Avec une introduction de Jean-Luc Picker qui nous propose cette traduction. Là encore, il est clair que ce que nous vendent les médias français n’est pas tout à fait la réalité et les « paix » trumpiennes, ici comme au Soudan, pour ne serait-ce qu’ouvrir des espaces de négociations ont besoin de l’assurance du monde multipolaire… Qui peut concevoir autrement la venue de l’homme de Daesch syrien à Moscou pour négocier quoi ? Ou le refus de l’Iran de se conformer au diktat sur les armes nucléaires… Toute analyse de la situation qui prétend isoler un foyer de guerre dans lequel Trump aurait imposé une paix face au foyer que les démocrates auraient ouverts et qui ne tient pas compte de cette donne de plus en plus prégnante, la montée des colères populaires face à des conditions y compris génocidaires (Palestine mais aussi le Soudan) et le rôle joué par la volonté d’une négociation réelle, en profondeur du monde multipolaire, cède à des effets de mode médiatique qui ne mènent nulle part… (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
L’accord, loin d’être la première phase d’une acceptation du plan de capitulation proposé par Donald Trump et Tony Blair est bien une victoire de la résistance, une reconnaissance à la fois des sacrifices immenses consentis par le peuple palestinien et des capacités politiques du HAMAS et des factions palestiniennes malgré le climat délétère dans lequel ils opèrent.
Nous y trouvons aussi des clés pour comprendre ce qui se joue en ce moment dans les rues de Gaza, y compris les scènes insoutenables des exécutions publiques jetées dans les médias.
On regrettera peut-être que l’auteur de l’article ne se penche que sur le scénario, malheureusement bien improbable, où la trêve continue au moins sur le moyen terme. Ce choix, pourtant, donne la mesure de l’espérance d’une paix juste et durable sur laquelle se fonde le combat du peuple palestinien, un combat que, plus que jamais, nous devons faire nôtre.
Traduction d’un article de Rayhan Uddin, paru dans Middle East Eye le 18 octobre 2025.
Ils sont fatigués, cabossés, mais toujours debout. A peine le cessez le feu avec Israël institué, les forces du HAMAS ont repris le contrôle des rues de Gaza. Leur retour est autant un avertissement puissant aux bandes armées par Israël et aux collaborateurs qu’il est une assertion de force sur qui gouverne vraiment dans l’enclave Palestinienne ravagée par la guerre.
Le plan en 20 points du président des Etats-Unis imagine un Gaza où le HAMAS ne jouerait plus aucun rôle militaire ou politique. Mais les observateurs savent que la réalité sur le terrain est infiniment plus complexe. En l’absence de solution politique viable, il semble plus qu’improbable que le HAMAS puisse-t-être marginalisé.
« Le HAMAS n’a pas été battu » affirme Azzam Tamimi, universitaire et auteur de deux livres sur le mouvement. « Au final, Israël a été contraint de signer un accord avec lui » nous explique-t-il encore. Un accord qui a mis un terme à deux ans de guerre génocidaire et qui a ouvert la voie à l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza, à un retrait par étapes d’Israël et à l’échange de prisonniers.
Tamimi rappelle que « l’un des principaux objectifs de Netanyahu [le premier ministre israélien] était d’écraser la résistance. Il n’a pas réussi à atteindre cet objectif, ni les autres, d’ailleurs. Alors, comment voulez-vous que le HAMAS disparaisse ? Le HAMAS n’a pas perdu. Il n’a peut-être pas gagné, mais il n’a pas perdu ».
Après deux années entières de bombardements incessants, d’un siège implacable, il est logique que le HAMAS se sente victorieux : il a résisté sans plier à l’agression israélienne et a même abouti à une négociation directe avec les Etats-Unis pour mettre un terme à la guerre. La question maintenant est de savoir comment le mouvement va canaliser ce sentiment de triomphe pour consolider la situation dans le court-terme et matérialiser une stratégie de long-terme.
Maintien de l’ordre
Immédiatement après la signature de la trêve, le HAMAS a cherché à réaffirmer son rôle essentiel dans le maintien de l’ordre au sein de la zone d’où Israël s’est retiré.
Il a rapidement lancé une campagne impitoyable contre les bandes armées, les pillards d’aide et les collaborateurs qui exploitaient le chaos de la guerre contre les civils et les membres du HAMAS. En l’espace de quelques jours, le HAMAS en a arrêté des dizaines, et en a éliminé beaucoup d’autres au cours d’affrontements armés. Au moins huit d’entre eux ont été exécutés publiquement, devant la foule.
Pour Muhammad Shehada, un auteur palestinien et commentateur qui a grandi à Gaza, cette campagne vise plusieurs objectifs.
D’abord, interdire aux gangs de continuer à étrangler l’économie de Gaza, comme ils l’ont fait à volonté en revendant au marché noir l’aide [NdT : pillée sur les camions sous la protection d’Israël] et en prenant le contrôle des flux monétaires avec l’enclave.
Ensuite, désarmer ces bandes et reprendre le monopole des armes dans l’enclave. Lors des affrontements avec les forces du Hamas, Israël avait pour pratique de récupérer l’armement lourd, en particulier les roquettes, mais abandonnait sur le terrain l’armement léger des combattants tués, tels que fusils et pistolets. Ces armes étaient à l’occasion remises aux groupes rivaux du HAMAS et aux bandes criminelles. Il semble qu’il se soit agi d’une stratégie délibérée pour semer le chaos dans la population.
En réaffirmant ainsi son contrôle, le HAMAS a fait la démonstration que, contrairement aux fantasmes de Trump, il ne sera pas facile de l’évacuer. Shehada nous confie qu’ « il serait naïf de penser qu’ils vont se comporter comme de petits anges et s’écrier ‘Allez, on quitte la scène, maintenant que nous avons résisté pendant deux ans à une agression militaire sans précédent et au génocide !’ ».
Shehada détaille : « pour le moment, ils cherchent à établir un rapport de force aussi puissant que possible. En réaffirmant leur présence sur l’échiquier, en réaffirmant leur influence et leur contrôle, ils envoient à Israël et aux Etats-Unis le message que le HAMAS ne peut pas être simplement écarté ou ignoré.
Au départ, Trump a donné l’impression qu’il soutenait l’opération de nettoyage lancée par le HAMAS, tweetant qu’ « ils ont tué un paquet de bandits » avant de changer de ton et de menacer de « tuer » le HAMAS s’il « continuait à tuer des gens à Gaza ».
Si l’on en croit Tamimi, les Palestiniens font confiance au HAMAS pour qu’il s’occupe des gangs et des groupes criminels : « Le HAMAS est la seule force en qui la population de Gaza a confiance pour maintenir l’ordre et défendre la loi, c’est pourquoi la majorité de la population est du côté du Hamas dans sa campagne de répression contre des gangsters qui les ont tyrannisés, qui ont volé leurs vivres ou les ont assassiné à la demande d’Israël ».
C’est ce qui explique pourquoi le chef tribal Husni Salman Hussein al-Mughni, à la tête de la plus grande assemblée tribale de Gaza, a publiquement appuyé la campagne, déclarant que le HAMAS s’occupait de criminels qui ont tué des enfants, dévalisé l’aide et collaboré avec Israël.
Contrôle des armes
Alors que les USA, Israël et une grande partie de la communauté internationale réclament son désarmement, la reprise du contrôle de la sécurité sur Gaza par le HAMAS expose une contradiction à long terme. Le HAMAS a toujours dit qu’il ne rendrait les armes que lorsqu’un état palestinien aura vu le jour : « Personne n’a le droit de nous interdire de résister à l’occupation » a souligné récemment Bassem Naim, haut responsable du mouvement.
Mohammed Nazzal, un autre membre de son bureau politique détaille ce point, expliquant que la décision de rendre les armes doit tenir compte de la nature du programme de désarmement : « Ce projet de désarmement dont vous parlez, qu’est-ce qu’il veut dire ? A qui les armes seront-elles remises ? » demande-t-il
Des diplomates arabes nous ont confié que les médiateurs négociaient avec le HAMAS des idées telles que la remise des armes à une force de maintien de la paix arabe ou la mise sous scellés des armes à long rayon d’action comme les missiles, sans les détruire.
De son côté, Trump a menacé de désarmer le HAMAS « rapidement et peut-être violemment ». Mais une telle stratégie pourrait être vouée à l’échec.
Shehada cite une étude publiée par la Rand Corporation en août 2018. Sous le titre « Comment les groupes terroristes se terminent » cette recherche étudie l’évolution de groupes militants armés entre 1968 et la date de publication. Sa conclusion centrale est que la plupart de ces groupes ont abandonné les armes après avoir transmué leur base militante en parti politique. Elle conclut aussi que la force armée a rarement été capable de mettre fin à ces groupes.
Shehada pense que « C’est la route que devrait prendre le HAMAS. L’alternative sur laquelle Israël s’est précipité, c’est l’opération militaire, pour régler le problème palestinien par le génocide. Mais maintenant, ils vont comprendre de plus en plus clairement qu’il n’y a pas de solution militaire contre les Palestiniens. La seule solution qui reste est le renforcement du politique, par quelque moyen que ce soit ».
Tant que la création d’un état palestinien ne sera pas clairement en vue (ou au minimum mentionnée explicitement dans le plan de Trump), le HAMAS gardera au minimum ses armes défensives. Il est intéressant à ce sujet de noter que le plan de Trump parle de ‘démantèlement’ plutôt que de ‘désarmement’.
C’est à un démantèlement qu’a abouti l’accord dit du Vendredi Saint en Irlande du Nord, signé en 1998. Les armes ont été remises progressivement à un dépôt au fur et à mesure de la mise en œuvre de l’accord de paix, un processus qui s’est étalé sur plusieurs années. Il n’est pas certain que Trump ait voulu se référer à ce modèle. Les dirigeant israéliens, quant à eux, insistent qu’il s’agit de détruire tout type d’armes et d’infrastructure, offensives ou défensives.
« Dans l’histoire moderne, que ce soit en Irlande du Nord, en Colombie ou en Afrique du Sud, il n’y a pas d’exemple où le désarmement et la démilitarisation ait été une précondition du processus de paix » reprend Shehada. « cela a toujours été le résultat de l’accord de paix ».
Futur Politique
D’après des sources proches du HAMAS contactées par Middle East Eye , il semble que la direction du HAMAS à Gaza ait informé des responsables à l’étranger qu’il ne se rendraient pas et qu’il n’accepteraient rien d’autre que le retrait total d’Israël. La direction de Gaza a aussi clarifié que le mouvement était préparé à continuer le combat même pour une période longue si cela s’avérait nécessaire.
Mais, si la guerre avait continué, il est probable que le mécontentement se serait amplifié au sein de la population soumise au génocide. Un sondage d’opinion réalisé plus tôt cette année révèle que le HAMAS a perdu une partie de son soutien populaire, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, même s’il reste plus apprécié que le Fatah. Pourtant, une majorité de Palestiniens sont opposés au désarmement et une large portion de la population continue à souscrire à la résistance armée.
Shehada souligne que « Le HAMAS est à la fois un gouvernement, un parti politique, un groupe de la résistance armée et un acteur de la vie civile. Les gens peuvent être en faveur de tel ou tel aspect du mouvement sans forcément être d’accord avec tout ».
Pour lui, le HAMAS est en même temps populaire et impopulaire. Certaines personnes, y compris à l’intérieur du HAMAS lui-même, ont pris position contre l’attaque surprise du 7 octobre, contre la gestion de la guerre ou la conduite des négociations et même contre son approche du processus de réconciliation palestinienne. « Mais, en même temps, j’ai observé un effet inverse où des personnes parmi les plus violentes critiques du HAMAS sont devenus ses plus fermes soutiens à cause du génocide ».
Shehada rappelle que beaucoup de gens à Gaza ont réalisé que, pendant que le génocide s’abattait sur leurs familles et leur existence, le monde entier tournait le dos « et ils ont vu une armée désordonnée, en sandales et en tongues, sortir des tunnels pour attaquer [l’armée israélienne] et essayer de la repousser hors de Gaza » continue-t-il. « C’est à cette dynamique paradoxale que nous assistons ».
Au bout du compte, le HAMAS ne se sent pas vaincu, et donc il juge qu’il a encore son mot à dire dans le futur de la Palestine. « Les négociateurs du HAMAS n’ont abordé que les 6 premiers points clés des 20 que contient le plan de paix de Trump » nous déclare Helena Cobban, co-autrice du livre Comprendre le Hamas : pourquoi c’est si important. « Ils n’ont rien dit à propos des 14 points restants, ni en pour, ni en contre. Il est complètement irréaliste d’imaginer que le mouvement n’aura aucun rôle dans la gouvernance de Gaza à l’avenir ».
Cobban note aussi qu’Israël n’est pas seulement entré en guerre avec les combattants du HAMAS mais aussi avec les responsables politiques et administratifs dans et hors de Gaza, comme en témoigne l’assassinat du dirigeant du Hamas Ismael Haniyeh en Iran en juin 2024 ou la tentative d’assassinat contre les responsables du HAMAS à Doha le mois dernier. « Malgré les nombreux meurtres et assassinats perpétrés par Israël contre les membres du conseil de direction régional du HAMAS, il a continué à fonctionner comme une direction cohérente et responsable, y compris pendant les négociations ».
Le HAMAS a déclaré que, au final, il entendait remettre le contrôle administratif de la Bande de Gaza à un organisme palestinien, que son but n’était pas de gouverner sur le long terme. Vu sa réputation en Occident, le groupe comprend bien qu’il risque de favoriser la délégitimation et le boycott s’il cherche à s’imposer comme un acteur public actif.
Mais, selon Shehada, il cherchera peut-être à continuer d’influencer le jeu politique palestinien à travers une participation à l’Organisation de Libération de la Palestine : « On ne peut pas savoir quel niveau d’influence le HAMAS pourra conserver, il y a trop de paramètres, trop d’inconnues pour l’instant ».
Views: 63