Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

« Ils viendront, achetez de l’iode et des conserves ». Un voisin de la Russie attend le début d’une nouvelle guerre

Mine de rien ce récit des peurs entre voisin et parfois familles proches coréennes prouve que quel que soit la manière dont l’impérialisme a tenté d’empêcher les frères de sang de se reconnaitre comme tels n’a qu’un temps. Il arrive un jour où tout cela disparait … (note de DB et traduction de Marianne Dunlop)

«Они придут, покупайте йод и консервы». Сосед России ждёт начала новой войны | Аргументы и Факты

Auteur : Gueorgui Zotov (Argumenty i Fakty)

« Ma grand-mère a gardé pendant cinquante ans une « valise d’urgence » dans sa chambre », raconte Pak In-Yol, propriétaire d’un café à Séoul. « Pour pouvoir la prendre et s’enfuir en cas d’invasion nord-coréenne. Elle contenait des provisions, des médicaments, de l’eau, de l’argent et des bijoux en or. Elle est décédée sans jamais avoir autorisé l’ouverture de la valise. Elle me disait : « Tu ne comprends pas. En 1950, les communistes ont pris Séoul en trois jours, et il faut toujours être prêt à leur offensive soudaine. » Le restaurateur de 55 ans pense que l’armée nord-coréenne pourrait facilement défaire la Corée du Sud en quelques semaines. « Nos troupes ne sont bonnes à rien », dit-il. « Ce sont des jeunes qui ont l’habitude de regarder des vidéos avec des chiens rigolos sur YouTube. Alors que les soldats de la RPDC sont faits pour la guerre, ils sont formés au combat depuis leur naissance. Seuls les Américains peuvent nous protéger, mais je ne compte pas sur eux. Ils ont trahi leurs amis en Afghanistan sans sourciller, ils nous abandonneront aussi. » « La Corée du Nord est imprévisible », s’inquiète l’homme d’affaires Chung Han-dong. « Est-ce que j’ai peur qu’ils nous écrasent ? Bien sûr. Nous sommes enlisés dans la consommation, les iPhones et la gloutonnerie. Nous n’avons pas de personnes motivées, prêtes à sacrifier leur vie pour défendre le capitalisme. Les Nord-Coréens, eux, sont prêts à mourir pour le communisme. » Je lui demande quand, selon lui, la guerre avec la Corée du Nord va commencer. « Je ne sais pas exactement, répond-il. Mais personnellement, je m’y attends chaque jour. »

« Je ne vais pas le cacher, la Corée du Nord fait peur », avoue Oleg Kim, un Coréen ethnique (1) qui a quitté Tachkent depuis longtemps pour s’installer à Séoul. « C’est normal : depuis 77 ans, les deux pays ne cessent de se faire de la propagande et de s’accuser mutuellement de crimes. » La propagande ne s’arrête jamais, même pas une minute. Allumez la télévision et vous entendrez des interviews de transfuges nord-coréens qui racontent à quel point ils vivaient mal là-bas et à quel point la vie est belle en Corée du Sud. Des flashs d’information sont régulièrement diffusés : « Une fusée a été lancée depuis Pyongyang et on ne sait pas où elle va atterrir ». Certaines personnes ont commencé à déménager vers le sud : elles craignent que les essais nucléaires nord-coréens n’entraînent des retombées radioactives. Les plus riches aménagent des abris dans les sous-sols de leurs maisons et achètent des conserves. Ces « survivalistes » sont peu nombreux, mais ils se comptent tout de même par milliers. Un nombre encore plus important de personnes ont acheté des dosimètres (pour mesurer le niveau de radiation), de l’iode et des vitamines. Les médicaments arrivent à expiration, ils les jettent et en rachètent. Mais si la Corée du Nord lance une frappe nucléaire, personne n’aura le temps d’avaler de l’iode et de mesurer les radiations : le pays est petit, tout sera réduit en cendres. La propagande est une réalité : les deux pays s’y adonnent intensément, à l’aide de haut-parleurs à travers la frontière, en envoyant des ballons avec des tracts « anti-régime » et grâce à la diffusion de stations de radio. Des voyages réguliers sont organisés pour les touristes à la frontière avec la RPDC, mais ils sont très coûteux : entre 4 000 et 8 500 roubles par personne. On peut y observer la zone démilitarisée, où les combats ont cessé le 27 juillet 1953, le territoire nord-coréen, et traverser des tunnels creusés par des groupes de sabotage de la RPDC pour s’infiltrer dans les arrières ennemis.

… Dans le même temps, un nombre important d’habitants de Corée du Sud (les « progressistes ») sont favorables à une amélioration des relations avec la RPDC. Auparavant, le slogan officiel du pays était « myongong thongil » (« Éliminer les communistes pour unifier le pays ! »), mais aujourd’hui, de plus en plus de voix s’élèvent pour dire qu’il faut commercer et établir des échanges culturels avec la Corée du Nord. Supprimer mutuellement les visas, faciliter au maximum le passage des frontières, rendre visite à ses proches : les familles séparées ne manquent pas de part et d’autre. « Je comprends que nous sommes séparés depuis 77 ans, explique Chung Ha-yeon, 25 ans, employée d’une entreprise pharmaceutique. Mais là-bas, les gens parlent aussi coréen, mangent du kimchi, un plat à base de chou épicé, et les filles portent le hanbok, le costume national. L’idéologie nous a séparés, mais nous restons Coréens. Il est clair que nous sommes déjà très différents. À terme, j’envisagerais une confédération, deux États réunis en un seul. Par exemple, comme Hong Kong, où règne le capitalisme pro-occidental, et la RPC, où règne le socialisme. Ce serait mieux ainsi. » Alexei Pak, un Coréen ethnique originaire du Kirghizistan qui vit à Séoul depuis 10 ans, n’est pas d’accord avec son opinion. « En fait, la Corée du Sud et la Corée du Nord sont deux États complètement étrangers. Cela fait près d’un siècle que nous vivons séparés. Nous avons des traditions différentes, des coutumes différentes, une mentalité différente, la langue en Corée du Sud est pleine d’anglicismes. Nous avons été élevés comme des ennemis jurés. Aujourd’hui, notre voisin du nord suscite soit la curiosité, soit la peur, soit l’hostilité. Mais peu de gens l’aiment. On nous a tellement parlé des exécutions cruelles, des punitions monstrueuses, des camps de travail en RPDC, que peu importe que ce soit vrai ou faux, des millions de personnes ici en sont convaincues. Je ne pense pas que la Corée du Nord et la Corée du Sud puissent devenir un seul pays dans un avenir proche. Plus les années passent, plus nous nous éloignons. Les Taïwanais et les habitants de la Chine continentale sont des nations différentes, les Allemands de l’Est et de l’Ouest, bien qu’ils n’aient été séparés par une frontière que pendant 45 ans, ne sont toujours pas devenus une seule et même nation. Je ne me fais aucune illusion à ce sujet.

… La plupart des Sud-Coréens sont convaincus que leur armée ne pourra pas à elle seule venir à bout de la RPDC. Auparavant, 100 % des citoyens comptaient sur la protection des États-Unis, mais aujourd’hui, le sentiment a changé. À Séoul, on m’a dit : « Trump a montré le vrai visage de l’Amérique. Ils sont prêts à trahir n’importe qui pour de l’argent. La Chine les paiera, ils retireront leurs bases de Corée. » 63 % des Coréens font encore confiance aux États-Unis, mais leur nombre diminue chaque année. En Corée du Sud, on croit sincèrement que c’est l’arrivée des soldats nord-coréens qui a contraint les forces armées ukrainiennes à se retirer de la région de Koursk en Russie. « S’ils ont réussi à vaincre une armée ayant une expérience du combat, ils n’auront aucun mal à nous vaincre », déclare sombrement Pak In-yol. « Et je pense que la Corée du Nord a très bien compris qu’elle est désormais maître de la situation. » La déclaration faite l’année dernière par le dirigeant suprême de la RPDC, Kim Jong-un, a jeté de l’huile sur le feu en affirmant que sa république « a le droit légitime de détruire complètement la Corée du Sud ». Et quand un tel discours est prononcé par le chef d’un État nucléaire, il est naturel de s’inquiéter. Dans le même temps, la république compte également de nombreuses personnes qui sont lassées par des années de confrontation et de propagande incessante. Elles ignorent tout simplement l’actualité politique et se concentrent sur leurs préoccupations quotidiennes. « Les gens ont été tellement tourmentés pendant toutes ces années, constate Oleg Kim. Bientôt, les méchants communistes vont attaquer, asservir et emmener les gens dans des camps. Au début, tout le monde avait vraiment peur et paniquait, mais maintenant, beaucoup de gens sont indifférents à la « menace nord-coréenne ». C’est comme dans le conte russe où un garçon dans un village criait et effrayait tout le monde : « Les loups, les loups ! » », mais les prédateurs ne venaient jamais. « Oui, mais dans ce même conte, les loups sont arrivés précisément au moment où les gens ont cessé de croire à leur visite », dis-je en souriant. Oleg acquiesce : « Oui… moi aussi, je garde des conserves chez moi. »

(1) Un Russe d’origine coréenne

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