».

Les Européens jouent leurs propres jeux, et la Chine a sa propre stratégie : stabiliser Trump comme un point de bascule pour inciter l’Europe à accélérer sa coopération avec la Chine ; dans le même temps, isoler, voire détruire, le gouvernement d’extrême droite japonais en interagissant activement avec l’Europe, et stopper le processus de retour du Japon au militarisme et à la militarisation.

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