Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Encore un effort pour penser les transformations du monde et la crise française de manière dialectique et matérialiste

Avant de partir pour la Fête de l’Humanité, où je développerai notre travail collectif et tenterai d’actualiser notre travail à la lumière de l’accélération mondiale qui s’est produite depuis la finalisation du texte en janvier de cette année, je vous livre quelques réflexions préparatoires, pour reprendre le tableau général et remettre les analyses que nous pouvons faire du mouvement qui s’amorce en France dans leur bon cadre. Je serai samedi prochain au Café Marxiste. Ces quelques lignes jetées par Franck à la veille de la fête de l’humanité sont simplement un hors d’oeuvre aux reflexions que lui a inspiré la dite fête et qu’il nous livrera demain. Disons tout de suite que l’espoir ouvert par la fête qui reflétait la pression des luttes, manifestations, grêves en France, selon nous rend toujours plus nécessaire un effort théorique pour mesurer les possibles et l’ampleur du changement géopolitique dans lequel s’inscrit la colère du peuple français. Histoireetsociete, l’équipe de rédaction, ses contributeurs, se donne cette mission pour elle-même et pour faire connaitre les travaux d’autres chercheurs, écrivains, économistes, historiens, scientifiques, cinéastes, militants dans les entreprises en particulier, devenir toujours plus ce lieu de dialogue. (note de Franck Marsal et danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

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Plusieurs décennies de révisionnisme historique et politique sont en train de prendre fin. Durant toutes ces années, on nous a expliqué (entre autres choses) que la classe ouvrière n’existait plus, que le communisme était un crime, que l’histoire était terminée par la domination de la « démocratie occidentale », modèle universel et que les usines étaient inutiles dans un pays moderne.

Aujourd’hui, tout cela s’écroule. La Chine, d’usine du monde, devient le centre de la production culturelle et intellectuelle, exactement selon la théorie marxiste, qui prévoyait que la production matérielle est la base sur laquelle s’élève l’ensemble des structures et productions culturelles, morales, sociales, le droit et la politique, produits « dérivés » de l’action humaine produisant en société, en pensée et en langage ses moyens de subsistances. Maîtrisant les principaux processus de production et capable de les déployer sur des échelles inouïes. Les « pays sans usines » de leur côté sont des colosses aux pied d’argiles qui voient l’eau monter et qui tremblent sur leur base.

Le sommet de l’Organisation de la Coopération de Shanghai a frappé les esprits et l’ascension irrésistible de la Chine, des BRICS et de l’OCS commence à être perçue clairement. Mais ce qui domine, c’est une perception superficielle des changements en cours. La crise profonde (financière, économique, sociale, politique et même militaire) dans laquelle se débattent les pays du bloc impérialiste hégémonique conduit par les USA est sous-estimée. La dimension sociale de l’émergence des BRICS et le lien entre l’émancipation économique du sud et l’émancipation sociale des travailleurs du nord reste un angle mort de la plupart des analyses.

Cela fait qu’on analyse sur un plan assez technique l’émergence de la Chine, des BRICS, avec des considérations géopolitiques formulées d’un ton lointain, en mode « dire d’expert » et sur le ton « ah oui, il se passe là quelque chose d’important ». Et que face à la situation française, même en pleine effervescence sociale et politique, on en reste à des formules datées, à la perspective de la « gauche » porteuse de changements « progressistes », à la « nécessité d’une autre Europe » et qu’on voit même ressortir le vieux thème social-démocrate de la « relance », et surtout, on prépare les élections : combien va-t-on en mettre ici, combien peut-on en espérer là, … considérant « comme avant » que les pourcentages électoraux sont le thermomètre des aspirations populaires.

L’analyse que nous avons formulée dans notre livre (écrit il y a environ un an, relu et finalisé avant l’intronisation de Donald Trump fin janvier de cette année) est tout autre. Je pense que nous pouvons dire sans fausse modestie qu’elle est largement confirmée par les faits, mais tout autant qu’elle reste largement incomprise. L’articulation entre l’émergence du Sud et en particulier de la Chine et l’affaiblissement de l’occident est un fait matériel. Le stade dans lequel la croissance en Chine dépassait celle des principaux pays du G7 sans que cela menace leur propre stabilité est terminé. Ce seuil a en réalité été franchi lors de la crise de 2008, mais depuis, ces pays ont réussi à manipuler les monnaies et en particulier le dollar pour maintenir un semblant de croissance (en réalité, l’apparente croissance s’est fait en consommant les bases de stabilité sociale et économique, en comprimant le niveau de vie des masses en dessous du seuil de dignité, et pour une large part, en dessous du seuil de survie et en arrêtant l’entretien des infrastructures techniques, sociales et productives, quitte à les déclasses progressivement).

L’arrivée de Trump « le syndic de faillite » exprime le moment où cette politique de dissimulation de la crise profonde du bloc hégémonique ne tenait plus. La guerre d’Ukraine a donné le coup de grâce aux illusions de toute-puissance. L’échec de Biden (qui prétendait isoler la Russie et la mettre à genoux) a contraint un changement radical de la politique US mais Trump doit désormais se débattre dans toutes les contradictions accumulées depuis des décennies.

Nous expliquions dans notre livre qu’aucune monnaie, même pas le Yuan chinois n’était encore capable de remplacer le dollar, mais que l’émergence des BRICS, leur Nouvelle Banque de Développement et l’initiative chinoise de financement des Nouvelles Routes de la Soie crééaient pour la première fois pour les pays du Sud la possibilité du choix. Les USA et le système financier occidental reste dominant, mais il a perdu son monopole. Et nous Depuis, les choses continuent de s’accélérer. Cela peut paraître anecdotique, mais la Thaïlande va désormais accepter sur son territoire, dans ses banques les cartes bancaires de paiement émises en Russie. C’est très significatif, car la Thaïlande n’est pas spécialement un allié de la Russie. Simplement, la Thaïlande est intéressée à acheter des produits russes, peut-être du pétrole et elle voit les touristes russes, privés des destinations occidentales comme un marché prometteur.

Nous avions souligné dans le livre la hausse continue de l’or depuis 2008. Nous expliquions que, face à la fragilité du système économique et financier des USA, l’or était en train de redevenir le standard monétaire mondial en lieu et place du dollars. Le cours de l’or en dollars états-unien n’a cessé de monter depuis 2008 disions-nous. Depuis le début de l’année, cette progression rapide se poursuit et l’or vient de battre un nouveau record, à 3600 dollars l’once.

Entre 2007 et le moment où nous écrivions le livre, le cours de l’or en dollars avait été multiplié environ par 5. Depuis moins d’un an, nous sommes passé à un facteur 7. En réalité, ce n’est pas seulement l’or qui monte, c’est profondément la valeur du dollar et de toutes les monnaies qui lui sont rattachées qui baisse. Parce que le dollar n’est plus, pour un nombre croissant de banques centrales (pas seulement la Chine et la Russie, la Pologne a été en 2024 le deuxième acheteur d’or mondial). Cela explique la politique de Trump. Trump doit trouver tous les jours de l’argent frais pour sauver le dollar et sauver l’industrie états-unienne, en particulier son complexe militaro-industriel ultra-coûteux et ses géants de l’internet, ses deux principales sources de revenus. Ce système est aujourd’hui constamment au bord de la faillite et les mauvaises nouvelles sont quotidiennes. Une défaite en Ukraine lui porterait (on pourrait mettre cette phrase au futur) probablement le coup fatal, car il faudrait alors faire les comptes et passer en pertes les prêts du FMI, de l’UE et des institutions bancaires à ce pays.

Comme la politique de Biden (qui espérait déstabiliser la Russie comme Reagan avait déstabilisé l’URSS et se refaire grâce à un nouveau pillage) a échoué, Trump n’a d’autre solution que de piller d’autres pays et les seuls consentants sont les alliés historiques des USA, à la tête desquels on entretient depuis des années un système politique faible, corrompu, auto-satisfait et extrêmement complaisant, en particulier l’Union Européenne.

C’est à la lumière de cette situation matérielle du monde, appréciée dialectiquement, c’est à dire dans ses contradictions et dans son développement qu’il faut évaluer la situation actuelle de la France et le sens du mouvement qui s’y déroule.

Il est évident que, dans la mesure où l’UE accepte de payer à la fois pour sauver le dollar et pour financer le puit sans fond du régime néo-nazi en Ukraine qui sacrifie sa propre population jour après jour, c’est sur elle que le fardeau de la crise va s’abattre en premier et le plus douloureusement. Son industrie, privée de l’énergie bon marché russe est en crise profonde et l’hiver s’annonce rude en termes de prix de l’énergie, gaz et électricité compris, puisque les deux sont liés par les marchés financiers. Les pays qui ne préparent pas dès aujourd’hui leur canot de sauvetage couleront à pic. Or, l’UE elle-même n’est pas sans ressembler au monde qui change. Elle-même a constitué en son sein son « sud », sa base productive externalisée à bas coûts, son prolétariat extérieur. Et elle-même a continué sans vergogne à considérer que les pays de l’ouest européen formait l’opinion européenne que les autres devaient suivre. On a humilié la Grèce, traité la Hongrie en paria et les autres comme des sans droits. L’arrivée au pouvoir européen de Von der leyen a marqué un tournant supplémentaire dans l’autoritarisme de l’UE, qui se saisit désormais de compétences hors traités pour lancer des programmes d’achats groupés (d’abord les vaccins, puis le gaz, puis les armes) pour des montants de dizaines et de centaines de milliards d’euros sans aucun contrôle.

Cela nous amène à la crise française actuelle. Car au sein de l’Europe de l’ouest, de cette partie hégémonique de l’UE (dans laquelle il faut inclure l’Angleterre, car, bien qu’ils soient sortis, les bourgeois et financiers anglais continuent, on le voit bien, à peser grandement sur les décisions), la France a une place particulière, par son histoire, par ses capacités techniques et par le potentiel de résistance de son peuple. La France est le seul pays à n’avoir plus de troupes états-unienne sur son sol. La France est un des pays dans lequel la résistance à été la plus forte et cela a permis à la France de reconstruire sa souveraineté après guerre, tant sur les plans industriels, militaires, politiques et monétaires. Mais la bourgeoisie française a compris qu’avec le développement de cette souveraineté à large base populaire, ses jours étaient comptés. C’est pourquoi elle n’a eu de cesse de renoncer à la souveraineté et de vassaliser notre pays à une puissance protectrice, l’Allemagne (en 40), puis les USA, à partir du plan Marshall, puis les USA ET l’Allemagne (elle-même pilier de la domination US sur le sous-continent européen) avec la CECA et la construction de l’UE.

Le PCF a incarné la résistance à cette politique dès 1947, et pas seulement sur des bases « antilibérales », mais sur la base de la souveraineté du peuple, qui ne peut s’exprimer, dans la société capitaliste actuelle, que dans le cadre national. Le glissement euro-communiste a largement vidé ce travail de son contenu. On est passé à une opposition molle avec la promesse illusoire d’une « autre Europe », d’une réforme donc de cette institution via « de nouveaux traités ». Et de ce fait, on s’empêche de voir l’essentiel : 1) le monde se construit désormais dans d’autres rapports, non hégémoniques, mais visant au respect égal de la souveraineté de chaque pays. 2) Dans ce monde nouveau que construisent pas à pas la Chine, les BRICS, l’OCS et le « Sud global », la France n’est plus sommée de choisir entre la soumission et l’isolement. Elle dispose de nouvelles opportunités de partenariat gagnants – gagnants, et la principale est à notre porte, c’est l’Algérie, pays jeune, riche en ressource, ayant besoin de technologies et d’investissements dont nous disposons encore. Ce n’est évidemment pas un hasard si Macron et ses sbires, partisans de la soumissions de la France cherchent à nous fâcher avec ce pays, après avoir rompu les liens historiques essentiels qui nous liaient à la Russie. 3) La France, dans ce monde, ne sera plus une puissance impérialiste. Pour y rentrer, elle devra renoncer à la domination, déjà largement perdue par ailleurs. Mais elle dispose des moyens de redevenir un pays moderne, créatif et heureux, prenant toute sa place dans la communauté de destin de l’humanité. Elle dispose elle-aussi d’une jeunesse dynamique, de savoir-faire essentiels, de ressources humaines déterminantes. Mais elle devra se sauver, reprendre son destin en mains, entre les mains du peuple, dans un rôle dirigeant du prolétariat et de la classe ouvrière industrielle, qui, malgré toutes les destructions et les délocalisations, demeure une force latente, repliée sur elle-même, mais capable de porter une nouvelle étape de modernisation du pays, comme elle l’a fait après 1945.

Le mouvement social actuel exprime avec toute la confusion entretenue dans les esprits depuis des décennies, la criminalisation du communisme, le révisionnisme de l’histoire de la seconde guerre mondiale, le renversement des valeurs et le rejet de la science et du progrès, l’ensemble de ses contradictions. Lenine a expliqué que le mouvement spontané des masses ne peut résoudre seul les contradictions. Il a pointé la nécessité du développement de la conscience de classe comme seul capable de transformer le mouvement spontané en mouvement organisé, en révolution sociale. Cela ne nie ni l’existence du mouvement spontané, ni son importance. C’est au fond lui, aussi, qui secoue les consciences et crée les conditions dans lesquelles le développement des partis et organisations de masses nécessaire peut répondre aux défis de l’histoire.

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