Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Comment l’Amour partage et unit la Chine et la Russie

Il y a des relations de voisinage historique entre la Chine et la Russie. Nous avons esquissé dans notre livre certains traits de cette relation mais il nous semble vraiment que pour être complet si l’on en reste au fleuve Amour, le couple est un trio avec l’élucidation du rôle de la Corée du nord mais aussi du Sud… Si l’on descend c’est cette fois l’Asie centrale et le Pacifique… L’Europe, enfin l’UE est qu’elle le veuille ou non impliquée dans cette histoire et ses diverses temporalités. Aujourd’hui plus que jamais, parce que comme nous l’avons vu dans un récent article, l’immense Russie a hérité de l’URSS des formes d’autonomie régionales dans lesquelles le socialisme redevient une expérimentation (1). Le fait est qu’il y a la symbole de ce pont qui s’est heurté pendant de nombreuses années à des obstacles qui ont été levés après la pandémie et alors que les sanctions de l’UE s’abattaient sur la Russie. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

(1) La Khakassie est devenue le flambeau de la lutte pour la démocratie locale – Histoire et société

Ce n’est qu’en 1636 que le Gouverneur de la ville de Iakoutsk dirigea plusieurs explorations vers le fleuve Amour. La plus importante fut menée par le commandant Vassili Poyarkov, premier Russe à avoir navigué sur l’Amour depuis l’un de ses confluents, la Zeïa, jusqu’à son embouchure.

Les expéditions qui suivirent permirent de construire plusieurs forts le long du fleuve comme celui d’Albazine. L’une de ces expéditions, conduite par le russe Stepanov, s’aventura plus au sud, sur le fleuve Sungari, mais fut stoppée par les Chinois. Quelques années plus tard, lui et 270 autres camarades furent tués à l’embouchure de ce même fleuve, ce qui força les Russes à abandonner temporairement la zone.

Dans les années 1670, bien que les expéditions sur l’Amour aient été déconseillées, les habitants d’Albazine persistèrent à vouloir explorer le fleuve. Logiquement, un conflit avec la Chine éclata de nouveau. Mais il aboutit cette fois-ci à la signature d’un traité fondateur : le traité de Nertchinsk qui délimita pour la première fois la frontière russo-chinoise et qui décida de la destruction d’Albazine.

C’est le premier traité conclu par la Chine avec une puissance européenne. Les Russes furent refoulés au-delà du grand fleuve mais obtinrent la permission de faire du commerce en territoire chinois pour les nationaux munis d’un passeport en règle.

À la suite de ce traité, la guerre laissa place à un jeu politique complexe de part et d’autre de la frontière : les ambassades. Ces missions politiques délicates mises en place par chaque camp avaient pour but de faciliter la signature d’accords entre les parties ou simplement de faire pression sur l’adversaire dans tel ou tel domaine. Commença

Quoi qu’il en soit, les Russes ne perdirent pas de vue l’occupation de l’Amour. En 1725, un nouvel accord fut d’ailleurs signé : la frontière fut mieux définie et de nouveaux arrangements furent pris pour les caravanes de marchandises russes.

Cet accord posa les bases de la relation entre la Russie et la Chine jusqu’au XIXe siècle. À la suite d’un arrangement en 1851, les Russes obtinrent d’établir une maison de commerce à Kouldja : la proie que convoitait le pays depuis 169 ans allait enfin lui appartenir.

De nouveau, les Russes explorèrent en bateau l’Amour, chose inédite depuis le traité de Nertchinsk. Et le 16 mai 1857, le traité de Pékin fut signé avec la Chine. Il déclara russe la rive gauche de l’Amour depuis l’embouchure du fleuve jusqu’à l’Argoun : la conquête était achevée. 

Le fleuve Amour, une importance économique relative

L’Amour régna pendant longtemps sur les peuples de Sibérie dont il façonna la vie, inspira l’art, les traditions et les croyances. Il est l’épine dorsale de la région et coule sur une terre aux climats contrastés, associant faune et flore nordiques et quasi tropicales.

On retrouve par exemple dans son bassin la taïga, forêt boréale composée de conifères (pins, sapins, épicéas, mélèzes) associés aux feuillus (bouleaux, aulnes) et dont l’écosystème est extrêmement riche. Cette forêt est d’ailleurs le symbole le plus reconnu de la diversité et de la spécificité de la faune russe.

Le fleuve, dès la confluence de l’Argoun et de la Tchilka, est entièrement navigable. Il permet de transporter vers l’ouest du bois et du pétrole et vers l’est des céréales, des machines et autres produits provenant de Russie occidentale. En raison des températures très basses, ses eaux glacent six mois par an, ce qui rend impossible toute navigation sur son cours.

Les 14 barrages hydroélectriques de plus de 15 mètres de haut ont permis l’industrialisation de la région. De même, la régularisation du cours du fleuve a entraîné le développement de l’agriculture.

Ses ressources en poissons ne sont pas négligeables. On dénombre jusqu’à 100 espèces, dont deux particulièrement représentées : l’esturgeon de l’Amour et l’esturgeon Bélouga. La pêche la plus lucrative est celle des salmonidés (famille regroupant saumons, ombles, ombres, truites et corégones). Ces derniers remontent le cours du fleuve depuis le Pacifique à la fin de l’été et au début de l’automne pour se reproduire en eau douce.

Enfin, la région de l’Amour n’est pas dépendante des cours du pétrole. Ses ressources naturelles et sa proximité avec la Chine lui permettent d’amortir en partie les aléas de la conjoncture économique.

Un fleuve « charnière » entre deux mondes

Le 16 juillet 2001, la Chine et la Russie ont signé un traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération. Le but était de développer des relations de voisinage stables et mutuellement bénéfiques. La base du partenariat sino-russe repose en partie sur l’opposition des deux pays à la politique internationale des États-Unis mais pas seulement . Le gouvernement chinois cherche aussi à développer les provinces du Heilongjiang et du Jilin, très enclavés et de sécuriser son approvisionnement en énergie. La création de l’agglomération transfrontalière Blagovechtchensk-Heihe en 2009, dont les villes sont situées de part et d’autre du fleuve Amour, est la première réalisation du genre sur la frontière sino-russe. Elle a permis la construction du pont Blagovechtchensk-Heihe et d’un téléphérique d’agglomération, le premier au monde qui traverse une frontière entre États.


mais de surcroit ce qui a toujours existé, à savoir un passage d’un pays à l’autre avec des frontières peu évidentes n’a cessé de se développer.


Dans l’Extrême-Orient russe, on croise des Chinois sur les marchés, où ils vendent des produits manufacturés venus de Chine, ils sont également nombreux dans l’agriculture, sur des chantiers ou des briqueteries. Dans les entreprises, les employés chinois sont payés l’équivalent de 100 à 300 euros par mois, soit le triple du revenu d’un paysan à Heihe, de l’autre côté de la frontière. L’oblast de l’Amour a alloué aux Chinois de Heihe 42 000 hectares en 2007. Dans cette région, les Russes ont 700 000 hectares en jachère et comptent en défricher 1,4 million. Ceci ne peut pas se faire sans l’aide chinoise. Selon les estimations les plus répandues, le nombre de Chinois en Extrême-Orient serait de 40 000 à 200 000 et ils se mêlent non seulement aux Russes mais à des populations autochtones de type mongol.

À l’université, l’apprentissage des deux langues montre la volonté d’approfondissement des relations. En effet, les deux voisins sont de nouveau « amis ».

Les touristes chinois sont de plus en plus nombreux à passer le fleuve, attirés notamment par des bijoux en or à moindre prix.

Selon le directeur de la chambre de commerce russo-chinoise de Blagovechtchensk, les échanges avaient diminué de 30 % en 2015-2016. Certes, les volumes exportés augmentent mais les recettes avaient baissé en raison de la dévaluation.

Mais à partir de 2022, paradoxalement les échanges ont augmenté et ont été officiellement encouragées.

Depuis les années 1990, l’idée de construire un pont sur le fleuve reliant les deux pays n’avait cessé d’être au cœur des débats. Le pont aurait pour vocation le transport de marchandises, la région étant un point de transit stratégique. La Chine voudrait accélérer le mouvement alors que la Russie semblait vouloir le ralentir, c’était du moins ce qu’affirmaient les observateurs.

Les obstacles s’étaient accumulés, comme un terrain peu adapté, l’absence d’infrastructure, la bureaucratie et un centralisme écrasant. De plus, les régions russes se livrent à une rude concurrence pour obtenir le financement de l’État. Toutefois, les travaux ont finalement commencé en 2016 et le pont a été inauguré en juin 2022 par la Russie et la Chine. 

Comme un symbole, les deux puissances ont inauguré en 2022, le premier pont routier entre les deux pays, reliant par-dessus le fleuve Amour les villes de Heihe (province du Heilongjiang) et Blagovechtchensk (Extrême-Orient russe)

De nouvelle infrastructures communes

La construction du pont était terminée depuis deux ans mais son inauguration avait été reportée en raison de la pandémie de coronavirus. Le lancement de ce projet de longue date, pour lequel le premier accord remonte à 1995, est symbolique du rapprochement et de la hausse des échanges entre les deux pays. L’agence de presse publique russe Ria Novosti a publié une vidéo de l’inauguration de ce pont à la structure rouge et blanche, montrant le passage des premiers camions salué par des feux d’artifice.

D’une longueur d’un kilomètre et composé de seulement deux voies de circulation, le pont a coûté quelque 19 milliards de roubles (300 millions d’euros) dont 14 milliards pour la partie russe, selon les chiffres officiels. Selon les médias russes, 630 camions, 164 autobus et 68 véhicules légers pourront emprunter chaque jour ce pont uniquement destiné au fret.

Pour la population de ces deux villes d’environ 200.000 habitants, un téléphérique transfrontalier le premier au monde a été achevé en 2023. En avril, la construction d’un pont ferroviaire sur le fleuve Amour reliant la Chine et la Russie a été achevée dans la République considérée comme juive autonome du Birobidjan, (dont les deux langues officielles sont le russe et le yiddish) 500 kilomètres à l’est.

Les échanges commerciaux sont devenus florissants depuis la normalisation des relations entre les deux géants, à la fin des années 1980, mais se sont toujours heurtés dans la région à l’insuffisance des infrastructures de transports. Ces dernières années, un complexe d’usines a vu le jour côté russe: une usine de Gazprom, présentée comme une des plus importantes usines de traitement de gaz au monde, qui est un maillon du gazoduc russo-chinois Power of Siberia, et une usine de pétrochimie de Sibur.

Bascule vers la Chine

Alors que les exportations de gaz russe ont chuté de 27,6% entre janvier et mai 2022 par rapport à cette même période en 2021, affectées par les sanctions occidentales, elles ont continué à augmenter vers la Chine selon Gazprom.

La crainte de l’Union européenne de voir les liens entre la Russie et la Chine se renforcer s’est alors concrétisée . Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a ainsi déclaré que la Russie étudierait toute offre des Occidentaux pour rétablir leurs liens et déterminerait alors si cela est nécessaire, mais que la priorité du pays était de développer les relations avec la Chine. « Maintenant que l’Occident a adopté une position «dictatoriale», nos liens économiques avec la Chine vont croître encore plus rapidement », a affirmé Sergueï Lavrov.

Views: 66

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.