Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La victoire de la Chine sur la pauvreté et la honte de l’Amérique face à la pauvreté

Les deux superpuissances mènent des expériences différentes sur leurs populations pauvres. Et toutes deux échouent là où ça compte vraiment : leur assurer une santé suffisante pour qu’elles puissent s’épanouir. Ce texte émane d’un professeur d’université de Washington et il se doit à la fois de rendre justice à l’exploit chinois en matière de lutte contre la pauvreté mais aussi d’en montrer les limites en l’occurrence les insuffisances du système de santé. C’est doublement intéressant parce que l’on peut voir que le parti communiste chinois a pleinement conscience de ce qu’il reste à accomplir et il est passionnant de voir à quel point il a la volonté d’agir sur les déséquilibres de sa démarche par rapport au but du socialisme. Mais c’est aussi un enseignement pour nous Français, nous avions construit un modèle de santé publique à la Libération que l’on tente de démanteler alors qu’il est un de nos principaux atouts. D’autres expériences sont à prendre en compte, celle de Cuba. Nous aurions besoin d’échanges, de réflexions communes dans ce monde multipolaire dans lequel le socialisme, la direction des communistes joue un rôle de plus en plus essentiel. La censure imbécile et liquidatrice dans ce domaine qui fait partie de ceux qui parlent de « démocratie » mais nous incitent en fait à la guerre, au suivisme impérialiste et donc au fascisme devient le danger paranoïaque qu’il faut combattre. (note et traduction de Danielle Bleitrach histoireetsociete)

par Y Tony Yang3 décembre 2025

Image comparative montrant la maison d’une famille américaine vivant sous le seuil de pauvreté et l’appartement modeste mais rénové d’une famille chinoise moderne. Image : Capture d’écran X

La Chine a éliminé l’extrême pauvreté tandis qu’aux États-Unis, elle a triplé. Mais avant de désigner un vainqueur, il convient de considérer ceci : la Banque mondiale a récemment relevé son seuil de pauvreté de 2,15 $ à 3 $ par jour, ajoutant instantanément 125 millions de personnes aux statistiques mondiales de la pauvreté d’un simple trait de plume.

Cet ajustement technique révèle un problème fondamental dans notre façon de mesurer le bien-être humain. Nous mesurons les seuils de survie, et non la qualité de vie. Lorsque la Chine affirme qu’aucune personne ne vit avec moins de 3 dollars par jour, alors que plus de 4 millions d’Américains sont dans cette situation, nous ne comparons pas les choix moraux de deux sociétés ; nous comparons les modes de consommation d’une économie planifiée à la volatilité des revenus d’une économie de marché.

La véritable histoire ne porte pas sur l’efficacité autoritaire face à l’échec démocratique ; elle porte sur la façon dont les deux superpuissances ont sacrifié la santé humaine sur des autels différents.

La réussite de la Chine est réelle, mais incomplète. Le fait d’avoir permis à 943 millions de personnes de sortir de la pauvreté témoigne d’une capacité étatique extraordinaire, d’une mobilisation coordonnée des ressources que peu de gouvernements ont réussi à mener à bien.

Le pays a déployé un ensemble dense d’outils — croissance rapide, investissements dans les infrastructures rurales, campagnes ciblées de lutte contre la pauvreté et extension de l’assurance sociale de base — l’État orchestrant directement la réaffectation des ressources vers les régions et les ménages les plus défavorisés.

Pourtant, les inégalités de santé au sein de la population chinoise à faibles revenus se sont en réalité creusées depuis 2010, les écarts en matière de maladies chroniques entre riches et pauvres augmentant considérablement. Les disparités de santé entre zones rurales et urbaines persistent malgré les hausses de revenus.

Cette victoire sur le papier masque une réalité plus sombre : à mesure que le pays s’oriente vers une croissance tirée par la consommation, de nouvelles vulnérabilités apparaissent pour les populations structurellement « laissées pour compte » — les personnes âgées en milieu rural, les migrants internes et les travailleurs à bas salaires qui ont besoin de soins continus et de qualité plutôt que d’une couverture minimale et ponctuelle.

Parallèlement, les États-Unis génèrent une richesse sans précédent tout en privant systématiquement des millions de personnes d’accès aux soins de santé par le biais de coupes budgétaires dans le programme Medicaid et de restrictions budgétaires dans les assurances. Les 10 % les plus pauvres du pays ne perçoivent plus que 1,8 % du revenu national – un niveau comparable à celui de la Bolivie – malgré un PIB par habitant six fois supérieur à celui de la Chine.

En 1980, les Américains à revenu moyen gagnaient plus de la moitié du revenu des 10 % les plus riches ; en 2023, cette part n’était plus que de 42,5 %. Les politiques américaines actuelles réduiront le revenu des ménages du décile le plus pauvre de près de 7 %, tandis que le cinquième le plus riche verra son niveau de vie augmenter.

La technologie et le commerce mondial ont profondément transformé l’économie, valorisant les travailleurs hautement qualifiés et remplaçant les moins qualifiés par des robots. Pourtant, il ne s’agit pas d’accidents du capitalisme ; ce sont des priorités politiques constantes, maintenues pendant cinquante ans et sous les administrations des deux partis.

Durant la pandémie de Covid-19, l’extension temporaire des transferts monétaires et de la couverture santé a permis de réduire fortement la pauvreté, mais le recul ultérieur de ces mesures a montré qu’il s’agissait d’une expérience politique que le système politique n’était pas prêt à soutenir.

C’est là que l’idéologie rencontre la biologie : les deux nations mènent des expériences de grande envergure en matière de santé publique, confrontées à des pathologies opposées. La Chine a instauré un système de subsistance de base universel, mais a imposé à ses populations les plus pauvres des coûts de santé catastrophiques qui perpétuent les inégalités de génération en génération.

Le système américain offre des soins de classe mondiale à ceux qui peuvent se les payer, tout en tolérant des résultats sanitaires au niveau de la population moins bons que dans de nombreux pays plus pauvres, en particulier pour les communautés à faibles revenus et les minorités.

Les inégalités de revenus et de patrimoine se traduisent directement par des décès évitables, dus à une assurance maladie insuffisante, à l’endettement médical, aux retards de prise en charge et à l’exposition à la pollution et à des conditions de travail insalubres. L’espérance de vie en Chine dépasse désormais celle des États-Unis, pourtant les deux pays sont confrontés à des disparités croissantes en matière de santé, que les indicateurs basés sur le coût journalier ne peuvent appréhender.

Les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires chez les populations extrêmement pauvres du monde entier remettent en question l’idée reçue selon laquelle pauvreté rime avec pénurie calorique. Survivre avec 3 dollars par jour ne garantit pas la sécurité sanitaire à Pékin ni à Baltimore.

La véritable leçon à tirer pour les pays en développement qui observent cette compétition n’est pas de « choisir le modèle chinois » ou d’« imiter les marchés américains ». C’est que l’éradication de la pauvreté sans équité en matière de santé ne fait que créer d’autres formes de souffrance.

Taïwan offre un contrepoint instructif : il exempte de toute participation aux frais médicaux les patients à faibles revenus et ceux atteints de maladies graves, parvenant ainsi à la fois au développement économique et à la protection de la santé sans sacrifier l’un pour l’autre.

L’impératif climatique rend la situation encore plus urgente : sortir les populations de l’extrême pauvreté ne génère que 5 % des émissions mondiales, mais garantir un niveau de vie décent pour les pays à revenu intermédiaire exige des trajectoires de développement fondamentalement différentes, qu’aucune des deux superpuissances n’a su mettre en œuvre de manière durable. Pour les pays à revenu intermédiaire qui observent ce contraste, la voie la plus saine consiste à considérer la sécurité du revenu minimum et la couverture sanitaire universelle comme des infrastructures publiques essentielles et non négociables.

Plutôt que de débattre de la superpuissance où les pauvres souffrent le moins, la comparaison Chine-États-Unis nous oblige à abandonner les indicateurs de pauvreté conçus pour les débats politiques des années 1990. Ce qui compte, ce n’est pas de savoir si une personne dépasse le seuil de 3 dollars, mais si elle peut accéder aux soins de santé sans se ruiner, nourrir sa famille sainement et échapper au cycle de la pauvreté intergénérationnelle.

La Chine a prouvé que la volonté politique peut mobiliser des ressources à grande échelle. L’Amérique démontre que la productivité à elle seule ne garantit rien aux plus vulnérables.

La synthèse que ni l’un ni l’autre n’a réalisée ? Un développement axé sur la santé qui considère les indicateurs de survie comme des seuils minimaux et non comme des plafonds, et qui mesure la réussite nationale à l’aune de la façon dont les membres les plus fragiles de la société s’en sortent lorsqu’une crise survient.

Tant que les deux superpuissances n’auront pas compris cela, leurs statistiques sur la pauvreté resteront des monuments à la mauvaise mesure — techniquement impressionnantes, moralement insuffisantes et sans rapport avec l’épanouissement humain.

Y. Tony Yang est professeur titulaire à l’Université George Washington à Washington, D.C.

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