Nous aurions pu poursuivre le débat pendant des heures. Avec le public du Café Marxiste, l’échange a été exigeant et la discussion intense. Comme à chaque intervention, la question de l’Europe et de l’organisation appelée « Union Européenne » ont été au centre de nombreuses questions et interventions dans le débat.
Le point général de notre ouvrage est de souligner que l’émergence de la Chine comme première puissance industrielle est aussi l’émergence d’un nouveau stade des rapports mondiaux, clôturant le stade néo-colonial et réouvrant la voie du développement sur des bases de coopérations respectueuses de la souveraineté de chaque état (le plus petit comme le plus grand a ajouté le représentant de la République populaire de Chine à la dernière assemblée générale de l’ONU). Ce nouveau stade de rapports mondiaux se développe autour de nouvelles organisations internationales, comme les BRICS et l’Organisation de la Coopération de Shanghai.
Pour le parti communiste français, le principe de coopérations entre pays sur la base du respect de la souveraineté corresponde à ce que nous avons toujours défendu. Le PCF s’est en effet toujours opposé aux traités européens, et pas seulement par rapport à leur caractère économique libéral mais surtout par défense intransigeante de la souveraineté nationale, cadre de la souveraineté du peuple. Le PCF a toujours défendu l’intérêt de coopérations sur la base de ce respect de la souveraineté. A l’inverse, la grande bourgeoisie française a toujours cherché à aliéner la souveraineté française à des puissances étrangères, par peur du peuple et de la révolution sociale du prolétariat que la France fut la première à brandir par la Commune de Paris. Ce furent en 38-45 « plutôt Hitler que le Front populaire » et « l’étrange défaite », puis en 45 « plutôt les USA que le PCF et la CGT » et enfin, aujourd’hui pourrait-on dire « plutôt Trump que les Brics ». D’ailleurs, comme nous l’avons abordé dans le débat, c’est souvent la France qui est le moteur de ses propres abandons de souveraineté : c’est la France qui a proposé le passage à l’Euro, éteignant la souveraineté monétaire française pourtant solidement appuyée sur les réserves d’or considérables de la Banque de France. C’est encore la France qui aliène volontairement sa dissuasion nucléaire en proposant de la partager au sein de l’UE, avant même que quiconque lui ait demandé quoi que ce soit.
Notre orientation générale est donc que la France, qui a tant souffert des abandons de souveraineté et des abandons tout court (désindustrialisation notamment) voit désormais s’ouvrir une voie nouvelle devant elle, une alternative à la crise dans laquelle elle s’enfonce entraînée dans la chute de l’impérialisme hégémonique des USA. Cette alternative, c’est de saisir le monde multipolaire qui s’ouvre devant nous, en sollicitant l’adhésion de la France au BRICS et en accrochant le train du développement dont la Chine est la locomotive. Cette voie n’est pas étrangère pour la France. Le modèle de développement chinois, l’économie socialiste de marché porte un certain nombre de caractéristiques qui ne sont pas sans rappeler la France de 1945 : planification, priorité au développement des forces productives, propriété nationale des secteurs stratégiques et des bases industrielles lourdes. On pourrait citer d’autres exemples. La principale différence réside dans le caractère socialiste de la République populaire de Chine, en particulier le rôle dirigeant du Parti Communiste, son enracinement profond dans la société et la garantie qu’il donne de la préservation et du développement de ces caractéristiques sociales déterminantes. Pour retrouver les moyens de sa modernisation, la France doit renouer avec sa propre histoire, avec, pour dire les choses très vite, les principes de développement des forces productives de 1945 et la société socialiste, qui a aussi déjà existé en France quoique brièvement, sous la forme de la Commune de Paris.
Cette voie n’est pas si éloignée historiquement ni géographiquement. Le développement des voies commerciales de l’Eurasie a rapproché l’Europe de la Chine. Mais, ce qui est plus important, c’est qu’une zone au potentiel de développement parmi les plus importants aujourd’hui est à nos portes : c’est l’Afrique, et en particulier, si proche géographiquement et historiquement se trouve l’Algérie. Cela suppose évidemment que la France fasse sien le principe de respect absolu de la souveraineté des autres pays, et construise avec les autres pays des rapports égaux et mutuellement avantageux, refermant définitivement la porte de son histoire impérialiste, coloniale et néocoloniale.
Cela clôt-il la question de l’UE et de l’Europe (au delà de l’UE) ? C’est un des points que nous avons longuement débattu. La brûlante actualité de la guerre contre la Russie nous rappelle chaque jour que la paix est incompatible avec la politique des blocs. Et bien sûr, le développement est généralement incompatible avec la guerre. Le retrait des USA mis en place par Trump n’a pas suffi à assurer la paix. L’UE et la partie européenne de l’OTAN veulent continuer la guerre, jusqu’à l’épuisement d’un des deux camps et sont prêts à sacrifier ce qu’il reste de notre économie, des revenus des travailleurs et de nos services publics pour arriver à leurs fins.
Dans ce sens, oui, il est indispensable de sortir de l’UE et cela doit être un mot d’ordre à destination des travailleurs. Je pense même que c’est un mot d’ordre qui est attendu par de larges couches de travailleurs qui ont toujours en mémoire la trahison du référendum de 2005. Toutefois, la réalisation de ce mot d’ordre suppose deux préalables : d’abord, il s’agit de prendre le pouvoir politique car seule la prise du pouvoir politique par les travailleurs rend concrète la perspective d’une souveraineté retrouvée. Ensuite, il faut un projet pour notre continent, l’Europe, mais peut-être plus largement l’Eurasie. J’ai commencé dans la discussion à développer l’idée que l’UE contenait en son sein un équivalent du « sud global ». Ce sont les anciens pays socialistes d’Europe de l’Est, producteurs à bas prix de nombreuses marchandises pour le compte de l’occident riche et dont le poids dans les décisions du conseil Européen est souvent limité par la toute-puissance des quelques états de l’Ouest. La France n’a pas davantage intérêt à rompre les relations commerciales anciennes avec le reste de l’UE, exactement comme la Chine n’a pas intérêt à rompre brutalement son commerce avec les USA. La démarche chinoise est de faire respecter la souveraineté, priorité n°1, tout en consacrant l’énergie humaine la plus importante dans le développement d’accords commerciaux mutuellement bénéfiques. (note de Franck Marsal pour Histoire&Société.)
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