Rien n »est plus cruel intellectuellement parlant (pour la cruauté réelle celle que l’on inflige à des peuples entiers le président des USA n’a de conseils à recevoir de personne, il sait faire hier comme aujourd’hui) que de comparer ce discours de Fidel Castro à l’ONU avec la médiocrité de la prestation de Trump et de ses homologues qui se considèrent comme les maitres du monde. Il y a de cela 55 ans, ce qui dans l’histoire de l’humanité est un simple clignement de paupière, ceux qui se prenaient alors pour les maitres du monde et plus encore lors de leur fausse victoire de 1991, ne voulaient pas savoir que de Cuba, de sa présence active dans le non alignés, dans l’incarnation d’un peuple dans Fidel, leur fin épuisée s’annonçait. Fidel, celui qui voyait la cible que personne ne percevait et qui concevait la flèche qui l’atteindrait par la conviction des masse, de ce dirigeant du tiers monde a surgi ce que Hegel définirait comme l’irresistible puissance de l’esprit. Nous identifions nous dans la logique du matérialisme historique et dialectique, cette vision de ce qui est déjà là et que pourtant peu de gens perçoivent comme la conscientisation du vivant ou la longue marche actuelle vers un monde multipolaire qui à sa manière s’est exprimée dans cette session historique de l’ONU en 2025. (note de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
nous empruntons ce texte à nos camarades du PRCF qui l’ont publié sur leur site.
Bien qu’on m’ait fait la réputation de parler longuement, ne vous inquiétez pas : je vais tâcher d’être bref et d’exposer ici ce que j’estime de mon devoir d’exposer. Je vais aussi parler lentement, pour collaborer avec les interprètes.
Certains penseront sans doute que la délégation cubaine est très fâchée du traitement qu’elle a reçu. Ce n’est pas vrai. Nous comprenons parfaitement la raison des choses. Voilà pourquoi nous ne sommes pas irrités. Que personne ne s’inquiète : Cuba apportera elle aussi sa petite pierre à l’effort que fait le monde pour se comprendre.
Mais nous allons parler clair, ça oui !
Ça coûte d’envoyer une délégation aux Nations Unies. Nous, les pays sous-développés, nous n’avons pas beaucoup de ressources à dépenser, sauf à parler clairement à cette réunion des représentants de presque tous les pays du monde.
Les orateurs qui m’ont précédé ici ont exprimé leur inquiétude devant des problèmes qui concernent tout le monde. Ces problèmes, ils nous intéressent aussi, certes, mais Cuba connaît en plus une circonstance spéciale, qui devrait constituer actuellement une inquiétude pour le monde. Ce n’est pas pour rien que différents délégués ont situé le problème de Cuba parmi ceux qui inquiètent aujourd’hui le monde. Donc, en plus des problèmes qui inquiètent aujourd’hui le monde, Cuba a les siens qui l’inquiètent, et qui inquiètent son peuple.
On parle de l’aspiration universelle à la paix, de cette aspiration de tous les peuples et, par conséquent, du nôtre. Mais cette paix que le monde doit préserver, il y a belle lurette que nous n’en jouissons pas, nous les Cubains. Les dangers que d’autres peuples peuvent considérer plus ou moins éloignés sont pour nous, en revanche, des problèmes et des inquiétudes très proches. Et il nous ne pas été facile de venir ici pour exposer les problèmes de Cuba. Non, ça n’a pas été facile.
Serions-nous donc des privilégiés ? Serions-nous, la délégation cubaine, les représentants du pire gouvernement au monde ? Méritons-nous, nous la délégation cubaine, le traitement que nous avons reçu ? Et pourquoi justement notre délégation ? Cuba a envoyé de nombreuses délégations aux Nations Unies, Cuba a été représentée par différentes personnes, et c’est pourtant à moi qu’on a appliqué des mesures exceptionnelles : confinement dans l’île de Manhattan, mot d’ordre aux hôtels de ne pas nous louer de chambres, hostilité et, sous prétexte de sécurité, isolement.
Peut-être aucun de vous, messieurs les délégués, qui ne vous représentez pas vous-mêmes, mais qui représentez votre pays et qui vous inquiétez donc des choses qui le concernent, n’a dû subir, à son arrivée à New York, des traitements aussi personnellement vexatoires, aussi physiquement vexatoires, que ceux qu’a dû subir le chef de la délégation cubaine.
Je ne viens pas troubler cette assemblée, je me borne à dire la vérité. Il était temps, d’ailleurs, que nous ayons l’occasion de parler. On parle de nous depuis plusieurs jours, les journaux en parlent, et nous, pas un mot, nous ne pouvions pas nous défendre des attaques ici, dans ce pays. Mais nous avons maintenant l’occasion de dire la vérité et nous ne la laisserons pas échapper.
Traitements vexatoires, tentatives d’extorsion, expulsion de l’hôtel où nous étions descendus, et quand nous nous sommes installés dans un autre hôtel, nous avons fait de notre mieux pour ne pas causer de difficultés, en nous abstenant absolument d’en sortir, en n’assistant à aucun autre endroit que cette salle des Nations Unies, les rares fois où nous l’avons fait, et en ne nous rendant qu’à une seule réception, celle de l’ambassade soviétique… Et pourtant, ça n’a pas suffi pour qu’on nous laisse la paix !
Il y a ici, dans ce pays, une forte immigration cubaine : plus de cent mille Cubains, ces vingt dernières années, sont venus ici, abandonnant la terre où ils auraient toujours voulu rester et où ils souhaitent rentrer, comme le souhaitent toujours ceux qui sont obligés d’abandonner leur patrie pour des raisons sociales ou économiques. Cette population cubaine se consacre au travail, respecte les lois et, bien entendu, éprouve des sentiments envers sa patrie, envers la Révolution. Et elle n’a jamais eu de problèmes ici. Et voilà qu’un beau jour d’autres genres de visiteurs ont commencé à arriver dans ce pays : des criminels de guerre, des individus qui avaient assassiné, dans certains cas, des centaines de nos compatriotes. Et ces individus n’ont pas tardé à se voir encouragés par la publicité, à se voir encouragés par les autorités, si bien que, logiquement, cet encouragement a joué sur leur conduite et qu’ils ont causé fréquemment des incidents avec la population cubaine qui travaille honnêtement dans ce pays depuis de nombreuses années.
Un de ces incidents, provoqués par ceux qui se sentent encouragés par les campagnes systématiques contre Cuba et par la complicité des autorités, a entraîné la mort d’une fillette. Un fait regrettable, et que nous devons tous regretter. Mais les coupables n’étaient pas les Cubains d’ici, et encore moins notre délégation. Et pourtant vous avez sûrement lu les manchettes des journaux : des « groupes pro-Castro » ont causé la mort d’une fillette de dix ans. Et, avec cette hypocrisie caractéristique de ceux qui ont à voir avec les relations entre ce pays-ci et Cuba, un porte-parole de la Maison-Blanche a aussitôt émis une déclaration pour quasiment en accuser la délégation cubaine. Et, bien entendu, l’excellentissime délégué des États-Unis à cette assemblée-ci n’a pas manqué de se joindre à cette comédie, en adressant au gouvernement vénézuélien un télégramme de condoléances aux proches de la victime, comme s’il se sentait obligé de donner une explication depuis les Nations Unies pour quelque chose qui serait virtuellement la faute de la délégation cubaine.
Mais ce n’est pas tout. Quand nous avons été obligés d’abandonner l’hôtel où nous étions descendus et que nous nous rendions au siège des Nations Unies dans l’attente de nouvelles démarches, un hôtel, un modeste hôtel de cette ville-ci, un hôtel du quartier noir de Harlem a offert de nous héberger. La réponse est arrivée alors que nous conversions avec le secrétaire général. Et pourtant un fonctionnaire du département d’État a fait tout son possible pour empêcher que nous nous installions dans cet hôtel, et, tout d’un coup, comme par un coup de baguette magique, d’autres hôtels de New York ont commencé à nous faire des propositions ! Et des hôtels qui avaient refusé avant de nous accueillir ont proposé de le faire, même gratis ! Mais notre délégation, par réciprocité élémentaire, a accepté l’hôtel de Harlem. Nous estimions alors avoir le droit qu’on nous laisse la paix. Eh bien, non !
Comme on ne pouvait pas nous empêcher de séjourner à Harlem, alors les campagnes de diffamation ont commencé. Par exemple, que la délégation cubaine était descendue dans un bordel. Pour certaines personnes, un modeste hôtel du quartier de Harlem, des Noirs des États-Unis, est forcément un bordel. Sans parler de cette volonté d’insulter la délégation cubaine, sans le moindre respect pour les femmes qui font partie de notre délégation…
Si nous étions de l’acabit dont on veut nous peindre à tout prix, l’impérialisme n’aurait pas perdu tout espoir, comme il l’a perdu depuis longtemps, de nous acheter ou de nous séduire d’une manière ou d’une autre. Mais comme il l’a perdu depuis longtemps – il n’avait d’ailleurs aucune raison de l’avoir – il aurait dû au moins admettre, après avoir dit que la délégation cubaine était descendue dans un bordel, que le capital financier impérialiste est une putain qui ne peut pas nous séduire, une putain qui n’est même pas respectueuse, d’ailleurs, comme celle de Jean-Paul Sartre… !
Le problème cubain, donc. Certains d’entre vous sont peut-être bien informés, et d’autres non, peut-être. Tout dépend de vos sources d’information, mais il ne fait pas de doute que le problème cubain, né voilà deux ans, est nouveau. Le monde n’avait pas beaucoup de raisons de savoir que Cuba existait. Pour beaucoup, c’était quelque chose comme un appendice des États-Unis. Pour de nombreux citoyens de ce pays-ci, Cuba était même une colonie des États-Unis. Pas sur les cartes, bien entendu, parce que nous apparaissions sous une couleur différente, mais dans la réalité, oui, nous l’étions !
Et comment notre pays a-t-il fini par devenir une colonie des États-Unis ? Pas par ses origines, assurément. Ce ne sont pas les mêmes hommes qui ont colonisé les États-Unis et qui ont colonisé Cuba. Cuba possède une racine ethnique et culturelle très différente, et cette racine s’est consolidée au cours des siècles. Cuba a été le dernier pays d’Amérique à se libérer du colonialisme espagnol, du joug colonial espagnol, soit dit sans vouloir offenser le représentant du gouvernement espagnol. Et comme elle a été la dernière, elle a dû aussi lutter plus durement.
Comme l’Espagne n’avait plus qu’une seule possession en Amérique, elle l’a défendue bec et ongles. Notre petit peuple, d’à peine un plus d’un million d’habitants à cette époque, a dû faire face, seul, pendant presque trente ans, à une armée considérée parmi les plus fortes d’Europe. Compte tenu de notre petite population, le gouvernement espagnol a fini par mobiliser autant de soldats que ceux qu’il avait envoyés au total pour combattre l’indépendance de l’Amérique du Sud : jusqu’à un demi-million de soldats espagnols se sont opposés à la volonté héroïque et indéfectible de notre peuple d’être libre.
Les Cubains ont lutté seuls pour leur indépendance pendant trente ans. Trente ans qui constituent aussi un sédiment d’amour de la liberté et de l’indépendance dans notre patrie. Mais – de l’avis d’un président étasunien du siècle dernier, John Adams – Cuba était comme une pomme qui pendait de l’arbre espagnol et qui était appelée à tomber, à peine mûre, dans les mains des États-Unis. Car la couronne espagnole s’était épuisée dans notre pays : elle n’avait plus assez de soldats ni de ressources économiques pour poursuivre sa guerre. L’Espagne était battue. Comme, apparemment, la pomme avait mûri, le gouvernement des États-Unis a tendu les mains…
Mais il n’est pas tombé qu’une seule pomme, il en est tombé plusieurs : Porto Rico, l’héroïque Porto Rico qui avait commencé à lutter pour son indépendance en même temps que les Cubains, est tombée ; les îles Philippines sont tombées, et plusieurs autres possessions. Mais les États-Unis ne pouvaient pas recourir au même expédient pour dominer notre pays : notre peuple avait soutenu une lutte terrible et l’opinion du monde lui était favorable. Il fallait donc un expédient différent…
Les Cubains, qui avaient lutté pour leur indépendance, qui continuaient de verser leur sang et de donner leur vie au moment de l’intervention des États-Unis, ont cru de bonne foi à la résolution que le Congrès avait votée le 20 avril 1898 et qui déclarait que Cuba « était de fait et devait être libre et indépendante ».
Le peuple étasunien sympathisait avec la lutte des Cubains. Cette Déclaration conjointe du Congrès avait force de loi et justifiait la déclaration de guerre contre l’Espagne. Mais ça n’a été qu’une illusion, une cruelle tromperie. Au bout de deux années d’occupation militaire de notre patrie, alors que le peuple cubain, par l’intermédiaire d’une Assemblée constituante, était en train de rédiger une Constitution, ne voilà-t-il qu’une autre loi apparaît soudain au Congrès, un amendement proposé par le sénateur Platt – de sinistre mémoire dans notre pays – et selon lequel l’Assemblée constituante devait ajouter à la Constitution une annexe qui concédait aux États-Unis le droit d’intervenir dans les affaires politiques de Cuba et celui d’installer à bail dans différents endroits du pays des stations navales ou charbonnières.
Autrement dit, selon une loi provenant du pouvoir législatif d’un pays étranger, la Constitution de notre patrie devait contenir cette disposition. D’ailleurs, on avait fait savoir très clairement à nos constituants que les forces d’occupation ne seraient pas retirées tant que cet amendement ne ferait pas partie de la Constitution. L’organe législatif d’un pays étranger imposait donc par la force à notre pays le droit d’intervenir et le droit de disposer de bases ou stations navales !
Il est bon que les peuples récemment admis dans cette organisation-ci, que les peuples qui commencent maintenant leur vie indépendante, n’oublient pas l’histoire de notre patrie, compte tenu des similitudes qu’ils pourraient découvrir avec la nôtre. Et sinon eux, du moins leurs fils ou petits-fils, même si je ne crois pas que ça aille si loin…
Et notre patrie a donc commencé à connaître une nouvelle colonisation : achat des meilleures terres arables par les compagnies étasuniennes ; concession de nos ressources naturelles, de nos mines ; concessions pour exploitation des services publics ; concessions commerciales ; concessions de toutes sortes qui, de pair avec le droit constitutionnel – imposé au forceps – d’intervenir dans notre pays, l’ont fait passer du statut de colonie espagnole à celui de colonie étasunienne.
Les colonies n’ont pas de voix. Les colonies n’ont pas l’occasion de s’exprimer. Voilà pourquoi le monde ne savait pas que nous étions une colonie, le monde ne connaissait pas nos problèmes. Un nouveau drapeau, de nouvelles armoiries étaient apparus dans les livres d’histoire, une couleur différente était apparue dans les livres de géographie, et pourtant aucune république indépendante n’existait. Que personne ne se méprenne, car ce serait ridicule de croire le contraire. Que personne ne se méprenne : à Cuba, il n’y avait pas de république indépendante ; il y avait une colonie où celui qui commandait, c’était l’ambassadeur des États-Unis !
Nous n’avons pas honte de le dire, car, face à cette honte-là, nous avons l’orgueil de dire que, maintenant, aucune ambassade ne gouverne plus notre peuple ; que notre peuple, c’est le peuple qui le gouverne ! (Applaudissements.)
La nation cubaine a dû recourir de nouveau à la lutte pour redevenir indépendante. Et elle y est arrivée au bout de sept ans d’une tyrannie sanguinaire. Et par qui était-elle tyrannisée ? Par ceux qui n’étaient dans notre pays que les instruments de ceux qui le dominaient sur le plan économique.
Comment un régime impopulaire et ennemi des intérêts du peuple peut-il bien se maintenir si ce n’est par la force ? Est-ce à moi d’expliquer ici aux représentants de nos peuples frères d’Amérique latine ce que sont les tyrannies militaires ? Devrais-je leur expliquer comment elles se maintiennent ? Devrais-je leur raconter l’histoire de plusieurs de ces tyrannies, désormais classiques ? Devrais-je leur expliquer sur quelles forces elles s’appuient, sur quels intérêts nationaux et internationaux elles s’appuient ?
Le groupe militaire qui a tyrannisé notre pays s’appuyait sur les secteurs les plus réactionnaires de la nation et s’appuyait surtout sur les intérêts économiques étrangers qui dominaient l’économie de notre patrie. Tout le monde sait – et je crois savoir que même le gouvernement étasunien le reconnaît – que c’est le genre de gouvernement que préfèrent les monopoles. Pourquoi ? Parce que, alors, c’est par la force qu’on peut réprimer la moindre demande du peuple, qu’on peut réprimer la moindre grève pour de meilleures conditions de vie, qu’on peut réprimer les mouvements paysans qui réclament la possession de la terre, qu’on peut réprimer les plus chères aspirations de la nation…
Voilà pourquoi ce sont les gouvernements de force que préfèrent ceux qui dirigent la politique des États-Unis. Et voilà pourquoi des gouvernements de force se sont maintenus longtemps au pouvoir en Amérique latine et ils continuent de s’y maintenir. Bien entendu, tout dépend d’une circonstance : s’ils peuvent compter ou non sur l’appui du gouvernement étasunien…
Tenez, celui-ci dit maintenant qu’il s’0ppose à l’un de ces gouvernements de force, celui de Trujillo, mais on ne sache pas qu’il s’oppose à d’autres, comme celui du Nicaragua ou celui du Paraguay, par exemple. Celui du Nicaragua n’est d’ailleurs même plus un gouvernement de force : c’est une monarchie presque aussi constitutionnelle que celle d’Angleterre, où le pouvoir passe de père en fils, ce qui aurait fini par arriver aussi dans notre pays. Le gouvernement de Fulgencio Batista était le gouvernement de force qui convenait aux monopoles étasuniens à Cuba, mais pas, bien entendu, au peuple cubain. Et le peuple cubain, au prix de beaucoup de vies et de sacrifices, l’a expulsé du pouvoir !
Qu’est-ce que la Révolution a trouvé à Cuba en arrivant au pouvoir ? Quelles merveilles a-t-elle rencontrées ? Eh bien, tout d’abord, que six cent mille Cubains aptes au travail n’avaient pas d’emplois. Autrement dit, par rapport à sa population, il y avait autant de chômeurs permanents dans notre pays qu’il y en avait aux États-Unis quand la grande crise a secoué ce pays et y a provoqué presque une catastrophe. Trois millions de personnes, sur un total de six millions, n’avaient pas l’électricité et donc aucun des avantages qui en découlent ; trois millions et demi de personnes vivaient dans des chaumières, des baraquements et des taudis, sans les moindres conditions de logement. Dans les villes, le loyer absorbait jusqu’au tiers des revenus familiaux. Les tarifs de l’électricité et les loyers étaient parmi les plus chers au monde. 37,5 p. 100 de la population était analphabète ; 70 p. 100 des enfants dans les campagnes n’avaient pas de professeurs ; 2 p. 100 de la population avait la tuberculose, soit cent mille personnes sur un total de six millions. 95 p. 100 des enfants des campagnes étaient rongés de parasites, d’où une mortalité infantile très élevée et une espérance de vie très basse. Par ailleurs, 85 p. 100 des agriculteurs étaient des métayers, et les rentes leur enlevaient jusqu’à 30 p. 100 de leurs revenus bruts, tandis que 1,5 p. 100 des propriétaires contrôlait 46 p. 100 de la surface arable du pays. Bien entendu, la quantité de lits d’hôpital par tant d’habitants était ridicule quand on la compare à celle des pays où il existe des soins médicaux moyennement corrects.
Les services publics, dont l’électricité et le téléphone, étaient la propriété de monopoles étasuniens.
Une grande partie des banques, une grande partie du commerce d’importation, les raffineries de pétrole, le gros de la production sucrière, les meilleures terres et les industries les plus importantes dans tous les domaines étaient la propriété de compagnies étasuniennes. La balance des paiements durant ces dix dernières années, de 1950 à 1960, avait été favorable aux États-Unis pour un milliard de dollars.
Sans parler des centaines de millions de dollars dérobés au trésor public par les dirigeants corrompus de la tyrannie qui les ont déposés dans des banques des États-Unis ou d’Europe.
Un milliard de dollars en dix ans ! Un pays pauvre et sous-développé des Caraïbes, avec six cent mille chômeurs, contribuant au développement économique du pays le plus industrialisé au monde !
Voilà la situation que nous avons trouvée. Elle ne doit pas étonner, assurément, de nombreux pays représentés à cette Assemblée car ce que j’ai dit de Cuba n’est, somme toute, qu’une radiographie, un diagnostic général de la situation de la plupart d’entre vous.
Que devait donc faire le Gouvernement révolutionnaire ? Trahir le peuple ? Évidemment, pour monsieur le président des États-Unis, ce que nous avons fait en faveur de notre peuple est une trahison. Ça n’en serait certainement pas une si, au lieu d’être loyaux à notre peuple, nous avions été loyaux aux grands monopoles étasuniens qui exploitaient l’économie de notre pays. Qu’il reste en tout un témoignage des « merveilles » que la Révolution a trouvées en arrivant au pouvoir, qui ne sont rien de moins que les « merveilles » de l’impérialisme, qui ne sont rien de moins que les « merveilles » du «monde libre » pour nous, les pays colonisés !
On ne saurait en tout cas nous accuser, nous, du fait que Cuba ait compté 600 000 analphabètes, 37,5 p. 100 de la population analphabète, 2 p. 100 de tuberculeux, 95 p. 100 d’enfants parasités. Non ! Aucun de nous ne pesait jusqu’à cette minute-ci sur les destinées de notre patrie. Jusqu’à cette minute-ci, ce sont les dirigeants au service des intérêts des monopoles qui pesaient sur les destinées de notre pays, ce sont les monopoles qui comptaient dans notre pays… Quelqu’un leur a-t-il mis des bâtons dans les roues ? Non, personne ne leur a mis des bâtons dans les roues ! Quelqu’un les a-t-il gênés ? Non, personne ne les a gênés ! Les monopoles ont tout tranquillement fait leur boulot, et nous en avons vu les fruits…
Quelles étaient les réserves de la nation ? Quand le tyran Batista s’est emparé du pouvoir, les réserves nationales comptaient cinq cent millions de dollars, une somme suffisante pour l’investir dans le développement industriel du pays ; quand la Révolution cubaine est arrivée au pouvoir, il n’en restait que soixante-dix millions.
Quelqu’un s’inquiétait-il du développement industriel de notre pays? Non, personne ! Jamais ! Voilà pourquoi nous ne sortons pas de notre étonnement d’apprendre ici que le gouvernement étasunien s’inquiète maintenant extraordinairement du sort des pays latino-américains, des pays africains, des pays asiatiques ! Nous n’en sortons pas, non, parce que, cinquante ans après, nous en connaissons les fruits !
Qu’a donc fait le Gouvernement révolutionnaire ? Quel crime a donc commis le Gouvernement révolutionnaire pour recevoir le traitement qu’on nous a dispensé ici, pour avoir ici, comme tout l’indique, des ennemis aussi puissants ?
Les problèmes avec le gouvernement étasunien sont-ils apparus dès le premier instant ? Non ! Est-ce que nous cherchions à tout prix, une fois arrivés au pouvoir, à avoir des problèmes internationaux ? Non ! Aucun gouvernement révolutionnaire qui arrive au pouvoir ne se cherche des problèmes internationaux. Ce qu’il veut, c’est faire en sorte de résoudre ses propres problèmes ; ce qu’il veut, c’est mettre en œuvre un programme, comme le veulent les gouvernements vraiment attachés au progrès de leur pays.
En tout cas, de notre côté, la première circonstance que nous avons jugée inamicale, c’est que le gouvernement de ce pays ait ouvert les portes de part en part à une clique de criminels qui avaient ensanglanté notre patrie, à des gens qui avaient assassiné des centaines de paysans innocents, qui n’ont pas cessé de torturer des prisonniers pendant des années, qui ont tué à tour de bras. Pourtant, on les a accueillis ici à bras ouverts ! Et, vrai, ça nous étonnait. Pourquoi cet acte inamical envers Cuba de la part des autorités étasuniennes ? Pourquoi cet acte d’hostilité ? À ce moment-là, nous ne le comprenions pas très bien ; c’est maintenant que nous en saisissons vraiment les raisons. Est-ce que cette attitude envers Cuba correspondait vraiment à une politique correcte dans les relations bilatérales ? Non, et nous avions tout le droit de nous sentir offensés, parce que c’est grâce à l’appui des États-Unis que le régime de Batista a pu se maintenir, grâce à l’appui des chars, des avions et des armes que lui fournissait le gouvernement étasunien, grâce à une armée dont les officiers étaient conseillés par la mission militaire des États-Unis, et je n’ose croire qu’aucun fonctionnaire étasunien aille nier cette vérité…
Quand l’Armée rebelle est entrée dans La Havane, la mission militaire étasunienne était bel et bien là, dans le camp militaire le plus important de la ville. Une armée qui s’était effondrée, une armée vaincue, ayant rendu les armes. Et nous aurions eu parfaitement le droit de considérer comme des prisonniers de guerre ces militaires étrangers qui aidaient et conseillaient les ennemis du peuple ! Et pourtant nous ne l’avons pas fait. Nous nous sommes bornés à demander aux membres de cette mission militaire de regagner leur pays. Après tout, nous n’avions pas besoin de leurs leçons, puisque nous avions vaincu leurs élèves !
J’ai là un document (il le montre). Que personne ne s’étonne qu’il soit déchiré ! C’est moi-même qui l’ai déchiré, parce qu’il s’agit d’un pacte militaire qui permettait à la tyrannie de Batista de recevoir une aide généreuse de la part du gouvernement étasunien. Écoutez donc ce que disait l’article 2 :
« Le gouvernement de la République de Cuba s’engage à utiliser efficacement l’aide qu’il reçoit du gouvernement des États-Unis d’Amérique au titre du présent accord, à réaliser les plans de défense acceptés par les deux gouvernements conformément auxquels ils prendront part à des missions importantes pour défendre le continent, et, sauf à obtenir au préalable l’assentiment du gouvernement des États-Unis d’Amérique… » – je le répète – « sauf à obtenir au préalable l’assentiment du gouvernement des États-Unis d’Amérique, cette aide ne sera pas destinée à d’autres fins que celles pour lesquelles elle a été prêtée. »
Cette aide a servi à combattre les révolutionnaires cubains, et ça s’est donc fait avec l’assentiment du gouvernement des États-Unis. Et quand, quelques mois avant la fin de la guerre, alors que le gouvernement étasunien avait décrété solennellement un embargo sur les armes envoyées à Batista – au bout de six mois et quelques d’aide militaire ! – l’Armée rebelle a eu des preuves documentaires que les forces de la tyrannie avaient pourtant reçu trois cents roquettes aériennes…
Quand nos compagnons de l’émigration ont présenté ces documents à l’opinion publique étasunienne, le gouvernement de ce pays n’a pas trouvé d’autre explication que de dire que nous faisions erreur, qu’il ne s’agissait pas de nouvelles livraisons, qu’il s’était contenté de changer des roquettes d’un calibre donné pour d’autres qui avaient le bon calibre ! Et celles-là, oui, elles servaient, et la tyrannie les a certainement utilisées contre nous quand nous étions dans les montagnes. Une manière tout à fait particulière de vouloir expliquer l’inexplicable ; pour les États-Unis, ce n’était pas une aide, mais une sorte d’ « assistance technique »…
Compte tenu de ces antécédents qui avaient irrité notre peuple, pourquoi avoir envoyé ces armes ? À plus forte raison quand tout le monde sait, même le plus naïf, qu’à notre époque, avec la révolution qu’ont connue les équipements militaires modernes, les armes de la dernière guerre sont absolument démodées pour une guerre moderne ! Ce n’est pas avec cinquante chars ou blindés, avec quelques avions passés de mode que vous allez pouvoir défendre un continent ! En revanche, ces armes servent à opprimer les peuples désarmés, servent à intimider les peuples. Ils servent à défendre les monopoles. Ces pactes de défense continentale, on ferait mieux de les appeler des pactes de défense des monopoles étasuniens !
Donc, le Gouvernement révolutionnaire prend des premières mesures. Tout d’abord, baisser les loyers de moitié, une mesure tout à fait juste parce que, comme je l’ai déjà dit, il y avait des familles qui y dépensaient le tiers de leurs revenus. Les logements, les terrains à construire avaient fait l’objet d’une forte spéculation aux dépens de la population. Donc, quand le Gouvernement révolutionnaire baisse les loyers de moitié, ça a fâché certains, bien entendu, les propriétaires, qui ne sont pas si nombreux que ça, mais la population, elle, a sauté de joie, comme ça se passerait dans n’importe quel pays, et comme ça se passerait ici même, à New York, si on diminuait les loyers de moitié pour toutes les familles ! Mais cette mesure ne représentait aucun souci pour les monopoles, même si certaines compagnies étasuniennes, mais relativement peu, possédaient des immeubles.
La loi suivante a annulé les concessions que le gouvernement tyrannique de Fulgencio Batista avait faites à la compagnie des téléphones, qui était un monopole étasunien. Comme le peuple était sans défense, la tyrannie avait fait ces concessions, et le Gouvernement révolutionnaire les a annulées pour rétablir les tarifs téléphoniques antérieurs. Là, oui, il y a eu un premier conflit avec un monopole étasunien…
La troisième mesure a consisté à baisser les tarifs de l’électricité, qui étaient parmi les plus élevés au monde. Et là, deuxième conflit avec un monopole étasunien. Là, nous commencions à sentir le communiste ; là, on commençait à nous peinturlurer de rouge, tout simplement parce que nous touchions aux intérêts des monopoles des États-Unis !
Puis est venue une autre loi, une loi indispensable, une loi inévitable, inévitable pour notre patrie et inévitable, tôt ou tard, pour tous les peuples du monde… du moins pour ceux qui ne l’auraient pas encore faite : la loi de Réforme agraire. Bien entendu, en théorie tout le monde est d’accord avec ça. Personne n’ose nier, à moins d’être un ignorant, que la réforme agraire est une condition essentielle du développement économique dans tous les pays sous-développés du monde. À Cuba, même les latifundiaires étaient d’accord avec la réforme agraire… une réforme agraire à leur manière, bien entendu, une réforme agraire comme celle que défendent de nombreux théoriciens ; et surtout, qu’elle soit d’une manière ou d’une autre, qu’elle ne puisse jamais se concrétiser ! Les organismes économiques des Nations Unies le reconnaissent, personne ne le conteste plus, donc. Dans notre pays, elle était indispensable : plus de deux cent mille familles paysannes vivaient dans les campagnes sans avoir de terres où produire les aliments essentiels.
Sans réforme agraire, donc, notre pays n’aurait pas pu faire le premier pas vers le développement. Et alors, oui, nous l’avons fait. Nous avons fait une réforme agraire. Était-elle radicale ? Oui, elle était radicale. Très radicale? Nous, pas très radicale. Nous avons fait une réforme agraire ajustée aux besoins de notre développement, ajustée à nos possibilités de développement agricole. Autrement dit, une réforme agraire qui réglerait le problème des paysans sans terre, qui réglerait la question des approvisionnements en aliments indispensables, qui réglerait la question du terrible chômage dans les campagnes, qui mettrait fin à la misère terrible que nous avions vue dans les campagnes de notre pays.
Et c’est là qu’est apparue la première véritable difficulté. La même chose s’était passé dans la république voisine du Guatemala. C’est quand elle a fait la réforme agraire que ses problèmes ont commencé. J’avertis en toute honnêteté les compagnons qui représentent l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie : quand vous ferez une réforme agraire juste, préparez-vous à vous retrouver dans des situations pareilles à la nôtre, surtout si les meilleures terres, si les plus grandes exploitations sont, comme elles l’étaient à Cuba, la propriété des monopoles étasuniens ! (Applaudissements prolongés.)
Il se peut qu’on m’accuse de donner de mauvais conseils à cette Assemblée… Ce n’est pas mon intention d’empêcher qui que ce soit de dormir. J’expose tout simplement les faits, bien que les faits suffisent largement à empêcher qui que ce soit de dormir.
Aussitôt, le problème de l’indemnisation s’est posé. Les notes du département d’État ont commencé à pleuvoir. On ne nous a jamais posé des questions sur nos problèmes, jamais, même pas par commisération ou parce que les États-Unis ont une grande part de responsabilité dans tout ça. On ne nous a jamais demandé, par exemple, combien de gens mouraient de faim dans notre pays, combien il y avait de tuberculeux, combien de personnes sans travail… Non, jamais. Des sentiments de solidarité envers nos besoins ? Jamais. Toutes les conversations des représentants du gouvernement étasunien portaient sur la compagnie de téléphone, sur la compagnie d’électricité, sur le problème des terres des compagnies étasuniennes…
On nous demandait : comment allez-vous payer ? Alors que, bien entendu, la première question à poser était : avec quoi allez-vous payer ? Pas comment, mais avec quoi ! Concevez-vous qu’un pays pauvre, sous-développé, avec six cent mille chômeurs, avec un taux si élevé d’analphabètes, de malades, dont les réserves avaient été pillées, qui a contribué à l’économie d’un pays puissant à hauteur d’un milliard de dollars en dix ans, puisse avoir de quoi payer pour les terres qui allaient être touchées par la réforme agraire, ou du moins puisse payer aux conditions qu’on nous réclamait ?
Qu’est-ce que le département d’État nous réclamait pour ses intérêts censément lésés ? Trois choses : un paiement « prompt, efficace et juste ». Vous comprenez ce langage ? Paiement « prompt, efficace et juste ». Ce qui veut dire : « paiement sur-le-champ, en dollars et autant que nous le demandons pour nos exploitations » (applaudissements).
Nous n’étions pas encore communistes à cent cinquante pour cent ! (Rires.) Nous étions juste un peu teintés de rouge. Nous ne confisquions pas les terres : nous proposions simplement de les payer en vingt ans et de la seule manière dont nous pouvions les payer : en bons, à 4,5% d’intérêt, amortis annuellement.
Comment allions-nous pouvoir payer les terres en dollars ? Et comment allions-nous pouvoir les payer sur-le-champ ? Et comment allions-nous pouvoir les payer à la hauteur qu’ils demandaient, eux ? C’était absurde. Tout le monde comprend que, dans ces circonstances, nous devions choisir entre faire la réforme agraire et ne pas la faire. Si nous ne la faisions pas, la situation économique épouvantable de notre pays durerait indéfiniment. Si nous la faisions, nous nous exposions à l’inimitié du gouvernement de notre puissant voisin du Nord.
Et nous avons fait la réforme agraire. Évidemment, un représentant de la Hollande ou de n’importe quel autre pays européen s’étonnerait des limites que nous avions fixées aux exploitations. En superficie, j’entends. La loi fixait le maximum de terre à quatre cents hectares. En Europe, quatre cents hectares constituent un véritable latifundio ; à Cuba, où des compagnies monopolistiques étasuniennes en possédaient près de deux cent mille – deux cent mille hectares, je le répète, si jamais quelqu’un pense avoir mal entendu ! – une réforme agraire qui réduisait la surface maximale à quatre cent hectares était inadmissible pour ces monopoles.
Mais ce n’étaient pas seulement les terrains qui appartenaient aux monopoles étasuniens. Les principales mines leur appartenaient, aussi. Cuba, par exemple, produit du nickel, mais celui-ci était exploité uniquement par des intérêts étasuniens. Sous la tyrannie de Batista, une société étasunienne, la Moa Bay, avait obtenu des concessions si juteuses qu’elle allait pouvoir amortir en cinq ans un investissement de cent vingt millions de dollars – cent vingt millions de dollars amortissables en cinq ans !
Qui avait fait cette concession à la Moa Bay par ambassadeur des États-Unis interposé ? Tout simplement, le gouvernement tyrannique de Fulgencio Batista, le gouvernement qui était là pour défendre les intérêts des monopoles. C’est un fait absolument certain. Aucun impôt à payer ! Qu’est-ce que ces entreprises allaient nous laisser à nous, les Cubains? Les trous des mines, la terre appauvrie, pas la moindre contribution au développement économique du pays…
Et le Gouvernement révolutionnaire promulgue alors une loi sur les mines, qui obligeait ces monopoles à payer un impôt de 25 p. 100 sur l’exportation de ces minerais. Alors, là, le Gouvernement révolutionnaire était allé trop loin ! Il avait lésé les intérêts d’un « trust » électrique international, il avait lésé les intérêts d’un « trust » téléphonique international, il avait lésé les intérêts des « trusts » miniers internationaux, il avait lésé les intérêts de l’United Fruit Company, il avait lésé virtuellement les intérêts les plus puissants des États-Unis qui, comme vous le savez, sont étroitement associés entre eux. C’était plus que ne pouvait supporter le gouvernement des États-Unis, autrement dit le représentant des monopoles de ce pays. Et une nouvelle étape de harcèlement contre notre Révolution a commencé. Quiconque analyse objectivement les faits, quiconque est disposé à penser honnêtement, non à penser selon ce que dit l’UPI ou l’AP, à penser avec sa tête, à tirer les conclusions de son propre raisonnement, avec sincérité, avec honnêteté, se pose la question : ce qu’avait fait le Gouvernement révolutionnaire méritait-il qu’on décrète la destruction de la Révolution cubaine ? Non. Mais les intérêts lésés par la Révolution cubaine ne s’inquiétaient pas pour le cas de Cuba en soi, parce que ces mesures ne les ruinaient pas, tant s’en faut ; le problème n’était pas là : le hic, c’est que ces mêmes intérêts possèdent les richesses et les ressources naturelles de la plupart des pays du monde. C’est pour ça qu’il fallait punir la Révolution cubaine ! Qu’il fallait engager des actions punitives de toutes sortes pour détruire ces effrontés, ce Gouvernement révolutionnaire, qui avaient fait preuve d’une telle audace !
Je jure sur l’honneur que nous n’avions même pas encore eu l’occasion d’échanger la moindre lettre avec l’honorable Premier ministre de l’Union soviétique, Nikita Khrouchtchev ! Autrement dit, alors que la presse étasunienne et les agences internationales qui informent le monde affirmaient que Cuba était un gouvernement rouge, un péril rouge à cent quarante kilomètres des États-Unis, un gouvernement dominé par les communistes, le Gouvernement révolutionnaire n’avait même pas établi de relations diplomatiques ou commerciales avec l’Union soviétique !
Mais l’hystérie est capable de tout. L’hystérie est capable d’affirmer les choses les plus invraisemblables et les plus absurdes. Bien entendu, que personne ne pense que je vais faire ici mon mea-culpa. Pas question de mea-culpa ! Je n’ai à demander pardon à personne ! Ce que nous avons fait, nous l’avons fait très conscients, et surtout très convaincus de notre droit de le faire ! (Applaudissements prolongés.)
C’est alors que les menaces contre nos contingents d’exportation sucrière ont commencé : l’impérialisme, selon une politique bon marché, a prétendu démontrer sa noblesse – sa noblesse égoïste et exploiteuse – affirmant que les États-Unis nous payaient un prix privilégié pour notre sucre, qu’ils subventionnaient quasiment le sucre cubain. Oui, mais ce sucre n’est pas si doux pour les Cubains, parce que nous n’étions pas les maîtres des meilleurs terres de canne à sucre, ni les maîtres des sucreries les plus importantes. De plus, cette affirmation des États-Unis occulte la véritable histoire du sucre cubain, les sacrifices qu’on a imposés à Cuba, toutes les fois où Cuba a été agressée du point de vue économique. Avant, il ne s’agissait pas des contingents d’exportation, mais des tarifs douaniers. Grâce à un accord du genre « requin/sardine » signé avec Cuba, le traité dit de « réciprocité », les États-Unis avaient obtenu une série de concessions pour leurs produits afin d’être compétitifs et de pouvoir déloger du marché cubain les produits de leurs « amis » anglais ou français, comme ça arrive souvent entre « amis ». Ils avaient octroyé en échange à notre sucre quelques concessions tarifaires qui pouvaient varier d’ailleurs selon les circonstances, puisqu’elles dépendaient de la volonté du Congrès ou gouvernement. Voilà comment ça se passait. Quand les États-Unis l’estimaient utile à leurs intérêts, ils élevaient les tarifs, et notre sucre ne pouvait plus entrer sur le marché de ce pays, ou alors il le faisait dans des conditions désavantageuses. Ou bien, devant des menaces de guerre, ils rabaissaient les tarifs, parce que comme Cuba était la source d’approvisionnement la plus sûre pour eux, ils devaient la garantir. Bref, ils réduisaient alors les tarifs, la production cubaine recevait un coup de fouet, mais, en temps de guerre, alors que les cours du sucre étaient à leur apogée dans le reste du monde, nous, nous vendions notre sucre bon marché aux États-Unis, alors pourtant que nous étions la seule source d’approvisionnement.
Quand la guerre prenait fin, notre économie s’effondrait. Les erreurs commises aux États-Unis dans la distribution de cette matière première, c’est nous qui les payions. Ainsi, pendant la première guerre mondiale, les cours s’étaient élevés extraordinairement et la production cubaine avait reçu un coup de fouet ; mais, à la fin de la guerre, les cours se sont effondrés, ce qui a provoqué la ruine des sucreries cubaines qui ont fini par aboutir aux mains de – vous savez qui ? – des banques étasuniennes, tout simplement ! Quand les propriétaires cubains se ruinaient, les banques étasuniennes à Cuba s’enrichissaient…
Et cette situation s’est maintenue jusque dans les années 30 quand le gouvernement des États-Unis, qui cherchait à trouver une formule qui concilie ses intérêts en approvisionnements sucriers et ceux de ses producteurs internes, a établi un régime de contingentements dont la base devait être censément les niveaux de participation historique de chaque fournisseur sur le marché étasunien. Historiquement, le sucre cubain avait participé à presque 50 p. 100 sur ce marché. Pourtant, une fois établis les contingentements, le gouvernement étasunien a fixé notre participation à 28 p. 100 ! De plus, les avantages que nous avait procurés cette nouvelle loi ont été supprimés graduellement par de nouvelles législations. C’était logique : la colonie dépendait de la métropole qui avait organisé son économie ; la colonie devait rester soumise à la métropole ; si la colonie prenait des mesures pour se libérer, la métropole en prenait d’autres pour l’écraser. Ainsi, après le triomphe de la Révolution, le gouvernement étasunien, qui savait que notre économie dépendait de son marché, a menacé de nous retirer nos contingentements sucriers.
Parallèlement, d’autres activités ont démarré aux États-Unis : celles des contre-révolutionnaires. Un après-midi, un avion en provenance des mers du Nord survole une de nos sucreries et largue une bombe : un fait curieux, un fait insolite, mais nous savions bien entendu d’où venait cet avion… Un autre après-midi, un nouvel avion survole nos plantations de canne à sucre et laisse tomber des bombes incendiaires. Et ce genre d’action s’est poursuivi presque systématiquement.
Un après-midi, justement quand de nombreux agents de voyage étasuniens étaient réunis à Cuba parce que le Gouvernement révolutionnaire s’efforçait de promouvoir le tourisme comme source de revenus, un avion de fabrication étasunienne, de ceux qu’on avait utilisés dans la dernière guerre, a survolé notre capitale, larguant des tracts et des grenades à main. Bien entendu, des pièces d’artillerie antiaérienne sont entrées en action. Résultat ? Quarante victimes, entre les grenades lancées depuis l’avion et le feu antiaérien, car, vous le savez, certains de ces projectiles explosent en entrant en contact avec un objet résistant. Donc, plus de quarante victimes. Des fillettes aux entrailles déchirées, des personnes âgées…
Est-ce que c’était la première fois pour nous ? Non, des enfants, des personnes âgées avaient été bien souvent victimes dans nos campagnes de bombes de fabrication étasunienne livrées au tyran Batista.
Cette année-ci, quatre-vingts ouvriers ont péri dans l’explosion mystérieuse – trop mystérieuse – d’un navire lors du déchargement à La Havane d’armes achetées en Belgique. Et justement le gouvernement des États-Unis avait tout fait pour que le gouvernement belge ne nous vende pas d’armes. Ainsi donc, des dizaines de victimes pendant la guerre ; quatre-vingts familles endeuillées par cette explosion ; quarante victimes à cause d’un avion qui survole tout tranquillement notre territoire… Bien entendu, les autorités étasuniennes ont nié que cet avion – et les autres – provenaient de chez elles. Mais une revue cubaine a publié une photo de cet avion garé dans un hangar d’aéroport, et les autorités étasuniennes ont dû réagir et l’ont saisi, tout en affirmant que les victimes n’avaient pas été touchées par les bombes, mais par les tirs antiaériens. Et les auteurs de ces forfaits, de ce crime, n’ont même pas été appréhendés aux États-Unis où ils peuvent poursuivre leurs actions…
J’en profite pour dire à son excellence le délégué des États-Unis que de nombreuses mères cubaines attendent toujours ses télégrammes de condoléances pour leurs enfants assassinés par les bombes des États-Unis ! (Applaudissements.)
Et les avions vont et viennent. Pas de preuves, nous dit-on. Je ne sais pas quelles autres preuves il faudrait fournir ! L’avion pris en photo et saisi, par exemple, mais on nous disait que cet avion n’avait pas lancé de bombes. Et pourquoi les autorités étasuniennes seraient-elles si bien informées ? En tout cas, les vols pirates et le largage de bombes incendiaires ont continué. Nous avons perdu des millions de pesos à cause des plantations incendiées, de nombreuses personnes du peuple – oui, des petites gens qui voyaient disparaître une richesse qui leur appartient maintenant – ont souffert des brûlures et des lésions en luttant contre ces incendies causés par les bombes d’avions pirates.
Jusqu’au jour où la bombe que devait larguer un avion sur une sucrerie a explosé dans l’appareil, et le Gouvernement révolutionnaire a eu l’occasion de ramasser les restes du pilote, qui était, soit dit en passant, étasunien, parce qu’il avait ses papiers sur lui, et de l’appareil, avec toutes les preuves de l’endroit d’où il avait décollé. Cet avion était passé par deux bases étasuniennes. Comme c’était dès lors absolument impossible de le nier, le gouvernement des États-Unis a dû fournir une explication au gouvernement cubain. Quand il a été prouvé que cet avion avait décollé des États-Unis, le gouvernement étasunien n’a pas proclamé son droit d’incendier nos plantations de canne : il nous a présenté ses excuses et dit qu’il le regrettait. Nous avons eu de la chance, nous, au fond ! Parce que, lors du fameux incident de l’U-2, le gouvernement des États-Unis n’a pas présenté d’excuses à l’Union soviétique : il a proclamé son droit de survoler son territoire ! Des malchanceux, ces pauvres Soviétiques ! (Applaudissements.)
Mais nous n’avons pas beaucoup de défense antiaérienne et les avions ont continué de survoler notre territoire. Ces vols et ces bombardements ont cessé à la fin de la campagne sucrière, quand il n’y avait plus de plantations à incendier… Nous étions le seul pays au monde à devoir supporter ce genre de harcèlement. Encore que, je m’en rappelle maintenant, le président Sukarno, en visite à Cuba, nous a dit de ne pas croire que nous étions les seuls, qu’il avait eu lui aussi des problèmes avec des avions étasuniens qui survolaient son pays. Je ne sais pas si j’ai commis une indiscrétion, j’espère que non ! (Rires et applaudissements.)
En tout cas, sur ce continent en paix, nous étions le seul pays qui, sans être en guerre avec personne, devait supporter le harcèlement incessant d’avions pirates. Comment ces avions pouvaient-ils entrer et sortir impunément ? J’invite les délégués de l’Assemblée à réfléchir un peu, et j’invite aussi le peuple étasunien, si tant est qu’il ait l’occasion de s’informer des choses dont on parle ici, à réfléchir au fait que, selon les affirmations du gouvernement étasunien, les États-Unis sont parfaitement surveillés et protégés contre n’importe quelle incursion aérienne, que les mesures de défense du territoire étasunien sont infaillibles, que les mesures de défense du monde soi-disant « libre » selon eux – parce qu’il ne l’a pas été pour nous jusqu’au 1er janvier 1959 – sont infaillibles, que ce territoire-ci est parfaitement défendu. Si c’est ainsi, comment se fait-il que des avions – pas des avions supersoniques, mais des coucous qui volent à peine à 250 km/h – puissent sortir et entrer tout tranquillement des États-Unis, passer à l’aller par deux bases et par deux bases au retour, sans que le gouvernement des États-Unis le sache ? Alors, de deux choses l’une : soit le gouvernement des États-Unis ment à son peuple et les États-Unis n’ont pas de défense contre les incursions aériennes, soit le gouvernement des États-Unis en est complice ! (Applaudissements.)
En tout cas, les incursions aériennes ont cessé, et l’agression économique a commencé. Quel était l’un des arguments des adversaires de la réforme agraire ? Qu’elle sèmerait le chaos dans la production agricole, que celle-ci diminuerait considérablement, si bien que le gouvernement étasunien craignait que Cuba ne puisse pas s’acquitter de ses engagements d’approvisionnement du marché des États-Unis. Alors, comme il est bon que les délégations des nouveaux pays ici présentes se familiarisent avec ces choses parce qu’il se peut qu’elles doivent répondre un jour à ce genre d’arguments, reprenons-les. Premier argument : que la réforme agraire ruinerait le pays. Eh ! bien, non, ce n’est pas arrivé. Si la réforme agraire avait ruiné le pays, si la production agricole avait chuté, alors le gouvernement étasunien n’aurait pas eu besoin de lancer son agression économique !
Suite du discours :
Views: 9